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Xavier Grall, poète français


Xavier Grall, poète français
Xavier Grall.
Xavier Grall
Xavier Grall.

Seigneur Dieu/Au royaume de la Terre/Laissez-moi retourner

Le dernier ouvrage publié par ce grand « petit éditeur » de poésie que fut René Rougerie, décédé le 12 mars, fut donc Œuvre poétique, de Xavier Grall, l’inoubliable auteur du poème Solo, achevé quelques mois avant sa mort, à 51 ans, en 1981. Un éditeur, installé depuis toujours à Mortemart, dans la Haute-Vienne, publie juste avant de mourir la poésie universelle et française, intemporelle et contemporaine, d’un barde armoricain qui n’a jamais parlé le breton. Cet impossible enracinement provincial et temporel de la poésie française résume tout ce qui me semble beau et tragique dans la littérature de mon pays.

[access capability= »lire_inedits »]Longtemps la poésie de Xavier Grall (même si lui-même fut plutôt sédentaire) fut celle d’un voyageur inlassable dont la Bretagne maritime et révoltée contre la froide modernité parisienne contenait le « tumulte du monde » et célébrait la « messe de l’univers ». Et voici qu’au moment de la mort du poète, cette vaste Bretagne des peuples du monde se fait petite, presque étroitement provinciale, et qu’elle occupe ainsi plus sûrement notre cœur. « Seigneur me voici c’est moi/Je viens de petite Bretagne. » Ce sont les deux premiers vers de Solo, cet incomparable poème testamentaire qui marque une tentative de réconciliation, opérée au seuil de la mort, par le poète « nationaliste breton » entre la terre bretonne et le pays de France. Brutalement, alors que la fin approche, la vaste mer libératrice, celle qui autrefois nous émancipait des étouffantes proximités catholiques de la paroisse, des insupportables crimes de la nation, devient ce lieu de noyades où « tout périt dans les marées violentes ». Comment, au temps des grands voyages et des froides abstractions idéologiques, de la vaste dissolution des corps dans la virtualité réticulaire, habiter encore un peu sa terre natale, où la vie est bonne et où les chemins vont quelque part, voilà la question qui hante Xavier Grall au moment où son propre corps se dérobe dans la maladie et paraît vouloir faire sécession. 

Retour vers notre « patrie humaine »

Grall fut un poète totalement, ardemment, païennement chrétien, mais sa poésie ne l’amène pas à contempler les félicités célestes d’un monde à venir. Pas d’anges ni de saints éthérés chez Grall, mais la tentative, à l’inverse, de recouvrer le monde terrestre des choses concrètes et matérielles qui nous étaient présentes et nous échappent. Car ce sont les félicités terrestres qui nous manquent le plus sûrement aux temps de la maladie et de la chimie, et ce sont les abstractions célestes que nous habitons naturellement aujourd’hui. La poésie de Grall est une tentative de retour, par la prière adressée au Christ jaune des calvaires, vers notre « patrie humaine » trop tôt abandonnée et jamais recouvrée. Si la poésie de Grall est une prière, c’est une prière qui ne demande pas le salut éternel mais seulement un sursis avant d’être à jamais emporté, tel Job, « à cheval sur le vent », et tout entier « dissous dans la tempête ». Regardons, à défaut de pouvoir toucher, le corps abimé du poète, d’une légèreté spectrale, d’une impuissance définitive, corps dont il ne sait plus « l’âge ni l’usage », dévasté qu’il est par les « crapauds méchants » qui lui dévorent les bronches. Ce corps, c’est encore ce qui le porte à célébrer la « glèbe sauvée » de sa Bretagne bleue. 

Nul folklore facile dans cette poésie incandescente, nul « repli frileux », mais un goût profond de la chair et de la corporéité fragile des choses qui risque toujours de disparaître dans le contact distant avec les abstractions de la technologie. Solo, poème du regret et du souvenir, chant d’un fils prodigue et malade qui implore son Dieu pour qu’il se souvienne de son ami Lazare et le fasse revenir en son royaume terrestre, est d’une bouleversante simplicité. Il dit avec ferveur les beautés d’un monde tout uniment breton et français qui disparaît, et l’amour et la haine des « hommes étranges, meilleurs que leurs idées ».

Oeuvre poétique

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Juin 2010 · N° 24

Article extrait du Magazine Causeur



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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