Le carnage perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 a sidéré par sa brutalité. Mais plus stupéfiante encore fut la réaction de certains universitaires, militants et partis politiques en Occident, saluant ou justifiant l’horreur. La sociologue Eva Illouz analyse cette étrange inversion morale, où la haine des Juifs se pare des atours du progressisme.
Le 7 octobre fut un tournant. Israël, envahi par l’organisation terroriste qui seize ans auparavant s’était emparé du pouvoir de manière violente à Gaza, a subi une attaque dont les crimes de guerre faisaient partie intégrale du projet : enfants et bébés tués à bout portant ; violences et sévices sexuels d’une incroyable intensité ; familles entières carbonisées ; parades publiques de cadavres au milieu de foules dansant et chantant ; le tout filmé avec jubilation, pour être diffusé dans le monde entier par le biais des réseaux sociaux. Le Hamas n’a pas cherché à cacher ces atrocités, au contraire, les terroristes s’exhibaient au moyen de cameras GoPro, en diffusant les images de leurs meurtres en direct.
Eva Illouz, sociologue franco-israélienne et directrice d’études à l’EHESS, ne revient pas sur ces actes génocidaires, mais sur la réaction de nombreux « progressistes qui se sont joints au chœur joyeux des foules gazaouies ». Comme elle le remarque, aucun autre massacre – au Soudan du Sud, au Congo, en Éthiopie, au Sri Lanka, en Syrie ou en Ukraine – n’a fait autant d’heureux en Occident. Le dimanche 8 octobre, à New York, Bret Stephens, chroniqueur au New York Times, assistait au rassemblement « All Out for Palestine » où on voyait des personnes en liesse mimer l’acte d’égorger ; il y cherchait des expressions de tristesse ou d’empathie, mais n’a trouvé qu’« ivresse et jubilation ». Joseph Massad, professeur à Columbia, a qualifié le massacre de « stupéfiant », « innovant » et « impressionnant ». À Cornell, Russell Rickford, s’est dit « exalté », tandis qu’en France, le Nouveau Parti anticapitaliste a publié un communiqué officiel sur le 7 octobre en affirmant son « soutien aux Palestiniens et aux moyens de lutte qu’ils et elles ont choisi pour résister ». Aux Etats-Unis, trente-trois groupes d’étudiants de Harvard ont attribué l’entière responsabilité du massacre à Israël. Andreas Malm, professeur vedette d’écologie humaine à l’Université de Lund à Malmö, a déclaré: « La première chose que nous avons dite dans ces premières heures ne consistait pas tant en des mots qu’en des cris de jubilation ». Les mots de Judith Butler, invitée le 3 mars 2024 à une table ronde à Paris, font penser à Jean-Marie Le Pen, en pire : « Qu’il y ait ou non des preuves des allégations de viols de femmes israéliennes […] OK, s’il y a des preuves alors nous le déplorons […] mais nous voulons voir ces preuves et nous voulons savoir si c’est juste ».
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En remontant à Rousseau et à son éloge de la pitié – rebaptisée la « compassion » – Illouz se demande comment une émotion prise pour instinctive et constitutive de la morale en vient-elle à être supprimée par une formation politique qui assène sans relâche cette émotion ? Elle trace les origines de cet « antisémitisme vertueux » en considérant la French Theory comme un « style de pensée », et cette gauche progressiste comme une « tribu exotique, avec des récits et des mythes qui produisent des explications du monde plus proches de la croyance que de l’analyse ».
Quant à nous, on se pose une question analogue : aujourd’hui, où peut-on vivre tranquillement en tant que Juif ?
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2023/01/04/emotions-democratie-coloniale-illouz
Eva Illouz, Le 8-Octobre. Généalogie d’une haine vertueuse. Gallimard, Tracts, 64 p.
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