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Ukraine : Crimée châtiment


Ukraine : Crimée châtiment

UKRAINE UE CRIMEE

« Hypothèse envisageable » il y a vingt-quatre heures, la sécession de la Crimée est en train de devenir une réalité. Reste à savoir si cela aurait quelques chances d’amener l’Europe au seuil d’une nouvelle guerre de Crimée : une hypothèse incertaine qui redevient envisageable.

La Crimée semble sur la voie d’une russification accélérée et la Russie pourrait bien emprunter le sentier de la guerre. Pas celui d’une nouvelle guerre de Crimée, on l’espère, ou alors, cent ans après le début de la guerre de 1914-1918, les rivalités à l’est de l’Europe nous vaudraient un conflit d’envergure continentale. Non, c’est plutôt le chemin d’une nouvelle crise à la géorgienne que pourrait être tentée de prendre la Russie. La Crimée, après tout, faisait partie de la République socialiste fédérative soviétique de Russie avant d’être intégrée, en 1954, dans le giron de la République socialiste soviétique d’Ukraine ; en 1991, elle est restée rattachée à l’Ukraine indépendante, tout en étant en majorité russophone, mais avec le statut de république autonome. La Crimée, c’est Sébastopol bien sûr, le plus grand port de guerre de la flotte russe sur la Mer noire. Un de ces accès maritimes dont la défense farouche guide la politique russe depuis bien avant la guerre froide, comme la dernière guerre de Crimée l’avait montré. La Crimée c’est aussi Yalta, le symbole de l’ordre soviétique établi en Europe de l’est par Staline. Il n’est pas sûr que les Russes regardent tout cela s’en aller vers la radieuse maison Europe avec la bénédiction des Etats-Unis. Pour Vladimir Poutine, ce serait un camouflet politique qui pourrait bien lui coûter sa place.

Au lieu de rester inactif, Poutine peut au contraire s’appuyer, comme dans le cas de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud, sur des minorités russophones et pro-russes, qui se disent prêtes à en découdre « avec les fascistes de Kiev ». Il peut également compter sur la présence de forces militaires russes sur le pied de guerre, en Crimée et à la frontière ukrainienne. En dépit des avertissements de Washington à l’adresse de Poutine, il n’est pas sûr que les Etats-Unis prennent le risque de s’immiscer dans un conflit entre la Russie et l’un de ses anciens satellites, dont l’état des finances publiques lui fait réclamer 35 milliards d’aide d’urgence au FMI. Comme cela a été le cas pour la Géorgie en 2008, Vladimir Poutine peut tout simplement mettre en avant, très cyniquement et très ironiquement, le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », pour soutenir la sécession de la Crimée. Et, comme en 2008, les occidentaux seront peut-être être condamnés à rester spectateur d’un conflit dans lequel il serait inconscient d’intervenir.

Il faut s’arrêter un moment sur l’illusion européenne selon laquelle les sacro-saints principes du droit-de-l’hommistes conduisent les relations internationales. Il fut un temps où l’on vantait la vertu des cœurs purs combattant pour la Révolution orange, avant de s’apercevoir qu’ils prenaient la porte quelques années plus tard, non pas tant chassés par le pouvoir russe que par les Ukrainiens, lassés de la corruption de ses nouveaux dirigeants. Il fut un temps où un intellectuel de renom expliquait à la télévision : «It will be very difficult now to make blowjobs to dictators » et parait de vertus une intervention qui avait pour résultat de déstabiliser durablement toute une région du monde. Aujourd’hui, les mêmes ont cru bon de réduire la crise politique ukrainienne à une opposition simple entre un pouvoir répressif d’un côté, et de vaillants combattants de la liberté de l’autre, avant peut-être, de s’apercevoir que les réalités géopolitiques ont la vie plus dure que les grands principes aussi généreux que schématiques.

Décidément, la réalité est complexe. Nul ne sait quelle sera la position du gouvernement urkrainien face aux menaces séparatistes en Crimée. Si l’Ukraine, avec ses 603 000 km2, ses 45 millions d’habitants et son million de réservistes, n’est pas la Géorgie, il est néanmoins douteux que Kiev choisisse la voie militaire en cas de séparation effective de la Crimée. Le nouveau pouvoir ukrainien est encore incertain et confronté à une situation économique qui lui donne peu de marges de manœuvre.

À défaut de laisser parler les grands principes ou les armes, c’est plutôt le chéquier qui aura le dernier mot. Impuissants à intervenir, Américains et Européens pourraient s’employer à colmater les brèches du navire économique ukrainien en prenant acte de la stratégie sécessionniste russe. Les Occidentaux tenteraient alors de convaincre le nouveau pouvoir ukrainien que la Crimée, ce n’est pas si bien que ça et que les plages de Yalta sont finalement très surfaites ! Cela permettrait au moins d’assurer un statu quo plus ou moins satisfaisant pour tout le monde en évitant de prendre le chemin d’une nouvelle guerre de Crimée. On n’est plus au XIXe siècle après tout.

*Photo :  Polehenko Oleksandr /ENPO/SIPA. 00677225_000003.



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