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UE: le Pacte sur la migration, un pacte avec le diable?

Des nouvelles règles applicables partout au plus tard en 2026


UE: le Pacte sur la migration, un pacte avec le diable?
Vote des textes sur le pacte migratoire européen, Bruxelles, 10 avril 2024 © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

Après des années d’interminables négociations, les eurodéputés sont enfin parvenus à voter le Pacte sur la migration et l’asile mercredi – un ensemble très complexe de 10 textes durcissant et harmonisant les politiques d’accueil des migrants sur le Vieux continent. Cette adoption sera un argument en faveur des centristes, lesquels craignent une déconfiture électorale lors du scrutin européen de juin.


Mercredi, le Parlement européen a adopté le nouveau Pacte sur la migration et l’asile, un ensemble très complexe de 10 textes censé révolutionner la manière dont l’UE gère l’explosion de la migration de masse et le nombre toujours grandissant des demandeurs d’asile qui arrivent majoritairement du Moyen-Orient et de l’Afrique. Le fruit d’un processus de réflexion lancé à la suite de la crise migratoire de 2015, le pacte est, sous sa forme actuelle, le résultat d’une suite de négociations entre les différentes institutions européennes à partir d’une série de propositions faites par la Commission en 2020.

Pour que les nouvelles règles formulées par le pacte puissent entrer en vigueur, il ne manque maintenant que l’approbation des 27 États-membres de l’UE. Certains d’entre eux ont déjà émis des critiques sévères à l’égard surtout de ce qu’on appelle – de manière assez sinistre – des mécanismes de « solidarité ».

Une approche « équilibrée »…

Le vote de mercredi a été largement salué par les partis et les politiques du centre comme une grande victoire, tandis que ceux de la droite et de la gauche radicales dénoncent le résultat comme une trahison. Pour les premiers, c’est une trahison des peuples européens ; pour les derniers, une trahison des valeurs européennes.

Un migrant se reposant sur le sol, après avoir traversé la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta devant les blindés et les troupes espagnoles, le 18 mai 2021, Ceuta © Javier Fergo/AP/SIPA

Car le pacte est une expression authentique de l’idéologie du « en même temps » : il y a quelque chose pour plaire (ou essayer de plaire) à tout le monde et, par conséquent, quelque chose pour déplaire à tout le monde. Seuls les partis centristes, de centre gauche ou de centre droite ont tiré leur épingle du jeu. Selon la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le Pacte est « équilibré ». Pour la présidente du Parlement, la Maltaise, Roberta Metsola, il représente « un équilibre entre solidarité et responsabilité ». « Solidarité » est un mot de code destiné à inspirer le centre et la gauche, tandis que « responsabilité » est censé résumer tout ce que la droite radicale ou populiste appelle de ses vœux.

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Pour la droite, le Pacte propose un tri accéléré des migrants dès leur arrivée aux frontières de l’espace européen. Ceux dont la demande d’asile ne semble pas avoir des chances de réussir seront détenus sur place dans des centres de rétention. Si leur demande est rejetée, ils seront rapidement renvoyés vers un pays sûr qui ne sera pas nécessairement le pays d’où ils sont venus. Les demandes des autres candidats au statut de réfugié pourront être examinées ailleurs.

Ce premier tri engagera un processus de vérifications de sécurité et de contrôles d’identité comprenant la collecte de données biométriques. Toutes les informations seront centralisées dans une base de données, Eurodac. Ce processus, ainsi que les centres de rétention qu’il faudra construire, ont été dénoncés comme « inhumains » par plus de 160 ONG. Sans surprise.

Le renvoi de migrants dont la demande d’asile est jugée irrecevable sera facilité par des accords avec des pays tiers, surtout sur le littoral africain. Les accords déjà réalisés avec la Turquie en 2016, la Libye en 2017 et la Tunisie en 2023 en constituent le modèle. Un nouvel accord avec la Mauritanie en février de cette année et un autre avec l’Égypte en mars vont dans le même sens. D’autres partenariats avec le Maroc et même l’Algérie sont proposés. Il s’agit essentiellement de payer ces pays pour empêcher, dans la mesure du possible, le départ de migrants vers l’Europe et pour accepter le retour de ceux qui ont réussi – en vain – à traverser la Méditerranée.

Pour le centre, les réfugiés et les demandeurs d’asile seront répartis entre les États-membres pour soulager la pression sur les principaux pays d’accueil, notamment l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Mais les autres pays – comme la Hongrie ou la Pologne – qui sont rétifs à l’accueil de migrants, auront la possibilité de refuser d’en accepter si, en contrepartie, ils versent de l’argent (20 000 € par migrant) à un fonds commun ou fournissent une aide matérielle pour la gestion des flux.

Pour la gauche, il y aura une harmonisation entre les 27 concernant les critères permettant l’obtention de statut de réfugié. Une fois qu’ils auront obtenu officiellement la protection internationale, les migrants auront un accès plus facile au droit de travail et à une couverture sociale.

… pour un résultat indigeste ?

Il y aura aussi des dispositions spéciales pour la gestion des migrants dans des situations de crise. Le mot sinistre de « solidarité » revient ici et c’est ce qu’il représente, à savoir la répartition des migrants entre les États-membres, qui braque les leaders de la Hongrie, de la Slovaquie, de la République tchèque et même de la Pologne du très centriste et européiste Donald Tusk. La Pologne a déjà accueilli un million de réfugiés ukrainiens. Victor Orban est allé jusqu’à appeler le Pacte « encore un clou dans le cercueil de l’Union européenne ».

Si les différents dispositifs du Pacte peuvent sembler « équilibrés » d’un certain point de vue, tout dépendra de la manière dont les différents mécanismes seront appliqués dans la pratique. La Commission proposera un plan d’application en juin. S’il y a des diables, ils seront certainement dans les détails de ce document. Le Pacte est destiné à entrer en vigueur au plus tard en 2026.

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L’eurodéputé Reconquête !, Nicolas Bay, a expliqué pourquoi il a voté pour les mesures qu’on peut appeler ici « de droite », mais contre toutes les mesures « de gauche » qu’il qualifie de « suicidaires pour notre civilisation ».

Ce qui est sûr, c’est que la situation est urgente : l’année 2023 a vu un peu plus de 1,14 million de demandes d’asile enregistrées dans les 27 États-membres et en Norvège et en Suisse. Il s’agit d’une augmentation de 18% par rapport à 2022. Également en 2023, Frontex, l’agence européenne chargée de surveiller les frontières extérieures de l’UE, a enregistré 380 000 entrées irrégulières sur le sol européen, une augmentation de 17% par rapport à 2022. A présent, seul un cinquième des migrants arrivant sur le sol européen dont la demande d’asile est refusée sont renvoyés dans des pays tiers.

Les électeurs qui ressentent de l’inquiétude face à l’incapacité de l’Europe à gérer les flux migratoires auront plus de sources d’inquiétude si jamais, lors des élections européennes en juin, l’adoption du Pacte joue en la faveur des partis centristes qui, à l’heure actuelle, craignent une victoire écrasante de la droite populiste. Ce sera encore pire, si cette adoption renforce la possibilité qu’Ursula von der Leyen soit re-nominée à la tête de la Commission pour un deuxième mandat. Pour ceux que cela plonge dans une dépression profonde, il y a un coup de grâce. Le chef de Frontext lui-même, Hans Leitjens, ne croit pas qu’il soit possible de protéger les frontières de l’Europe[1] !


[1] https://www.welt.de/politik/ausland/plus249632894/Hans-Leijtens-Der-Frontex-Chef-der-nicht-an-den-Grenzschutz-glaubt.html



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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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