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Le pape François aime-t-il vraiment l’Europe?

Il la pousse à baisser la garde face à l’islamisme


Le pape François aime-t-il vraiment l’Europe?
©Pierpaolo Scavuzzo/AGF/SIPA / 00904848_000008

La voulant martyre offerte aux vagues migratoires en expiation des excès du libéralisme, voilà maintenant qu’il la pousse à baisser la garde face à l’islamisme. Le pape François semble faire preuve d’une certaine hostilité par rapport à l’Europe. 


Qualifier mon précédent article de « fortement critiqué » serait un doux euphémisme. Je mentirais en prétendant que je m’en réjouis totalement, et pourtant… je m’en réjouis ! Je me réjouis de voir la diversité des opinions des lecteurs et des auteurs de Causeur, je me réjouis de cet espace de débats, je me réjouis de cette liberté d’expression dont je rappelle qu’elle est le droit de chacun d’essayer de convaincre tout le monde que j’ai tort (mais si vous pensez que j’ai raison, vous pouvez le dire aussi).

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Sans pouvoir répondre à toutes les objections une par une, je veux tout de même préciser quelques points avant de passer à la suite de mon analyse.

Musulmans et musulmans

Je n’ai rien contre « les musulmans », catégorie d’ailleurs bien floue : des siècles d’affrontements entre sunnites et chiites et l’abondante utilisation du « takfir » par certains islamistes l’illustrent. Je connais suffisamment de gens se considérant comme musulmans pour savoir qu’il y a parmi eux des personnes formidables (y compris des hommes et des femmes politiques auxquels je confierais volontiers l’avenir de mon pays), des fanatiques abjects et pléthore de nuances entre les deux. Abdennour Bidar et le calife Al Baghdadi se disent l’un comme l’autre « musulman », mais ils n’ont en pratique ni la même religion ni le même Dieu : tous deux nomment « Allah » celui à qui ils adressent leurs prières, mais si celles-ci sont écoutées favorablement ce n’est assurément pas par la même personne. J’admire Abdennour Bidar et ses convictions, je condamne Al Baghdadi et son idéologie, et je suis très méfiant envers quiconque aurait des réticences à critiquer les textes qui ont inspiré, encouragé et justifié les horreurs de l’État islamique, à commencer par la fameuse 9ème sourate.

Car j’admets volontiers une ferme opposition à toute doctrine (religieuse ou non) qui vise à étouffer la conscience au profit de la soumission aveugle à un pouvoir arbitraire (se disant d’origine surnaturelle ou non). Et je laisse à toute personne qui estimerait sa religion visée la pleine responsabilité de ses choix théologiques, en citant le musulman Abdelwahab Meddeb dont en l’occurrence je partage l’analyse : « Le problème, c’est le statut du Coran, que la tradition islamique considère comme incréé, parole inaltérable de Dieu dans sa lettre même. Si l’on en reste là, il n’y a pas moyen de travailler sur la part du texte qu’il s’agit de neutraliser. (…) C’est pourquoi il me paraît essentiel de restaurer la thèse du Coran créé (…). Cette démarche, qui nous permet de travailler sur le Coran de manière plus interventionniste, devient un enjeu démocratique majeur. Sur le fond, mon option est de donner la priorité à l’horizon éthique par rapport à l’injonction de la loi religieuse. »

Le pape préfère les Frères musulmans

Certains disent que je serais obsédé par l’islam(isme). « Enjeu démocratique majeur » avons-nous dit… Dans notre pays, des apostats de l’islam reçoivent presque chaque jour des menaces de mort simplement pour avoir exercé leur liberté de conscience. Dans notre pays, des femmes se font injurier et harceler parce qu’elles refusent d’arborer un vêtement symbole d’inégalité de droit entre les sexes. Dans notre pays, des réseaux obscurantistes œuvrent à rétablir la censure et à détruire les fondements de notre civilisation. Et je ne parle même pas de ce qui se passe ailleurs ! Parce que les religions me passionnent, parce que j’ai consacré bien du temps et des efforts à leur étude, y compris dans le cadre de ma vie professionnelle, dans ce domaine je pense pouvoir aider à lutter contre les compromissions et le déni, et peut-être suggérer des pistes de solutions. J’estime donc de mon devoir de le faire, d’autant plus qu’il me semble que chaque voix qui se lève est utile. Il y a évidemment beaucoup d’autres sujets qui méritent que l’on en parle ! Mais je n’ai pas la prétention d’être systématiquement compétent pour cela.

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Je ne reproche pas au pape François de vouloir le dialogue avec l’islam et/ou les musulmans, bien au contraire. Je lui reproche de saboter ce dialogue. Je lui reproche de mettre en avant des interlocuteurs pour le moins problématiques au détriment des musulmans authentiquement humanistes, auxquels je ne crois pas qu’il offre les tribunes pourtant bienvenues que seraient des rencontres officielles avec lui. François aurait la possibilité de donner la parole à des réformateurs de l’islam formidables, mais préfère se rapprocher d’un ersatz des Frères musulmans. On me permettra de trouver cela peu avisé, pour le dire poliment.

Saintes et innocentes religions

Je n’oublie pas que l’Église n’a initialement respecté les règles de la République que contrainte et forcée. Il n’en demeure pas moins qu’elle le fait maintenant d’autant mieux que les Évangiles évoquent la fameuse distinction entre Dieu et César. La Manif pour Tous par exemple, et quoi que l’on pense de ses objectifs, même en menant une action politique en partie inspirée par des convictions religieuses n’a jamais remis en cause la séparation du religieux et du politique ni l’application de la rationalité scientifique, contrairement à ce que fait Ahmed Al Tayeb dans sa condamnation univoque des Lumières.

Ceci étant j’espère clarifié, je veux maintenant tenter de comprendre pourquoi le pape, en cosignant le « document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » avec le Grand Imam d’Al Azhar, a de fait accepté de valider plusieurs points clefs de la propagande islamiste, et plus précisément du discours des Frères musulmans.

Pour mémoire, il s’agit en particulier des affirmations suivantes : les libertés occidentales seraient relatives, mais les musulmans auraient partout le droit de demander l’application de la charia ; l’Occident souffrirait d’une « maladie spirituelle » dont le monde musulman détiendrait le « remède » ; et bien évidemment « les religions » ne sauraient en aucun cas être responsables si peu que ce soit des crimes commis en leur nom – et j’ajoute pour l’islam, en parfaite conformité avec la doctrine de ses textes fondateurs (mais non les convictions personnelles de bon nombre de musulmans).

On ne supplie pas les islamistes

Sans doute François a-t-il signé cette déclaration avant tout pour faire vivre le dialogue islamo-chrétien, considérant assez logiquement que celui-ci ne peut porter de fruits qu’à condition d’exister, donc de se poursuivre, ce qui suppose des compromis. Je ne spéculerai pas sur la vertu théologale d’espérance, mais je pense qu’il se trompe de stratégie : dans la situation actuelle la priorité du dialogue doit être l’exigence de vérité, sans quoi il n’y a pas de dialogue mais seulement l’apparence du dialogue. Et le choix des interlocuteurs est un point crucial des rencontres inter-religieuses.

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Sans doute aussi François a-t-il en tête une situation globale dont la nôtre n’est qu’un aspect, peut-être secondaire. Près de la moitié des catholiques dans le monde vivent en Amérique, essentiellement en Amérique du Sud, où l’islam politique n’est qu’un danger très lointain, naturellement absent des préoccupations quotidiennes. En Chine, ce ne sont pas des musulmans qui persécutent les catholiques, mais un Etat officiellement athée – et il persécute aussi des musulmans. Enfin, ne pouvant que constater la lâcheté du monde occidental face au calvaire des chrétiens d’Orient, François sait bien que ceux-ci sont à la merci d’un monde musulman hélas de plus en plus islamiste. Il ne s’agit plus là de lutter contre les ambitions hégémoniques de l’islam, mais de prier pour qu’il n’abuse pas de sa domination plus qu’il ne le fait déjà. Mais c’est encore une erreur stratégique : les islamistes ne respecteront jamais ceux qui les supplient, seulement ceux qui ont la détermination de se faire respecter. L’islam littéraliste théocratique ne s’arrêtera de lui-même à aucune frontière, ni géographique ni morale. Face à un totalitarisme, tendre l’autre joue est suicidaire.

Cette Europe trop terre à terre…

Sans doute, enfin, ai-je une lecture des choses trop centrée sur l’Europe. Mais c’est ici que je vis et que vivent ma famille et nombre de mes amis ! Plus encore : héritier de la civilisation européenne, je sais qu’elle porte des vérités et des beautés qui peuvent et doivent bénéficier à tous, et c’est donc au nom de toute l’humanité que j’ai le devoir de les défendre et de les transmettre. J’ai l’impérative obligation morale d’utiliser les libertés qui m’ont été données pour soutenir celles et ceux qui, ailleurs, n’ont pas eu le privilège de les recevoir des générations passées, mais sont obligés de se battre pour les obtenir. Il n’est nullement question de complexe messianique : le danger bien réel de l’impérialisme doit évidemment nous obliger à la vigilance, mais certainement pas nous faire renoncer à l’universalisme.

Or c’est ce combat que François fragilise, et derrière tous les raisonnements que je peux lui supposer, je soupçonne de sa part une certaine hostilité envers l’Europe. Hostilité peut-être inconsciente et tempérée de charité chrétienne, mais bien réelle. La voulant martyre offerte aux vagues migratoires en expiation des excès du libéralisme, voilà maintenant qu’il la pousse à baisser la garde face à l’islamisme, ce qu’elle ne fait pourtant déjà que trop.

On peut comprendre le pape. Habitué à la foi publique et souvent démonstrative de l’Amérique du Sud, Jorge Bergoglio est sans doute sensible à la religiosité affichée du monde musulman, et mal à l’aise devant la discrétion que les Européens attendent des religions. Mais il est dommage et décevant qu’il s’arrête aux apparences, et ne sache pas voir dans l’islam le vide spirituel derrière l’ostentation et le contrôle social, ni en Occident la vitalité pudique d’une foi certes statistiquement en recul, mais d’autant plus authentique que la religion a été éloignée du pouvoir et n’est plus une évidence mais un véritable choix.

L’Europe « fatiguée, vieillie et stérile » du pape François

De plus, François a été bouleversé par la misère dans son pays et ailleurs, et nul doute qu’à ses yeux la plupart des Européens, même modestes, sont des enfants gâtés indignes du luxe dans lequel ils se vautrent au détriment des habitants des pays pauvres. Mais il oublie que la prédation effrénée de quelques-uns ne saurait être imputée à des peuples entiers, qui d’ailleurs dénoncent eux-mêmes de plus en plus ces abus. Surtout, il commet l’erreur étonnante de se focaliser sur les privations du corps, au détriment des privations de l’esprit. Bien sûr, il faut manger à sa faim pour se soucier de droits civiques. Bien sûr, on a souvent reproché à l’Église de promettre « les biens du monde à venir » pour appeler à la docilité dans ce monde-ci, au détriment de révoltes nécessaires. Mais tout de même !

« L’Homme ne vit pas seulement de pain »[tooltips content= »Luc 4,4. »]1[/tooltips], il a besoin de sens, du droit de faire des choix plutôt que de se conformer à des règles maniaques qui le transforment en pantin, et sur le plan religieux il ne peut écouter la Parole que si on l’y invite, jamais si on l’y contraint. Le souverain pontife devrait savoir mieux que quiconque que les libertés fondamentales ne sont pas un luxe de nantis, mais une nécessité pour que puisse véritablement s’épanouir la dignité humaine. Ainsi un mendiant refusant une aumône jetée avec mépris incarne une grande leçon d’humanité. Que le pape prenne le risque de sacrifier la liberté de pensée et de conscience dans son opposition légitime mais partiale à ce qu’il rend responsable de la pauvreté matérielle est une faute.

Il y a, c’est vrai, des raisons légitimes pour qualifier l’Europe de « fatiguée, vieillie et stérile », comme l’avait fait François en recevant le prix Charlemagne en 2016, mais quelle vision étroite que de s’employer à éteindre, à force de culpabilisation, ce qui en elle est encore dynamique et fécond ! Encore, toujours, ou à nouveau : jusque dans leurs désaccords, les peuples du Vieux Continent sont loin d’avoir dit leur dernier mot, loin d’avoir renoncé à faire vivre les trésors dont ils ont hérité, et qu’ils ne cessent de préserver et de régénérer. L’Europe n’accomplirait d’ailleurs rien en se reniant, en se laissant détruire ou en oubliant ce qu’elle est : une civilisation, et non un espace géographique. L’Antiquité, la Chrétienté, les Lumières. Que l’une des trois vienne à manquer, et tout s’effondre. Un arbre ne s’élance pas vers le ciel en se détachant de ses racines, mais en s’appuyant sur elles.

D’un François l’autre

Faut-il pour autant renoncer aux dialogues entre le christianisme et l’islam, entre l’Occident et l’Orient ? Faut-il que l’Europe renonce à apprendre de l’Orient en général, et du monde musulman en particulier ? Évidemment non. Il y a d’autres choix que l’alternative absurde entre la perte de soi dans l’idolâtrie de l’Autre, et le repli sur soi dans le rejet de l’Autre. Mais encore faut-il trouver les bons interlocuteurs : l’Autre n’existe pas, seuls existent les autres.

Clin d’œil ou divine ironie, une piste d’une grande richesse nous est offerte par un autre François, chrétien comme le pape, qui comme le pape s’est donné ce prénom à lui-même en hommage à François d’Assise, et qui comme le pape a d’abord porté sur l’Europe un regard extérieur. Il s’agit de François Cheng.

Il faut un cœur vaste comme le monde et une délicatesse infinie pour prendre par la main en même temps l’Orient et l’Occident, et les guider vers la fécondité d’une authentique rencontre, qui les relie dans l’universel sans rien retirer du génie propre de chacun. L’académicien François Cheng y parvient, qu’il ait choisi notre langue pour le faire nous honore et nous oblige.

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Voici ce qu’il écrit, dans un bref ouvrage justement nommé Le Dialogue : « Les admirables acquis de l’Occident dans le domaine des idées, indéniablement, sont un bienfait pour l’humanité entière. Parmi eux, je distingue en particulier deux notions, que tous les pays non occidentaux se doivent de faire leurs, à savoir la notion de Sujet et celle de Droit. A partir d’une logique duelle – séparation du sujet et de l’objet, et principe du tiers exclu – le penseur occidental, dès les Grecs, a dégagé l’être humain du reste du monde vivant, ce qui lui a permis d’opérer des observations et des analyses systématiques. Plus tard, à l’intérieur même des êtres humains, on a isolé cette entité indépendante qu’est le sujet pensant. Plus tard encore, on a cherché à établir des règles de droit afin de protéger le statut du sujet en question. (…) ces concepts constituent des apports indispensables dans la marche vers une authentique modernité. (…) En revanche, aucun Chinois, apparemment, n’est prêt à renoncer à un élément essentiel qui vient du fond de la pensée chinoise (…) convaincue qu’un sujet ne peut l’être que par d’autres sujets. »

En somme, l’Occident enseigne l’importance du sujet, l’Orient (du moins la Chine) l’importance des liens qui nourrissent l’existence des sujets, en relations les uns avec les autres – relations qui supposent l’existence de l’Autre, donc l’altérité, donc l’individualité.

Dialogues

Face aux dérives, aux excès ou aux incomplétudes de la démarche occidentale, voici enfin une réponse sensée, à la fois lucide et respectueuse de tous, y compris d’un Occident reconnu dans ce qu’il est et pour ce qu’il apporte. Reconnu malgré ses faiblesses, qui ne sont pas niées mais auxquelles il n’est pas réduit – auxquelles il ne se laisse pas réduire. Et c’est bien en s’assumant, sans idéaliser l’exotisme et sans céder à la censure victimaire par laquelle ses ennemis veulent le détruire de l’intérieur, qu’il pourra apprendre. Capable de refuser ce qui vient d’ailleurs et lui semble néfaste, il deviendra capable d’accueillir vraiment ce qui vient de ce même ailleurs et peut enrichir son cheminement.

Et si François Cheng nous parle du dialogue avec la Chine, il y a aussi un dialogue urgent et indispensable avec le monde musulman. Des dialogues, même : entre les personnes, entre les peuples, entre les Etats, entre les religions, les philosophies, les spiritualités. Dialogues trop souvent empêtrés dans les rancœurs réciproques et les enjeux de pouvoir, dialogues empêchés par la naïveté ou les faux-semblants, dialogues qui deviennent impossibles lorsque les différences font oublier l’humanité commune, mais tout aussi impossibles lorsque l’on refuse de voir les différences et de se confronter à l’altérité.

Le monde musulman d’Occident

Mais de même que l’Occident n’est pas cette caricature matérialiste qu’en fait le pape François, le monde musulman n’est pas la caricature qu’en fait le Grand imam, flatteuse à ses yeux, hideuse aux miens.

Ce « monde musulman », qu’il faut comprendre au sens le plus large, ce sont aussi ses laïcs, ses agnostiques, ses athées, ses croyants non-musulmans. Ce sont tous les habitants du « monde musulman », et ce sont aussi désormais dans une certaine mesure les musulmans d’Occident et les occidentaux originaires des pays musulmans, à la fois pont et champ de bataille entre deux cultures. Ce sont également, dans le monde musulman et parmi ses enfants en Occident, dont certains sont donc également enfants de notre République, celles et ceux, croyants ou non, qui osent regarder en face la part d’ombre de l’islam et la combattre. Certains le font au nom de ce qu’il peut y avoir de lumineux dans l’islam, d’autres au nom des droits de l’Homme, d’autres simplement poussés par une soif inextinguible de liberté et de dignité, pour eux-mêmes et pour les autres.

Parmi ceux-là, beaucoup sont eux-mêmes les héritiers de la rencontre entre le meilleur de l’Occident et le meilleur des civilisations islamiques, où qu’ils vivent. Hasard ou Providence, beaucoup ont choisi notre langue pour partager leurs travaux, beaucoup sont nés dans notre pays ou l’ont choisi, plusieurs se sont mis à son service en même temps qu’ils mènent une lutte nécessaire pour toute l’Humanité, et cela aussi nous honore et nous oblige.

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Abdennour Bidar, Zineb El Rhazoui, Lydia Guirous, Kamel Daoud, Fatiha Boudjahlat, Boualem Sansal, Yadh Ben Achour, Souâd Ayada, Raif Badawi, Zohra Bitan, Jeannette Bougrab, Naëm Bestandji, Maajid Nawaz, Karim Akouche, Majid Oukacha, Djemila Benhabib, Waleed Al-Husseini, Amine El-Khatmi, Taslima Nasreen, Masih Alinejad et Nasrin Sotoudeh et ces milliers de femmes qui se battent contre la prison du hijab, et tant d’autres ! Eux aussi sont une part du « monde musulman », même s’ils ne s’y laissent ni réduire ni enfermer, et ils en sont même la beauté, la grandeur et l’espoir. Ils sont imparfaits et faillibles, comme nous tous, mais contrairement aux islamistes ils le reconnaissent, et contrairement à certains religieux ils sont prêts à rendre des comptes et à soumettre leurs idéaux à la critique.

Leur courage est une leçon, leur volonté de voir et de dire le réel est une leçon, leur détermination à se battre pour des libertés et des valeurs que nous sommes trop souvent tentés de relativiser est une leçon. Ils sont, eux, un antidote possible – parmi d’autres – à la fatigue existentielle de la « vieille Europe », à la tentation de l’apathie, à la séduction du suicide sacrificiel, parce qu’ils savent le prix de ce que nous avons fini par croire banal. Ils sont, eux, cette part du monde musulman qui peut effectivement participer au réveil de l’Occident, et auprès de laquelle nous pouvons puiser de quoi nous aider à triompher de notre « maladie spirituelle ». Auprès de laquelle nous le puisons en réalité déjà, car ils sont plusieurs à faire aussi partie de ce nous, occidental, européen, républicain, humaniste, universaliste. Et que nul ne s’avise de leur dénier cette appartenance ! Que nul ne s’avise de vouloir amputer l’Occident (et la France) d’Abdennour Bidar, Zineb El Rhazoui, Souâd Ayada, Lydia Guirous… Voilà ceux que le Pape devrait entendre, rencontrer et soutenir, et certainement pas les porteurs des discours ambigus et des références théocratiques d’Al Azhar, des Frères musulmans ou des salafistes !

L’Eglise a des devoirs

Tout comme l’État, l’Église a le devoir de choisir ses interlocuteurs avec discernement, sans quoi elle ne servira qu’à donner une caution morale à des islamistes pour qui la tolérance est une façade, le dialogue un moyen de masquer leurs ambitions le temps de gagner en influence, et d’acquérir le pouvoir d’imposer leur loi, ou de la rendre encore plus étouffante.

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Tout comme l’État, l’Église a le devoir de diagnostiquer avec lucidité les maux de l’Occident, tous les maux, et donc en particulier de l’aider à combattre la haine de soi qui le ronge, le paralyse et l’empêche d’assumer ses responsabilités.

Et tout comme l’État et l’Église, chacun de nous là où il se trouve, avec les moyens dont il dispose, a le devoir d’y contribuer.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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