Être maire de Sarcelles, c’est pas si facile


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Dans les années 60, des exilés du monde entier et des français de France se sont trouvés réunis par l’Histoire à quelques kilomètres de la capitale, au milieu de nulle part , dans la boue, le vent glacial, le béton et l’inconnu. Pendant deux décennies, confiants dans les possibilités d’ avenir que leur offrait la France, sans arrogance ni peur du voisin, ils ont mis en commun leurs identités multiples avec le respect et la simplicité de l’échange. Autrement dit, ils ont inventé une identité nouvelle, ils sont devenus Sarcellois.

Sur des bases républicaines et laïques, ces bâtisseurs avaient construit un modèle unique de mixité sociale et ethnique et défié leurs détracteurs qui, par médias interposés se moquaient de l’inhumanité des cages à poules et du béton, certains allant jusqu’à inventer une épidémie locale, la sarcellite.

Des gens venus des quatre coins du monde, de Tunis, de Pondichéry , d’Izmir, des juifs, des bouddhistes, des musulmans, des chrétiens, et des Français de France cohabitaient dans le même hlm dans la paix et la joie. Leurs enfants fréquentaient les mêmes écoles et partageaient les mêmes préoccupations, que leurs parents soient pilotes de ligne chez Air France, maçons italiens, secrétaires picardes, bouchers égyptiens, ou profs rapatriés d’Algérie. La religion et les traditions de chacun ne dépassaient pas le seuil des maisons et ne se portaient pas en bandoulière, même si les échanges circulaient sous forme de nourritures ou de récits partagés.

À partir des années 80, tout change. Les équipements urbains se détériorent, le bâti se dégrade faute d ‘entretien, le prix des loyers devient trop cher. On assiste à l’arrivée massive de familles nombreuses d’Afrique de l’Ouest. C’est à ces familles sans autres ressources que les aides de l’État, que l’on reloue ces appartements sans les refaire à neuf.
La physionomie de Sarcelles change radicalement. Les rues, le marché et les centres commerciaux, ressemblent plus à Bamako qu’à une ville de France.
La classe moyenne quitte la ville, mettant un terme au mythe de Sarcelles, à sa mixité sociale et à sa mixité ethnique, puisque les Français de France – de moins en moins nombreux dans la ville – forment aussi un groupe ethnique.

Sarcelles ne cessera dès lors de recueillir les immigrés les plus indigents, devenant la quatrième ville la plus pauvre de France. C’en est fini du Grand ensemble modèle. La ville est devenue un puzzle bancal où manquent les pièces maîtresses qui en firent autrefois un ensemble solide.

Les 90 communautés de Sarcelles, majoritairement musulmanes, vivent en vase clos. Les Juifs sont partis pour une grande part d’entre eux ; ceux qui restent, pour la plupart devenus orthodoxes, se regroupent dans une partie de la ville.
Les Chaldéens sont arrivés en masse. Ils ont construit la pus grande église chaldéenne de France et participent grandement à l’économie de la ville avec leurs nombreux commerces.

Certains d’entre eux, comme le tenancier du bar-tabac central, furent victimes de saccages le 20 juillet 2014, lorsqu’une manifestation pro-Gaza interdite tourna à l’émeute violente. Ce jour-là, on cria « Morts aux Juifs « dans les rues de Sarcelles !

Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que tente de comprendre le documentaire Sarcellopolis.

Le début du film est touchant , comme un Je me souviens de Perec, grâce aux archives Ina et aux témoignages de quelques pionniers. Les images en noir et blanc et le langage châtié du siècle dernier ont toujours un charme désuet.

Puis on découvre les témoins choisis par le réalisateur. L’un retrace son installation heureuse dans les premiers temps de Sarcelles, l’autre dit avoir réussi dans la vie et évité la délinquance grâce à la Maison des Jeunes d’antan… C’est bien, quoique trop long et un peu ennuyeux. On est pressés d’entrer dans le vif du sujet : Sarcelles aujourd’hui.
C’est une jeune fille chaldéenne qui nous éclaire. Sa communauté lui paraît fondamentale pour se sentir soutenue et en sécurité. Regrettant que la France ait perdu ses valeurs, elle se sent aussi chaldéenne que française et refuse qu’une identité prédomine sur l’autre. Moderne et respectueuse de ses traditions, elle ne se distingue guère de la jeune génération des années 60 qui a construit Sarcelles, sinon par l’emploi du mot «communauté». Beaucoup de ces familles chaldéennes ont choisi de vivre dans le Vieux Sarcelles, habitant des pavillons avec jardins, loin du bruit et de la promiscuité des grands ensembles. Ils ont brûlé leurs vaisseaux en quittant leurs pays, sont ancrés ici, et la France est désormais leur pays.

Parmi cette mosaïque de communautés, certains accusent le maire François Pupponi de favoriser la communauté juive. Devant une maquette de la ville, l’édile explique sans langue de bois : « Là, ce sont les gens qui paient des impôts à la ville, beaucoup d’impôts » ! Puis sa main glisse vers l’autre moitié de la maquette. « Et là, il y a tous ceux qui ne paient pas d’impôts, 100 % de loyers sociaux, principalement des familles de l’Afrique de l’Ouest. Alors moi, je prends l’argent de ceux-ci pour donner à ceux-là ! C’est plutôt eux qui auraient de quoi râler non, vous ne croyez pas ? La seule chose que je leur donne c’est la possibilité de vivre leur judaïsme en toute sécurité. » Rappelons que si les écoles de Sarcelles sont les plus neuves du pays, il n’y a pratiquement plus d’élèves juifs pour en bénéficier.

On est donc surpris d’entendre le proviseur du lycée public Jean-Jacques Rousseau déplorer devant la caméra : «L’école est le lieu du vivre-ensemble, les élèves juifs ont fui les écoles publiques… enfin je ne sais pas si le mot fui est le bon ». Non, ce n’est pas le bon mot et il est regrettable qu’aucun témoin ne précise que les juifs ont été chassés des écoles publiques par un antisémitisme virulent, des intimidations permanentes, voire parfois des coups et du racket.

On comprend mieux les choix du réalisateur à l’apparition d’Arié Alimi. Il est juif, a suivi sa scolarité à Sarcelles à l’école juive Torat Emet. Il parle devant le mur d’enceinte de cette école protégée par des militaires depuis les attentats. L’image rappelant immédiatement le Mur de séparation de Jérusalem, la mise en scène se révèle. Pour le dire crûment, Monsieur Alimi est le « bon » juif du documentaire. Il dénonce cette école de l’enfermement, en parlant par une fente à des élèves comme à des détenus. Arié déplore la non-mixité de cet établissement confessionnel et regrette que les jeunes gens de l’extérieur y soient perçus comme des gens à craindre. Du bout des lèvres, il reconnaît certes que des jeunes juifs ont été dernièrement pris pour cibles, mais que « c’est compliqué de conjuguer cette nécessité de sécurité et cette expression de singularité qui entraîne les plus grands dangers ». Puisqu’il prétend que la peur est réciproque, pourquoi ne donne-t-il pas un exemple de juif terrorisant un musulman à Sarcelles ?

Mais tout s’éclaire lorsque M. Alimi revêt sa robe d’avocat. Il est l’ami et le conseil de Nabil Koskossi, opposant acharné du maire Pupponi et organisateur de la manifestation du 20 juillet 2014. À l’époque, Pupponi l’avait attaqué en justice, avant que le Parquet ne classe l’affaire. Mais le maire ne lâche pas et s’est constitué partie civile. Alimi affirme partager les mêmes valeurs que Koskossi. Il est fier de le défendre, a fortiori en tant que juif. Mais la manif du 20 juillet ? Les cris de « mort aux juifs » ? On passe.
Il faut regarder d’autres reportages pour se rendre compte de ce qui s’est passé. Dans l’un d’eux, Francois Pupponi détaille la façon dont les émeutiers ont épargné toutes les boutiques appartenant à des musulmans pour ne s’attaquer qu’à celles des juifs et des chrétiens.

Mais dans Sarcellopolis, c’est Nabil Koskossi qui a droit de réponse. « Au nom de quoi n’aurions-nous pas le droit de manifester pour Gaza à Sarcelles ? À cause de la communauté juive ? Nous sommes en république! Je ne suis pas responsable des émeutes. » Peut-être. Mais jeter de l’huile sur le feu dans une ville où une grande partie des jeunes musulmans considèrent les juifs comme des nantis tout-puissants et privilégiés ne démontre pas une volonté pacificatrice. Et ce monsieur de se contredre quand il revendique l’identité française des jeunes musulmans qu’on discrimine : « Ce qui se passe en Syrie ou en Irak, c’est pas leur problème. Ils n’ont rien à voir avec tout ça ils ont nés en France ! » C’est juste. Mais alors, pourquoi la Palestine les excite-t-elle à ce point ?
Une nouvelle fois, au lieu de proposer un point de vue différent, le réalisateur fait parler une dame musulmane qui en remet une couche sur la ville et ses protégés. La mairie ne nettoierait que certains quartiers (suivez son regard…) et laisseraient les leurs crasseux, tandis que de nombreuses crèches communautaires refuseraient leurs enfants, etc.

La fin du film montre une jeune fille de 18 ans , élève du lycée Rousseau, métisse d’ascendance mauritanienne et bretonne. Elle est brillante et bien élevée, aspire à devenir médecin, et cerise sur le gâteau, elle est très belle. « Tout va bien à Sarcelles, il n’y a aucun problème entre les jeunes. D’ailleurs mon meilleur ami est juif. » Un rêve ! Ou juste un bon élément de casting ?

Dans son bureau, je questionne Francois Pupponi sur les reproches que lui adressent ses détracteurs.
Il répond point par point. «Mon soi-disant communautarisme ? J’en ai marre de ces débats d’intellos sur ce qui est bien ou pas! J’imagine qu’ils m’ont encore attaqué dans ce documentaire ! Je fais ce que je peux avec ce qu’il y a ! » « Le cinéma fermé depuis des lustres ? Il rouvrira quand la commission aura donné son accord, à la fin du mois. ». Passons à un autre sujet : « Le manque de culture ? Il y a chaque jour une manifestation culturelle et sportive où les jeunes juifs chrétiens, musulmans, laïques se rencontrent, au Conservatoire, au stade ou ailleurs ! Et on ne se demande pas comment je trouve l’argent à chaque fois! «
Un coup de fil nous interrompt. Sa colère monte, il vient d’apprendre qu’un débat organisé au lycée Rousseau et suivra le documentaire de France 3. « Quoi ? Un débat où l’on n’invite pas le maire, mais l’avocat de mon détracteur ? Je vais organiser quelque chose moi aussi parce que j’en ai marre que des journalistes viennent à Sarcelles et racontent n’importe quoi ! Ils n’y connaissent rien ! »
En effet, le débat se déroule au CDI du lycée transformé en studio télé. À coté de la belle mauritanienne-bretonne, l’avocat Alimi et le proviseur du lycée palabrent. Autour d’eux, quelques élèves du lycée et enseignants forment le public, tous polis et mignons. Ambiance bisounours.

Sebastien Daycart Heid et son équipe n’ont invité aucun élève extérieur, issu d’établissements religieux privés comme le Saint Rosaire ou les écoles juives. Sans doute pour que le débat soit aussi lisse que le film, qui ne véhiculent l’un et l’autre qu’une image partielle et contestable de Sarcelles.
Pourtant, ce jeune réalisateur semble bienveillant. Sans doute s’est-il laissé conseillé et influencé par les journaux remerciés au générique : Mediapart et Libération.

En face, François Pupponi est tout sauf un idéologue. L’ancien adhérent du CERES de Jean-Pierre Chevènement est devenu pragmatique au fil des années.
Entre laïcité, communautarisme ou troisième voie, il fait avant tout ce qu’il peut. Décidément, être maire de Sarcelles, c’est pas si facile.

Sarcellopolis, un documentaire de Sebastien Daycard Heid, sera diffusé sur France 3 le 17 octobre.



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Maya Nahum est auteur.

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