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Ni islam des caves, ni islam des salons


Ni islam des caves, ni islam des salons
L’Institut européen des sciences humaines (IESH), à Château-Chinon (Nièvre), qui dispense un cursus de formation des imams, juillet 2012. (Jeff Pachoud)
institut européen des sciences humaines
L’Institut européen des sciences humaines (IESH), à Château-Chinon (Nièvre), qui dispense un cursus de formation des imams, juillet 2012. (Jeff Pachoud)

Durant de nombreuses années, nombre d’élus, de chercheurs ou de travailleurs sociaux nous ont invités à sortir « l’islam des caves ». Aujourd’hui, c’est des salons parisiens, où sévissent certains théoriciens en col blanc, qu’il faudrait sortir la réflexion sur ce culte.

Il y a quelques jours, une étude menée par le normalien Hakim El Karoui pour le compte de l’institut Montaigne et de l’Ifop a ainsi été rendue publique.

Comme d’autres rapports qui l’ont précédée, cette enquête postule l’existence de trois à quatre millions de musulmans en France. Or ces derniers ne se comptent au maximum que par certaines de milliers ! Car, contrairement à ce que nous entendons ici et là, n’est pas musulman qui veut : cette qualité répond à des critères précis d’éducation et de savoir être, dont sont dépourvus une bonne partie de ceux qui se réclament de l’islam. Que 53 % des « musulmans » sondés (25 % de « conservateurs », 28 % d’« autoritaires ») fassent primer la Charia sur les lois françaises est une plaisanterie. Si nous demandions à chacun des musulmans interrogés de nous définir ce qu’est la Charia, l’immense majorité d’entre eux serait incapable de nous répondre clairement. Il conviendrait donc de définir les « autoritaires » comme des ignares pathologiques et incultes, plutôt que de leur accoler le qualificatif de musulmans. [access capability= »lire_inedits »]

Quand je lis que « 65 % des musulmans se déclarent favorables au port du voile », je m’interroge. Une telle réaction relève de l’autodéfense, à l’heure où les musulmans sont associés aux pires actes terroristes. L’amalgame peut faire basculer certains vers une tentation identitaire et un réflexe communautariste. L’assertion de cette même enquête selon laquelle « la pratique sociale la plus répandue reste le non-port du voile » devrait nous inciter à questionner des chiffres issus d’un contexte particulier. De la même façon, on peut penser qu’un sondage effectué au lendemain de l’attentat de Nice aurait conduit la plupart de nos compatriotes à rejeter les musulmans et à affirmer l’incompatibilité de l’islam avec les valeurs de la République.

Pour prendre un peu de recul, examinons le panel sondé par l’institut Montaigne. Il s’agit d’une population majoritairement jeune (moins de 35,8 ans), peu cultivée, « éloignée de l’emploi » (avec 38 % d’inactifs), doublement frustrée par sa condition sociale et la stigmatisation de sa supposée appartenance à la religion musulmane. Ses membres appartiennent à cette partie des classes populaires née dans les banlieues qui, au nom de leur détresse sociale, s’arrogent l’étendard de l’islam pour exprimer une révolte souvent injustifiable. Leur déficit d’éducation a plusieurs causes : des parents inaptes ou démobilisés, une offre religieuse insuffisante (mosquées et surtout imams incompétents), une école à la fois démissionnaire et inégalitaire, et enfin une autorité (administrative, policière, éducative) qui a disparu de ces territoires perdus.

C’est bien connu, la nature a horreur du vide. Aussi ne devrait-on pas s’étonner du développement d’une forme de communautarisme hystérique où la pseudo-identité culturelle repose essentiellement sur le folklore et l’apparence. Voyez le miracle : la barbe, le qamis (robe masculine) et le hijab (foulard féminin) vous offrent une virginité sociale opportune. Surtout si vous disposez d’un casier judiciaire fourni et que votre passif délinquant s’efface devant cette transformation physique.

Toutefois, quels que soient les griefs que l’on puisse adresser à ce rapport, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : il y a bien péril en la demeure de l’islam de France. C’est aussi là que l’institut Montaigne ne laisse pas de nous décevoir, ses propositions se révélant tantôt ineptes, tantôt antirépublicaines.

Ainsi, Hakim El Karoui entend rompre l’affiliation des institutions musulmanes de France avec les pays d’origine des fidèles (principalement l’Algérie, le Maroc et la Turquie). Or, non seulement ces États entretiennent des relations diplomatiques et économiques très poussées avec la France, mais ce sont les « pays de cœur » de nombreux musulmans français, majoritairement binationaux. Vouloir effacer cet héritage d’un trait de plume s’avère d’autant plus irréaliste que nous ne sommes pas en situation de prendre en charge le financement de « l’islam de France ».

C’est pourquoi ledit rapport s’applique à trouver les moyens d’un financement « français » de l’islam de France – excusez la redondance. Première proposition : instaurer une « taxe halal » liée au contrôle de l’abattage rituel pour contribuer à la construction des mosquées et à la rétribution des imams. De facto, on placerait ainsi le financement du culte musulman sous la tutelle de l’État. Comment peut-on seulement l’envisager dans une société libre, a fortiori laïque ? On imagine mal les Églises chrétiennes, comme les institutions juives, accepter une telle subordination. Si l’on suivait les préconisations de l’étude, le ministère de l’Agriculture déposséderait de surcroît les grandes mosquées de Paris, d’Évry et de Lyon du privilège du contrôle de la licéité des viandes et de la rente qui en résulte.

Il en va de même de l’organisation du pèlerinage à la Mecque et de la collecte de l’impôt religieux (zakat). Autant d’initiatives privées qu’Hakim El Karoui voudrait faire contrôler par les pouvoirs publics, ce qui piétinerait à la fois les libertés individuelles et la sacro-sainte séparation des cultes et de l’État.

Le reste est à l’avenant. Au prétexte de faire naître une autorité centrale de l’islam de France, on nous propose de bâtir un Consistoire musulman, sur le modèle de ce que Napoléon imposa jadis aux juifs français. C’est oublier qu’entre-temps la loi de 1905 a substitué un régime laïc au concordat. Certains me répliqueront que les grands principes devraient s’effacer devant l’urgence de la situation. Mais qui, parmi les musulmans de France, accepterait la nomination d’un grand clerc aux ordres de l’État sous l’autorité d’un secrétariat d’État aux Affaires religieuses ?

Pour autant, ne jetons pas tout le bébé avec l’eau du bain. Parmi les conclusions de l’étude, il en est deux qui me paraissent pleines de sens : réorganiser l’enseignement de l’arabe dans les écoles publiques ; créer des carrés musulmans dans nos cimetières. Mais est-ce vraiment ainsi qu’Allah sera grand en France ? [/access]



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