Hollande sanctionne la Russie en rafales


Hollande sanctionne la Russie en rafales

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François Hollande a décidé d’envoyer dans les pays baltes des avions de combat de type Rafale ou Mirage 2000 pour renforcer – « dans le cadre de l’OTAN » – les moyens de défense de ces pays. Cette mesure suit l’envoi de chasseurs américains en Pologne, deux jours plus tôt.

Cette décision , si elle n’a pas d’incidence militaire directe, aura des conséquences politiques très fortes. Tout d’abord, elle accélère précipitamment l’escalade des sanctions à l’encontre de la Russie. En trois jours, le gouvernement est passé des sanctions symboliques (et un peu ridicules : gel des avoirs de quelques personnalités russes) aux sanctions économiques en menaçant de ne pas livrer deux frégates de type « La Fayette »  pourtant déjà vendues à la marine russe (cette mesure de rétorsion coûterait un à deux milliards d’euros au contribuable français) et en engageant militairement plusieurs avions de combat. Entre ces trois stades de l’escalade, la situation n’a pas changé en Crimée. Les premières sanctions visaient bien l’annexion, les dernières ne correspondent à aucune évolution de la situation.

Cette mesure accrédite fortement la thèse russe de l’encerclement[1. À ce jour, les Américains disposent de 24 bases militaires en Allemagne, du siège de l’Otan en Belgique, de 7 bases militaires au Royaume-Uni, d’une base au Kosovo, d’une base en Grèce, de 3 bases en Espagne, d’une base en Islande, de 9 bases en Italie, d’une base aux Pays-bas, d’une base au Portugal, pour ne parler que de l’Europe. Dans les pays proches de la Russie, l’US Army détient 3 bases en Turquie, et une base au Kirghizistan (ancienne République Soviétique). Soit 52 bases militaires américaines implantées sur le continent eurasiatique, loin des USA et prêt de la Russie.] L’idée d’envoyer des avions de combat français dans les pays baltes « dans le cadre de l’OTAN »  laisse penser que ces pays feraient partie de l’OTAN, ce qui n’est pas le cas (ils aimeraient bien entrer dans l’OTAN, mais cela a toujours été considéré comme un casus belli par les Russes). C’est clairement une provocation à l’encontre de la Russie. Une provocation inutile et dangereuse. Ces avions français vont patrouiller directement le long de la frontière russe.  Tout incident pourrait mettre la France de facto en situation de guerre avec la Russie. Une aberration. Même les Américains sont plus prudents et se content d’envoyer des avions en Pologne (qui, elle, fait partie de l’OTAN) à plus de 1000 kms de la Russie.

Cette décision montre enfin que François Hollande a décidé de mettre la France à la pointe de la riposte « atlantique » contre la Russie. Même le Royaume-Uni n’est jamais allé aussi loin dans l’assujettissement à la politique américaine. C’est un vieux tic socialiste : de François Mitterrand dans la crise des missiles Pershing et l’envoi des troupes en Irak à Lionel Jospin qui a engagé la France au Kosovo aux côté des Américains, l’alignement indéfectible des socialistes sur Washington ne date pas d’hier. Cela remonte même à Guy Mollet.

Jacques Chirac, en digne continuateur de la politique gaulliste, avait su tisser des liens d’amitié avec la Russie en général et Vladimir Poutine en particulier. Même Nicolas Sarkozy, tout atlantiste qu’il était, avait su conserver ces liens d’amitié qui lui ont bien servi pour résoudre la crise géorgienne. François Hollande, par son engagement irréfléchi et dangereux,  torpille cette politique de rapprochement née il y a quarante ans. On mettra des années, voire des dizaines d’années à la reconstruire.

François Hollande donne finalement raison à Vladimir Poutine dans son annexion brutale de la Crimée. Le président russe considère en effet que depuis dix ans, le « camp atlantique » pousse ses pions à l’est pour encercler la Russie. Il n’a pas tort.  L’adhésion de la Pologne, de la Hongrie, de la Tchéquie et de la Slovaquie à l’OTAN, les demandes des pays baltes et de la Géorgie d’adhésion à l’organisation atlantique en sont des preuves manifestes. Dans le protocole d’accord entre l’Union Européenne et l’Ukraine (refusé par Ianoukovitch), qui a été entériné avant-hier, figurait noir sur blanc le départ souhaité de la flotte russe de Sébastopol. Il ne faisait aucun doute pour Vladimir Poutine que le nouveau gouvernement ukrainien demanderait tôt ou tard l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN (cela a d’ailleurs été réclamé par des hauts responsables de l’UE cette semaine). Ajoutez à cela le soutien direct aux putschistes de la place Maïdan de la secrétaire d’Etat adjointe pour l’Europe Victoria Nuland (épouse de l’extrémiste néo-conservateur Robert Kagan, elle est l’auteur du fameux « Fuck the UE ») , la volonté déterminée des USA d’installer des missiles anti-missiles en Pologne (rompant l’équilibre stratégique signé avec la Russie en 2009 dans les accords New Start), la présence de ministres néo-nazis, résolument antisémites et anti-russes dans le nouveau gouvernement ukrainien (dont le ministre de la défense Ihor Tenyukh, membre de Svoboda, ancien « parti national-socialiste d’Ukraine »), vous obtenez un cocktail explosif aux yeux de Vladimir Poutine.

François Hollande vient donc de porter un mauvais coup à la paix en Europe. Il entérine dangereusement l’idée qu’il y a en Europe deux camps : les bons occidentaux d’un côté et les méchants orientaux de l’autre. Cette politique consiste à considérer que la recomposition des frontières est une bonne chose quand elle se fait sous les auspices de l’OTAN (comme au Kosovo)  et qu’elle devient mauvaise quand les Russes s’y prêtent comme en Crimée. Cette politique est suicidaire. Elle ne peut conduire, cent ans après l’assassinat de Sarajevo, qu’à une nouvelle « guerre civile européenne ». Alors que toutes les conditions étaient en place pour faire exactement le contraire : dissoudre l’OTAN (qui ne servait plus à rien après la chute du mur) après la dissolution de facto du pacte de Varsovie, étendre progressivement les accords avec la Russie pour la faire entrer dans le jeu européen et en faire une alliée durable. L’Europe de l’Atlantique à l’Oural est désormais une utopie lointaine. La guerre contre la Russie devient une éventualité non négligeable.

*Photo :  NILOSN RICHARD ECPAD/SIPA. 00616565_000001.

 



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Xavier Théry travaille dans un grand groupe de communication.

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