Accueil Édition Abonné Portrait de l’enseignant-chercheur de philosophie à Paris VIII en 2021

Portrait de l’enseignant-chercheur de philosophie à Paris VIII en 2021


Portrait de l’enseignant-chercheur de philosophie à Paris VIII en 2021
Statue de Socrate à Athènes, 2012 Dimitri Messinis/AP/SIPA AP21233433_000004

Le Département Philosophie de l’université de Paris VIII veut-il recruter un enseignant-chercheur ou un militant doctrinaire? Comme le disait Hamlet: « That is the question. »


Dans le numéro 105 de la revue L’Atelier du roman, Jean-Yves Masson, professeur de littérature comparée à la Sorbonne, a l’excellente idée de nous présenter in extenso la fiche de poste d’enseignant-chercheur du Département Philosophie de la toujours très progressiste université Paris VIII (article intitulé « Le monde enchanté de l’émancipation ou comment on recrute un professeur de philosophie »). Les candidats qui en auront saisi toutes les subtilités idéologiques pourront ainsi se présenter pour tenter d’obtenir ce poste. Car, précise J-Y. Masson, cette fiche, trop jargonnante pour être honnête, n’est pas celle d’un poste d’enseignant-chercheur mais plutôt celle d’un poste de militant doctrinaire ou, pour dire comme Nathalie Heinich, d’un futur « académo-militant. » À l’inverse de l’usage universitaire qui veut que le poste soit décrit en fonction d’un grand champ d’investigation, les mots-clés présentés au début de cette fiche annoncent la couleur : émancipation, violence, intersectionnalité, subjectivation politique, féminisme, études postcoloniales.

Premier signe qui ne trompe pas, la fiche est écrite en écriture inclusive. Dans un sabir dissimulant mal l’idéologie qui imprègne l’enseignement attendu, il est par exemple précisé : « Sera alors attendue des étudiant.e.s l’attitude à relier les sources archéologiques multiples de ces enjeux dans la philosophie classique, moderne et contemporaine, et leurs reformulations plus actuelles, et à analyser la normativité inhérente aux discours anthropologiques, les hiérarchies et les exclusions qui en procèdent et rendent leur universalisation polémique… » Traduction : au sortir de cet enseignement, l’étudiant saura “déconstruire” le discours universaliste de la philosophie, remettre en cause des hiérarchies obsolètes, démontrer que la prétendue science occidentale n’est rien d’autre qu’un instrument de domination sur les exclus et les opprimés (les femmes, les « racisés », les homosexuels, etc.).

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La partie de la fiche de recrutement consacrée à la recherche est tout aussi claire, si j’ose dire : « Le.a candidat.e inscrira ses recherches […] sur les logiques discursives et subjectives de l’émancipation, dans le champ des épistémologies « mineures » et des études subalternes, féministes et postcoloniales, dans la diversité de leurs ancrages intellectuels et géographiques et de leurs trajectoires politiques. » Le travail sur les « épistémologies mineures » (ou « de positionnement »), très à la mode dans les universités américaines, précise J.-Y. Masson, sert essentiellement à relativiser tout discours de savoir en fonction de la position occupée par celui qui le tient. Il est par conséquent attendu que le professeur blanc et masculin revoie la copie de son savoir à l’aune de sa position sociale, de sa couleur de peau et de son sexe (qui font de lui obligatoirement un oppresseur) et qu’il valorise le plus possible les savoirs soi-disant minorisés des opprimés.

L’intersectionnalité comme vérité révélée

« On en attendra [de ces recherches] une pratique de l’intersectionnalité réfléchie, non comme méthodologie régionale, mais comme mode de problématisation générique, transversale, susceptible de complexifier l’analyse des logiques de domination, etc. », dit encore la fiche de recrutement. J.-Y Masson traduit : toute l’histoire de la philosophie devra être lue à travers « l’intersectionnalité » vue non comme une théorie parmi d’autres (« non comme méthodologie régionale ») mais comme rendant compte de la totalité du réel (« mode de problématisation générique ») et s’appliquant à l’ensemble des savoirs (« transversalité »). Nul besoin d’embrasser l’ensemble de la philosophie pour enseigner ou faire de la recherche à partir de ces préceptes. D’ailleurs, la page d’accueil du Département Philosophie de Paris VIII dit faire « une place importante aux figures de la philosophie française contemporaine qui ont créé ce département et qui y ont enseigné, de Michel Foucault et François Châtelet à Jacques Rancière et Alain Badiou, en passant par Gilles Deleuze ou Jean-François Lyotard. » Presque tout est dit. Au diable les philosophies antique et classique, elles réclament des recherches constantes et un véritable travail intellectuel. Préférons les resucées américaines et françaises des philosophes de la French theory, et militons pour dénoncer la domination protéiforme occidentale sur les minorités ostracisées. Quelques concepts pseudo-philosophiques et un vocabulaire pseudo-scientifique nébuleux autour des nouvelles notions « déconstructivistes » ou « wokistes » sur la race, le genre, le féminisme ou le décolonialisme suffiront alors pour obtenir le poste sus-mentionné. Comme l’écrit Nathalie Heinich (dans Ce que le militantisme fait à la recherche) « le militantisme académique ne met pas la barre intellectuelle très haut. » Médiocres, les thèses geignardes issues de cet enseignement ne servent qu’à la promotion des moins capables de la profession universitaire qui deviendront des doctrinaires de la pire espèce. « On a affaire à un lavage de cerveau comme on en voyait dans les universités du bloc communiste », écrit encore J.-Y. Masson.

Ce ne sont pas seulement la sociologie et la philosophie qui sont concernées par ces enseignements douteux. On « décolonise » aussi les mathématiques, la médecine ou les arts. Des spécialistes de la géographie du genre (sic) se penchent sur « l’espace à l’époque du queer » (Rachele Borghi) ou sur « la ville faite par et pour les hommes » (Yves Raibaud). Quant à l’Histoire mondiale de la France dirigée par le professeur au Collège de France Patrick Boucheron, elle soutient les thèses les plus foldingues du moment sur une France pas si française que ça, métissée, nomade, multiculturaliste depuis vingt-mille ans au moins. Nous n’avons pas affaire ici à de petites escarmouches mais bien à une attaque en règle de l’enseignement et de la recherche universitaires en France. Espérons toutefois, avec Nathalie Heinich, que ce « fatras de productions médiocres issues du militantisme académique finira vite dans les poubelles déjà bien pleines de l’histoire intellectuelle. »

P.S : je tiens ici à remercier vivement Patrick Corneau pour avoir attiré mon attention sur l’excellent article de Jean-Yves Masson (https://www.patrickcorneau.fr et https://www.patrickcorneau.fr/2021/07/la-grande-degringolade/)

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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