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Un imaginaire en panne

Coup de rouge, la chronique d'Olivier Dartigolles


Un imaginaire en panne
© Hannah Assouline

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


« Guetteur, où en est la nuit ? » Ésaïe, 2, II. Pour éclairer le futur et prévoir l’avenir de nos retraites, le pouvoir macronien a décidé de se projeter en… 2030. Sept années, quelle audace ! Et après ? Il sera alors temps d’allumer de nouveau la bougie d’une nouvelle réforme. Tout ça pour ça. Ces Diafoirus prescrivent la même ordonnance : 64 ans ou le désastre. 44 annuités ou le chaos. Sans aller chercher de nouvelles recettes, notamment du côté des revenus du capital, sans prendre en considération les idées et propositions, nombreuses et stimulantes, pour une Sécurité sociale du XXIe siècle. Plus ils expliquent leur projet injuste et plus le pays le rejette.

L’un des traits les plus inquiétants de la crise politique dans sa phase actuelle, qui connaît une accélération dont il faut bien prendre la mesure, est un imaginaire en panne. Une envie d’avenir en cale sèche. Un futur aussi désirable que la dernière note de McKinsey résumant les éléments de langage pour la prochaine matinale d’Olivier Véran ou l’exercice « PE-DA-GO-GI-QUE » d’Olivier Dussopt devant un salarié qui a eu la grande malchance de commencer à travailler à 16 ans et qui devra atteindre 44 annuités, contre 43 pour ceux ayant débuté à 17 ans. Misère… Où en est la nuit ?

On pourrait en sourire, mais Gramsci fut le guetteur d’hier et sa pensée est spectaculairement juste pour décrire l’époque nouvelle et ce clair-obscur d’où peuvent surgir des monstres et des phénomènes morbides les plus variés.

À lire aussi: Le travailleur, une figure en voie de disparition?

L’avenir ? Il nous faut un grand et beau débat national sur le Travail, sa nature et son sens, sa réalité et les chemins pour le transformer. Sortir des clichés qui ne permettent pas de penser. Par exemple ? Je ne saurais trop vous conseiller le magnifique livre d’un vrai écrivain, Mattia Filice, qui dans Mécano (P.O.L.), nous parle de sa vie professionnelle. Il conduit le train. Cheminot-poète qui dit la réalité d’un métier, d’une fraternité humaine, des joies et des difficultés. Annie Ernaux a raison : la réalité n’existe que si elle est écrite. Au cours des dernières semaines, nous avons eu de très nombreux témoignages sur la réalité du travail, dans le public et le privé, et notamment pour les femmes et les seniors.

Le futur c’est maintenant

L’avenir ? D’autres s’en occupent. Les 370 à 400 milliards de dollars prévus dans l’Inflation Reduction Act (IRA), plan entré en vigueur en janvier qui instaure des aides massives aux entreprises à condition qu’elles produisent aux États-Unis, provoquent déjà un tsunami de projets industriels et une menace de délocalisations massives. La réponse européenne est lilliputienne. La France regarde ailleurs.

L’avenir ? Via l’actualité ChatGPT, les enjeux liés à l’intelligence artificielle (IA) nous font mesurer le niveau stratosphérique des investissements privés. Microsoft, déjà à l’origine de la fondation d’OpenAI qui a développé l’outil ChatGPT, veut ainsi investir 10 milliards de dollars avec l’intention d’intégrer l’IA dans plusieurs de ses logiciels, dont Word. Plusieurs géants chinois de la Tech sont déjà mobilisés pour créer un concurrent à ChatGPT.

Relire la précédente chronique d’Olivier Dartigolles: Coup de rouge

L’avenir encore. Record de tous les temps, en 2022, les États ont subventionné les énergies fossiles à hauteur de 1 000 milliards de dollars alors que la crise climatique exigerait plutôt de les pénaliser. La même année, la France n’a jamais produit aussi peu d’électricité depuis 1992. Nous sommes même devenus un pays importateur net d’électricité en 2022, du jamais-vu depuis… 1980. Et le gouvernement vient de s’embarquer dans une réforme visant à supprimer l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), avec un risque de perte de compétences dans un secteur stratégique, de souveraineté et… d’avenir.

Sur ces sujets et bien d’autres questions, à la fois singulières et entremêlées, trop peu instruites dans nos débats politiques et médiatiques, qui portent sur des enjeux essentiels et parfois mêmes vitaux, il en va aussi de l’avenir de notre vie démocratique. Tout ne doit pas être dans les mains des spécialistes, quand bien même nous avons besoin de leur expertise pluraliste et contradictoire. Les peuples doivent décider et ne pas être tenus à distance.

Guetteurs de tous les futurs, unissez-vous !

Mécano

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Mars 2023 – Causeur #110

Article extrait du Magazine Causeur




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Olivier Dartigolles est chroniqueur politique. Il intervient sur Cnews, Sud Radio et La Terre.

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