« Tout le monde s’en branle de l’antisémitisme! »


« Tout le monde s’en branle de l’antisémitisme! »
(Photo : Hannah Assouline)
(Photo : Hannah Assouline)

On avait d’abord pensé filer, la patronne et moi, juste après la projection presse du film d’Yvan Attal, Ils sont partout, qui est sorti le 1er juin, mais on s’est retrouvés pris dans un cocktail. On s’était dit qu’il valait mieux pour tout le monde éviter une rencontre avec le réalisateur qu’on aimait bien et qui nous aurait obligés à lui mentir ou à nous mentir. Mais c’est Yvan Attal, qui nous avait sans doute vu bondir en regardant son film, qui est venu se planter devant nous et devant tout le monde pour nous demander avec un geste sépharade et sa gueule d’humour : « Alors, qu’est-ce qu’il a mon film ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Il aurait pu facilement et honorablement s’épargner une critique désagréable et préférer les amabilités de ses invités, mais il est venu nous voir et nous entendre. Défiés par son courage, on a trouvé celui d’être francs, et on lui a dit ce qui ne nous allait pas. Ils sont partout est un film à sketchs sur l’antisémitisme, dont chaque séquence expose et moque l’un de ses clichés. La première met en scène une famille de l’extrême droite française, et le paquet sur son néonazisme viscéral et congénital. Un Moati n’y aurait sans doute pas retrouvé ses Le Pen mais la salle a beaucoup ri. Le deuxième sketch a commencé, et lorsque les premières images d’une banlieue « populaire » sont apparues j’ai sincèrement cru que l’auteur déroulait son récit pour nous mener du passé antisémite « vieille France » vers son présent le plus « jeune », comme on dit pudiquement pour ne pas nommer ceux qui sont plutôt Coulibaly que Charlie, et qu’on allait rire de la haine du Juif chez la racaille islamisée, comme on rirait plus loin du préjugé antisémite résiduel chez le catholique. J’ai donc été sérieusement déçu quand le mot « Fin » est apparu sans que l’on ait vu le moindre musulman dans le décor ni entendu le mot « islam » dans la bande-son de la cité sensible.

Je dois avouer que j’étais déjà plutôt remonté, après tant de débats télévisés où d’éminents spécialistes peuvent palabrer pendant des heures sur les difficultés françaises, nos problèmes de logements, d’école, de délinquance, de sécurité, de laïcité, de terrorisme, sans jamais prononcer les mots « immigration » ou « islam ». Marre qu’on craigne les amalgames jusqu’au déni, qu’on brandisse le rienavoirisme jusqu’à l’aveuglement. Ras-le-bol qu’on s’évertue à ne pas stigmatiser ceux qui nous tuent et qu’on ménage encore et toujours une seule susceptibilité : l’islamique. Devant ma télé, depuis longtemps, je m’énerve, mais je n’attends plus grand-chose. En revanche, du discours indirect d’une œuvre de fiction, j’avais espéré deux ou trois choses bien senties sur ce nouvel antisémitisme décomplexé et assassin. D’où mon agacement, ou peut-être ma colère, car il a fini par y avoir un micro-attroupement. Voilà à peu près où j’en étais quand Attal est venu nous chercher. Evidemment, le ton est monté – c’est la patronne qui a dû me rappeler au calme, c’est dire –, et puis il est redescendu. L’affrontement a glissé vers l’échange, on a même fini par se comprendre – ce qui ne signifie pas excuser…–, alors on a décidé de se revoir pour mettre notre dispute par écrit. Yvan Attal a du cœur, de l’intelligence et de la gouaille. C’était plus qu’il n’en fallait pour transformer un désaccord en rencontre. En belle rencontre, comme on dit dans le cinéma.

Cyril Bennasar

Causeur. Pourquoi faire ce film ? Et pourquoi maintenant ?
Yvan Attal. Le projet, c’était de démonter les clichés antisémites. « Les Juifs ont de l’argent ! Les Juifs sont partout ! Les Juifs ceci ! Les Juifs cela ! » Pourquoi maintenant ? Cette histoire, pour moi, date d’il y a dix ans. Ça a commencé, je pense, avec la seconde Intifada, avec Dieudonné… Quand j’ai commencé à soupçonner un peu d’antisémitisme ici ou là, on me disait : « Tu exagères, tu es paranoïaque. » D’où l’idée d’un mec qui va chez le psy pour dire : « Je vois de l’antisémitisme partout, et les gens me disent que je suis paranoïaque ! » Et puis j’ai commencé à écrire, je me suis arrêté, j’ai fait un film comme acteur, un film comme metteur en scène…

D’habitude, l’antisémitisme est un sujet grave, traité par des intellectuels qui produisent des thèses. Pourquoi une comédie ?
Parce que c’est ma nature ! Et puis, ceci, plus important : il y a une multitude de clichés, et j’ai pensé qu’à travers un film classique, avec une dramaturgie unique, je ne pouvais pas m’attaquer à tous les poncifs. Ce qui caractérise l’antisémitisme, c’est qu’on est attaqués sur tous les fronts. J’ai donc choisi de faire des histoires courtes, ce qui impliquait une forme de comédie, de légèreté. Il y a dix ans, j’ai même pensé solliciter plusieurs réalisateurs. Et puis j’ai compris que ça ferait trop « grande cause » : le sida, le tabac, l’antisémitisme… Ce n’est pas une grande cause, c’est un sujet qui me titille. Ce n’est même pas que je voulais faire un film plus personnel, ça s’est vraiment imposé à moi. Un jour, je me suis levé et je me suis dit : « Il y en a marre ! Je fais ça ! »

Donc il n’y a pas eu « un matin », mais il y en a quand même eu un !
Bah ! Il a dû y avoir un matin où j’en ai eu ras-le-cul ! En dix ans, l’antisémitisme que j’avais repéré est devenu un phénomène avéré. Alors, certains critiques disent : « Le mec, il est en colère ! » Oui ! Je suis en colère ! Je suis particulièrement en colère aujourd’hui, je me suis réveillé en colère !

Cet « antisémitisme avéré », est-ce que tu l’as ressenti ? Ce qui t’a vraiment énervé, n’est-ce pas que dans ton milieu, celui du cinéma, les gens, au mieux, s’en fichent éperdument ?
Si seulement ils s’en foutaient ! Je vais vous raconter une vraie anecdote. C’est le moment de la seconde Intifada : je ne peux plus aller nulle part, dans le cinéma, sans qu’on me casse les couilles. On parle d’Israël comme ça, à tort et à travers, j’entends des trucs, on me dit des trucs… Je parle de mon milieu : le cinéma français. Un soir, Charlotte me dit : « On est invités à dîner chez machin. » Je lui dis : « Écoute, laisse-moi tranquille, je reste chez moi, je vais regarder le football, je reste avec les enfants, va à ton dîner… » Elle insiste, promet que tout se passera bien. Moi : « On va encore me casser les couilles avec le conflit israélo-palestinien, je vais être le Juif de service, je n’en peux plus ! » Elle allait travailler avec les gens qui nous invitaient, j’ai cédé, j’ai accompagné ma femme. Il y avait là un distributeur, avec lequel j’allais faire, plus tard, deux films, qui me dit : « Israël, machin, etc. ! » Je regarde Charlotte, je lui dis : « Tu vois bien ? Aujourd’hui, où que j’aille, c’est la même chose ! » Pour abréger la conversation, je dis au gars, et c’était sincère : « De toute façon, tu veux deux États ? Tu es pour un État palestinien et un État israélien indépendants ? Eh bien ! tu sais quoi ? Viens, on mange, on boit, on est d’accord ! » Et lui me répond : « Mais si on est d’accord, pourquoi vous nous faites chier ? » Il m’a dit cette phrase ! « Pourquoi vous nous faites chier ? » Et j’ai répondu : « C’est qui, “vous” ? C’est qui, “nous” ? C’est quoi, l’histoire ? » Et là, c’était fini. Le prochain qui dit un mot, je lui mets un coup de boule et je me casse. Et j’étais vraiment en colère. Je pense que le film est sorti là. De ce « Pourquoi vous nous faites chier ? »

Tu vois que c’est grâce à ta femme !
Mais c’est toujours grâce à ma femme ! Elle mérite tous les lauriers, ma femme ! Enfin, voilà : cette anecdote, je ne l’ai toujours pas digérée, d’ailleurs. J’essaie encore de comprendre cette phrase d’un gars éduqué, distributeur de films, socialement tout va bien pour lui, il n’est ni juif, ni musulman, ni Palestinien… Mais le « Vous nous faites chier », j’essaie de comprendre. Pourquoi on s’identifie au frère palestinien quand c’est un soldat israélien qui l’a tué et pas quand c’est Bachar el-Assad ? Pourquoi il y a des centaines de conflits dans le monde qui font beaucoup plus de morts que celui-là, et qui n’intéressent personne. Alors, et c’est ce que j’essaie de dire dans la dernière partie du film, je crois que le problème d’Israël n’est pas un problème de territoire, mais toujours un problème d’antisémitisme.

En effet, d’où l’antisémitisme camouflé en antisionisme. Venons-en à notre litige. Voilà comment nous, nous avons vécu ces dix années. En 2002, paraît le livre Les Territoires perdus de la République. Si l’on excepte l’article de Pierre-André Taguieff sur « la nouvelle judéophobie » dans le Figaro en 2000, c’est la première fois qu’on parle cash de l’antisémitisme arabo-musulman dans nos banlieues. Nous aussi, nous tombons des nues. Ce livre fait grand bruit, et puis on remet le couvercle sur la marmite. Et pendant les dix années qui suivent, alors que les écoles publiques du 9-3 se vident de leurs élèves juifs, à chaque fois qu’on aborde le sujet, on se fait traiter de racistes et d’islamophobes, voire traîner au tribunal. Et ça continue après Merah. Mais depuis les attentats de Charlie et de l’Hyper Casher, beaucoup d’yeux se sont dessillés, et la réalité de l’antisémitisme en banlieue est de moins en moins discutée. Or, quand nous avons vu ton film, nous avons eu l’impression que cet antisémitisme-là, tu ne le montrais pas. Alors que tu mets le paquet sur le vieil antisémitisme d’extrême droite, maurrassien, celui du Front national de Le Pen …
Je suis d’accord, on peut le dire comme ça. Je peux comprendre qu’on ressente ça. J’ai une espèce de réponse un peu lâche mais qui est la plus sincère du monde. D’abord, quand je commence à penser au film, c’est quoi les clichés antisémites ? « Les Juifs ont de l’argent, les Juifs sont partout, les Juifs s’entraident. Les Juifs ont tué Jésus. » Il n’y a pas encore tout à fait ce « Ras-le-cul de la Shoah ! » Et il n’y a pas l’antisionisme. Cependant, je ne suis pas aveugle, au moment où je commence à écrire, je ne peux pas ignorer qu’il y a un antisémitisme musulman, et je ne veux pas entrer là-dedans parce que je sens le piège. Si j’en parle, je risque d’être attaqué, et si je n’en parle pas aussi. Donc j’essaie de slalomer. Mais je fais un film sur les clichés, je ne vais pas tomber dedans : quand je suis dans la banlieue, je ne veux pas de représentation des gars de banlieue. Et puis, comme je connais surtout l’antisionisme, qui est une évidence dans mon milieu, je crois, peut-être naïvement, que le segment « Et Israël », sur le sujet, est déjà assez gonflé.

Et finalement, tu as traité l’antisémitisme de gauche, pas l’antisémitisme musulman.
Je n’ai pas voulu mettre de l’huile sur le feu. Mais il y avait peut-être aussi une forme de politiquement correct. J’avais peur qu’on m’attaque en disant : « Un Juif fait un film sur l’antisémitisme, il faut qu’il y mette les Arabes… » Donc, même si je suis dans une banlieue, je ne veux pas faire clairement allusion aux Arabes, parce que je veux qu’on reste sur l’antisémitisme. Et puis, j’ai tout de même l’impression de parler de ce qui anime l’antisémitisme islamo-gauchiste, ou de ce sur quoi il se cristallise, l’antisionisme. Alors, peut-être que, pour ne pas attaquer « les Arabes », j’ai attaqué l’antisionisme.
Mais le plus important, c’est que je veux m’adresser à la France. Par exemple, le dealer, je n’en fais ni un Noir ni un Arabe, pour ne pas qu’il m’arrive la même chose qu’à Zemmour. Ou, pire encore, à Finkielkraut ? Qu’est-ce qui arrive à un homme brillantissime, qui a un temps d’avance sur tout le monde ? La jeunesse pense qu’il est raciste. Moi, j’espère m’adresser aussi à la jeunesse, alors j’essaie de ne pas me la mettre à dos… de ne pas être contre-productif. Sans dévoiler la fin, si j’ai fait ce film, ce n’est pas uniquement pour me battre mais aussi pour tendre la main.[access capability= »lire_inedits »]

Est-ce que tu regrettes aujourd’hui ce choix de ne pas aborder frontalement l’antisémitisme arabe ?
En un sens, oui. J’espérais, de cette façon, parler au plus grand nombre, et plein de gens me renvoient les Arabes à la figure, mais pas comme vous, non. Ce qu’ils disent c’est : « Vous faites un film sur l’antisémitisme, mais c’est bien plus difficile pour les Arabes de vivre en France. » Donc, tout d’un coup, mon argument se retourne contre moi.

Mais en tournant autour du sujet, tu as bien dû voir qu’il était difficile d’en parler, non ?
Je pense à une réplique de Dany Boon que j’ai coupée. Le dealer dit : « Il y a plus de kalachnikovs dans cet immeuble que d’habitants ! » Quand on parle de kalach, tout le monde comprend de quoi et de qui on parle… Mais bon, Dany Boon devait répondre : « Pourquoi pas “Allahu akbar !”, pendant que t’y es ?! » Derrière les barrières, il y avait plein de gars du coin, des grands frères qui criaient en arabe. Ce n’était pas vraiment l’endroit pour dire « Allahu akbar ! » Et on l’a enlevée…

Dans le fond, ton film parle de l’antisémitisme plus que des antisémites. Résultat, tu sembles mettre sur le même plan quelqu’un qui, dans l’intimité de son salon, trouve qu’il y a trop de Juifs dans les médias et un type qui prend une kalachnikov ou une hache, et qui agresse quelqu’un au hasard dans la rue !
Mais Dieudonné, il dit quoi ? Il s’attaque à Israël et à la concurrence victimaire ! Que disent une partie des jeunes de banlieue ? « Ras-le-bol de la Shoah ! » et « Mort à Israël ! » C’est traité dans le film. Sauf qu’ils ne sont pas désignés comme des Arabes, mais bel et bien comme des jeunes de banlieue.

Alors que les fachos, eux, sont désignés comme tels !
Je vais vous dire pourquoi. Ce n’est pas par volonté de dénoncer les « fachos », et c’est là où, peut-être, je me suis laissé avoir. J’ai voulu illustrer Les Juifs sont partout en m’inspirant de l’histoire de ce néonazi hongrois qui a réalisé qu’il était Juif à la mort de sa grand-mère. Je me suis amusé avec ces fachos, c’est tout. Et puis, tout de même, il y a des fachos qui descendent dans la rue pour crier : « Mort aux Juifs ! », que vous le vouliez ou non… Loin de moi l’idée que l’antisémitisme est à l’extrême droite et pas à l’extrême gauche. Sur la haine d’Israël, moi, je prétends que les deux se rejoignent. D’ailleurs, ils se retrouvent ensemble dans la rue pour crier « Mort à Israël ! » et « Mort aux Juifs ! » Mais il y a peut-être un déséquilibre dans mon film. Cela dit, imaginons que je tienne compte de votre critique et que je le refasse : je n’ai pas la moindre idée de la façon de représenter spécifiquement cet antisémitisme musulman, puisqu’il se nourrit des mêmes clichés que le vieil antisémitisme. Sur le net, Mohamed et Christian vomissent leur haine des Juifs de la même façon.

Jusqu’ici, c’est plutôt dans des films sur l’école qu’il a été montré : même s’ils édulcorent un peu, ou beaucoup, Les Héritiers ou le film de Bégaudeau montrent bien des gamins qui disent des conneries.
Et il faut qu’ils soient arabes, ces gamins ? Il faut les représenter tels quels ? Cela dit, cet antisémitisme musulman dont vous parlez n’est pas du tout abordé dans Les Héritiers ni dans le film de Bégaudeau. Revoyez-les.
À ce sujet, j’ai oublié de vous raconter cette anecdote extraordinaire pendant le casting des petits rôles. C’est pour une partie intitulée « Le complot juif », qui est un rêve dans lequel une femme parle du médecin juif qui a sauvé sa fille et de l’avocat qui l’a tirée d’une affaire… Un type répond : « Je suis noir, vous croyez que je suis antisémite comme l’autre con ? » Et un Arabe dit : « Je suis flic, je suis Charlie, je suis Juif. » C’est un rêve : je la fais à l’envers si vous voulez, mais j’aime bien. Je me retrouve donc face à un Beur venu auditionner. Je lui dis : « Vas-y : “Je suis flic, je suis Charlie, je suis Juif.” Allez, action ! » Lui : « Je suis flic, je suis Charlie. » Moi : « Coupez. Tu as oublié : “Je suis Juif.” On la refait. » Lui : « Vous me demandez ça parce que je suis musulman, c’est ça ? » On réessaie : « Je suis flic, je suis Charlie. » Ça ne sort pas. Et là, je prends conscience du truc ! Le type ne peut pas dire : « Je suis Juif. » Et il dit : « Je suis flic, je suis Charlie, je suis… » il ne peut toujours paq. Il regarde autour de lui, tombe sur un radiateur et dit « je suis un radiateur » !!! C’était à mourir de rire !

Alors, il faut être maso pour traiter ce sujet au cinéma. Parce que tout pose problème. Ainsi, cette roquette qu’on voit pendant quelques secondes percutant la tour Eiffel : c’est très métaphorique, très allusif, très rapide, et pourtant cette roquette a fait des étincelles…
Je dois dire que beaucoup de gens n’ont pas compris de quoi il était question. Ils ont cru que je parlais du Bataclan, du terrorisme en France… Non ! Le sketch s’appelle : « Et Israël… » Et ensuite, tout le monde devient Juif, c’est une métaphore de l’État d’Israël. Ça ne pouvait pas être plus clair, pour moi ! Cela dit, pour les gens qui ont compris, cette roquette était un problème. Et l’un d’eux est un musulman français très engagé pour la cause palestinienne, qui travaille pour le distributeur. Dans un long mail, il m’a reproché ce plan en estimant – et je reprends ses mots – qu’il traduisait « la défense inconditionnelle de l’État d’Israël et une condamnation des attaques palestiniennes ». Il m’a donc demandé de le couper. Ce qui veut dire que j’ai eu raison de faire ce plan. Et ce film. Qu’un distributeur intervienne directement auprès d’un réalisateur sans passer par la production, cela n’arrive jamais. Là, il voulait aussi me faire dire que je faisais un film sur le racisme et non pas sur l’antisémitisme, parce que « ça ouvrait plus ». Et que j’enlève le mot « Juif » des pancartes où sont inscrits les clichés « Les Juifs ont de l’argent ». Il m’a aussi dit : « Mais c’est vrai que, peut-être, ils sont un tout petit peu plus favorisés que les autres… »

Cela dit, nous sommes très informés sur la question. Peut-être que beaucoup de gens ne savent rien de tout ça.
Ça, c’est pour moi la première leçon. Ce sujet qui m’inquiète n’inquiète pas du tout la majorité des Français. Et ne parlons pas des journalistes : si pour vous j’ai fait un film de Bisounours, pour la plupart d’entre eux c’est déjà très dur à avaler. Dans Ça balance à Paris, Mazarine Pingeot a dit à l’époque au sujet du film d’Arcady : « Ce film est un problème, parce que si par hasard on n’aime pas… » Eh bien ! explique pourquoi tu n’aimes pas ! Les acteurs sont mauvais ? Le scénario est mal écrit ? Il y a mille manières de dire qu’on n’aime pas un film ! Ne commence pas à te justifier de ne pas l’aimer !

Elle a peur de se faire traiter d’antisémite !
Voilà ! Donc, ça veut bien dire que tu es coincé comme metteur en scène ! Tu ne peux pas faire un film sur l’antisémitisme ! On ne peut rien te dire, donc on te dit tout ! On te dit : « Va te faire enculer ! Sous prétexte que je ne peux pas te le dire, je te le dis quand même ! » On ne peut plus en parler. Et c’est ce que je dis dès le début du film : « On ne peut plus prononcer le mot “Juif”, ça crispe. » Eh bien ! moi, je le réalise tous les jours de ma vie !

Enfin, dans les journaux, on ne peut pas dire qu’on n’en parle pas ! Depuis un an, on en parle beaucoup, même !
Et pour certains on en parle trop. J’ai fait une interview avec Beigbeder pour Lui, et il commence comme ça : « C’est quand même plus difficile d’être un Arabe… » « Non, je lui réponds. En France, on est emmerdés comme un Arabe, mais nous, on nous tue, d’ailleurs c’est des Arabes qui nous tuent. » Je réalise que tous ces gens qui se disent horrifiés par Dieudonné pensent un peu comme lui, ils sont totalement dans la concurrence victimaire.

Tu vois qu’on peut dire les choses !
Dans un journal, oui. Depuis qu’on s’est rencontrés et engueulés, je n’arrête pas de me demander si je ferais le film autrement aujourd’hui. Eh bien ! je n’en suis pas sûr. Alors que, très sincèrement, votre critique m’a cueilli à froid. Cela dit, ce n’était pas du tout un manque de courage mais un vrai choix, je ne voulais pas qu’on se retourne contre le film. Mais quand je vois que, malgré tout, c’est ce qui se passe, je suis doublement en colère. Contre tous ceux qui m’attaquent et contre moi-même…

Cela dit, on peut comprendre que les gens en aient marre. Tu n’en as jamais marre, toi, des histoires de Juifs ?
Il y a un moment dans le film, je vais voir mon psy, je parle, mais on ne m’entend pas, et il y a une voix off qui lâche : « Putain, j’en ai ras-le-cul, ça fait deux fois cette semaine : je n’en peux plus des Juifs ! » En fait, j’ai fait cette voix off pour qu’on n’entende plus le personnage déclarer : « Je ne comprends pas pourquoi les antisémites ne se découragent pas : après les Perses, Babylone, etc., les Juifs sont toujours là. Comment font-ils pour ne pas se décourager ! » Il paraît que c’était arrogant de dire ça ! Donc, vous avez raison : les gens ont des problèmes de loyer et de fins de mois, alors les Juifs, ils s’en tapent ! C’est pour ça que je me demande pourquoi je m’emmerde avec ce film ! Tout le monde s’en branle de l’antisémitisme ![/access]

 

Ils sont partout, d’Yvan Attal, avec Yvan Attal, Benoît Poelvoorde, Charlotte Gainsbourg, Dany Boon, Valérie Bonneton… . Durée : 1h 51. En salles.

Juin 2016 - #36

Article extrait du Magazine Causeur



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