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Quarante de crise, quarante ans de voitures de crise


Quarante de crise, quarante ans de voitures de crise

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1973 : Citroën SM, la dernière tentation.
C’était le temps de la clope et de la bagnole qui va vite. Celui de Georges Pompidou claquant la portière de sa Porsche 356, mégot aux lèvres, dans la cour de Matignon. Un temps d’avant le principe de précaution et la crise. Puis Pompidou est devenu président et a troqué son allemande pour une auto française. Mais pas n’importe laquelle : une Citroën SM. Une voiture qui entend bien remettre le pays dans la course au m’as-tu-vu industriel. Avec un cocktail gagnant : le meilleur châssis du monde, celui de la DS, qui a sauvé la vie du général de Gaulle au Petit-Clamart en 1962. À ce tapis volant, il suffit d’ajouter un vrai moteur, forcément italien. Et ça tombe plutôt bien, Citroën, dans un bel élan mégalo, s’est offert Maserati. Banco. En mars 1970, la SM est dévoilée, avec son V6 transalpin et glouton. Elle devient tout naturellement la voiture présidentielle. Mais pas celle des rues françaises, même pas celles de l’Ouest parisien. La faute à son moteur délicat et pas vraiment du ressort des garagistes Citroën. Alors la SM et ses 25 litres aux100 km vivotent, jusqu’au 17 octobre 1973, date à laquelle les membres de l’OPEP votent l’embargo pétrolier. L’estocade finale viendra un an plus tard, lorsque les limitations de vitesse actuelles entreront en vigueur. La même année, Citroën est en faillite. Peugeot rachète la firme aux chevrons, son trop-plein d’ingénieurs et son trop peu de comptables. Dans la foulée, le Lion sochalien se sépare de l’exotique Maserati. C’est la fin de la SM et du luxe à la française. Et le début du diesel pour tous.[access capability= »lire_inedits »]
1984 : le tournant de la rigueur, le virage de l’Espace.
Quand le très jeune Laurent Fabius entre à Matignon au volant de sa 2CV, le signal est donné : modestie et économies. C’est que, un an plus tôt, la France a pris le tournant de la rigueur. Dérégulations et privatisations ont raison du moral des Français, qui se terrent chez eux. Le cocooning fait fureur. Dehors, tout n’est qu’hostilité et chômage de longue durée. Une agressivité que les voitures ont conservée, dans leurs formes de fusées élancées et dépassées. Philippe Guédon, le patron d’alors de Matra Automobiles, l’a bien compris et se promène avec les croquis d’un drôle d’engin. Un van, comme on dit en Amérique, une camionnette tout confort, sans capot, sans malle arrière. Tout juste la forme d’un cocon. Le peu inspiré Jacques Calvet, PDG de PSA, refuse le projet. La direction de Renault l’accepte. Et l’Espace devient le carton de la décennie, avec son slogan : « La voiture à vivre »… et non pas à piloter. Le conducteur est assis en hauteur, sa petite famille, son chien et ses vélos rassemblés dans sa drôle d’auto. La voiture est chère et procure à Renault des marges confortables. Très vite, les autres la copieront. Seul PSA qui n’y croit toujours pas, attendra dix ans, et le départ de Calvet, pour lancer son propre monospace. Mais la gloire réclame sa rançon et peu à peu, l’Espace devient la « bétaillère à cathos », l’auto des familles nombreuses versaillaises. À la fin des années 1990, les railleurs lui préféreront des 4×4 de moins en moins 4×4. Mais tout aussi rassurants.
1997 : Grâce à Kyoto, Toyota lance son attrape-bobo.
Stupéfaction. Le monde découvre les gaz à effet de serre et ses effets sur cette vielle Terre. On montre les pots d’échappement du doigt. Les constructeurs, déjà soupçonnés de fabriquer des engins qui roulent trop vite et tuent trop de monde, ont peur d’aggraver leur cas. Ça tombe bien, le protocole de Kyoto n’est pas encore signé, la réduction des émissions de C02 n’est pas encore promise  que, déjà, la Toyota Prius est lancée. Comme elle est 30% moins polluante, grâce à sa motorisation « bi », mi-essence, mi-électrique, les clients peuvent soulager leur conscience et creuser leur compte en banque. Car cette auto de taille moyenne coûte 30 000 euros. Soit 30% plus cher qu’une autre auto de taille moyenne. Pas grave : après un démarrage poussif, les ventes s’emballent et atteignent 100 000 unités par an, grâce à de nouveaux clients qui, jusque-là, n’accordaient que mépris aux voitures. La Prius n’est pas une auto : c’est un panneau d’affichage de ses convictions. Rouler devient une manif permanente pour les bobos californiens qui sont les premiers clients de la japonaise.
2008 : Lehman Brothers s’écroule et Dacia s’envole.
Le château de cartes tremble depuis des années. Il s’écroule au mois d’octobre 2008. Les Occidentaux découvrent alors que leurs États empruntent de l’argent exactement comme eux quand ils achètent leur nouvelle voiture. En tremblant devant leur banquier, en acceptant de se faire noter, et en se demandant s’ils obtiendront un taux pas trop élevé. Mais après cette découverte, ils pourront moins emprunter qu’avant. Leurs bagnoles, ils vont les acheter d’occasion, à moins d’en trouver des neuves au prix de l’occase. Renault a la solution. Elle est roumaine, s’appelle Dacia, et se vend 40% moins cher que les modèles comparables. En 2008, elle existe depuis quatre ans mais, après le crash de Lehman Brothers, l’usine de Pitesti, en Roumanie, accélère ses cadences. Deux millions d’unités en sortiront : ce ne sont pas des mauvaises voitures, elles sont juste plus spartiates, fabriquées avec des organes largement amortis sur d’autres modèles et assemblés par des ouvriers sous-payés. Mais avec ce succès, Renault se tire une balle dans le pied : à quoi bon acheter un monospace Renault quand le même, ou presque  coûte 10 000 euros de moins chez Dacia ? Résultat, en France, les usines travaillent à 30% de leurs capacités. Bientôt, les ouvriers Renault ne pourront même plus s’offrir une Dacia.
2012-2013, années coréennes.
L’Europe s’enfonce dans la crise, les ventes de PSA s’écroulent et celles du Losange plongent. En revanche, les immatriculations de Hyundai Kia sont en hausse de 28,7%. Aucune marque française ne peut résister au groupe coréen, à ses prix canons, à sa qualité de fabrication et à ses 7 ans de garantie. Mais Arnaud Montebourg se bat, et dénonce les importations en provenance des pays non européens et le dumping social pratiqué à Séoul. Importations ? 90% des Hyundai Kia vendues en France sont fabriquées en Europe. Quand au dumping, il est plus économique que social car, en Corée, les salaires sont à peine inférieurs aux nôtres. Pour conquérir le Vieux Continent, le constructeur affiche des tarifs défiant toute concurrence. Bref, Arnaud a tout faux. D’autant plus qu’il oublie, dans ses approximations, de s’en prendre à un autre Coréen qui, quant à lui, importe 100% de ses voitures de ses usines situées près de Séoul et s’offre des hausses de ventes historiques en France. Mais si le ministre l’a zappé, c’est tout simplement parce que Chevrolet se présente comme une marque américaine. Le même ministre oublie, dans la foulée, de fustiger Renault qui, lui aussi, importe 15% de ses autos de ce pays asiatique. 15%, c’est justement la part du capital du Losange détenu par l’État français. Ce qui en fait le premier actionnaire, et le premier à valider ce type d’importations.[/access]12

*Photo : Toyota UK.

Février 2013 . N°56

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste automobile.

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