«Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.»


«Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.»

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Luc Rosenzweig, avec sa pugnacité et son érudition habituelles , veut nous convaincre que les candidats au djihad et les zadistes soutenus par les Verts ont un point commun, le nihilisme. Mieux, que « le projet civilisationnel communiste ayant fait faillite, le capitalisme mondialisé, l’individualisme libéral est aujourd’hui la figure de l’ennemi commun de Daech et du groupe de Tarnac ». Il me semble difficile de faire mieux dans le point Godwin comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire une manière de « reductio ad hitlerum » destinée à disqualifier définitivement. Il est dommage pour la démonstration de Luc qu’on n’ait pas trouvé des pédophiles et des antisémites dans le rang des zadistes parce que comme ça, le tableau de l’horreur contemporaine aurait été complet. L’analogie avec les djihadistes, je dois reconnaître que ce n’est pas mal comme écran de fumée pour ne pas regarder ce qui se passe, ce qui se passe vraiment du côté de Notre-Dame-des-Landes, du barrage de Sivens mais aussi un peu partout dans le monde, ce monde du déni qui refuse de voir poindre sa fin possible à cause de son aveuglement environnemental. Pourtant, même le président Chirac, un gaulliste énarque formé pour l’utopie prométhéenne des Trente glorieuses, avait senti venir la catastrophe, il y a douze ans déjà, à la conférence sur le climat de Johannesburg en 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. »

Luc a donc décidé de regarder ailleurs. Vers ceux qui se sont radicalisés au nom de l’Islam dans nos quartiers mais aussi dans nos centre-villes (l’apprenti-djihadiste diplômé et converti est aussi une réalité d’après les premières enquêtes sur le phénomène). Mais le problème, c’est que l’analogie, sur le plan idéologique, ne tient pas trente secondes. Pas seulement parce qu’il est peu de dire que la vision émancipatrice qui prévaut chez les zadistes n’a rien à voir avec l’embrigadement religieux et sectaire mais aussi parce que si cette analogie s’appuie sur l’anticapitalisme, alors il faut  aller jusqu’au bout du raisonnement. C’est-à-dire agglomérer aux djihadistes tous ceux qui de près ou de loin, sont convaincus qu’il faut rompre avec le capitalisme : les djihadistes, donc, – étonnamment financés par les pays les plus capitalistes du monde que sont les pétromonarchies-, les zadistes, mais aussi, allons y franchement, l’ensemble de la vraie gauche française, du PCF au FDG , les frondeurs du Parti socialiste, Europe Ecologie-Les Verts, une bonne partie du monde syndical et pas mal d’intellectuels, y compris Marcel Gauchet, oui, « notre » Marcel Gauchet qui montre d’étonnants points de convergence avec Alain Badiou dans le dernier livre qu’ils ont cosigné[1. Que faire ? (Editions Philosophie Magazine).]. Sans compter les Français eux-mêmes qui ne cessent de désespérer BFM business, les salles de marché et Alain Minc en exprimant leur défiance à l’égard du libéralisme avec des scores écrasants à chaque sondage sur la question.

Reste l’accusation de nihilisme. Qu’on me permette de dire que Rémi Fraisse, tué à vingt-et-un ans par la gendarmerie qui venait de recevoir « des consignes d’extrême fermeté » de la part du préfet   -tu m’étonnes-, n’avait rien d’un nihiliste. Il appartenait plutôt à cette fraction de la jeunesse qui, de Tarnac à Notre-Dame-des-Landes, des places d’Espagne ou de Turquie aux centres sociaux italiens, du Val de de Suse à Taksim, d’Exarchia à Occupy Wall street, de ZAD en TAZ, s’est libérée de la matrice, comme dans le film culte des Wachowski,  et a compris que ce que « nos enfants allaient payer« , selon le cliché culpabilisateur, ce n’étaient pas les intérêts de cette dette fantasmatique inventée par un système aux abois pour domestiquer la population, non, ce qu’ils allaient payer, c’étaient les conséquences écologiques d’un mode de production aberrant[2. On lira avec intérêt Constellations par le collectif Mauvaise Troupe (Editions de l’Eclat) et Gouverner par la dette de Maurizio Lazzarato (Editions Les Prairies Ordinaires).].

Le nihilisme, aussi, c’est systématiquement vouloir discréditer le GIEC comme une officine d’obscurs idéologues au nom du climatoscepticisme qui, pour le coup, est l’autre visage du capitalisme le plus échevelé puisqu’il faut absolument éviter que soit fait le lien entre réchauffement climatique, par exemple, et course au profit. Le nihilisme, c’est continuer à croire les ressources fossiles inépuisables, c’est être prêt à dévaster Chambord et le Val de Loire pour trouver du gaz de schiste afin, encore un peu, de faire rouler les bagnoles, c’est parler, comme Pascal Bruckner, d’écologie punitive dès que l’on explique, comme l’a d’ailleurs fait Gil Mihaely dans le dernier Causeur. qu’il faut trouver une porte de sortie au modèle classique de la croissance, puisque cette croissance ne reviendra plus. Mathieu Burnel,  du groupe de Tarnac, célèbre repaire de femmes voilées bardées d’explosifs, l’autre soir chez Taddeï, seul contre tous, a démonté avec férocité l’imposture aveuglée de ses interlocuteurs, que ce soit celle de Bruckner donc, mais aussi celle de la spécialiste du « green washing » Corinne Lepage ou encore celle de l’incroyable Christian Gérondeau, hibernatus-technocrate pompidolien, nous expliquant doctement que la solution, c’était le nucléaire et le pétrole, et après lui le déluge.

On touche sans doute là la différence la plus sensible dans l’appréciation écologique de la situation. On ne porte pas le même regard sur ce monde de plus en plus visiblement dévasté selon qu’on ait encore dix, vingt ou cinquante ans à y passer, selon qu’on ait vécu sa jeunesse dans la France grande puissance industrielle ou dans la France du chômage de masse et de la précarité, dans la France des premières autoroutes ou dans la France où des régions entières sont transformées en déserts économiques et humains.

Et il se trouve, oui, que dans les ZAD, on rencontre beaucoup plus de jeunes qui ont le goût de l’utopie que les enfants vieillis et gavés de la « génération lyrique »[3. La génération lyrique, François Ricard (Editions Boréal).]  telle que l’a définie François Ricard dans un livre devenu célèbre et qui sont, eux, les vrais nihilistes de notre temps puisqu’ils n’auront rien transmis à la génération suivante, même pas une planète à peu près habitable.

*Photo :  wikimedia .



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