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Et si les primaires tuaient les primaires?


Et si les primaires tuaient les primaires?
Sipa. Numéro de reportage : 00724584_000041.
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Sipa. Numéro de reportage : 00724584_000041.

Comme Jérôme Leroy, et au contraire de Régis de Castelnau, il ne me choque pas outre mesure qu’un électeur de gauche aille participer à la primaire de la droite et du centre pour y soutenir ce qu’il estime être « le moindre mal ». De la même manière, au demeurant, qu’il ne me paraîtrait pas incongru qu’un électeur de droite prenne part à la primaire de la gauche, à supposer que celle-ci conservât encore un enjeu, un sens ou une éventualité.

Un choix par défaut

Au fond, l’intérêt bien compris de l’électeur est assurément et bien souvent d’éliminer, faute de pouvoir choisir, et il ne manque pas de le faire quand l’offre politique ou le mode de scrutin ne lui laisse plus qu’à opter pour la peste ou bien pour le choléra. Non, ce qui me semble pervers dans cette démarche, et aussi ce qui me réjouit, c’est qu’elle est vouée, si elle prend de l’ampleur, à faire exploser la pratique même des primaires, qui est une idée neuve en France.

La lecture des commentaires des abonnés aux sites Internet des journaux bien-pensants est en ce sens particulièrement édifiante. Cela fait maintenant des mois que le moindre article relatif à Nicolas Sarkozy est aussitôt suivi d’une kyrielle de propos de détestation, usant invariablement des patronymes « Bismuth » et du substantif « casseroles », ainsi que de l’engagement solennel que l’on fera tout pour faire barrage à la résistible ascension dudit Sarko, notamment en votant Juppé à la primaire, tout électeur de gauche patenté qu’on soit. A la réciproque, chaque article évoquant Alain Juppé ne manque pas de susciter une ribambelle de paroles respectueuses, de louanges républicaines, vantant la modération et la dignité du personnage, et comportant la même souscription à un déplacement prochain aux urnes de la primaire, pour y faire triompher Monsieur Moins, l’ »Au bonheur des non-identitaires », rempart contre l’agitation pré-fasciste de l’insupportable nabot.

Certes, nul n’ignore que les bobos et autres lecteurs instruits des grands quotidiens peuvent se payer de mots et de velléités et que, même unis, leur nombre de divisions n’est pas celui d’une armée de masse.

Scénario catastrophe

Mais – politique-fiction désormais plausible -, et si cela venait quand même à se produire ? Et si Sarkozy et Juppé, finalistes de la primaire, voyaient leur match du second tour départagé par un contingent nombreux, identifié et claironnant d’électeurs de gauche ? Pense-t-on réellement que, dans une telle hypothèse, qui n’est plus seulement d’école ou de cour de récréation, celui qui serait défait, forcément défait, Nicolas Sarkozy, tiendrait toujours la partie pour loyale, le combat pour régulier, admettrait sans barguigner que son adversaire l’a emporté et renoncerait à briguer les suffrages de l’ensemble du corps électoral ? J’avoue avoir raisonnablement un doute, et il serait difficile de jeter la pierre à ceux des acteurs politiques qui se sentiraient troublés par un tel « gauchissement » des règles du jeu.

La primaire de droite a de bonnes chances de périr dans de telles conditions. De la même façon d’ailleurs que celle de gauche ne survivrait peut-être pas au grotesque d’un candidat président sortant en passe de se faire blackbouler par n’importe quel opposant un peu fringant, sans qu’une immixtion des électeurs de droite soit seulement nécessaire.

J’ajoute toutefois que je ne verserais alors pas une larme sur cette procédure saugrenue des primaires, dont l’importation en nos contrées est à peu près aussi légitime et viable que celle de la fête d’Halloween, venue des mêmes terres d’Outre-Atlantique. En Amérique, ces primaires viennent redonner structure et un contenu programmatique minimal à des partis sans réelle identité profonde en dehors de ces élections. En France, elles ne jouent littéralement plus que le jeu des ego et des carrières, en achevant de discréditer le rôle des partis (lesquels sont censés « concourir à l’expression du suffrage, aux termes de la Constitution), devenus haras foutraques d’écuries présidentielles, où se côtoient étalons, rosses et petits poneys. Si plus aucun « candidat naturel » n’est aujourd’hui en mesure de s’imposer sans discussion dans un camp ou dans l’autre, c’est que le personnel politique n’est décidément plus à la hauteur des exigences de la fonction présidentielle façon « Ve République ». Et que les primaires sont un pis-aller, où l’on demande au Peuple d’arbitrer ce qui mériterait presque d’être laissé à la courte paille.

Dès lors, si donc ce sont les primaires qu’on assassine, eh bien qu’elles meurent !



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est juriste et vit à Aix-en-Provence.

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