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Pas de paysans sans pays!

L’avenir de nos paysans est bien sombre, mais c’est notre pays que nous voyons disparaître et qui mériterait que nous réagissions davantage


Pas de paysans sans pays!
Les Ulis, 2 février 2024 © Michel Euler/AP/SIPA

Les agriculteurs en colère nous ont avertis: il n’y a pas de pays sans paysans. Mais, la crise – que certains qualifient de « civilisationnelle », un adjectif pas totalement pertinent – est en réalité plus profonde, et les citoyens éloignés du monde agricole sont également embarqués dans cette galère. Nous devrions davantage défendre notre identité, et surtout notre pays, car c’est son existence qui est menacée. Sauvons notre pays et nos paysans ne seront plus inquiétés. Analyse.


En première année en fac de géographie en 1989 – un très bon cru paraît-il à plus d’un titre – nous avions étudié en géographie humaine, dès le début, le livre de André Meynier Les paysages agraires ; non qu’il fût l’indispensable connaissance à acquérir de toute urgence, mais en raison de l’intérêt de dresser les principales caractéristiques des paysages ruraux, essentiellement liées à la présence ou non de l’agriculture. Ainsi, ce livre que j’ai toujours – conservateur paraît-il également à plus d’un titre – permet de mettre en évidence l’immense influence de l’agriculture sur les paysages, et par voie de conséquence ou de cause selon les caractéristiques physiques de l’espace considéré, les liens indéfectibles entre les typologies agricoles et les sociétés. Car l’homme s’organise autour de cet espace qui le nourrit, les interactions des uns sur les autres se répercutent évidemment, et d’aménagement en aménagement, les paysages agricoles témoignent de l’organisation sociale autant que celle-ci maintenant influe sur l’agriculture.

Les élites considèrent le monde agricole comme une ancienne société qu’on peut sacrifier

Ainsi pas de pays au sens géographique du terme sans paysans évidemment, bien souvent à l’origine des noms d’ailleurs des petits espaces qu’auparavant nous appelions encore « pays », avant que ce nom soit dévoyé et ne renvoie plus à grand-chose de positif selon les détracteurs de notre agriculture paysanne. Car si nous avons pu lire dernièrement dans les manifestations des pancartes « Pas de pays sans paysans », ce qui est juste, j’ai malheureusement l’impression que nous devrions penser qu’il s’agit dorénavant de tuer les pays et il nous faudra bientôt écrire « Pas de paysans sans pays » !

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Tout ce qui se rapporte à la nation, au petit pays auquel on s’identifie, à l’individu en tant que résultat d’une histoire et d’une géographie, tout ce qui nous distingue de l’autre est à bannir. Le droit à la différence est loué pour les autres, mais nous, nous devons nous plier au mondialisme à toute épreuve. Que nos paysans en soient victimes est une évidence, mais qu’il faille le déplorer pour ces élites bien-pensantes et totalement citoyennes du monde est une hérésie, car dans leur esprit il est normal de sacrifier les anciennes sociétés et tout ce qu’il reste de leur témoignage d’existence. Voilà, le mot est écrit et je persiste à dire que cette crise agricole est davantage une crise existentielle qu’un problème d’agriculture. Nous pouvons lire depuis quelques jours une crise de civilisation, je suis à moitié d’accord seulement car il s’agit davantage d’imposer un modèle mondial que de remplacer une civilisation par une autre sur nos terres, dans nos territoires et de changer le nom du pays.

Non, ici nous vivons un effacement total de ce que nous sommes, de ce que nous fûmes, et on nous intime l’ordre de ne pas vouloir devenir. Notre existence en tant que pays est remise en cause pour n’être qu’espace faisant partie d’un ensemble plus grand, nommé monde progressiste. Quelques contradictions tout de même dans l’esprit de ces gens car à consommer mondial on tue la planète qu’ils veulent soi-disant sauver… Seule l’espèce humaine est en danger et avec elle toutes celles qu’elle sacrifie, mais notre planète ne risque rien et a vu d’autres périodes bien plus chaudes ou froides qu’aucun de ces mondialistes n’aurait pu vivre, tant les conditions climatiques étaient extrêmes. Donc le monde comme horizon et la planète comme idéologie est une contradiction totale où nos paysans sont sommés de disparaître pour laisser la place à des exploitants aussi peu nombreux que possible sur des surfaces aussi grandes que la géographie le permet. L’individu impersonnel mondialisé doit vivre dans un espace dépersonnalisé sans histoire et à la géographie neutre ; même paysage, même histoire, même société : triste avenir !

Le localisme, ça coûte un bras

Pas de paysans sans pays, c’est donc notre existence que nous devons défendre de façon claire, sans aucune retenue. Malheureusement, le nerf de la guerre est comme toujours dans nos sociétés, l’argent, et si nos idées de consommation locale pour préserver notre identité sont partagées par l’immense majorité de nos concitoyens, elles sont bien plus difficiles à vivre car trop coûteuses pour de nombreuses personnes. C’est donc à la frange de la population qui peut économiquement se permettre une dépense supplémentaire dans le budget alloué à l’alimentation qu’il revient de mener prioritairement ce combat. Chacun suivra selon ses moyens financiers et les efforts consentis pour vivre selon ses choix idéologiques. Mais c’est également là où le bat blesse, car cette population un peu plus aisée que la moyenne se trouve être celle qui est déjà la plus taxée. Les autres, ceux qui sont « au-dessus » sont justement les mondialistes progressistes qui tuent nos paysans autant que nos paysages et d’évidence, nous ne pouvons pas compter sur eux pour défendre ceux dont ils souhaitent la disparition !

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Une seule issue, comme pour la défense de notre modèle sociétal, notre identité et malheureusement notre pays, c’est une nouvelle fois sur la classe moyenne « aisée » patriote et conservatrice que nous devons compter. Mais cette catégorie est en train de s’assécher tant elle est déjà scindée en plusieurs parties, certaines acquises à la mondialisation.

L’avenir de nos paysans est donc bien sombre, mais c’est notre pays que nous voyons disparaître et qui mériterait que nous réagissions davantage pour dire notre amour pour lui, le défendre pour ce qu’il a de meilleur. Valoriser ses atouts, la diversité de nos paysages et de notre agriculture en fait partie, même si cela est de moins en moins vrai. Les paysans sont donc les nouvelles victimes collatérales de la mondialisation des soi-disant progressistes comme le fut l’industrie à une autre époque. Réagissons pour sauver notre pays, les paysans le seront du même coup !

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Directeur d'école élémentaire, auteur de "Dans l'entre-moi - Le tourbillon de la vie", publié aux éditions Baudelaire

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