Penser par temps d’indignation anti-israélienne


Penser par temps d’indignation anti-israélienne

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La riposte israélienne a provoqué un désastre humanitaire. Ce fait incontesté a soulevé une indignation quasi-universelle dirigée contre l’intervention israélienne, après qu’il ait été reconnu qu’elle était menée en réponse à une agression incontestable.

Il faut nous efforcer de comprendre l’indignation qui rend Israël coupable aux yeux du monde d’une cruauté démesurée.
Les Israéliens sont jugés unilatéralement coupables parce qu’ils sont les plus forts, et ils sont jugés d’autant plus coupables qu’ils n’ont pas subi des pertes équivalentes à celles qu’ils ont infligées. Cette réaction doit être discutée, mais elle doit d’abord être comprise. Elle doit même être prise en considération en tant que donnée irréductible et prévisible des conflits contemporains du règne de l’image sans décryptage.

Cela dit, le plus urgent en ce moment est de ne pas laisser tout le pouvoir aux images et à l’émotion. Essayons de penser les soubassements idéologiques de l’émotion, et de les discuter.

Il est exact que les Israéliens sont les plus forts. Mais sur un plan général, il est faux que les plus forts soient forcément dans leur tort. Il est faux que la justice soit forcément du côté des plus faibles. Il est faux que les forts abusent forcément de leur force. En ce qui concerne les Israéliens, s’ils n’étaient pas les plus forts, et s’ils ne l’avaient pas prouvé par les pertes qu’ils ont infligées à ceux qui veulent leur disparition (et rien de moins), ils auraient tout simplement été éliminés. Quand ils font la guerre pour défendre leur droit à l’existence, ils sont dans leur bon droit. Leur guerre de riposte est une guerre juste du point de vue de son but, du point de vue du jus ad bellum.  Le premier devoir moral et politique de l’État d’Israël est de protéger la vie des Juifs, qui ont enfin un État dont ils sont la priorité. Sa supériorité en force est juste, parce qu’elle est la condition absolue de leur juste droit à l’existence.

Il est exact aussi que les pertes en vies humaines et les dégâts matériels de part et d’autre sont disproportionnés. Mais il est faux que cette disproportion constitue en soi un crime. La disproportion est criminelle dans deux cas. D’abord, quand la riposte à l’agression est disproportionnée au regard du dommage causé par l’agression : il est disproportionné de tuer un voleur de pommes. Sur ce point, les dommages auxquels répond l’intervention israélienne sont la vie et la sécurité des Israéliens, dont le Hamas veut la mort (et rien de moins). Ensuite, est également criminelle par ses conséquences une riposte qui frappe au-delà de ce qu’exigent ses objectifs légitimes. En ce conflit, comme en tout conflit, la question doit effectivement être posée de savoir si l’armée israélienne s’en est tenue – autant que cela est possible dans un conflit de cette nature et dans ce contexte-  à ce qu’exigent ses objectifs légitimes. Sont criminels les responsables de morts non nécessaires et évitables. Un tel jugement suppose des enquêtes impartiales. On ne peut ni affirmer ni exclure a priori que des actions évitables ont été commises délibérément, qui seraient des crimes de guerre. Malraux l’avait bien compris, qui disait qu’il y a des guerres justes mais pas d’armées justes. Pour autant, et  en se gardant de tomber dans une vision angélique de l’armée israélienne, on est en droit de demander au reste du monde quelle armée s’est moins mal comportée que l’armée israélienne ? Quelle armée a jamais moins mal respecté le jus in bello ? Où est la preuve historique qu’on peut faire moins mal en défendant sa vie contre un ennemi fanatisé qui veut votre mort, et rien de moins, et qui a besoin de martyrs ?

Sur ce plan humanitaire, on ne doit pas oublier pourquoi les civils de Gaza n’avaient pas où se réfugier. Quand le Hamas construisait des tunnels et accumulait des missiles iraniens destinés à porter la mort en Israël, ce qui provoquerait inévitablement une riposte, qu’a-t-il prévu pour la population qu’il exposait à cette riposte? Est-ce la faute des Israéliens si le Hamas a tout fait volontairement pour laisser les civils sans abris le jour où Israël riposterait aux missiles et aux attentats, afin que la compassion pour les victimes civiles se retourne  contre Israël ?

Le Hamas laisse le monde entier croire qu’il recourt à la terreur parce qu’elle est l’arme du faible qui proteste contre un blocus injuste et insupportable. Mais qui d’autre que le Hamas porte la responsabilité de ce blocus imposé des deux côtés par l’Égypte et par Israël ? Qu’est-ce que ces deux États frontaliers de Gaza y gagnent, si ce n’est d’empêcher plus d’attentats ?

Aujourd’hui, la trêve acceptée par Israël et le Hamas semble bien partie pour durer, en tous cas pour assurer un calme précaire pendant quelques mois voire quelques années, comme celui qui s’est instauré à la frontière nord d’Israël après la campagne de 2006 contre le Hezbollah. La suite des événements dépend des choix futurs du Hamas, dont la seule « victoire » est d’avoir échappé à l’anéantissement par Tsahal. Cette survie n’est pas la conséquence de l’incapacité d’Israël à détruire son appareil politico-militaire, mais au coût politique et diplomatique  d’une telle opération, forcément génératrice de pertes civiles palestiniennes massives.

Est-il envisageable que la direction politique du Hamas abandonne de facto son programme de destruction d’Israël, ce programme dont découlent tous les malheurs des habitants de Gaza ? Est-il envisageable qu’une démilitarisation soit admise par lui, sous le contrôle d’une force internationale ayant ordre et capacité à riposter par les armes à la violation de cette démilitarisation, contrairement à ce que fait la Finul au Liban ? Je ne connais pas la réponse à cette question cruciale. Ce que je sais par contre, c’est que le monde entier devrait exiger cette démilitarisation.

Que doit faire Israël pour prolonger sa victoire militaire ? La réponse est hors de ma portée. Ma préférence personnelle serait qu’il mette publiquement le Hamas et la population de Gaza devant cette offre conditionnelle : levée du blocus contre démilitarisation contrôlée et renoncement officiel au terrorisme.Et si le Hamas se révèle incapable de renier son programme génétique islamo-terroriste ? Un ami bien informé et de bon sens me suggère cette autre ligne de conduite : « L’Egypte, l’Arabie saoudite la Jordanie et même l’Autorité palestinienne ne sont pas désolées de la perte de potentiel militaire du Hamas. Le défi de Netanyahou est plus, aujourd’hui de maintenir cette «  alliance objective » que de convaincre les opinions occidentales du bien fondé de l’opération « Barrière protectrice ». Pour cela, il doit résister à l’aventurisme de la droite du Likoud, et des partisans de Lieberman et Bennett. Sa gestion habile de la dernière crise devrait l’inciter à suivre le modèle d’Ariel Sharon, ce qu’il a commencé à faire, en décidant, unilatéralement, le retrait de Gaza de son armée. On ne discute pas avec le Hamas, on l’encercle, avec ceux qui sont d’accord avec ce projet. »  

D’accord, cher ami, mais pourquoi ne pas jouer simultanément de la carotte et du bâton ?

*Photo : NEDAL ESHTAYAH/APAIMAGES/SIPA. 00689884_000002.



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André Sénik, professeur agrégé de philosophie.

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