Une belle mécanique un peu creuse


Une belle mécanique un peu creuse

gone girl poster

Je ne sais plus qui était le critique qui prétendait qu’on pouvait juger les films à la manière dont le cinéaste traitait les scènes d’amour. Essayons d’entrer par ce biais dans le nouveau film de Fincher. Première scène d’amour : Nick rencontre Amy et c’est le coup de foudre. L’harmonie est donc parfaite : on voit que l’homme prend en compte le désir de la femme et qu’elle a un bel orgasme. Deuxième scène d’amour : les années ont passé et le couple formé par Nick et Amy se délite. L’homme ne pense désormais plus qu’à son propre plaisir et besogne laborieusement sa femme (par derrière, évidemment) qui se tient debout contre un mur sans que le moindre frisson ne fasse vibrer son corps. Par la simple description de ces deux moments « amoureux », on comprend très vite que Fincher n’est pas un cinéaste d’une grande finesse, que sa vision du couple est à la fois convenue, un poil caricaturale et qu’il prend bien soin de souligner chaque élément de son récit. D’une certaine manière, le film pourrait s’appeler L’amour dure trois ans si le titre n’était pas déjà homologué ! Dans le même ordre d’idée, le fait que Ben Affleck rapporte, au début du film, un Mastermind annonce d’emblée que Fincher va nous embarquer dans un jeu « mental » pour essayer de montrer ce qu’il y a dans la tête d’une femme, en l’occurrence, celle jouée par une excellente Rosamund Pike.

Soyons honnête : la virtuosité du cinéaste est évidente. Gone girl a beau durer 2h30, on ne s’ennuie pas une minute. Le récit est mené de main de maître et on prend un vrai plaisir à suivre les invraisemblables rebondissements de ce thriller qui n’en manque pas. La mise en scène est au diapason et s’avère souvent brillante. Je dis « souvent » parce que le début du film ne m’a pas trop emballé, Fincher se contentant d’une action filmée comme dans une banale série policière (une succession de champs/contrechamps filmés en longues focales). Mais au bout de 30 à 45 minutes, la mise en scène prend plus d’ampleur et le cinéaste donne la pleine mesure de son talent : ellipses qui tombent comme des couperets, montage parallèle, jeu sur les points de vue successifs… Tout se passe comme si les manipulations orchestrées par les personnages ne pouvaient exister que grâce au règne sans partage des images et du leurre qu’elles constituent.

C’est d’ailleurs, à mon sens, la dimension la plus intéressante du film , à savoir cette manière qu’a Fincher de déplacer les enjeux traditionnels du récit (la résolution de l’intrigue, la clarification des manipulations…) vers une description d’une manipulation beaucoup plus généralisée (notamment celle opérée par les médias). La dénonciation des méthodes médiatiques est un peu une tarte à la crème mais Fincher la traite de manière assez savoureuse et montre de façon assez cynique que, finalement, ce que recèlent profondément en eux les individus vaut désormais moins que l’image qu’ils vont pouvoir donner d’eux-mêmes. L’homme est peut-être un meurtrier en puissance et la femme une « vamp » fatale : peu importe ! Ce qu’il faut, c’est qu’ils fassent bonne figure à la télévision et soient « populaires ».

Tandis que s’échafaudent les plus incroyables manipulations (que je ne révélerai pas), Fincher nous mène également en bateau par son sens de la mise en scène. Il pourrait y avoir un côté à la De Palma puisqu’au bout du compte, tout n’est qu’image.

Il manque cependant quelque chose à Fincher pour égaler la rigueur théorique d’un De Palma lorsqu’il tourne Redacted ou Passion. Sa vision du couple et d’une Amérique décervelée par le pouvoir médiatique me semble un peu schématique. Et sa virtuosité finit par ne déboucher que sur un cynisme bon teint qui empêche qu’on s’attache à ces deux personnages. Il aurait fallu, à mon sens, une ambiguïté et un trouble que cette machine parfaitement huilée ne parvient pas à créer.

On aura beau jeu ensuite de citer des références : Hitchcock pour le côté mythomane et sociopathe de l’héroïne (Pas de printemps pour Marnie), Lang pour les retournements de situation incroyables, etc. Pour ma part, j’ai pensé au brillant Le médaillon de John Brahm, film gigogne à la construction extrêmement sophistiquée (un emboîtement de flash-back), centré sur un personnage de femme fatale cleptomane.

Le film de Fincher est un peu ça : un bel objet très bien fichu mais qui, au bout du compte, laisse un peu sur sa faim. Les thèmes sont là : l’image d’une Amérique peu rutilante derrière la façade qu’elle tente d’échafauder, le goût pour le jeu et la mise en scène mais tout ça est trop huilé, trop mécanique pour vraiment toucher.

Gone girl (2014) de David Fincher avec Rosamund Pike, Ben Affleck ( en salle depuis le 8 octobre



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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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