On doit à Gaël Nofri, essayiste et adjoint au maire de la ville de Nice, plusieurs ouvrages consacrés à l’histoire de France. Dans son nouveau livre, il estime que la bataille de Bouvines (1214) est un point majeur dans la construction de notre pays car elle affirme sa souveraineté. Il rappelle que « vassal d’aucun », qui est la devise de la souveraineté, peut aussi être la définition de la liberté.
Causeur. La bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214, est selon vous un point de départ essentiel de la construction de la France. Pour quelles raisons ?
Gaël Nofri. Bouvines est un mouvement important de cristallisation d’un certain nombre de choses et de ce que deviendra la nation française. En effet, c’est avec cette bataille que la prétention des premiers capétiens à être pleinement souverains – d’abord rois des Francs – va trouver matière à s’incarner, et en même temps, s’affirmer. C’est pourquoi je parle de « confirmation de la souveraineté ». Les premiers capétiens ont la prétention de ne pas être des seigneurs parmi d’autres et veulent se dégager de l’emprise des empereurs romains germaniques. À Bouvines, cette prétention capétienne se trouve confirmée sur le champ de bataille, face aux barons à combattre et face à l’empereur du Saint-Empire romain déjà en difficulté.
Gaël Nofri. DR.
Vous parlez de « confirmation de la souveraineté » française, mais ne s’agit-il pas plutôt de sa « fondation » ?
C’est la fondation, mais il y a aussi un aspect de confirmation : celle d’une prétention. Les premiers rois capétiens, réduits à un petit domaine royal, n’avaient que peu de manœuvre réelle mais avaient déjà la volonté de n’être vassal d’aucun. L’action de Philippe Auguste, qui se trouve consacrée à la bataille de Bouvines, confirme et donne matière à cette prétention à la souveraineté. C’est vraiment une confirmation de ce qu’est la monarchie française dès les premiers capétiens, c’est-à-dire autre chose qu’un seigneur élu par les seigneurs, même si l’élection demeure. Il y a cette onction d’origine divine que confère le sacre, il y a une dimension sacerdotale, mais qui, pour les premiers capétiens, n’a pas de fondement pratique, exécutoire, de capacité. Les premiers capétiens ont beaucoup de difficultés à s’imposer, d’ailleurs ils ne cherchent pas à le faire en dehors du domaine royal car ils n’en ont ni la capacité ni la prétention. Avec Philippe Auguste, les choses changent. Quand il accède à la couronne, cette définition de la souveraineté – vassal d’aucun – existe déjà, elle est en gestation, mais c’est avec Bouvines qu’elle va pouvoir s’appuyer sur une maîtrise réelle de l’espace et sur une capacité de mobilisation des hommes et de levée d’un impôt. Ainsi commence à s’exercer la souveraineté.
Rien ne se fait en une génération. Et les héritiers vont devoir consolider cette « confirmation de la souveraineté ».
Bien sûr. Tout travail de cet acabit s’étale sur le temps long, sur des générations, c’est un travail lent et patient. C’est un travail permanent. On verra par la suite que le moindre renoncement de volonté entraînera des conséquences parfois tragiques. Ainsi, pendant la guerre de Cent Ans, on aura le Traité de Troyes (qui fait de Henri V d’Angleterre l’héritier de Charles VI de France). En réalité, tout est lent, mais rien n’est jamais définitif.
Rappeler aujourd’hui cette conquête de la souveraineté ne paraît pas anodin. Est-ce qu’il y aurait une arrière-pensée quelconque derrière ce rappel historique ?
Oui, il y a plusieurs arrière-pensées ! D’abord, c’est un essai. C’est une mise en perspective, c’est une lecture. Ensuite, cette lecture vise à rappeler que les choses ont un sens, que ce qui est n’a pas toujours été mais est le fruit d’efforts, de persévérance, et le fruit aussi d’une lecture des choses qui est différente. La lecture des faits et de l’Histoire qui sera faite par la France au lendemain de Bouvines donnera une monarchie différente de la monarchie anglaise ; qui du fait de Bouvines suivra une autre voie. La souveraineté est un bien que nous avons reçu en partage, et dont nous ne sommes que les dépositaires. Ce fut un combat qui est aujourd’hui synonyme de liberté car la première définition de la souveraineté, c’est de n’être vassal d’aucun. On parle beaucoup de liberté, donc il est important de rappeler cette définition.
À quelques jours des élections européennes, cela prend une dimension particulière.
Oui, mais c’est davantage pertinent dans le temps long, qu’il s’agisse de l’UE, de la mondialisation économique et financière, industrielle, alimentaire… surtout à une époque où l’on parle de corps électoral fermé dans certains territoires, ou de statut d’autonomie inscrit dans la Constitution. Rappeler ce qu’est la souveraineté, la France, d’où elle vient, quels sont les combats qui ont mené à cette construction particulière, de la nation, de son organisation, de son territoire, de son histoire, est fondamental. La conception des notions qui font notre citoyenneté est déterminée par ceux dont nous sommes les héritiers.
Vous nous dites finalement que la fin de l’Histoire n’a pas eu lieu. Est-ce qu’en faisant ce constat, vous présagez que les guerres ne peuvent que continuer à l’avenir ?
Non, ce serait très pessimiste. Ce que cela signifie, c’est que les hommes restent des hommes, et penser un monde dans lequel on déclarerait la guerre illégale est totalement illusoire. La réalité, c’est qu’on avait prévu la fin de la guerre, l’avènement de la démocratie mondialisée, la fin des épidémies, le progrès, un monde de consommation où la béatitude ferait que l’individu consommateur règnerait partout. On se rend compte que ce monde n’existe pas et que personne n’en veut. Les hommes sont d’abord des citoyens, situés dans ce qu’ils sont, et les guerres, les famines, les tensions entre États, les enjeux de territoires et de puissance continuent d’exister. Ceux qui veulent croire qu’ils ont disparu seront peut-être les victimes de ceux qui ont compris que les choses resteront ce qu’elles sont. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas tendre à la recherche de la paix et à la défense de la démocratie ; cela veut dire que tout en les cherchant, il faut se donner les moyens de se prévenir de choses qui peuvent advenir. Il y aura toujours des puissances qui auront des volontés hégémoniques, des voisins plus ou moins belliqueux, et même en France, des gens pour nous expliquer qu’il y a mieux à faire que la nation.
La souveraineté est-elle une réalité et une vision ?
C’est un combat permanent. Ceux qui décident de renoncer acceptent la vassalité.
Est-ce que l’UE telle qu’elle se dessine actuellement n’est pas la programmation de la fin de la nation française, comme celle des autres nations européennes ?
L’UE n’est rien d’autre que ce qu’on veut en faire. Est-ce qu’on travaille à une UE qui soit une union de nations souveraines, lesquelles trouvent en cette mise en commun les moyens de renforcer leur souveraineté dans la coopération, dans une marche commune qui leur permet d’affronter les enjeux du monde ? Ou est-ce un prétexte au renoncement ? Si c’est ce dernier cas, elle ne sera jamais au niveau qui convient ; on dira toujours que l’UE est petite, et alors c’est une marche vers la mondialisation. Si, au contraire, on se dit que le XXe siècle a été dévastateur pour l’Europe en matière de conflits et en termes de puissance, alors il faut travailler ensemble, et créer des outils qui nous permettent de renforcer notre souveraineté, mais on ne peut pas être souverain à moitié : soit on est souverain, soit on ne l’est pas. La coopération, oui ; le fédéralisme, non.
À lire : Gaël Nofri, Bouvines. La confirmation de la souveraineté, Passés/Composés, 2024.
Guillaume Peltier tenait le 5 juin à Saint-Malo une réunion publique devant une centaine de militants « Reconquête ». Si cet événement de la « droite forte » a été boudé par Ouest-France et Le Pays Malouin, nous avons pu recueillir les propos du numéro 2 de la liste de Marion Maréchal.
Causeur. La liste de Marion Maréchal est aujourd’hui donnée par les sondeurs autour de 5 ou 6%. La situation du parti fait penser à ces équipes sportives qui jouent leur maintien en première division à un ou deux points près… Aujourd’hui, dans quel état d’esprit êtes-vous ? Est-ce que la peur du fiasco est là ?
Guillaume Peltier. Ça fait 25 ans que je suis engagé en politique, et s’il y a bien une règle éternelle, c’est que les suffrages comptent plus que les sondages ; et le nombre de journalistes – souvent de gauche d’ailleurs – qui se sont totalement plantés en pensant remplacer le peuple, je les invite à faire preuve d’humilité.
Pour le reste, s’il y a des sondages à 5, d’autres nous donnent déjà à 8%. Je dis donc aux Français : dimanche soir, il sera trop tard. Vous avez l’occasion historique d’envoyer Marion Maréchal et des élus qui peuvent faire basculer l’Europe à droite, battre Ursula von der Leyen, supprimer les financements pour les associations islamistes et LGBT. Il ne faudra pas venir se plaindre le lundi 10 juin au matin si ça n’est pas le cas. Depuis des mois, jour et nuit, sept jours sur sept, nous sillonnons la France pour éclairer nos compatriotes et leur proposer ce chemin. C’est à eux de choisir désormais.
Guillaume Peltier à Saint-Malo, 5 juin 2024.
Durant votre campagne, deux personnalités se sont détachées : Marion Maréchal, que l’on connait depuis un petit moment, mais aussi Sarah Knafo. Pourtant numéro 2 de la liste, n’avez-vous pas été un peu dans l’ombre ?
Nous sommes très heureux de pouvoir additionner plein de talents ; c’est toute la force de Reconquête ! Avec Marion Maréchal, nous avons l’une des femmes politiques les plus connues et les plus populaires de France, qui n’a jamais trahi ses convictions, qui incarne la droiture, le sérieux, la force ; et c’est une immense chance. Nicolas Bay, qui est sans doute le député français au Parlement européen le plus assidu et le plus compétent, nous a permis de bâtir le groupe des conservateurs, avec Giorgia Meloni et demain Viktor Orban. Tous les conservateurs d’Europe sont avec nous, ce qui est là aussi une immense chance. Nous avons bien sûr Sarah, qui a été la fondatrice de l’épopée présidentielle d’Eric Zemmour. Nous avons Stanislas Rigault, qui est le jeune talent que tout le monde a découvert en 2022. Nous avons enfin Laurence Trochu, qui est la présidente fidèle et loyale du Parti conservateur. Moi, je suis très heureux de faire partie de cette équipe, et en vérité, comme disait Jeanne d’Arc : « Plus il y aura de combattants pour la France réunis au même endroit, mieux ce sera pour notre pays ». On a toujours besoin de talents supplémentaires.
Et vous-même, comment avez-vous traversé la campagne ?
J’ai fait des dizaines et des dizaines de réunions publiques, des milliers et des milliers de kilomètres. Dans ma vie, je me suis présenté à une quinzaine d’élections ; j’ai beaucoup perdu au début. Désormais, je les gagne parce que les Français ont vu la constance, la cohérence et le courage. Beaucoup d’autres seraient restés chez Valérie Pécresse, plutôt que de rejoindre Eric Zemmour. Moi, en décembre 2021, j’ai décidé d’abandonner une place et une carrière confortables, pour le courage des convictions. Et donc je suis très heureux de défendre ces convictions au sein de cette nouvelle équipe.
Pourtant, il y a quelques semaines, François-Xavier Bellamy nous rappelait qu’en 2019, vous lui aviez reproché sa ligne conservatrice et chrétienne, et que vous prôniez à cette époque des alliances avec les écologistes, sur le modèle autrichien… Comment devient-on alors cinq ans plus tard numéro 2 de Reconquête ?
Tout cela est un peu caricatural. Que M. Bellamy se regarde le nombril plutôt que de critiquer ainsi l’adversaire… Je rappelle que M. Bellamy et les Républicains sont les alliés de Mme Von der Leyen à Bruxelles depuis cinq ans, qu’ils siègent dans le même groupe, que M. Bellamy a voté pour la commission européenne et Mme von der Leyen. Je rappelle aussi que M. Bellamy et ses amis préparent une alliance avec Emmanuel Macron, avec M. Larcher, avec M. Barnier au lendemain des élections européennes. Je rappelle que ses colistiers sont pour la régularisation des sans-papiers, pour la GPA, tant d’autres choses, et même avec beaucoup de complicité avec l’islamisme. Donc qu’il garde ses leçons de morale ! Moi, j’ai toujours servi une droite forte, j’ai servi Philippe de Villiers, Nicolas Sarkozy et Eric Zemmour. Premièrement, tout le monde a compris que je n’étais ni centriste, ni de gauche. Deuxièmement, quand j’évoquais l’écologie, oui, je m’inspirais de M. Kurtz, le Premier ministre autrichien qui a eu l’intelligence de lier la question migratoire et islamique avec la nécessité de se réconcilier avec le patriotisme économique et la production locale pour nos paysans, au nom d’une écologie positive et non pas punitive ; et donc je ne vois absolument pas en quoi c’est contradictoire avec mes convictions… Quant au christianisme, je n’ai jamais reproché à qui que ce soit d’être chrétien : je suis moi-même chrétien et fier de l’être. Avec « Reconquête », nous sommes le seul parti à vouloir inscrire les racines chrétiennes dans les traités européens, à l’inverse des Républicains qui appartiennent, je le rappelle, au parti de Jacques Chirac, lequel avait refusé d’inscrire les racines chrétiennes dans la Constitution européenne. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas eu le courage de quitter Valérie Pécresse pour rejoindre Eric Zemmour qu’il faut que M. Bellamy donne des leçons de morale à ceux qui l’ont eu, ce courage.
Lors du débat sur CNews, Mme Maréchal a peut-être tapé un peu fort sur M. Bellamy… Et Mme Knafo n’a pas ménagé de son côté M. Bardella et sa liste dans diverses interviews, notamment dans les colonnes de Causeur. Mais franchement, est-ce une si bonne idée de s’en prendre à de futurs possibles alliés ?
Vous savez, la politique, c’est très simple. Qui sont nos ennemis ? C’est la gauche, ce sont les médias de gauche, ce sont les islamo-gauchistes. Ensuite, on a des concurrents. Vous avez bien aussi des concurrents dans votre journal, chez Causeur ? Eh bien, nous avons des concurrents, à Reconquête. Si nous, nous n’avons pas l’honnêteté d’éclairer nos électeurs en rappelant par exemple que le Rassemblement national est un parti socialiste sur le plan économique, ou en rappelant toutes les lâchetés et les trahisons des LR, qui le fera ? On n’attaque pas M. Bellamy ou M. Bardella personnellement, on pointe nos différences politiques. Ensuite, c’est aux électeurs de choisir. Quand Jean-Luc Mélenchon fonde la Nupes, quand François Mitterrand fonde l’union de la gauche, il y a plusieurs partis très différents, concurrents, qui expliquent leurs différences et qui sont ensuite capables de se réconcilier sur l’essentiel. Eh bien c’est notre cas également ; nous partageons un grand nombre de convictions et c’est aux électeurs de choisir. Est-ce qu’ils préfèrent un parti qui est le seul à dire que l’islam n’est pas compatible avec la France, qui est le seul à dire que l’assistanat est un drame pour nos travailleurs, qui est le seul à s’en prendre aux activistes LGBT ou transgenres ? Ça, c’est Reconquête. Et s’ils ont d’autres sensibilités, ils peuvent choisir d’autres partis. En tout cas, nous, on a une colonne vertébrale extrêmement claire, très solide et je pense que ça ferait du bien à la droite française d’avoir au Parlement européen des parlementaires comme Sarah, Nicolas, Stanislas, Marion ou moi, capables d’être des vigies parmi les vigies et de pointer les lâchetés des uns et les compromissions des autres.
Guillaume Peltier et le réarmement démographique Notre contributeur Frédéric Magellan ressort enthousiaste de la réunion malouinede « Reconquête ». Il estime que le n°2 de la liste du parti aux élections européennes a été injustement vilipendé après ses propos sur les responsables politiques sans enfant.
« Degré zéro à la fois de l’intelligence et de l’honnêteté ». C’est ainsi que ma chère consœur, Céline Pina, avait qualifié des propos tenus par Guillaume Peltier, sur CNews début février. Selon l’ancien député UMP, Marion Maréchal, qui conduit la liste « Reconquête ! », serait plus légitime que ses concurrents directs, Jordan Bardella (RN) et François-Xavier Bellamy (LR) : « avoir des enfants est un message politique (…) c’est la garantie de sérieux, de concret par rapport au présent, par rapport à l’avenir. C’est la certitude que la valeur de transmission va l’emporter sur la valeur de l’ambition », défendait-il alors. La sortie peut paraître provocatrice ; à y regarder de plus près, elle n’est pas si indéfendable. Oh ! bien sûr, on trouve dans l’histoire des exemples de grands hommes célibataires et sans enfants, comme le montrait Céline Pina à la fin de sa démonstration. Les moines de Cluny et de Cîteaux, dont la participation à l’effort démographique fut proche de zéro, ont contribué, en défrichant les marécages et en construisant des moulins, des routes et des marchés, à l’essor de la Bourgogne puis de l’Occident tout entier. Mais on ne peut cependant s’empêcher de repenser à Charles Péguy, qui écrivait, dans Victor-Marie, comte Hugo, que le père de famille était le seul vrai aventurier de l’époque, et qu’en comparaison, les autres aventuriers n’en sont pas, et que la vie de famille n’était pas un retrait du monde mais au contraire un engagement dans le monde. Plus prosaïquement, en défendant les femmes en politique, Marine Le Pen, face à Karine Le Marchand en 2016, avait de son côté surtout fait l’éloge de la mère de famille : « Une femme ne peut pas s’extraire de la réalité, du quotidien. Les hommes politiques, à un certain niveau, c’est un petit peu comme ceux qui font de la musique à un très haut niveau ou du sport à un très haut niveau. Vous ne vivez plus que pour ça. A un moment donné, il n’y a plus de réalité. Quand on est une femme, on est toujours ramenée à la réalité du quotidien. Tout ça c’est bien gentil, mais il faut aller acheter la paire de tennis du petit, il faut aller signer le bulletin de notes! C’est donc une chance, on ne peut pas partir dans cet espèce de ballon qui s’envole dans la stratosphère, et où l’on n’a plus aucune conscience de la réalité du quotidien ». Quant à Charles de Gaulle, il a pu dire, à propos de sa fille Anne, trisomique, morte à vingt ans : « Sans Anne, peut-être n’aurais-je jamais fait ce que j’ai fait. Elle m’a donné le cœur et l’inspiration ». Alors, les chefs d’Etat, les politiques célibataires… Comme dirait Brice Hortefeux : un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup que ça commence à poser un problème. En 2019, l’Europe était presque entièrement gouvernée par des personnes sans enfant : Emmanuel Macron, mais aussi Angela Merkel, Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission, Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg, Stefan Löfven, Premier ministre de la Suède et Mark Rutte, Premier ministre des Pays-Bas. A ce point, cela fait un système. Que sont ces décideurs sans descendance ? Après moi, le déluge ? Le principe héréditaire de l’ancienne monarchie avait ce mérite : certes, on a eu un roi fou, d’autres libidineux ou bedonnants, mais bon an mal an, ils se débrouillaient pour laisser une situation politique pas trop pourrie à leur descendant. Alors, non, Guillaume Peltier, vous qui avez déclaré : « Je suis Français et patriote. Je suis même un homme et un père. Je suis blanc, je suis chrétien, je suis hétérosexuel », vos propos ne sont pas le degré zéro de l’honnêteté ! • FM
À côté de ses grandes séries mystiques, François-Xavier de Boissoudy peint la nature telle qu’elle se révèle, elle aussi.
Avec sa technique habituelle, des encres diluées sur papier, étalées à la main, avant que la feuille ne soit marouflée sur toile, le peintre nous donne à voir plusieurs paysages dont on sent, immédiatement, qu’il les a pleinement vus et qu’ils l’ont impressionné ; on comprend qu’à fixer cette tâche de lumière éclatant au débouché d’un sentier bien encaissé, qu’à découvrir cette clairière laiteuse sous la lune, luisant derrière les grandes masses indistinctes des bosquets, qu’à saisir le jeu du soleil perçant derrière le rideau serré des arbres, F.-X. de Boissoudy a senti que le paysage livrait un secret aussi singulier que banal : cette nature existe, puissamment, elle témoigne de l’être qui anime aussi bien les arbres que l’herbe, et le talus, et le ciel, et nous-mêmes, soudain surpris d’éprouver ce poids d’existence, soudain capables d’en extraire cette qualité commune à tous, l’être, sous des modalités différentes.
Une table de jardin sous un arbre, une prairie sous la lune, une rivière en haut d’une côte, une lisière longée en voiture : tout est appréhendé, restitué, dessiné avec le souci de rendre compte autant que fondu (grâce à ces encres colorées et étalées) pour exprimer la communauté existentielle entre le plateau de la table, l’ombre de l’arbre, l’arbre lui-même et la haie au fond, et l’air qui baigne toute la scène et nous appelle, spectateur, à entrer dans le tableau.
Grands ou petits formats, certains d’un noir aussi profond que les œuvres précédentes, d’autres d’un vert lumineux, tous, surtout, exacts dans la manière de nous communiquer l’impression initiale, l’émotion mais aussi la réflexion, la méditation brève ou longue que le paysage a déclenchée : chaque toile est ainsi lestée de cette part de lui-même que le peintre y a ajouté, chacune est une fenêtre ouverte sur une réalité plus vaste, chacune est une invitation à être soi-même attentif, au hasard des trajets, à ce que la lumière illumine, à ce que la nature recèle.
François-Xavier de Boissoudy, « Lumières du jour et de la nuit ». Galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008 Paris, jusqu’au 15 juin 2024.
Immigration. Pour terminer sa campagne électorale, la tête de liste de Reconquête ! se présente comme la candidate en pointe dans la lutte contre le « grand remplacement », synonyme selon elle de « la fin de la liberté de conscience, de la liberté d’expression, et de la liberté des femmes ».
Ce 4 juin, en conclusion de son intervention sur France 2 dans le cadre de l’émission « L’Événement, le Grand Débat des Européennes », Marion Maréchal, tête de liste Reconquête à ces élections, a choisi pour sa carte blanche une carte de France. Choix a priori inattendu.
Carte (non) muette
Dans mon enfance, à l’école, il y avait les cartes muettes, comportant juste des points, sans les noms de ville qu’il fallait être capable de situer et de nommer. Performance aujourd’hui à peu près inimaginable. Mais passons…
La carte de Marion Maréchal, basée sur les données officielles de l’Observatoire de l’Immigration et de l’Insee, n’est pas, elle, une carte muette. Il s’en faut de beaucoup. Au contraire, elle est parlante. Très parlante même. Toute l’extrémité Est du pays est colorée en rouge. Cela recouvre l’espace de vingt départements et représente, en équivalent habitants, la population immigrée non européenne si elle était concentrée sur cette partie du territoire. Oui, en nombre cela équivaudrait tout simplement à la population de ces vingt départements ! Rien que cela ! Et la candidate de sonner l’alerte. Avec aujourd’hui cinq cent mille entrées de ces immigrés par an et un tiers des naissances qui sont d’origine extra-européenne, expose-t-elle, la France est à un point de bascule. Elle est menacée de disparition. Cela notamment en raison du fait que demain l’islam pourrait devenir majoritaire et que nous ayons alors à assister à « la fin de la liberté de conscience, de la liberté d’expression, de la liberté des femmes. » Maman de deux petites filles, la mère de famille ne se résigne pas – comme tant d’autres avec elle ! – à ce que ses enfants « grandissent dans une France où elles seraient étrangères ». Etrangères dans leur propre pays. C’est là « le combat que je veux mener au Parlement européen, conclut la candidate. Le combat pour la défense de notre identité et de nos frontières, pour que la France reste la France et l’Europe reste l’Europe. »
Carton rouge
Napoléon considérait qu’un bon croquis valait mieux qu’un long discours. Cette vérité de bon sens, la carte de Marion Maréchal – son carton rouge, serais-je tenté de dire – vient de l’illustrer une nouvelle fois. En effet, même si l’on se contente d’un coup d’œil rapide et distrait, on peut facilement avoir l’impression que l’on a sous les yeux une sorte de crêpe ou de gâteau de forme hexagonale dont une bouche vorace aurait gloutonnement dévoré toute une bonne partie, presque un quart. Et en effet, même vu sous cet angle-là, ça parle !
Selon un sondage IPSOS pour l’Institut Jonathas, 14% des Belges expriment une aversion pour les Juifs, deux fois plus que les Français. Ce chiffre monte à 22% à Bruxelles où 11% de la population a de la sympathie pour le Hamas. Alarmant.
On savait l’antisémitisme répandu en Belgique, ce sondage en apporte une nouvelle confirmation et montre que la perception des juifs s’est encore beaucoup dégradée depuis le 7 octobre avec l’augmentation d’actes antisémites, dénoncés par La Ligue Belge contre l’antisémitisme. Ce qui frappe dans le sondage, c’est qu’à chaque question, le préjugé antisémite est beaucoup plus important à Bruxelles qu’au niveau national : la capitale de la Belgique et de l’Europe compte 30 à 40% de musulmans.
Affolant
Ainsi, 16% des Bruxellois pensent qu’il y a trop de juifs en Belgique (contre 11% au niveau national), 29% qu’ils sont responsables des crises économiques (14%), 48% qu’ils se sentent supérieurs aux autres (34%), 47% qu’ils font subir aux Palestiniens ce que les Allemands ont fait subir aux juifs (35%). Sur l’ensemble du pays, 43% des musulmans pensent que «les Juifs belges ne sont pas vraiment des Belges comme les autres».
Ces chiffres sont affolants. Le constat n’est cependant pas sans défaut. Les conclusions de l’étude minimisent le facteur central de l’antisémitisme contemporain en Belgique qui est l’implantation, relativement récente, de l’islam. Elle met sur le même pied comme coresponsables de cette situation les musulmans, l’extrême droite et l’extrême gauche, ces deux dernières étant définies selon une méthode propre à l’Ipsos et représentant respectivement 4 et 2% de l’échantillon. Pourtant, l’extrême gauche et la gauche en Belgique, comme en France, ont pris massivement fait et cause pour les Palestiniens dans le conflit à Gaza, leurs actions s’accompagnant souvent de débordements antisémites. À l’inverse, le Vlaams Belang en Belgique et le Rassemblement national en France, des partis généralement, mais de façon contestable, qualifiés d’extrême-droite, ont plutôt montré de la sympathie envers Israël et n’ont été à l’origine d’aucun dérapage antisémite depuis le 7 octobre. Sans doute que ce nouvel Institut Jonathas, créé au début de l’année 2024, par des personnalités libérales de gauche, éprouve encore quelques difficultés à se débarrasser des anciens logiciels assimilant l’antisémitisme à la chrétienté ou à l’extrême droite. De nombreux autres signaux témoignent de cette triste réalité que les juifs ne sont plus en sécurité à Bruxelles. Les lieux communautaires juifs sont protégés par des plots de béton, des caméras et un sas d’entrée. Alors que le voile est omniprésent dans l’espace public bruxellois (porté par plus de la moitié des femmes dans certains quartiers), on ne voit plus de kippa dans les rues de Bruxelles. Une école juive située près de la Gare du Midi, quartier à dominante musulmane, a dû déménager après la multiplication d’incidents mettant en danger les adolescents juifs qui prenaient le métro. La Shoah n’est plus enseignée depuis belle lurette dans la majorité des écoles de Bruxelles. Sur le campus de la mal nommée Université Libre de Bruxelles, des étudiants juifs ont été harcelés et molestés après le 7 octobre.
La classe politique passive
Cependant, dès 2011, une étude du sociologue Mark Elchardus de la VUB (Vrij Universiteit Brussels) démontrait que la moitié des élèves musulmans bruxellois étaient antisémites. En réalité, la montée de l’antisémitisme est contemporaine de la croissance de l’immigration musulmane qui a connu une accélération à partir de l’an 2000. Le monde politique a fait comme les trois singes : ne pas voir, ne pas entendre, ne rien dire. Lors des commémorations de la Shoah, les autorités répètent la main sur le cœur que l’antisémitisme n’a pas sa place en Belgique, tout en assistant passivement à sa montée en puissance sans jamais vouloir la reconnaître. Le vote musulman est devenu indispensable aux succès des partis de gauche dont le poids électoral à Bruxelles, conséquence de l’immigration, est passé de 34 à 54 % en vingt ans. Face aux dizaines et désormais centaines de milliers de voix musulmanes, celles des trente mille juifs de Belgique, une vraie minorité celle-là, ne pèsent pas lourd. Nous sommes quelques-uns à avoir tenté, en vain, d’alerter depuis 20 ans sur cette tendance lourde que ni les médias, ni le monde politique n’ont voulu voir.
Mais ce sont peut-être les témoignages bouleversants de juifs de Bruxelles qui sont les plus parlants : «Arrivé de Hongrie en 1945, mon grand-père m’a toujours dit que la Belgique était un pays sûr pour les Juifs et que notre famille n’y risquerait jamais rien. Aujourd’hui, j’explique à mes enfants que leur futur n’est pas ici et qu’ils doivent se préparer à faire leur vie ailleurs», m’a confié un compatriote. Un autre, dont la famille a quitté la Turquie au début du XXème siècle, a déménagé au Portugal après le 7 octobre, observe : «Bruxelles est un territoire perdu par ses calculs politiques basés sur un communautarisme exacerbé. Contrairement à la France, il n’y a pas de vraie ligne rouge. Si le danger n’est pas immédiat, l’atmosphère ne laisse pas de place à un quelconque espoir». Le destin des juifs belges semble scellé, car ces témoignages valent toutes les analyses. La Belgique devient peu à peu Judenrein, tout en célébrant dans la joie et la bonne conscience, la grande messe du vivre-ensemble…
Le dernier spot publicitaire d’Apple pour l’Ipad Pro déclenche la colère des artistes.
Gaufre à la pomme…
Les publicitaires fautifs pourront toujours dire qu’il n’y a pas de mauvaise publicité ! Et que le plus important dans le domaine, c’est qu’un maximum de gens parlent de votre produit. Reste que le nouveau spot époustouflant d’Apple dévoilé le 7 mai (vidéo ci-dessous) n’a vraiment pas rencontré le succès espéré… Sur une vieille musique rétro de Cher, on y voit d’innombrables objets – qui sont autant de symboles de la créativité humaine – sadiquement détruits sous une énorme presse. Écrabouillés les instruments de musique, les œuvres d’art ! Entassés autour d’un piano vite recouvert d’une peinture qui jaillit comme du sang, une trompette, une sculpture, des disques, des livres, un jeu d’arcade ou une télévision voient se refermer mécaniquement sur eux les énormes mâchoires métalliques de la presse. Une fois le tout ratatiné, les pinces de l’immense machine s’ouvrent à nouveau, et le nouvel iPad Pro apparaît.
Le hic, c’est que les produits de la marque étant traditionnellement destinés aux créatifs, ces derniers n’ont pas apprécié cette prétentieuse démonstration : « Les gars se sont dit qu’ils allaient nous montrer toute la création humaine compressée dans une tablette incroyablement élégante. Mais le résultat final ressemble plus à toute la création humaine sacrifiée pour un gadget sans vie ! » observe The Hollywood Reporter, qui estime que cette publicité fournit la démonstration inverse du spot « 1984 » réalisé par Ridley Scott pour promouvoir le Mac, dans lequel la technologie libérait l’humain. En plus de sa minceur, le PDG de la firme Tim Cook a vanté le nouveau processeur M4 de sa tablette tactile, qualifié de « puce outrageusement puissante pour l’IA ». Mais à une époque où scénaristes, acteurs et artistes entament des poursuites judiciaires contre les spécialistes de ladite IA, comme OpenAI (ChatGPT), en les accusant de piller leurs œuvres, c’était exactement ce qu’il ne fallait pas souligner !
Apple a depuis présenté ses excuses, et promis que le spot ne serait jamais diffusé à la télévision. Mais dans la Silicon Valley, l’oppressant Tim Cook a décidé de laisser la vidéo sur ses réseaux sociaux.
À l’affiche du nouveau film de Roman Polanski (The Palace), l’actrice sort de son habituelle réserve pour défendre le réalisateur qu’elle aime et admire. Elle dénonce le maccarthysme MeToo, dont le but est d’intimider et d’humilier ; et rappelle que pour jouer, un bon acteur doit savoir « perdre » sa personnalité.
Causeur. Le Festival de Cannes déroule le tapis rouge à la « révolution #MeToo » et à ses héroïnes, les dénonciations de « comportements inappropriés » sur les plateaux de tournage pleuvent. The Palace, le film de Roman Polanski, ne peut être programmé normalement en France. Que vous inspire tout cela ?
Fanny Ardant. Avant de venir parler avec vous, j’ai réfléchi à ce que je voulais vous dire. En premier lieu ceci : dans notre société, tout est à vendre : l’information, l’art, le voyage, le sport, tout. Dans notre société capitaliste, tout se ramène au profit. Dans le cinéma, si un metteur en scène ou un acteur est pointé du doigt, on l’efface, parce qu’il met en péril la seule chose qui intéresse tout le monde : les affaires et le profit. Il ne sera aidé par personne. Cette société accepte en silence ce mouvement – #MeToo – parce qu’elle a peur. La peur, plus le profit, cela donne des gens qui se mettent à genoux. Vous pouvez attaquer n’importe qui, personne ne bougera pour le défendre parce que chacun protège ses intérêts : Ne plus être « engagé », ne plus gagner de l’argent, ne plus faire partie des « bienheureux du monde »… la plus grande peur !
La peur est humaine. Vous n’avez jamais eu peur ?
Quand j’ai eu 15 ans, j’ai su que la peur était mon plus grand ennemi. Vous vous laissez effrayer, vous l’acceptez ? Alors c’est fini. Votre vie ne sera plus votre aventure. J’ai compris qu’il ne fallait pas se laisser dicter par quiconque ses opinions, ce qu’on pense, ce qu’on aime, ce qu’on croit, ni écouter les mises en garde : qu’il ne fallait avoir peur de rien, à ses risques et périls. Je suis d’une nature mélancolique. Vous allez mourir très vite, votre vie n’a aucun intérêt par rapport à toute la longue histoire de l’Histoire, me disais-je. Alors la seule chose qui compte c’est : comment as-tu vécu ? Où t’es-tu situé ? As-tu pactisé ? Qu’as-tu défendu ? Pour quelles raisons ? La vie est si brève… Et tu es prêt à l’amoindrir en te déshonorant, c’est-à-dire en accusant, en ostracisant ? Tu as si peu de temps pour ce que tu aimes et dans ce en quoi tu crois… Alors cracher sur les autres ? Les traîner dans la boue ? C’est ça vivre ? De de toute façon tout le monde va être oublié.
En somme l’idée de la mort vous interdit de céder…
Très jeune, des personnes que j’aimais passionnément sont mortes, j’ai compris que tout était fragile et vulnérable. J’étais obsédée par le mot plus jamais … nevermore… mai più… tout va disparaître… cette conversation dans un café, ce sourire de l’autre côté de la rue, cet arbre qui bougeait dans le vent, plus jamais ça ne reviendra. L’idée de la mort ne m’a jamais quittée. Donc j’ai toujours pensé que se battre pour l’argent, pour le pouvoir, pour la gloire était grotesque. Ça pousse à l’infamie. Il y a toujours eu un combat en moi entre Jésus – la main tendue, le pardon plus que la justice, « que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre » –, et Bakounine, son coup de couteau. Ne jamais entrer dans aucun système qui veut vous diminuer. Ne jamais faire partie de ceux qui aboient contre un homme à terre. Me soumettre à un système totalitaire, je m’y refuse. La puissance d’une idéologie ne se reconnaît pas aux réponses qu’elle donne, mais aux questions qu’elle parvient à faire étouffer. Je ne sais plus qui a dit ça, mais ce mouvement, c’est la dictature de ce qui « achetable ou non » et donc à vendre. Au fond que cherchent-ils ? Qu’on n’ait plus de parole ? Plus d’honneur ? Qu’on soit facilement gouvernable ?
Quand on a perdu sa dignité, on est facilement gouvernable…
Oui. Rappelez-vous le maccarthysme. Le but c’était d’intimider les gens, de les faire s’humilier pour qu’ils en arrivent à dénoncer. Mais celui qui dénonce reste une balance ! En prison, c’est puni le plus gravement – par les autres. C’est une morale. Ma morale : je défendrai toujours les gens que j’aime, je ne les abandonnerai jamais. C’est grave de s’être sali, de s’être vendu, de s’être agenouillé pour RIEN. Un jour vous allez mourir. Vous perdrez tout… Donc pourquoi s’être sali ? Pour posséder ? J’ai toujours pensé qu’il valait toujours mieux faire partie de la résistance que de la majorité. Aujourd’hui on a fait entrer au Panthéon tous ceux de l’Affiche Rouge, là où leurs noms avaient été déshonorés. On placardera toujours des êtres humains pour les effacer. J’en reviens donc à mon obsession : tout est à vendre. J’ai une vision très noire du monde. C’est plus facile de diriger des masses qui pensent de la même façon. Ça a commencé en Chine. Il y a encore des petits ilots de démocratie. Tant que la justice sera indemne, c’est le dernier pilier…
Elle n’est plus tout à fait indemne. Car les médias exercent une pression extrême sur l’indépendance des juges.
Les grands acquis de la République, c’était : la justice, l’éducation et la santé pour tous. Que deviennent-ils, ces acquis ? Au fond, pourquoi tu veux la mort de quelqu’un ? Dans le peu de temps que vous avez, vous allez passer votre temps à cracher plutôt que d’aimer ?
Roman Polanski et Fanny Ardant assistent à la cérémonie de remise des « Prix du cinéma européen » au Théâtre national de Chaillot, Paris, 2 décembre 2000. Pierre Verdy/AFP
Tout cela nous est vendu au nom de la « cause des femmes ». Mais pourtant : pendant la montée des marches à Cannes, Juliette Binoche se met à pleurer, une fois de plus. Le lendemain, la presse parle des « femmes puissantes ». Être une femme puissante, c’est pleurnicher ? C’est dire « Je suis une pauvre petite victime » ?
Je ne suis pas une bonne référence. Je n’ai jamais voulu être une victime, je me suis toujours battue… à mes risques et périls. Il y a des femmes qui m’ont subjuguée. Simone Weil, la philosophe, elle m’avait ouvert l’Iliade, la culture grecque, l’humanisme, la complexité de chaque être humain. La pianiste Maria Yudina, qui défia Staline. C’était un être humain, avant d’être une femme. Marguerite Duras, son univers, son style, sa liberté, sa passion des hommes, de leurs corps, de leurs esprits. Embrasser l’humanité, plonger dans les contradictions et les douleurs, c’est exister complètement, vivre sans retenue ; se fracasser peut-être, mais rester libre ! Les femmes que j’admire n’ont jamais mis leur sexe en avant.
Vous disiez dans une interview : « Mais est-ce que cela vous définit vraiment, homme ou femme ? […] je disais que je ne me sentais une femme que devant les hommes… Il y a les différences du corps, c’est vrai, mais, à l’intérieur, tout le monde n’a-t-il pas cette pierre dure, qui s’appelle l' »être humain », avec ses révoltes, ses idéaux, ses défauts, ses qualités ? »
Oui, j’aime la provocation. Oui, je suis une femme quand je tombe amoureuse. Mais on est tellement de femmes différentes… Je peux penser comme un homme, mais aussi comme une femme, ou un fou ou une anarchiste, ou une illuminée.
Gérard Depardieu a écrit, lui aussi : « Je suis juste un homme… mais je suis aussi une femme, qui chante, et qui chante une femme, Barbara. »
Il disait aussi : « moi, je suis une herbe ». (Fanny Ardant mime un brin d’herbe, qui oscille avec légèreté.)
Dans un film sur Fellini, Donald Sutherland parle du tournage de Casanova – et pour Fellini, le plateau n’est pas la nursery qu’on prévoit d’en faire. Il dit : « Moi mon bonheur, c’était d’être comme un morceau de chiffon entre ses mains, et de prendre toutes les formes ».
Je comprends très bien ça. Je peux me dire à moi-même, quand j’arrive sur un tournage ou au théâtre : « Faites de moi ce que vous voudrez ». Très jeune on m’a demandé si, en étant actrice, je n’avais pas peur de perdre ma personnalité. Mais moi je voudrais bien la perdre, justement !
C’est aussi ce que disait Michel Bouquet…
Mais c’est très difficile de perdre sa personnalité. C’est comme le disque dur d’un ordinateur. Une vie, c’est une forêt inextricable. Pouvoir tout d’un coup entrer dans la complexité d’un personnage, dans les circonvolutions psychologiques d’un autre… La littérature ouvre à ça. Je suis née dans une famille où il n’y avait pas de cinéma, le théâtre n’existait pas. Il y avait l’opéra, la musique, mais surtout, la littérature. J’ai commencé à lire très jeune, il y avait une immense bibliothèque. Très vite, j’ai pensé que ce qui est beau doit se partager. Se lever et dire tout haut ce qu’on lit tout bas. Je n’avais jamais pensé faire du cinéma. Pour moi c’était le théâtre. Deux pendrillons noirs, un rideau qui s’ouvre. Je suis entrée dans ce métier comme on entre dans une histoire d’amour, avec passion. Je ne crois pas à la carrière. Je ne crois pas au pouvoir, Je ne crois pas à l’argent. Je ne crois pas à la gloire. Si vous misez là-dessus, vous êtes un abruti. Vous êtes passé à côté de la vie.
La scène, les spectateurs, tout ce qui fait que ce moment existe, et ne disparaît jamais…
Voilà. Neuf fois sur dix au théâtre vous vous ennuyez. Mais quand c’est fort, c’est inoubliable. Le théâtre c’est la puissance du verbe, c’est l’alchimie entre celui qui parle et celui qui écoute. On peut avoir vu dix fois Tartufe ou La Mouette, en étant resté calme et indifférent, et puis il y a cette fois magique où vous êtes soudain bouleversée, parce que c’était cette parole-là dite par cette personne-là, dans cette mise en scène-là, dans cette disposition de votre âme. On ne peut pas l’expliquer. C’est la magie du théâtre, du vivant, de l’instant éphémère. Tant qu’il y aura de l’humain sur terre il y aura du théâtre.
Roman Polanski vous a dirigée au théâtre…
Je me souviens que Roman– on jouait Master class –, trouvait que le spectacle s’était dévoyé. Que les chanteurs voulaient trop faire rire le public. Alors après plusieurs représentations, il m’a dit : « Tiens, lis ça, et va sur la scène ». Il était six heures, on commençait à jouer à huit heures. Et là, je lis, et c’était le conseil d’Hamlet aux acteurs, dans la scène du théâtre dans le théâtre : « Renoncez au plaisir de faire rire une salle d’imbéciles pour faire sourire un homme intelligent ». C’est resté comme en lettres d’or. Il y a tellement de choses à dire sur Roman… C’est à travers lui que j’ai compris que le théâtre, c’est très pragmatique. Un metteur en scène ne t’apprend pas à penser. Il te regarde, il t’écoute et il voit ce qui ne va pas, qui empêche de grandir. C’est quelqu’un qui travaille la terre. C’est un jardinier. Et qui dit : « tu as parlé trop vite », ou bien : « ce geste n’est pas juste ». Je me rappelle – je cite toujours cet exemple : quand Maria Callas (que je jouais) entrait pour diriger sa master class, j’arrivais, ils applaudissaient,etje les arrêtais tout de suite en disant :« Pas d’applaudissements, on est là pour travailler ». J’avais ouvert les bras. « Mais non, on dirait le Christ ! Arrête-les, comme ça ! », et il m’a montré. (Fanny Ardant mime : les deux mains levées devant elles, pour faire « stop ! »). Voilà. Un geste, c’est tout.
Et dans la vie, c’est ce geste qu’on ferait…
Oui. J’aimais beaucoup travailler avec Roman parce que je me sentais protégée. Et puis j’adore les gens passionnés. Si le metteur en scène s’énerve, ce n’est pas grave. Je peux m’énerver moi aussi. Un journaliste avait critiqué le comportement de Callas dans ses master class, parce que souvent elle disait (accent grec) : « Arrêtez-vous, ce n’est pas bien du tout !» Il la trouvait trop dure. Je lui ai dit : « Vous savez ; quand on est en quête de l’absolu, on n’entend pas ça, on est guidé par une voix intérieure qui vous dit : « vas-y, vas-y ! » » J’aime l’énergie de Roman sur un plateau. Il se passionne pour tout, pour les moindres détails, il improvise, il invente, il cherche. J’aime sa conversation toujours éclectique. Je me souviens avec mélancolie des rencontres entre Georges Kiejman et Roman. Rien n’était insipide. Il y avait toujours de la passion dans leurs échanges. J’adore les caractères forts, les personnalités, sinon on ne sait plus où on est. J’aime l’affrontement, la dialectique, tout ce qui pousse à forger son opinion. Je respecte quelqu’un qui ne pense pas comme moi. Mais il doit me prouver qu’il a raison. Et ce n’est pas parce qu’on pense différemment qu’on ne peut pas être amis.
Mais aujourd’hui, on veut vous détruire sans être capable d’argumenter…
C’est le début du totalitarisme. Tu n’es pas avec moi, tu es contre moi. C’est ce que je disais à cet homme magnifique de la télévision suisse [Jérémy Seydoux, Léman bleu], à propos de ce petit livre, de Stefan Zweig sur Calvin, Conscience contre violence. Calvin voulait un retour de la pureté dans l’Église qui sombrait dans la débauche et les exactions. Il avait raison au début, mais il s’est perverti dans sa quête, et pour asseoir son pouvoir il a condamné au bûcher ceux qui s’opposaient à lui. Je me souviens aussi de La Lettre écarlate, un roman américain sur les puritains, où on stigmatise la femme adultère en la marquant de la lettre infamante.
La marque d’infamie, à jamais indélébile, imprimée par une société. Pour mettre au pas…
Il y a toujours eu des mouvements violents de répression de la liberté dans la société : l’Inquisition, Savonarole, etc…Leur puissance s’imposait par la violence. Mon seul rapport à la société est politique. J’ai toujours pensé que les groupes réduisaient l’intelligence. Ce que j’aime, dans chaque être humain, c’est sa richesse, sa différence, ses contradictions, son ombre, sa lumière. Dans un groupe, tout doit être homogène, même à l’intérieur de soi, donc on amoindrit, on rabaisse l’être humain au profit d’une idéologie. On se diminue pour obéir. Je ne me suis intéressée qu’au mouvement anarchiste, mais je n’ai jamais fait de prosélytisme. Chacun a sa voie. La littérature, le cinéma, le théâtre, la peinture ne sont pas là pour faire des êtres humains de « bons citoyens » – selon les critères coercitifs du moment –, mais pour explorer et développer l’esprit et le cœur, ouvrir des mondes, agrandir sa vision de la vie, de l’être, de l’âme. Faut-il brûler Marguerite Duras qui disait : « La littérature doit être scandaleuse » !
Les critères édictés par #MeToo aujourd’hui ?
Je n’en suis pas. C’est pour ça qu’on a tout de suite commencé la conversation sur la peur. Je n’ai pas envie de rentrer dans le rang ! Et quand Macha Méril crache sur François (Truffaut), ce n’est pas grave, parce que c’est tellement infâme que ça rejaillit sur elle. Les êtres ont leur vie, leur oeuvre parle pour eux.
Aujourd’hui, ce sont des artistes et des hommes qu’on efface sans discontinuer…
La mort sociale, c’est la pire lâcheté, parce que c’est un assassinat dénié, à l’abri d’un groupe, et enrobé de ce faux truc : la « bienveillance ». Je préfère quelqu’un qui vient avec un couteau : au moins c’est assumé. Malgré tout,je disais à Gérard : « On ne peut rien t’enlever, Gérard, tu as vécu,tu as donné, tu as reçu !Allez, une nouvelle vie commence ! ». Je sais… provocation encore… Mais j’exècre tout ça, cette volonté doucereuse d’écraser un homme.
L’essentiel, pour vous, dans la vie, dans l’art, c’est la loyauté, et la liberté ?
C’est la passion. À mes débuts d’actrice, j’ai dit à Serge Rousseau, mon agent : « Un acteur, plus son rôle est court, plus il doit être bien payé. Alors que le premier rôle doit être moins payé, parce qu’il a la joie de jouer ce rôle. » Finalement la seule richesse, c’est d’aimer ce que l’on fait par dessus tout. Aucune passion mise dans ce que l’on fait ne peut être monnayable. Et le plus grand luxe c’est de ne faire que ce que l’on aime
Ça c’est magnifique… Et que pensez-vous de cette sorte de peur de l’amour et du sexe que l’on observe aujourd’hui ?
Alors là aussi, je suis la femme à abattre, parce que je pense que c’est une des raisons de vivre la plus passionnante. J’aime les femmes libres, qui remettent leur vie en jeu par amour, qui brûlent. Même si elles perdent, elles restent des reines. C’est pour ça que j’aime tellement les Grecs, et ce livre sur l’Iliade, Le poème de la force. Les héros grecs sont toujours un mélange d’ombre et de lumière, d’un côté, tueurs sans regret, et tout d’un coup une autre fulgurance, la main tendue, la compassion. J’aime Caravaggio : celui qui croyait en Dieu et celui qui le bafouait. J’aime Pasolini et ses éclats de génie qui, déjà, dérangeaient tellement la pensée unique des groupes politiques les plus divers.
Dans Les Dieux ont soif, il y a une phrase ironique, au sujet de Robespierre : sa « sagesse » fera « du bourreau un jardinier qui ne tranchera plus que les têtes des choux et des laitues », et prépare « les voies de la clémence en exterminant les conspirateurs et les traîtres », afin qu’on puisse « être indulgent sans crime ».
Et pour éviter d’avoir la tête tranchée :peur, soumission,délation … l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement de collaboration, d’épuration, de dénonciations … « La course n’a pas de fin… »
Revenons à Polanski. Et à ce film, The Palace, que tout le monde a peur de programmer, et sur lequel on crache.
Ce que j’aime,dans ce film, c’est l’insolence. Et puis en quelques traits – les personnages, les situations – tout est dit sur l’absurdité de notre monde, sa cruauté, sur la bêtise qu’apporte l’accumulation et le pouvoir de l’argent. J’imaginais Roman, avec son copain polonais Skolimovski, quand ils écrivaient… L’impertinence du dernier plan ! Cette force et cette énergie sacrée de l’adolescence et de l’enfance toujours là, de choisir de rire plutôt que de sermonner. … Vous vous rappelez, Hara-Kiri, pour qui on pouvait se moquer de tout ? C’est ça ! En désespoir de cause, rire.Si on veut enlever ça, eh bien, c’est une société dictatoriale sans pensée consistante, dans laquelle on regardera ce que tu dis, on regardera qui tu défends… et tu seras rayé.
L’insolence, la puissance créatrice : ce n’est pas pour rien que Polanski a interprété Mozart sur scène. Il y a une telle parenté…
Il a cette légèreté, cette intelligence et cette grande sensibilité… Roman s’intéresse à tellement de choses… On peut lui parler de tout, d’idées bizarres, de choses très concrètes. Il vous fait découvrir des auteurs, il argumente, il se passionne, il est vivant. VIVANT ! Et j’aime son histoire d’amour magnifique avec Emmanuelle.
Dans un documentaire sur Pirates, il explique comment il dirige les gens. Il fait tous les rôles. À un moment ildit : « Je suis comme un chef d’orchestre qui dit au violon : « un peu plus comme ça ». Et il mime même le violon. Une infinie plasticité…
J’ai un croquis d’une femme qui venait dessiner pendant les répétitions, et on le voit. Il est là. Il fait tout. Un exemple : je portais un costume de chez Armani, et comme l’émotion fait transpirer, on l’envoyait chez le teinturier. La personne revenait en disant que le teinturier ne pouvait pas enlever les auréoles blanches. Et Roman : « Mais ça se frotte, c’est du sel ». Il est pragmatique : sur l’éclairage, sur ci, sur ça, sur ce détail, sur cette intonation. L’homme-orchestre, oui. Et comme il est acteur, il sent à l’intérieur de lui comment on peut parler à un acteur.
N’êtes-vous pas frappée par autre chose encore : sa profonde connaissance des êtres humains ? L’état mental de Carol dans Répulsion par exemple, quelle exactitude ! Comme Tolstoï dans Anna Karénine, la scène dans la calèche, avec tout ce qui la traverse avant son suicide. Savoir tout ça, avec autant de justesse…
Ça, ce sont les grands humanistes. Ceux qui ont connu des choses très diverses. Quand je pense à l’arc de la vie de Roman, je connais très peu d’hommes qui ont vécu tout ça. Il a traversé tant de choses. On ne sait rien de ça, parce qu’il est très pudique. Il a beaucoup lu, il a beaucoup vu, et pour moi, c’est ça l’humanisme… Les souffrances, mais les souffrances qui ont ouvert le spectre, sans rendre amer. Toutes les choses qui lui sont arrivées, ça ne l’a pas amoindri.
Fanny Ardant dans La Blessure et la soif de Laurence Plazenet (mise en scène de Catherine Schaub), au Studio Marigny à Paris, 15 avril 2024. Émilie Brouchon
Comment est-il sur un tournage ?
Il a une activité incessante, il voit tout : et l’ingénieur du son, et le truc, et le machin, et le sac, et le chien et son os… Et puis il improvise ! Ce que j’aime, c’est qu’il parle à l’acteur comme à quelqu’un de souple. Il lui accorde ce crédit. Dans l’histoire du monde tout a été fait. Tout a été dit. Tout a été montré. Mais ce sont les détails qui comptent et qui sont intéressants et qui font un vrai metteur en scène. Et comme acteur, vous vous dites : « Je vais entrer dans ce détail ». C’est excitant. Ce que je privilégie, c’est l’intensité du moment… cet instant qui ne reviendra jamais plus.
La passion du moment, c’est une belle définition de la vie…
Et l’imagination, les contrastes. Je me rappelle dans Vivement Dimanche, les rapports entre Nestor Almendros, très poétique, rêveur, et François Truffaut, pragmatique, rieur et inquiet. J’aimais beaucoup ça. François a imaginé Vivement dimanche à cause d’une scène qu’on avait tournée avec Gérard dans La Femme d’à côté, où il me voyait passer en ombre. Il s’est dit : « Elle serait bien, en héroïne de roman noir ». L’imagination est un fleuve et une terre. Les metteurs en scène sont comme les chiens dans les forêts, qui vagabondent, hument et cherchent. Je me souviens du tournage de Vivement Dimanche comme d’un verre de champagne que l’on brandit à la Vie à l’Amour et au Cinéma.
Oui, il y a une légèreté, un rythme…
Il était très admiratif de The big sleep, un film de John Huston où on ne comprend pas tout mais où on est captivé. On se souvient toujours de quelque chose dont on a subi le charme sans tout comprendre.
Vous aimez les tournages…
OUI, beaucoup.C’est un privilège de faire un film, comme d’être invitée à une fête. Je ne sais pas dire comment a tourné un tel ou un tel. Je ne suis pas une théoricienne du cinéma. Le seul point commun, pour moi, des grands metteurs en scène, c’est la passion qu’ils mettent à faire leur film, ils savent très bien que c’est une grâce d’être là, qu’il y a un début, un milieu, une fin, et qu’il ne faut pas gâcher un seul moment. Ils savent qu’il faut remettre sans arrêt ses billes en jeu, car rien n’est jamais acquis. J’aime ça. Il ne faut pas faire ce métier par stratégie car on ne sait jamais quand arrive la pluie.
Vous avez dit au sujet de la pièce de Laurence Plazenet (que vous jouez à Marigny): « Un chant d’amour, c’est le meilleur rempart contre toute cette nouvelle société ».
Oui. L’amour sauve de tout.
Mais si on a peur d’aimer ?
Peut-être que la vengeance prend la part que l’amour laisse libre ?
Vous parlez d’un chant, car ce texte est très beau…
Je me suis sauvée des chagrins d’amour, ou de la solitude des chambres d’hôtel par la littérature. Les livres… Est-ce qu’un jour je n’aurai plus la passion des livres ? Vous pensez que ça s’en va ? NON !
Plus on lit plus on a envie de lire…
Oui ! Et puis cette frénésie quand on arrive dans une librairie, les quatrièmes de couverture… Tous les livres que j’aime, j’en parle sans arrêt. J’aime passionnément Eugène Onéguine, de Pouchkine, traduit par André Marcowicz, qui est un génie. Il remet les octosyllabes en français avec les rimes, c’est un travail de fou ! Qu’au 21e siècle, il y ait encore quelqu’un qui peut rester devant son bureau pour faire ça, alors le monde est sauvé ! Ma première découverte de Proust : c’était dans cette maison, au milieu de la forêt, avec une bibliothèque de fou. La nuit, j’étais dans mon lit, et mon frère dans sa chambre, porte ouverte, lisait Proust tout haut. Je devais avoir treize ans, je ne comprenais rien. Alors, à quinze ans, je me suis mise à le lire. Si je ferme mes yeux, À la recherche du temps perdu, c’est trois mois de grandes vacances, et de l’avoir d’abord entendu dans le noir, lu par quelqu’un que j’aimais. Et ne trouvez-vous pas, quand vous avez fini de lire Proust, que cet homme a écrit pour vous ?
Il le dit lui-même : « Car ils ne seraient pas, selon moi, mes lecteurs, mais les propres lecteurs d’eux-mêmes, mon livre n’étant qu’une sorte de ces verres grossissants comme ceux que tendait à un acheteur l’opticien de Combray ; mon livre grâce auquel je leur fournirais le moyen de lire en eux-mêmes. »
«Rage ritual»: derrière la thérapie féministe loufoque qui amuse les réseaux sociaux, un petit business fort lucratif…
En ce moment, sur TikTok, une vidéo remporte un certain succès : on y voit, dans une forêt, des femmes déchaînées frappant rageusement le sol avec des bouts de bois en poussant des hurlements. Cette vidéo promotionnelle a été postée par la « coach d’évolution personnelle » Mia Banducci alias Mia Magik. Cette autoproclamée « fée marraine spirituelle » organise en effet de réjouissantes « retraites » pastorales durant lesquelles ses « sœurs » peuvent « libérer leur colère » contre le patriarcat grâce à un… « rituel de rage ». Le déroulement de ce rituel, explique Mia Magik, est simple : les participantes rassemblent des bouts de bois en pensant aux personnes qui les ont contrariées ou blessées d’une manière ou d’une autre – naturellement, ces tourmenteurs sont essentiellement des hommes. Après une légère séance d’échauffement des bras et quelques vocalises, les filles se lâchent : danses de Saint-Guy et vociférations rythment la pulvérisation des bouts de bois sur le sol. Épuisée, chacune communie ensuite avec la nature en enlaçant un arbre ou sa voisine en sueur. Mia Magik montre l’exemple et participe activement à chacun de ces rituels qu’elle facture 220 dollars par tête de pipe. À ce tarif-là, la « prêtresse énergétique » Jessica Ricchetti ne veut pas être en reste : le 7 juin prochain, elle organise en Caroline du Nord un « rituel de Rage sacrée » lors d’une « retraite alchimique pour femmes » où il est prévu, après une prometteuse « cérémonie du Feu de la Femme sauvage », d’enseigner aussi bien « la Beauté de la Rage » que « la Sagesse de l’Ombre ». Programme chatoyant. En juillet, les Canadiennes auront droit elles aussi à leur « Cérémonie de la rage sacrée » mystico-primitive grâce à Secret Sanctuary, un « espace communautaire » situé en Alberta et proposant moyennant finances des « services de bien-être » – équilibrage des chakras, coaching spirituel, massage chamanique, etc. – ainsi que, ô progrès indiscutable, un hébergement spartiate avec des « toilettes à compost ». Et dire qu’il y a encore des ronchons atrabilaires pour penser que l’Occident décline.
L’examen du texte sur la fin de vie se déroule en ce moment à l’Assemblée nationale. Mais le militantisme de députés de gauche et de la majorité, très engagés sur cette question, a conduit à faire sauter nombre de garde-fous du texte. Analyse.
Le projet de loi sur la « fin de vie », en discussion jusqu’au 7 juin, est devenu une des lois les plus permissives au monde, alors même que des dérives importantes de ce droit à l’euthanasie sont dénoncées et que les problèmes rencontrés sont réels : l’exemple canadien a montré que l’euthanasie avait tendance à se substituer aux soins palliatifs. Plus le recours à celle-ci se développe, plus la qualité des soins de fin de vie se dégrade. Mais ces réalités-là sont niées au nom du libre choix de sa fin. Les députés ont ainsi supprimé le fait que le pronostic vital soit engagé à court ou moyen terme, ont fait sauter le verrou du discernement du patient, ont créé un délit d’entrave au suicide assisté.
La protection du patient, de ses proches ou du soignant, a été écartée d’un revers de main, comme si pouvoir tuer ou se tuer était devenu la dernière liberté à conquérir. Alors l’euthanasie, dernière frontière à conquérir ou vrai recul humaniste à dérive eugéniste ? Dernier acte de volonté ou dérive liée au fait que les sociétés pensent que la vie d’un handicapé ou d’un malade ne vaut rien et pèse sur les ressources de la collectivité ? Un chiffre à méditer : au Canada, ils sont désormais 27% à penser que les gens devraient avoir accès à l’euthanasie pour des raisons de pauvreté et 50% pour le handicap. Et les chiffres sont encore plus élevés chez les jeunes. Bienvenue dans le monde réel.
Ce devait être la loi consensuelle de ce quinquennat. Celle qui devait illustrer le fait que le « et de droite et de gauche » qui fit le succès d’Emmanuel Macron en 2017 n’était pas qu’une arnaque fumeuse bien vendue mais correspondait à quelque chose de concret. Elle devait montrer que la nation s’exprime au-delà des clivages politiques quand on touche à l’essentiel. La loi sur la fin de vie était vue comme l’occasion de trier le bon grain progressiste de l’ivraie identitaire et traditionnaliste. Hélas ce n’est pas ce qui est en train de se passer. Et c’était prévisible.
Une question trop sensible pour être traitée avec dogmatisme
La question de la fin de vie, donc de la mort, du fait de la donner ou de la recevoir, est une question bien trop sensible, intime et délicate pour être traitée avec dogmatisme et idéologie. Tout critiquable qu’il ait pu être, l’ancien monde politique connaissait l’existence de limites anthropologiques et ne les approchait que la main tremblante. Mais les amateurs du camp présidentiel et les exaltés irresponsables d’une certaine gauche, faute d’avoir encore de grandes utopies et même de petites, se sont rués sur « l’aide à mourir » comme si c’était la dernière frontière du progrès. Ils en ont fait l’occasion d’exhiber leur vertu et leur absence de tabous et ont refusé d’entendre toutes les sonnettes d’alarme tirées par le corps médical, le comité d’éthique, les représentants des cultes ou tout simplement les avertissements des humanistes.
Comme si, incapables d’envisager une possibilité d’amélioration individuelle et collective de la condition humaine, une partie des politiques avait décidé de faire du suicide assisté la dernière frontière de démonstration de leur puissance. D’où l’étonnante passion de nombre de députés de la majorité et de la gauche pour que tuer un patient ou l’aider à se suicider soit vu comme la liberté ultime. Ils ignorent ainsi délibérément ce que les acteurs des soins palliatifs savent : rares sont les malades qui veulent vraiment mourir ; ce qu’ils souhaitent c’est ne pas mourir dans la souffrance, la détresse, l’abandon. Ils ne désirent pas qu’on les tue, mais qu’on ne les abandonne pas et qu’on soulage la douleur. Les situations nécessitant un suicide assisté, comme la maladie de Charcot, sont rares. La restrictivité des critères était donc la solution parfaitement adaptée pour que le modèle de fin de vie reste humaniste, donc fondé sur l’accompagnement et non l’élimination.
Soins palliatifs coûteux versus euthanasie économique
Souvent, les soins palliatifs apportent une réponse adaptée et la prise en charge des patients élimine en grande partie les demandes d’aide à mourir. Mais ceux-ci sont coûteux, réclament beaucoup de personnels et n’existent pas dans nombre de départements. Ils sont mêmes attaqués au sein de l’hôpital, où l’on se sert souvent dans leur personnel pour combler les manques et boucher les trous. Au quotidien, le modèle commence à être détricoté au nom des nécessités des autres services et à moins de chefs de service puissants, l’idéal d’accompagnement qu’il incarne est mis à mal par les obsessions budgétaires. L’euthanasie, elle, est très économique et épargne l’investissement dans des soins et des médicaments très lourds financièrement. Comme ce qui coûte le plus cher à la Sécurité sociale, ce sont les dernières années de la vie, ouvrir largement l’aide à mourir est une source d’économie. Surtout si l’aide à mourir fait de l’euthanasie un droit, alors que l’accès garanti aux soins palliatifs n’en est pas un. La loi sur la fin de vie mettrait ainsi symboliquement le fait de donner la mort au-dessus des soins indispensables pour prolonger la vie et accompagner la fin. Les soins palliatifs ne sont pas en effet un droit et même pas une possibilité ouverte à tous.
L’aide à mourir, une démarche purement humaniste ?
« Comment osez-vous parler ainsi ! », voilà ce que me répondraient les défenseurs de la loi sur l’aide à mourir, choqués de voir caricaturer en démarche cynique ce qu’ils voient comme une frontière humaniste et le respect de la volonté de la personne. Je les renvoie à la statistique canadienne qui montre à quel point cette façon purement utilitariste de considérer l’existence amène à porter un jugement violent sur certaines vies qui ne vaudraient pas la peine d’être vécues. Autre point très gênant, le flou concernant les conditions de l’expression de la volonté du patient ou la référence à des directives anticipées. Ici on peut craindre les abus de faiblesse, la famille n’étant pas toujours exempte de violence et de toxicité, des troubles cognitifs peuvent par ailleurs amener à des décisions non éclairées… Et surtout, pour qui a accompagné des personnes en fin de vie, c’est fou la différence entre le discours tenu vis-à-vis de la mort et de la maladie par une personne valide et par la même personne quand elle y est confrontée. Enfin c’est aussi oublier l’épuisement et les perturbations que provoque cet accompagnement pour l’aidant, les réactions ambivalentes que cela implique, la déstabilisation que cela provoque. Il faut pouvoir dire cette envie de fuir que l’on a parfois quand il faut pousser la porte de celui ou celle qui part à petit feu. Il faut pouvoir dire cet investissement dans le matériel et le soin parce que parler devient compliqué, plein de non-dits ou trop plein d’attentes. Bref ne pas prévoir de contrôle et de garde-fous préalables alors que l’on parle de donner la mort à quelqu’un est profondément choquant et irresponsable.
Pourtant je suis sensible à l’idée que quelqu’un dont le pronostic vital est engagé à court et moyen terme et dont les souffrances sont intolérables puisse choisir d’en finir. Mais ces situations doivent être très encadrées. La priorité est avant tout le développement des soins palliatifs et le respect de leur modèle d’accompagnement. Est-on vraiment un humaniste quand on refuse de regarder en face ce que le fait de supprimer certains garde-fous a produit au Canada ou en Belgique ? Pays où la loi est malgré tout plus restrictive que le texte proposé au vote du Parlement français.
Des députés de la majorité et de la gauche choqués par l’évolution du texte de loi
C’est en ce sens que se sont exprimés des députés qu’on ne peut soupçonner d’être d’abominables réactionnaires ou des adorateurs de soutanes. C’est le cas d’Astrid Panosyan, députée Renaissance qui explique dans un entretien au Figaro qu’ «il est rare que des malades disent « je veux mourir ». La plupart d’entre eux envoient le message : « je ne veux pas vivre ainsi » ». La députée sait de quoi elle parle car elle a été confrontée à cette situation en accompagnant son mari, Laurent Bouvet, intellectuel atteint par la maladie de Charcot. Dans ce cas particulier la sédation profonde et continue jusqu’au décès, prévue par la loi Leonetti n’était pas possible. Mais celle-ci ne fait pas de son ressenti ni de son expérience, un dogme inattaquable. Outre le fait qu’elle rappelle qu’ « une expérience personnelle ne vaut pas vérité universelle », elle explique aussi qu’il y a une tension entre le respect de la liberté de vouloir mettre fin à ses douleurs et celui de la fraternité qui consiste à ne jamais laisser une personne se sentir de trop. Dans le cas de la maladie de Charcot, où le malade se retrouve enfermé dans son propre corps, fauteuils adaptés et ordinateurs à commande oculaire sont extrêmement chers par exemple. Or ils sont déterminants pour permettre le lien, la communication et donc une vie qui ait du sens, qui permet la communication avec l’autre. Cela explique pourquoi les difficultés financières sont invoquées pour justifier la demande d’aide à mourir, l’Oregon est sur ce point un exemple parlant1.
Pierre Dharréville, député communiste, est lui aussi très inquiet des changements que la commission a apportés au texte d’origine. Dans son intervention à l’Assemblée nationale, cet homme de gauche explique le vertige qui l’a saisi alors que selon lui une barrière éthique a été renversée, celle qui consiste à confondre « soulager les souffrances » et « abréger la vie ». Il rappelle aussi que souvent la demande de mort est un appel à l’aide. Pour lui cette loi pose insidieusement la question « ne crois-tu pas qu’il est temps de partir ? » et il met le doigt sur un problème que nient ou minimisent les promoteurs de la loi fin de vie remaniée : « Demain, pour combien d’entre nous sera-t-il plus rapide, nettement plus rapide, d’avoir accès à un produit létal qu’à un centre antidouleurs ? Les soins palliatifs et l’assistance au suicide ne sont pas complémentaires mais contradictoires. » Et il évoque la nouvelle norme sociale que porte le texte, celle qui consiste à estimer que certaines vies n’en valent pas la peine.
On devrait plus écouter ces avertissements. Nous allons vers un monde où nos protections sociales vont diminuer. D’ores et déjà, nous sommes confrontés à des pénuries de médicaments, à des déserts médicaux, à la grande misère des hôpitaux, à une baisse des chances pour les patients, à des baisses de remboursements, à l’absence de soins palliatifs dans 21 départements… Avec l’aide à mourir, on crée une réponse économique à la question de la fin de vie que l’on peut emballer dans un discours de compassion, de respect de la liberté du patient et de reconnaissance de la volonté individuelle. L’irresponsabilité et le cynisme érigés en respect de l’autre. Il est probable que bien des partisans de la nouvelle mouture du projet de loi, telle qu’elle est sortie de la commission et de l’examen à l’Assemblée nationale, ne sont pas conscients des implications de leur vote. Mais est-ce une excuse ? Il se trouve que ceux qui occupent ce type de poste ne sont jamais comptables de leurs erreurs, ne les reconnaissent jamais et ne songent jamais à les réparer.
Comment les excuser, alors qu’ils ont sous leurs yeux le résultat des dérives constatées en Belgique comme au Canada et qu’ils n’en tirent aucune conséquence. Quant à cette gauche, qui ne se bat plus pour améliorer les conditions de vie et de travail des Français, la voir présenter la mort comme un droit à conquérir est surréaliste et navrant.
Catherine Vautrin, ministre de la Santé a d’ailleurs déclaré, suite à la Commission spéciale chargée de l’examen de la loi fin de vie : « En moins de cinq jours, ils ont davantage élargi l’accès à la mort provoquée que ne l’ont fait les deux pays les plus permissifs sur l’aide à mourir, la Belgique en 22 ans et le Canada en huit ans ». L’examen en séance n’a pas arrangé les choses. Or, on ne touche pas impunément à certaines frontières sans que cela n’atteigne notre rapport à l’humanité et à notre propre humanité. La loi sur la fin de vie, telle qu’elle a été retouchée par les députés, est en l’état très inquiétante et prépare une société dans laquelle toutes les dérives sont possibles. Si le Sénat peut y apporter un peu de sagesse, l’effort sera reconnu, mais c’est l’Assemblée qui a le dernier mot en la matière et dans l’ambiance de monôme permanent que sont devenues les séances, on ne peut guère attendre de miracle.
Le choix fait par nos députés sur un sujet aussi complexe et intime est d’autant plus inquiétant qu’une loi bien plus stricte et encadrée, portant sur des situations précises et mettant en place des conditions restreintes, aurait été massivement soutenue. Hélas trop de nos députés n’ont pas peur d’être des amateurs, au point d’en devenir des démolisseurs.
Que Marion Maréchal me pardonne, mais son plaidoyer pour les « mamans courage », paru dans Le Figaro le jour de la fête des Mères m’a passablement agacée. D’abord, une lectrice sourcilleuse de Renaud Camus devrait savoir que le mot « maman » est réservé à l’usage privé et (dans la majorité des cas) à une seule personne. Et puis, cette peinture de mères toutes aimantes et vertueuses, c’est du Walt Disney. « La gauche n’aime pas la famille », affirme Mathieu Bock-Côté. Ce n’est pas vrai. L’idéalisation un peu nunuche de la famille n’est pas l’apanage de la droite, ni des hétéros et autres cisgenres. Porteuses de jupes plissées, hommes à cheveux bleus, chanteuses à barbe et sexuellement indécis : tout le monde veut les enfants, le chien et Darty le samedi après-midi. Les innombrables thuriféraires de la famille heureuse n’ont jamais dû lire un roman, ni voir un film de Bergman.
Cependant, ce n’est pas parce que la famille peut être un lieu d’enfermement et de négativité qu’elle n’est pas une médiation indispensable entre l’individu et les communautés humaines. En plus d’être une source d’amour et de névrose, le foyer est le premier échelon administratif, ce n’est pas rien.
Pour Sonia Devillers, l’impayable intervieweuse de France Inter, championne de la bondieuserie progressiste (elle a connu l’extase en accouchant Godrèche), toutes les familles ne se valent pas. Recevant, temps de parole oblige, la tête de liste Reconquête !, elle répète à plusieurs reprises, avec un ton d’institutrice indignée « vous défendez la famille française, et la famille chrétienne ! », sans qu’on sache très bien ce qui, de française ou chrétienne, est le plus infamant. « Pétainiste ! » lâche finalement notre femme savante. « Au moins je sais pourquoi je veux privatiser l’audiovisuel public », réplique Maréchal. Et toc.
Marion Maréchal a raison de s’inquiéter de la catastrophe démographique qui vient. Donc de prôner des mesures natalistes. Et elle a le droit de préférer le modèle papa-maman-la bonne-et-moi[1], même si ça débecte Madame Devillers qui aimerait bien lui coller un procès.
« L’envie du Pénal »[2] de la vertueuse francintérienne trouve un terrain plus favorable, la transidentité, qu’un lobby hargneux et procédurier veut imposer comme une norme parmi d’autres. Après le prix décerné à Cannes à Karla Sofia Gascón, actrice espagnole transgenre, Maréchal a écrit : « C’est donc un homme qui reçoit le prix d’interprétation… féminine. » Six associations portent plaintepour « injure transphobe », tandis que la principale intéressée teste le colifichet pénal inventé par Marlène Schiappa, le délit d’outrage sexiste. On ne voit pas le rapport entre le propos de Maréchal et une femme qui se fait siffler dans la rue, mais passons. « La transphobie n’est pas une opinion, c’est un délit ! » braille Devillers, certaine d’avoir la loi avec elle.
Si elle a raison, si le commentaire de Marion Maréchal (appelé « mégenrage » en jargon LGBT) est hors-la-loi, il y a le feu au lac des libertés. Certes, Karla Sofia Gascón a obtenu en justice un état-civil de femme et le droit d’être reconnue comme telle. On comprend qu’elle soit blessée quand Maréchal affirme qu’un homme reste un homme. Ça ne fait pas de ce propos une injure. Le scepticisme est un droit. Quel est le poids de la génétique ? Jusqu’à quel point peut-on changer ce qu’on est ? Tout cela devrait être matière à débat et controverses, pas à un festival d’interdits. On peut aussi penser à mi-chemin, comme cette trans magnifique qui m’a dit un jour « je sais que je ne suis pas complètement une femme ». La loi n’est pas là pour panser les blessures narcissiques. Interdire toute distinction entre femmes trans et femmes de naissance revient par ailleurs à instaurer une parfaite égalité, notamment dans le sport, et une totale promiscuité dans les vestiaires. Même Sonia Devillers peut comprendre que c’est problématique.
Plus grave que ces frottements de la vie concrète, il y a la censure drapée dans la bienveillance inclusive. Il n’est plus question seulement de traquer la pensée ou la parole, mais d’une police du réel, dûment partagé entre licite et illicite. Si la justice cède, il sera interdit demain d’affirmer qu’il y a des hommes et des femmes ou d’observer la surreprésentation des étrangers dans la délinquance de voie publique, et après-demain, comme dans 1984, de dire que deux et deux font quatre. On répète à satiété la formule de Péguy : « Il faut voir ce que l’on voit. » Alors, profitons-en tant que c’est légal.
[1] Personnellement, tant qu’on ne ment pas sur la fabrication des enfants (donc sur la filiation), je suis plus libérale que Marion Maréchal quant aux conditions de leur élevage. Des homosexuels et des lesbiennes peuvent être des parents aussi toxiques qu’un couple à l’ancienne.
[2] Dont Philippe Muray avait compris qu’elle est l’affect dominant de l’époque.
« Philippe-Auguste à Bouvines », illustration publiée dans le supplément illustré du Petit Journal (détail), 26 juillet 1914. DR.
On doit à Gaël Nofri, essayiste et adjoint au maire de la ville de Nice, plusieurs ouvrages consacrés à l’histoire de France. Dans son nouveau livre, il estime que la bataille de Bouvines (1214) est un point majeur dans la construction de notre pays car elle affirme sa souveraineté. Il rappelle que « vassal d’aucun », qui est la devise de la souveraineté, peut aussi être la définition de la liberté.
Causeur. La bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214, est selon vous un point de départ essentiel de la construction de la France. Pour quelles raisons ?
Gaël Nofri. Bouvines est un mouvement important de cristallisation d’un certain nombre de choses et de ce que deviendra la nation française. En effet, c’est avec cette bataille que la prétention des premiers capétiens à être pleinement souverains – d’abord rois des Francs – va trouver matière à s’incarner, et en même temps, s’affirmer. C’est pourquoi je parle de « confirmation de la souveraineté ». Les premiers capétiens ont la prétention de ne pas être des seigneurs parmi d’autres et veulent se dégager de l’emprise des empereurs romains germaniques. À Bouvines, cette prétention capétienne se trouve confirmée sur le champ de bataille, face aux barons à combattre et face à l’empereur du Saint-Empire romain déjà en difficulté.
Gaël Nofri. DR.
Vous parlez de « confirmation de la souveraineté » française, mais ne s’agit-il pas plutôt de sa « fondation » ?
C’est la fondation, mais il y a aussi un aspect de confirmation : celle d’une prétention. Les premiers rois capétiens, réduits à un petit domaine royal, n’avaient que peu de manœuvre réelle mais avaient déjà la volonté de n’être vassal d’aucun. L’action de Philippe Auguste, qui se trouve consacrée à la bataille de Bouvines, confirme et donne matière à cette prétention à la souveraineté. C’est vraiment une confirmation de ce qu’est la monarchie française dès les premiers capétiens, c’est-à-dire autre chose qu’un seigneur élu par les seigneurs, même si l’élection demeure. Il y a cette onction d’origine divine que confère le sacre, il y a une dimension sacerdotale, mais qui, pour les premiers capétiens, n’a pas de fondement pratique, exécutoire, de capacité. Les premiers capétiens ont beaucoup de difficultés à s’imposer, d’ailleurs ils ne cherchent pas à le faire en dehors du domaine royal car ils n’en ont ni la capacité ni la prétention. Avec Philippe Auguste, les choses changent. Quand il accède à la couronne, cette définition de la souveraineté – vassal d’aucun – existe déjà, elle est en gestation, mais c’est avec Bouvines qu’elle va pouvoir s’appuyer sur une maîtrise réelle de l’espace et sur une capacité de mobilisation des hommes et de levée d’un impôt. Ainsi commence à s’exercer la souveraineté.
Rien ne se fait en une génération. Et les héritiers vont devoir consolider cette « confirmation de la souveraineté ».
Bien sûr. Tout travail de cet acabit s’étale sur le temps long, sur des générations, c’est un travail lent et patient. C’est un travail permanent. On verra par la suite que le moindre renoncement de volonté entraînera des conséquences parfois tragiques. Ainsi, pendant la guerre de Cent Ans, on aura le Traité de Troyes (qui fait de Henri V d’Angleterre l’héritier de Charles VI de France). En réalité, tout est lent, mais rien n’est jamais définitif.
Rappeler aujourd’hui cette conquête de la souveraineté ne paraît pas anodin. Est-ce qu’il y aurait une arrière-pensée quelconque derrière ce rappel historique ?
Oui, il y a plusieurs arrière-pensées ! D’abord, c’est un essai. C’est une mise en perspective, c’est une lecture. Ensuite, cette lecture vise à rappeler que les choses ont un sens, que ce qui est n’a pas toujours été mais est le fruit d’efforts, de persévérance, et le fruit aussi d’une lecture des choses qui est différente. La lecture des faits et de l’Histoire qui sera faite par la France au lendemain de Bouvines donnera une monarchie différente de la monarchie anglaise ; qui du fait de Bouvines suivra une autre voie. La souveraineté est un bien que nous avons reçu en partage, et dont nous ne sommes que les dépositaires. Ce fut un combat qui est aujourd’hui synonyme de liberté car la première définition de la souveraineté, c’est de n’être vassal d’aucun. On parle beaucoup de liberté, donc il est important de rappeler cette définition.
À quelques jours des élections européennes, cela prend une dimension particulière.
Oui, mais c’est davantage pertinent dans le temps long, qu’il s’agisse de l’UE, de la mondialisation économique et financière, industrielle, alimentaire… surtout à une époque où l’on parle de corps électoral fermé dans certains territoires, ou de statut d’autonomie inscrit dans la Constitution. Rappeler ce qu’est la souveraineté, la France, d’où elle vient, quels sont les combats qui ont mené à cette construction particulière, de la nation, de son organisation, de son territoire, de son histoire, est fondamental. La conception des notions qui font notre citoyenneté est déterminée par ceux dont nous sommes les héritiers.
Vous nous dites finalement que la fin de l’Histoire n’a pas eu lieu. Est-ce qu’en faisant ce constat, vous présagez que les guerres ne peuvent que continuer à l’avenir ?
Non, ce serait très pessimiste. Ce que cela signifie, c’est que les hommes restent des hommes, et penser un monde dans lequel on déclarerait la guerre illégale est totalement illusoire. La réalité, c’est qu’on avait prévu la fin de la guerre, l’avènement de la démocratie mondialisée, la fin des épidémies, le progrès, un monde de consommation où la béatitude ferait que l’individu consommateur règnerait partout. On se rend compte que ce monde n’existe pas et que personne n’en veut. Les hommes sont d’abord des citoyens, situés dans ce qu’ils sont, et les guerres, les famines, les tensions entre États, les enjeux de territoires et de puissance continuent d’exister. Ceux qui veulent croire qu’ils ont disparu seront peut-être les victimes de ceux qui ont compris que les choses resteront ce qu’elles sont. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas tendre à la recherche de la paix et à la défense de la démocratie ; cela veut dire que tout en les cherchant, il faut se donner les moyens de se prévenir de choses qui peuvent advenir. Il y aura toujours des puissances qui auront des volontés hégémoniques, des voisins plus ou moins belliqueux, et même en France, des gens pour nous expliquer qu’il y a mieux à faire que la nation.
La souveraineté est-elle une réalité et une vision ?
C’est un combat permanent. Ceux qui décident de renoncer acceptent la vassalité.
Est-ce que l’UE telle qu’elle se dessine actuellement n’est pas la programmation de la fin de la nation française, comme celle des autres nations européennes ?
L’UE n’est rien d’autre que ce qu’on veut en faire. Est-ce qu’on travaille à une UE qui soit une union de nations souveraines, lesquelles trouvent en cette mise en commun les moyens de renforcer leur souveraineté dans la coopération, dans une marche commune qui leur permet d’affronter les enjeux du monde ? Ou est-ce un prétexte au renoncement ? Si c’est ce dernier cas, elle ne sera jamais au niveau qui convient ; on dira toujours que l’UE est petite, et alors c’est une marche vers la mondialisation. Si, au contraire, on se dit que le XXe siècle a été dévastateur pour l’Europe en matière de conflits et en termes de puissance, alors il faut travailler ensemble, et créer des outils qui nous permettent de renforcer notre souveraineté, mais on ne peut pas être souverain à moitié : soit on est souverain, soit on ne l’est pas. La coopération, oui ; le fédéralisme, non.
À lire : Gaël Nofri, Bouvines. La confirmation de la souveraineté, Passés/Composés, 2024.
Guillaume Peltier tenait le 5 juin à Saint-Malo une réunion publique devant une centaine de militants « Reconquête ». Si cet événement de la « droite forte » a été boudé par Ouest-France et Le Pays Malouin, nous avons pu recueillir les propos du numéro 2 de la liste de Marion Maréchal.
Causeur. La liste de Marion Maréchal est aujourd’hui donnée par les sondeurs autour de 5 ou 6%. La situation du parti fait penser à ces équipes sportives qui jouent leur maintien en première division à un ou deux points près… Aujourd’hui, dans quel état d’esprit êtes-vous ? Est-ce que la peur du fiasco est là ?
Guillaume Peltier. Ça fait 25 ans que je suis engagé en politique, et s’il y a bien une règle éternelle, c’est que les suffrages comptent plus que les sondages ; et le nombre de journalistes – souvent de gauche d’ailleurs – qui se sont totalement plantés en pensant remplacer le peuple, je les invite à faire preuve d’humilité.
Pour le reste, s’il y a des sondages à 5, d’autres nous donnent déjà à 8%. Je dis donc aux Français : dimanche soir, il sera trop tard. Vous avez l’occasion historique d’envoyer Marion Maréchal et des élus qui peuvent faire basculer l’Europe à droite, battre Ursula von der Leyen, supprimer les financements pour les associations islamistes et LGBT. Il ne faudra pas venir se plaindre le lundi 10 juin au matin si ça n’est pas le cas. Depuis des mois, jour et nuit, sept jours sur sept, nous sillonnons la France pour éclairer nos compatriotes et leur proposer ce chemin. C’est à eux de choisir désormais.
Guillaume Peltier à Saint-Malo, 5 juin 2024.
Durant votre campagne, deux personnalités se sont détachées : Marion Maréchal, que l’on connait depuis un petit moment, mais aussi Sarah Knafo. Pourtant numéro 2 de la liste, n’avez-vous pas été un peu dans l’ombre ?
Nous sommes très heureux de pouvoir additionner plein de talents ; c’est toute la force de Reconquête ! Avec Marion Maréchal, nous avons l’une des femmes politiques les plus connues et les plus populaires de France, qui n’a jamais trahi ses convictions, qui incarne la droiture, le sérieux, la force ; et c’est une immense chance. Nicolas Bay, qui est sans doute le député français au Parlement européen le plus assidu et le plus compétent, nous a permis de bâtir le groupe des conservateurs, avec Giorgia Meloni et demain Viktor Orban. Tous les conservateurs d’Europe sont avec nous, ce qui est là aussi une immense chance. Nous avons bien sûr Sarah, qui a été la fondatrice de l’épopée présidentielle d’Eric Zemmour. Nous avons Stanislas Rigault, qui est le jeune talent que tout le monde a découvert en 2022. Nous avons enfin Laurence Trochu, qui est la présidente fidèle et loyale du Parti conservateur. Moi, je suis très heureux de faire partie de cette équipe, et en vérité, comme disait Jeanne d’Arc : « Plus il y aura de combattants pour la France réunis au même endroit, mieux ce sera pour notre pays ». On a toujours besoin de talents supplémentaires.
Et vous-même, comment avez-vous traversé la campagne ?
J’ai fait des dizaines et des dizaines de réunions publiques, des milliers et des milliers de kilomètres. Dans ma vie, je me suis présenté à une quinzaine d’élections ; j’ai beaucoup perdu au début. Désormais, je les gagne parce que les Français ont vu la constance, la cohérence et le courage. Beaucoup d’autres seraient restés chez Valérie Pécresse, plutôt que de rejoindre Eric Zemmour. Moi, en décembre 2021, j’ai décidé d’abandonner une place et une carrière confortables, pour le courage des convictions. Et donc je suis très heureux de défendre ces convictions au sein de cette nouvelle équipe.
Pourtant, il y a quelques semaines, François-Xavier Bellamy nous rappelait qu’en 2019, vous lui aviez reproché sa ligne conservatrice et chrétienne, et que vous prôniez à cette époque des alliances avec les écologistes, sur le modèle autrichien… Comment devient-on alors cinq ans plus tard numéro 2 de Reconquête ?
Tout cela est un peu caricatural. Que M. Bellamy se regarde le nombril plutôt que de critiquer ainsi l’adversaire… Je rappelle que M. Bellamy et les Républicains sont les alliés de Mme Von der Leyen à Bruxelles depuis cinq ans, qu’ils siègent dans le même groupe, que M. Bellamy a voté pour la commission européenne et Mme von der Leyen. Je rappelle aussi que M. Bellamy et ses amis préparent une alliance avec Emmanuel Macron, avec M. Larcher, avec M. Barnier au lendemain des élections européennes. Je rappelle que ses colistiers sont pour la régularisation des sans-papiers, pour la GPA, tant d’autres choses, et même avec beaucoup de complicité avec l’islamisme. Donc qu’il garde ses leçons de morale ! Moi, j’ai toujours servi une droite forte, j’ai servi Philippe de Villiers, Nicolas Sarkozy et Eric Zemmour. Premièrement, tout le monde a compris que je n’étais ni centriste, ni de gauche. Deuxièmement, quand j’évoquais l’écologie, oui, je m’inspirais de M. Kurtz, le Premier ministre autrichien qui a eu l’intelligence de lier la question migratoire et islamique avec la nécessité de se réconcilier avec le patriotisme économique et la production locale pour nos paysans, au nom d’une écologie positive et non pas punitive ; et donc je ne vois absolument pas en quoi c’est contradictoire avec mes convictions… Quant au christianisme, je n’ai jamais reproché à qui que ce soit d’être chrétien : je suis moi-même chrétien et fier de l’être. Avec « Reconquête », nous sommes le seul parti à vouloir inscrire les racines chrétiennes dans les traités européens, à l’inverse des Républicains qui appartiennent, je le rappelle, au parti de Jacques Chirac, lequel avait refusé d’inscrire les racines chrétiennes dans la Constitution européenne. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas eu le courage de quitter Valérie Pécresse pour rejoindre Eric Zemmour qu’il faut que M. Bellamy donne des leçons de morale à ceux qui l’ont eu, ce courage.
Lors du débat sur CNews, Mme Maréchal a peut-être tapé un peu fort sur M. Bellamy… Et Mme Knafo n’a pas ménagé de son côté M. Bardella et sa liste dans diverses interviews, notamment dans les colonnes de Causeur. Mais franchement, est-ce une si bonne idée de s’en prendre à de futurs possibles alliés ?
Vous savez, la politique, c’est très simple. Qui sont nos ennemis ? C’est la gauche, ce sont les médias de gauche, ce sont les islamo-gauchistes. Ensuite, on a des concurrents. Vous avez bien aussi des concurrents dans votre journal, chez Causeur ? Eh bien, nous avons des concurrents, à Reconquête. Si nous, nous n’avons pas l’honnêteté d’éclairer nos électeurs en rappelant par exemple que le Rassemblement national est un parti socialiste sur le plan économique, ou en rappelant toutes les lâchetés et les trahisons des LR, qui le fera ? On n’attaque pas M. Bellamy ou M. Bardella personnellement, on pointe nos différences politiques. Ensuite, c’est aux électeurs de choisir. Quand Jean-Luc Mélenchon fonde la Nupes, quand François Mitterrand fonde l’union de la gauche, il y a plusieurs partis très différents, concurrents, qui expliquent leurs différences et qui sont ensuite capables de se réconcilier sur l’essentiel. Eh bien c’est notre cas également ; nous partageons un grand nombre de convictions et c’est aux électeurs de choisir. Est-ce qu’ils préfèrent un parti qui est le seul à dire que l’islam n’est pas compatible avec la France, qui est le seul à dire que l’assistanat est un drame pour nos travailleurs, qui est le seul à s’en prendre aux activistes LGBT ou transgenres ? Ça, c’est Reconquête. Et s’ils ont d’autres sensibilités, ils peuvent choisir d’autres partis. En tout cas, nous, on a une colonne vertébrale extrêmement claire, très solide et je pense que ça ferait du bien à la droite française d’avoir au Parlement européen des parlementaires comme Sarah, Nicolas, Stanislas, Marion ou moi, capables d’être des vigies parmi les vigies et de pointer les lâchetés des uns et les compromissions des autres.
Guillaume Peltier et le réarmement démographique Notre contributeur Frédéric Magellan ressort enthousiaste de la réunion malouinede « Reconquête ». Il estime que le n°2 de la liste du parti aux élections européennes a été injustement vilipendé après ses propos sur les responsables politiques sans enfant.
« Degré zéro à la fois de l’intelligence et de l’honnêteté ». C’est ainsi que ma chère consœur, Céline Pina, avait qualifié des propos tenus par Guillaume Peltier, sur CNews début février. Selon l’ancien député UMP, Marion Maréchal, qui conduit la liste « Reconquête ! », serait plus légitime que ses concurrents directs, Jordan Bardella (RN) et François-Xavier Bellamy (LR) : « avoir des enfants est un message politique (…) c’est la garantie de sérieux, de concret par rapport au présent, par rapport à l’avenir. C’est la certitude que la valeur de transmission va l’emporter sur la valeur de l’ambition », défendait-il alors. La sortie peut paraître provocatrice ; à y regarder de plus près, elle n’est pas si indéfendable. Oh ! bien sûr, on trouve dans l’histoire des exemples de grands hommes célibataires et sans enfants, comme le montrait Céline Pina à la fin de sa démonstration. Les moines de Cluny et de Cîteaux, dont la participation à l’effort démographique fut proche de zéro, ont contribué, en défrichant les marécages et en construisant des moulins, des routes et des marchés, à l’essor de la Bourgogne puis de l’Occident tout entier. Mais on ne peut cependant s’empêcher de repenser à Charles Péguy, qui écrivait, dans Victor-Marie, comte Hugo, que le père de famille était le seul vrai aventurier de l’époque, et qu’en comparaison, les autres aventuriers n’en sont pas, et que la vie de famille n’était pas un retrait du monde mais au contraire un engagement dans le monde. Plus prosaïquement, en défendant les femmes en politique, Marine Le Pen, face à Karine Le Marchand en 2016, avait de son côté surtout fait l’éloge de la mère de famille : « Une femme ne peut pas s’extraire de la réalité, du quotidien. Les hommes politiques, à un certain niveau, c’est un petit peu comme ceux qui font de la musique à un très haut niveau ou du sport à un très haut niveau. Vous ne vivez plus que pour ça. A un moment donné, il n’y a plus de réalité. Quand on est une femme, on est toujours ramenée à la réalité du quotidien. Tout ça c’est bien gentil, mais il faut aller acheter la paire de tennis du petit, il faut aller signer le bulletin de notes! C’est donc une chance, on ne peut pas partir dans cet espèce de ballon qui s’envole dans la stratosphère, et où l’on n’a plus aucune conscience de la réalité du quotidien ». Quant à Charles de Gaulle, il a pu dire, à propos de sa fille Anne, trisomique, morte à vingt ans : « Sans Anne, peut-être n’aurais-je jamais fait ce que j’ai fait. Elle m’a donné le cœur et l’inspiration ». Alors, les chefs d’Etat, les politiques célibataires… Comme dirait Brice Hortefeux : un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup que ça commence à poser un problème. En 2019, l’Europe était presque entièrement gouvernée par des personnes sans enfant : Emmanuel Macron, mais aussi Angela Merkel, Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission, Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg, Stefan Löfven, Premier ministre de la Suède et Mark Rutte, Premier ministre des Pays-Bas. A ce point, cela fait un système. Que sont ces décideurs sans descendance ? Après moi, le déluge ? Le principe héréditaire de l’ancienne monarchie avait ce mérite : certes, on a eu un roi fou, d’autres libidineux ou bedonnants, mais bon an mal an, ils se débrouillaient pour laisser une situation politique pas trop pourrie à leur descendant. Alors, non, Guillaume Peltier, vous qui avez déclaré : « Je suis Français et patriote. Je suis même un homme et un père. Je suis blanc, je suis chrétien, je suis hétérosexuel », vos propos ne sont pas le degré zéro de l’honnêteté ! • FM
À côté de ses grandes séries mystiques, François-Xavier de Boissoudy peint la nature telle qu’elle se révèle, elle aussi.
Avec sa technique habituelle, des encres diluées sur papier, étalées à la main, avant que la feuille ne soit marouflée sur toile, le peintre nous donne à voir plusieurs paysages dont on sent, immédiatement, qu’il les a pleinement vus et qu’ils l’ont impressionné ; on comprend qu’à fixer cette tâche de lumière éclatant au débouché d’un sentier bien encaissé, qu’à découvrir cette clairière laiteuse sous la lune, luisant derrière les grandes masses indistinctes des bosquets, qu’à saisir le jeu du soleil perçant derrière le rideau serré des arbres, F.-X. de Boissoudy a senti que le paysage livrait un secret aussi singulier que banal : cette nature existe, puissamment, elle témoigne de l’être qui anime aussi bien les arbres que l’herbe, et le talus, et le ciel, et nous-mêmes, soudain surpris d’éprouver ce poids d’existence, soudain capables d’en extraire cette qualité commune à tous, l’être, sous des modalités différentes.
Une table de jardin sous un arbre, une prairie sous la lune, une rivière en haut d’une côte, une lisière longée en voiture : tout est appréhendé, restitué, dessiné avec le souci de rendre compte autant que fondu (grâce à ces encres colorées et étalées) pour exprimer la communauté existentielle entre le plateau de la table, l’ombre de l’arbre, l’arbre lui-même et la haie au fond, et l’air qui baigne toute la scène et nous appelle, spectateur, à entrer dans le tableau.
Grands ou petits formats, certains d’un noir aussi profond que les œuvres précédentes, d’autres d’un vert lumineux, tous, surtout, exacts dans la manière de nous communiquer l’impression initiale, l’émotion mais aussi la réflexion, la méditation brève ou longue que le paysage a déclenchée : chaque toile est ainsi lestée de cette part de lui-même que le peintre y a ajouté, chacune est une fenêtre ouverte sur une réalité plus vaste, chacune est une invitation à être soi-même attentif, au hasard des trajets, à ce que la lumière illumine, à ce que la nature recèle.
François-Xavier de Boissoudy, « Lumières du jour et de la nuit ». Galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008 Paris, jusqu’au 15 juin 2024.
Immigration. Pour terminer sa campagne électorale, la tête de liste de Reconquête ! se présente comme la candidate en pointe dans la lutte contre le « grand remplacement », synonyme selon elle de « la fin de la liberté de conscience, de la liberté d’expression, et de la liberté des femmes ».
Ce 4 juin, en conclusion de son intervention sur France 2 dans le cadre de l’émission « L’Événement, le Grand Débat des Européennes », Marion Maréchal, tête de liste Reconquête à ces élections, a choisi pour sa carte blanche une carte de France. Choix a priori inattendu.
Carte (non) muette
Dans mon enfance, à l’école, il y avait les cartes muettes, comportant juste des points, sans les noms de ville qu’il fallait être capable de situer et de nommer. Performance aujourd’hui à peu près inimaginable. Mais passons…
La carte de Marion Maréchal, basée sur les données officielles de l’Observatoire de l’Immigration et de l’Insee, n’est pas, elle, une carte muette. Il s’en faut de beaucoup. Au contraire, elle est parlante. Très parlante même. Toute l’extrémité Est du pays est colorée en rouge. Cela recouvre l’espace de vingt départements et représente, en équivalent habitants, la population immigrée non européenne si elle était concentrée sur cette partie du territoire. Oui, en nombre cela équivaudrait tout simplement à la population de ces vingt départements ! Rien que cela ! Et la candidate de sonner l’alerte. Avec aujourd’hui cinq cent mille entrées de ces immigrés par an et un tiers des naissances qui sont d’origine extra-européenne, expose-t-elle, la France est à un point de bascule. Elle est menacée de disparition. Cela notamment en raison du fait que demain l’islam pourrait devenir majoritaire et que nous ayons alors à assister à « la fin de la liberté de conscience, de la liberté d’expression, de la liberté des femmes. » Maman de deux petites filles, la mère de famille ne se résigne pas – comme tant d’autres avec elle ! – à ce que ses enfants « grandissent dans une France où elles seraient étrangères ». Etrangères dans leur propre pays. C’est là « le combat que je veux mener au Parlement européen, conclut la candidate. Le combat pour la défense de notre identité et de nos frontières, pour que la France reste la France et l’Europe reste l’Europe. »
Carton rouge
Napoléon considérait qu’un bon croquis valait mieux qu’un long discours. Cette vérité de bon sens, la carte de Marion Maréchal – son carton rouge, serais-je tenté de dire – vient de l’illustrer une nouvelle fois. En effet, même si l’on se contente d’un coup d’œil rapide et distrait, on peut facilement avoir l’impression que l’on a sous les yeux une sorte de crêpe ou de gâteau de forme hexagonale dont une bouche vorace aurait gloutonnement dévoré toute une bonne partie, presque un quart. Et en effet, même vu sous cet angle-là, ça parle !
Selon un sondage IPSOS pour l’Institut Jonathas, 14% des Belges expriment une aversion pour les Juifs, deux fois plus que les Français. Ce chiffre monte à 22% à Bruxelles où 11% de la population a de la sympathie pour le Hamas. Alarmant.
On savait l’antisémitisme répandu en Belgique, ce sondage en apporte une nouvelle confirmation et montre que la perception des juifs s’est encore beaucoup dégradée depuis le 7 octobre avec l’augmentation d’actes antisémites, dénoncés par La Ligue Belge contre l’antisémitisme. Ce qui frappe dans le sondage, c’est qu’à chaque question, le préjugé antisémite est beaucoup plus important à Bruxelles qu’au niveau national : la capitale de la Belgique et de l’Europe compte 30 à 40% de musulmans.
Affolant
Ainsi, 16% des Bruxellois pensent qu’il y a trop de juifs en Belgique (contre 11% au niveau national), 29% qu’ils sont responsables des crises économiques (14%), 48% qu’ils se sentent supérieurs aux autres (34%), 47% qu’ils font subir aux Palestiniens ce que les Allemands ont fait subir aux juifs (35%). Sur l’ensemble du pays, 43% des musulmans pensent que «les Juifs belges ne sont pas vraiment des Belges comme les autres».
Ces chiffres sont affolants. Le constat n’est cependant pas sans défaut. Les conclusions de l’étude minimisent le facteur central de l’antisémitisme contemporain en Belgique qui est l’implantation, relativement récente, de l’islam. Elle met sur le même pied comme coresponsables de cette situation les musulmans, l’extrême droite et l’extrême gauche, ces deux dernières étant définies selon une méthode propre à l’Ipsos et représentant respectivement 4 et 2% de l’échantillon. Pourtant, l’extrême gauche et la gauche en Belgique, comme en France, ont pris massivement fait et cause pour les Palestiniens dans le conflit à Gaza, leurs actions s’accompagnant souvent de débordements antisémites. À l’inverse, le Vlaams Belang en Belgique et le Rassemblement national en France, des partis généralement, mais de façon contestable, qualifiés d’extrême-droite, ont plutôt montré de la sympathie envers Israël et n’ont été à l’origine d’aucun dérapage antisémite depuis le 7 octobre. Sans doute que ce nouvel Institut Jonathas, créé au début de l’année 2024, par des personnalités libérales de gauche, éprouve encore quelques difficultés à se débarrasser des anciens logiciels assimilant l’antisémitisme à la chrétienté ou à l’extrême droite. De nombreux autres signaux témoignent de cette triste réalité que les juifs ne sont plus en sécurité à Bruxelles. Les lieux communautaires juifs sont protégés par des plots de béton, des caméras et un sas d’entrée. Alors que le voile est omniprésent dans l’espace public bruxellois (porté par plus de la moitié des femmes dans certains quartiers), on ne voit plus de kippa dans les rues de Bruxelles. Une école juive située près de la Gare du Midi, quartier à dominante musulmane, a dû déménager après la multiplication d’incidents mettant en danger les adolescents juifs qui prenaient le métro. La Shoah n’est plus enseignée depuis belle lurette dans la majorité des écoles de Bruxelles. Sur le campus de la mal nommée Université Libre de Bruxelles, des étudiants juifs ont été harcelés et molestés après le 7 octobre.
La classe politique passive
Cependant, dès 2011, une étude du sociologue Mark Elchardus de la VUB (Vrij Universiteit Brussels) démontrait que la moitié des élèves musulmans bruxellois étaient antisémites. En réalité, la montée de l’antisémitisme est contemporaine de la croissance de l’immigration musulmane qui a connu une accélération à partir de l’an 2000. Le monde politique a fait comme les trois singes : ne pas voir, ne pas entendre, ne rien dire. Lors des commémorations de la Shoah, les autorités répètent la main sur le cœur que l’antisémitisme n’a pas sa place en Belgique, tout en assistant passivement à sa montée en puissance sans jamais vouloir la reconnaître. Le vote musulman est devenu indispensable aux succès des partis de gauche dont le poids électoral à Bruxelles, conséquence de l’immigration, est passé de 34 à 54 % en vingt ans. Face aux dizaines et désormais centaines de milliers de voix musulmanes, celles des trente mille juifs de Belgique, une vraie minorité celle-là, ne pèsent pas lourd. Nous sommes quelques-uns à avoir tenté, en vain, d’alerter depuis 20 ans sur cette tendance lourde que ni les médias, ni le monde politique n’ont voulu voir.
Mais ce sont peut-être les témoignages bouleversants de juifs de Bruxelles qui sont les plus parlants : «Arrivé de Hongrie en 1945, mon grand-père m’a toujours dit que la Belgique était un pays sûr pour les Juifs et que notre famille n’y risquerait jamais rien. Aujourd’hui, j’explique à mes enfants que leur futur n’est pas ici et qu’ils doivent se préparer à faire leur vie ailleurs», m’a confié un compatriote. Un autre, dont la famille a quitté la Turquie au début du XXème siècle, a déménagé au Portugal après le 7 octobre, observe : «Bruxelles est un territoire perdu par ses calculs politiques basés sur un communautarisme exacerbé. Contrairement à la France, il n’y a pas de vraie ligne rouge. Si le danger n’est pas immédiat, l’atmosphère ne laisse pas de place à un quelconque espoir». Le destin des juifs belges semble scellé, car ces témoignages valent toutes les analyses. La Belgique devient peu à peu Judenrein, tout en célébrant dans la joie et la bonne conscience, la grande messe du vivre-ensemble…
Le dernier spot publicitaire d’Apple pour l’Ipad Pro déclenche la colère des artistes.
Gaufre à la pomme…
Les publicitaires fautifs pourront toujours dire qu’il n’y a pas de mauvaise publicité ! Et que le plus important dans le domaine, c’est qu’un maximum de gens parlent de votre produit. Reste que le nouveau spot époustouflant d’Apple dévoilé le 7 mai (vidéo ci-dessous) n’a vraiment pas rencontré le succès espéré… Sur une vieille musique rétro de Cher, on y voit d’innombrables objets – qui sont autant de symboles de la créativité humaine – sadiquement détruits sous une énorme presse. Écrabouillés les instruments de musique, les œuvres d’art ! Entassés autour d’un piano vite recouvert d’une peinture qui jaillit comme du sang, une trompette, une sculpture, des disques, des livres, un jeu d’arcade ou une télévision voient se refermer mécaniquement sur eux les énormes mâchoires métalliques de la presse. Une fois le tout ratatiné, les pinces de l’immense machine s’ouvrent à nouveau, et le nouvel iPad Pro apparaît.
Le hic, c’est que les produits de la marque étant traditionnellement destinés aux créatifs, ces derniers n’ont pas apprécié cette prétentieuse démonstration : « Les gars se sont dit qu’ils allaient nous montrer toute la création humaine compressée dans une tablette incroyablement élégante. Mais le résultat final ressemble plus à toute la création humaine sacrifiée pour un gadget sans vie ! » observe The Hollywood Reporter, qui estime que cette publicité fournit la démonstration inverse du spot « 1984 » réalisé par Ridley Scott pour promouvoir le Mac, dans lequel la technologie libérait l’humain. En plus de sa minceur, le PDG de la firme Tim Cook a vanté le nouveau processeur M4 de sa tablette tactile, qualifié de « puce outrageusement puissante pour l’IA ». Mais à une époque où scénaristes, acteurs et artistes entament des poursuites judiciaires contre les spécialistes de ladite IA, comme OpenAI (ChatGPT), en les accusant de piller leurs œuvres, c’était exactement ce qu’il ne fallait pas souligner !
Apple a depuis présenté ses excuses, et promis que le spot ne serait jamais diffusé à la télévision. Mais dans la Silicon Valley, l’oppressant Tim Cook a décidé de laisser la vidéo sur ses réseaux sociaux.
À l’affiche du nouveau film de Roman Polanski (The Palace), l’actrice sort de son habituelle réserve pour défendre le réalisateur qu’elle aime et admire. Elle dénonce le maccarthysme MeToo, dont le but est d’intimider et d’humilier ; et rappelle que pour jouer, un bon acteur doit savoir « perdre » sa personnalité.
Causeur. Le Festival de Cannes déroule le tapis rouge à la « révolution #MeToo » et à ses héroïnes, les dénonciations de « comportements inappropriés » sur les plateaux de tournage pleuvent. The Palace, le film de Roman Polanski, ne peut être programmé normalement en France. Que vous inspire tout cela ?
Fanny Ardant. Avant de venir parler avec vous, j’ai réfléchi à ce que je voulais vous dire. En premier lieu ceci : dans notre société, tout est à vendre : l’information, l’art, le voyage, le sport, tout. Dans notre société capitaliste, tout se ramène au profit. Dans le cinéma, si un metteur en scène ou un acteur est pointé du doigt, on l’efface, parce qu’il met en péril la seule chose qui intéresse tout le monde : les affaires et le profit. Il ne sera aidé par personne. Cette société accepte en silence ce mouvement – #MeToo – parce qu’elle a peur. La peur, plus le profit, cela donne des gens qui se mettent à genoux. Vous pouvez attaquer n’importe qui, personne ne bougera pour le défendre parce que chacun protège ses intérêts : Ne plus être « engagé », ne plus gagner de l’argent, ne plus faire partie des « bienheureux du monde »… la plus grande peur !
La peur est humaine. Vous n’avez jamais eu peur ?
Quand j’ai eu 15 ans, j’ai su que la peur était mon plus grand ennemi. Vous vous laissez effrayer, vous l’acceptez ? Alors c’est fini. Votre vie ne sera plus votre aventure. J’ai compris qu’il ne fallait pas se laisser dicter par quiconque ses opinions, ce qu’on pense, ce qu’on aime, ce qu’on croit, ni écouter les mises en garde : qu’il ne fallait avoir peur de rien, à ses risques et périls. Je suis d’une nature mélancolique. Vous allez mourir très vite, votre vie n’a aucun intérêt par rapport à toute la longue histoire de l’Histoire, me disais-je. Alors la seule chose qui compte c’est : comment as-tu vécu ? Où t’es-tu situé ? As-tu pactisé ? Qu’as-tu défendu ? Pour quelles raisons ? La vie est si brève… Et tu es prêt à l’amoindrir en te déshonorant, c’est-à-dire en accusant, en ostracisant ? Tu as si peu de temps pour ce que tu aimes et dans ce en quoi tu crois… Alors cracher sur les autres ? Les traîner dans la boue ? C’est ça vivre ? De de toute façon tout le monde va être oublié.
En somme l’idée de la mort vous interdit de céder…
Très jeune, des personnes que j’aimais passionnément sont mortes, j’ai compris que tout était fragile et vulnérable. J’étais obsédée par le mot plus jamais … nevermore… mai più… tout va disparaître… cette conversation dans un café, ce sourire de l’autre côté de la rue, cet arbre qui bougeait dans le vent, plus jamais ça ne reviendra. L’idée de la mort ne m’a jamais quittée. Donc j’ai toujours pensé que se battre pour l’argent, pour le pouvoir, pour la gloire était grotesque. Ça pousse à l’infamie. Il y a toujours eu un combat en moi entre Jésus – la main tendue, le pardon plus que la justice, « que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre » –, et Bakounine, son coup de couteau. Ne jamais entrer dans aucun système qui veut vous diminuer. Ne jamais faire partie de ceux qui aboient contre un homme à terre. Me soumettre à un système totalitaire, je m’y refuse. La puissance d’une idéologie ne se reconnaît pas aux réponses qu’elle donne, mais aux questions qu’elle parvient à faire étouffer. Je ne sais plus qui a dit ça, mais ce mouvement, c’est la dictature de ce qui « achetable ou non » et donc à vendre. Au fond que cherchent-ils ? Qu’on n’ait plus de parole ? Plus d’honneur ? Qu’on soit facilement gouvernable ?
Quand on a perdu sa dignité, on est facilement gouvernable…
Oui. Rappelez-vous le maccarthysme. Le but c’était d’intimider les gens, de les faire s’humilier pour qu’ils en arrivent à dénoncer. Mais celui qui dénonce reste une balance ! En prison, c’est puni le plus gravement – par les autres. C’est une morale. Ma morale : je défendrai toujours les gens que j’aime, je ne les abandonnerai jamais. C’est grave de s’être sali, de s’être vendu, de s’être agenouillé pour RIEN. Un jour vous allez mourir. Vous perdrez tout… Donc pourquoi s’être sali ? Pour posséder ? J’ai toujours pensé qu’il valait toujours mieux faire partie de la résistance que de la majorité. Aujourd’hui on a fait entrer au Panthéon tous ceux de l’Affiche Rouge, là où leurs noms avaient été déshonorés. On placardera toujours des êtres humains pour les effacer. J’en reviens donc à mon obsession : tout est à vendre. J’ai une vision très noire du monde. C’est plus facile de diriger des masses qui pensent de la même façon. Ça a commencé en Chine. Il y a encore des petits ilots de démocratie. Tant que la justice sera indemne, c’est le dernier pilier…
Elle n’est plus tout à fait indemne. Car les médias exercent une pression extrême sur l’indépendance des juges.
Les grands acquis de la République, c’était : la justice, l’éducation et la santé pour tous. Que deviennent-ils, ces acquis ? Au fond, pourquoi tu veux la mort de quelqu’un ? Dans le peu de temps que vous avez, vous allez passer votre temps à cracher plutôt que d’aimer ?
Roman Polanski et Fanny Ardant assistent à la cérémonie de remise des « Prix du cinéma européen » au Théâtre national de Chaillot, Paris, 2 décembre 2000. Pierre Verdy/AFP
Tout cela nous est vendu au nom de la « cause des femmes ». Mais pourtant : pendant la montée des marches à Cannes, Juliette Binoche se met à pleurer, une fois de plus. Le lendemain, la presse parle des « femmes puissantes ». Être une femme puissante, c’est pleurnicher ? C’est dire « Je suis une pauvre petite victime » ?
Je ne suis pas une bonne référence. Je n’ai jamais voulu être une victime, je me suis toujours battue… à mes risques et périls. Il y a des femmes qui m’ont subjuguée. Simone Weil, la philosophe, elle m’avait ouvert l’Iliade, la culture grecque, l’humanisme, la complexité de chaque être humain. La pianiste Maria Yudina, qui défia Staline. C’était un être humain, avant d’être une femme. Marguerite Duras, son univers, son style, sa liberté, sa passion des hommes, de leurs corps, de leurs esprits. Embrasser l’humanité, plonger dans les contradictions et les douleurs, c’est exister complètement, vivre sans retenue ; se fracasser peut-être, mais rester libre ! Les femmes que j’admire n’ont jamais mis leur sexe en avant.
Vous disiez dans une interview : « Mais est-ce que cela vous définit vraiment, homme ou femme ? […] je disais que je ne me sentais une femme que devant les hommes… Il y a les différences du corps, c’est vrai, mais, à l’intérieur, tout le monde n’a-t-il pas cette pierre dure, qui s’appelle l' »être humain », avec ses révoltes, ses idéaux, ses défauts, ses qualités ? »
Oui, j’aime la provocation. Oui, je suis une femme quand je tombe amoureuse. Mais on est tellement de femmes différentes… Je peux penser comme un homme, mais aussi comme une femme, ou un fou ou une anarchiste, ou une illuminée.
Gérard Depardieu a écrit, lui aussi : « Je suis juste un homme… mais je suis aussi une femme, qui chante, et qui chante une femme, Barbara. »
Il disait aussi : « moi, je suis une herbe ». (Fanny Ardant mime un brin d’herbe, qui oscille avec légèreté.)
Dans un film sur Fellini, Donald Sutherland parle du tournage de Casanova – et pour Fellini, le plateau n’est pas la nursery qu’on prévoit d’en faire. Il dit : « Moi mon bonheur, c’était d’être comme un morceau de chiffon entre ses mains, et de prendre toutes les formes ».
Je comprends très bien ça. Je peux me dire à moi-même, quand j’arrive sur un tournage ou au théâtre : « Faites de moi ce que vous voudrez ». Très jeune on m’a demandé si, en étant actrice, je n’avais pas peur de perdre ma personnalité. Mais moi je voudrais bien la perdre, justement !
C’est aussi ce que disait Michel Bouquet…
Mais c’est très difficile de perdre sa personnalité. C’est comme le disque dur d’un ordinateur. Une vie, c’est une forêt inextricable. Pouvoir tout d’un coup entrer dans la complexité d’un personnage, dans les circonvolutions psychologiques d’un autre… La littérature ouvre à ça. Je suis née dans une famille où il n’y avait pas de cinéma, le théâtre n’existait pas. Il y avait l’opéra, la musique, mais surtout, la littérature. J’ai commencé à lire très jeune, il y avait une immense bibliothèque. Très vite, j’ai pensé que ce qui est beau doit se partager. Se lever et dire tout haut ce qu’on lit tout bas. Je n’avais jamais pensé faire du cinéma. Pour moi c’était le théâtre. Deux pendrillons noirs, un rideau qui s’ouvre. Je suis entrée dans ce métier comme on entre dans une histoire d’amour, avec passion. Je ne crois pas à la carrière. Je ne crois pas au pouvoir, Je ne crois pas à l’argent. Je ne crois pas à la gloire. Si vous misez là-dessus, vous êtes un abruti. Vous êtes passé à côté de la vie.
La scène, les spectateurs, tout ce qui fait que ce moment existe, et ne disparaît jamais…
Voilà. Neuf fois sur dix au théâtre vous vous ennuyez. Mais quand c’est fort, c’est inoubliable. Le théâtre c’est la puissance du verbe, c’est l’alchimie entre celui qui parle et celui qui écoute. On peut avoir vu dix fois Tartufe ou La Mouette, en étant resté calme et indifférent, et puis il y a cette fois magique où vous êtes soudain bouleversée, parce que c’était cette parole-là dite par cette personne-là, dans cette mise en scène-là, dans cette disposition de votre âme. On ne peut pas l’expliquer. C’est la magie du théâtre, du vivant, de l’instant éphémère. Tant qu’il y aura de l’humain sur terre il y aura du théâtre.
Roman Polanski vous a dirigée au théâtre…
Je me souviens que Roman– on jouait Master class –, trouvait que le spectacle s’était dévoyé. Que les chanteurs voulaient trop faire rire le public. Alors après plusieurs représentations, il m’a dit : « Tiens, lis ça, et va sur la scène ». Il était six heures, on commençait à jouer à huit heures. Et là, je lis, et c’était le conseil d’Hamlet aux acteurs, dans la scène du théâtre dans le théâtre : « Renoncez au plaisir de faire rire une salle d’imbéciles pour faire sourire un homme intelligent ». C’est resté comme en lettres d’or. Il y a tellement de choses à dire sur Roman… C’est à travers lui que j’ai compris que le théâtre, c’est très pragmatique. Un metteur en scène ne t’apprend pas à penser. Il te regarde, il t’écoute et il voit ce qui ne va pas, qui empêche de grandir. C’est quelqu’un qui travaille la terre. C’est un jardinier. Et qui dit : « tu as parlé trop vite », ou bien : « ce geste n’est pas juste ». Je me rappelle – je cite toujours cet exemple : quand Maria Callas (que je jouais) entrait pour diriger sa master class, j’arrivais, ils applaudissaient,etje les arrêtais tout de suite en disant :« Pas d’applaudissements, on est là pour travailler ». J’avais ouvert les bras. « Mais non, on dirait le Christ ! Arrête-les, comme ça ! », et il m’a montré. (Fanny Ardant mime : les deux mains levées devant elles, pour faire « stop ! »). Voilà. Un geste, c’est tout.
Et dans la vie, c’est ce geste qu’on ferait…
Oui. J’aimais beaucoup travailler avec Roman parce que je me sentais protégée. Et puis j’adore les gens passionnés. Si le metteur en scène s’énerve, ce n’est pas grave. Je peux m’énerver moi aussi. Un journaliste avait critiqué le comportement de Callas dans ses master class, parce que souvent elle disait (accent grec) : « Arrêtez-vous, ce n’est pas bien du tout !» Il la trouvait trop dure. Je lui ai dit : « Vous savez ; quand on est en quête de l’absolu, on n’entend pas ça, on est guidé par une voix intérieure qui vous dit : « vas-y, vas-y ! » » J’aime l’énergie de Roman sur un plateau. Il se passionne pour tout, pour les moindres détails, il improvise, il invente, il cherche. J’aime sa conversation toujours éclectique. Je me souviens avec mélancolie des rencontres entre Georges Kiejman et Roman. Rien n’était insipide. Il y avait toujours de la passion dans leurs échanges. J’adore les caractères forts, les personnalités, sinon on ne sait plus où on est. J’aime l’affrontement, la dialectique, tout ce qui pousse à forger son opinion. Je respecte quelqu’un qui ne pense pas comme moi. Mais il doit me prouver qu’il a raison. Et ce n’est pas parce qu’on pense différemment qu’on ne peut pas être amis.
Mais aujourd’hui, on veut vous détruire sans être capable d’argumenter…
C’est le début du totalitarisme. Tu n’es pas avec moi, tu es contre moi. C’est ce que je disais à cet homme magnifique de la télévision suisse [Jérémy Seydoux, Léman bleu], à propos de ce petit livre, de Stefan Zweig sur Calvin, Conscience contre violence. Calvin voulait un retour de la pureté dans l’Église qui sombrait dans la débauche et les exactions. Il avait raison au début, mais il s’est perverti dans sa quête, et pour asseoir son pouvoir il a condamné au bûcher ceux qui s’opposaient à lui. Je me souviens aussi de La Lettre écarlate, un roman américain sur les puritains, où on stigmatise la femme adultère en la marquant de la lettre infamante.
La marque d’infamie, à jamais indélébile, imprimée par une société. Pour mettre au pas…
Il y a toujours eu des mouvements violents de répression de la liberté dans la société : l’Inquisition, Savonarole, etc…Leur puissance s’imposait par la violence. Mon seul rapport à la société est politique. J’ai toujours pensé que les groupes réduisaient l’intelligence. Ce que j’aime, dans chaque être humain, c’est sa richesse, sa différence, ses contradictions, son ombre, sa lumière. Dans un groupe, tout doit être homogène, même à l’intérieur de soi, donc on amoindrit, on rabaisse l’être humain au profit d’une idéologie. On se diminue pour obéir. Je ne me suis intéressée qu’au mouvement anarchiste, mais je n’ai jamais fait de prosélytisme. Chacun a sa voie. La littérature, le cinéma, le théâtre, la peinture ne sont pas là pour faire des êtres humains de « bons citoyens » – selon les critères coercitifs du moment –, mais pour explorer et développer l’esprit et le cœur, ouvrir des mondes, agrandir sa vision de la vie, de l’être, de l’âme. Faut-il brûler Marguerite Duras qui disait : « La littérature doit être scandaleuse » !
Les critères édictés par #MeToo aujourd’hui ?
Je n’en suis pas. C’est pour ça qu’on a tout de suite commencé la conversation sur la peur. Je n’ai pas envie de rentrer dans le rang ! Et quand Macha Méril crache sur François (Truffaut), ce n’est pas grave, parce que c’est tellement infâme que ça rejaillit sur elle. Les êtres ont leur vie, leur oeuvre parle pour eux.
Aujourd’hui, ce sont des artistes et des hommes qu’on efface sans discontinuer…
La mort sociale, c’est la pire lâcheté, parce que c’est un assassinat dénié, à l’abri d’un groupe, et enrobé de ce faux truc : la « bienveillance ». Je préfère quelqu’un qui vient avec un couteau : au moins c’est assumé. Malgré tout,je disais à Gérard : « On ne peut rien t’enlever, Gérard, tu as vécu,tu as donné, tu as reçu !Allez, une nouvelle vie commence ! ». Je sais… provocation encore… Mais j’exècre tout ça, cette volonté doucereuse d’écraser un homme.
L’essentiel, pour vous, dans la vie, dans l’art, c’est la loyauté, et la liberté ?
C’est la passion. À mes débuts d’actrice, j’ai dit à Serge Rousseau, mon agent : « Un acteur, plus son rôle est court, plus il doit être bien payé. Alors que le premier rôle doit être moins payé, parce qu’il a la joie de jouer ce rôle. » Finalement la seule richesse, c’est d’aimer ce que l’on fait par dessus tout. Aucune passion mise dans ce que l’on fait ne peut être monnayable. Et le plus grand luxe c’est de ne faire que ce que l’on aime
Ça c’est magnifique… Et que pensez-vous de cette sorte de peur de l’amour et du sexe que l’on observe aujourd’hui ?
Alors là aussi, je suis la femme à abattre, parce que je pense que c’est une des raisons de vivre la plus passionnante. J’aime les femmes libres, qui remettent leur vie en jeu par amour, qui brûlent. Même si elles perdent, elles restent des reines. C’est pour ça que j’aime tellement les Grecs, et ce livre sur l’Iliade, Le poème de la force. Les héros grecs sont toujours un mélange d’ombre et de lumière, d’un côté, tueurs sans regret, et tout d’un coup une autre fulgurance, la main tendue, la compassion. J’aime Caravaggio : celui qui croyait en Dieu et celui qui le bafouait. J’aime Pasolini et ses éclats de génie qui, déjà, dérangeaient tellement la pensée unique des groupes politiques les plus divers.
Dans Les Dieux ont soif, il y a une phrase ironique, au sujet de Robespierre : sa « sagesse » fera « du bourreau un jardinier qui ne tranchera plus que les têtes des choux et des laitues », et prépare « les voies de la clémence en exterminant les conspirateurs et les traîtres », afin qu’on puisse « être indulgent sans crime ».
Et pour éviter d’avoir la tête tranchée :peur, soumission,délation … l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement de collaboration, d’épuration, de dénonciations … « La course n’a pas de fin… »
Revenons à Polanski. Et à ce film, The Palace, que tout le monde a peur de programmer, et sur lequel on crache.
Ce que j’aime,dans ce film, c’est l’insolence. Et puis en quelques traits – les personnages, les situations – tout est dit sur l’absurdité de notre monde, sa cruauté, sur la bêtise qu’apporte l’accumulation et le pouvoir de l’argent. J’imaginais Roman, avec son copain polonais Skolimovski, quand ils écrivaient… L’impertinence du dernier plan ! Cette force et cette énergie sacrée de l’adolescence et de l’enfance toujours là, de choisir de rire plutôt que de sermonner. … Vous vous rappelez, Hara-Kiri, pour qui on pouvait se moquer de tout ? C’est ça ! En désespoir de cause, rire.Si on veut enlever ça, eh bien, c’est une société dictatoriale sans pensée consistante, dans laquelle on regardera ce que tu dis, on regardera qui tu défends… et tu seras rayé.
L’insolence, la puissance créatrice : ce n’est pas pour rien que Polanski a interprété Mozart sur scène. Il y a une telle parenté…
Il a cette légèreté, cette intelligence et cette grande sensibilité… Roman s’intéresse à tellement de choses… On peut lui parler de tout, d’idées bizarres, de choses très concrètes. Il vous fait découvrir des auteurs, il argumente, il se passionne, il est vivant. VIVANT ! Et j’aime son histoire d’amour magnifique avec Emmanuelle.
Dans un documentaire sur Pirates, il explique comment il dirige les gens. Il fait tous les rôles. À un moment ildit : « Je suis comme un chef d’orchestre qui dit au violon : « un peu plus comme ça ». Et il mime même le violon. Une infinie plasticité…
J’ai un croquis d’une femme qui venait dessiner pendant les répétitions, et on le voit. Il est là. Il fait tout. Un exemple : je portais un costume de chez Armani, et comme l’émotion fait transpirer, on l’envoyait chez le teinturier. La personne revenait en disant que le teinturier ne pouvait pas enlever les auréoles blanches. Et Roman : « Mais ça se frotte, c’est du sel ». Il est pragmatique : sur l’éclairage, sur ci, sur ça, sur ce détail, sur cette intonation. L’homme-orchestre, oui. Et comme il est acteur, il sent à l’intérieur de lui comment on peut parler à un acteur.
N’êtes-vous pas frappée par autre chose encore : sa profonde connaissance des êtres humains ? L’état mental de Carol dans Répulsion par exemple, quelle exactitude ! Comme Tolstoï dans Anna Karénine, la scène dans la calèche, avec tout ce qui la traverse avant son suicide. Savoir tout ça, avec autant de justesse…
Ça, ce sont les grands humanistes. Ceux qui ont connu des choses très diverses. Quand je pense à l’arc de la vie de Roman, je connais très peu d’hommes qui ont vécu tout ça. Il a traversé tant de choses. On ne sait rien de ça, parce qu’il est très pudique. Il a beaucoup lu, il a beaucoup vu, et pour moi, c’est ça l’humanisme… Les souffrances, mais les souffrances qui ont ouvert le spectre, sans rendre amer. Toutes les choses qui lui sont arrivées, ça ne l’a pas amoindri.
Fanny Ardant dans La Blessure et la soif de Laurence Plazenet (mise en scène de Catherine Schaub), au Studio Marigny à Paris, 15 avril 2024. Émilie Brouchon
Comment est-il sur un tournage ?
Il a une activité incessante, il voit tout : et l’ingénieur du son, et le truc, et le machin, et le sac, et le chien et son os… Et puis il improvise ! Ce que j’aime, c’est qu’il parle à l’acteur comme à quelqu’un de souple. Il lui accorde ce crédit. Dans l’histoire du monde tout a été fait. Tout a été dit. Tout a été montré. Mais ce sont les détails qui comptent et qui sont intéressants et qui font un vrai metteur en scène. Et comme acteur, vous vous dites : « Je vais entrer dans ce détail ». C’est excitant. Ce que je privilégie, c’est l’intensité du moment… cet instant qui ne reviendra jamais plus.
La passion du moment, c’est une belle définition de la vie…
Et l’imagination, les contrastes. Je me rappelle dans Vivement Dimanche, les rapports entre Nestor Almendros, très poétique, rêveur, et François Truffaut, pragmatique, rieur et inquiet. J’aimais beaucoup ça. François a imaginé Vivement dimanche à cause d’une scène qu’on avait tournée avec Gérard dans La Femme d’à côté, où il me voyait passer en ombre. Il s’est dit : « Elle serait bien, en héroïne de roman noir ». L’imagination est un fleuve et une terre. Les metteurs en scène sont comme les chiens dans les forêts, qui vagabondent, hument et cherchent. Je me souviens du tournage de Vivement Dimanche comme d’un verre de champagne que l’on brandit à la Vie à l’Amour et au Cinéma.
Oui, il y a une légèreté, un rythme…
Il était très admiratif de The big sleep, un film de John Huston où on ne comprend pas tout mais où on est captivé. On se souvient toujours de quelque chose dont on a subi le charme sans tout comprendre.
Vous aimez les tournages…
OUI, beaucoup.C’est un privilège de faire un film, comme d’être invitée à une fête. Je ne sais pas dire comment a tourné un tel ou un tel. Je ne suis pas une théoricienne du cinéma. Le seul point commun, pour moi, des grands metteurs en scène, c’est la passion qu’ils mettent à faire leur film, ils savent très bien que c’est une grâce d’être là, qu’il y a un début, un milieu, une fin, et qu’il ne faut pas gâcher un seul moment. Ils savent qu’il faut remettre sans arrêt ses billes en jeu, car rien n’est jamais acquis. J’aime ça. Il ne faut pas faire ce métier par stratégie car on ne sait jamais quand arrive la pluie.
Vous avez dit au sujet de la pièce de Laurence Plazenet (que vous jouez à Marigny): « Un chant d’amour, c’est le meilleur rempart contre toute cette nouvelle société ».
Oui. L’amour sauve de tout.
Mais si on a peur d’aimer ?
Peut-être que la vengeance prend la part que l’amour laisse libre ?
Vous parlez d’un chant, car ce texte est très beau…
Je me suis sauvée des chagrins d’amour, ou de la solitude des chambres d’hôtel par la littérature. Les livres… Est-ce qu’un jour je n’aurai plus la passion des livres ? Vous pensez que ça s’en va ? NON !
Plus on lit plus on a envie de lire…
Oui ! Et puis cette frénésie quand on arrive dans une librairie, les quatrièmes de couverture… Tous les livres que j’aime, j’en parle sans arrêt. J’aime passionnément Eugène Onéguine, de Pouchkine, traduit par André Marcowicz, qui est un génie. Il remet les octosyllabes en français avec les rimes, c’est un travail de fou ! Qu’au 21e siècle, il y ait encore quelqu’un qui peut rester devant son bureau pour faire ça, alors le monde est sauvé ! Ma première découverte de Proust : c’était dans cette maison, au milieu de la forêt, avec une bibliothèque de fou. La nuit, j’étais dans mon lit, et mon frère dans sa chambre, porte ouverte, lisait Proust tout haut. Je devais avoir treize ans, je ne comprenais rien. Alors, à quinze ans, je me suis mise à le lire. Si je ferme mes yeux, À la recherche du temps perdu, c’est trois mois de grandes vacances, et de l’avoir d’abord entendu dans le noir, lu par quelqu’un que j’aimais. Et ne trouvez-vous pas, quand vous avez fini de lire Proust, que cet homme a écrit pour vous ?
Il le dit lui-même : « Car ils ne seraient pas, selon moi, mes lecteurs, mais les propres lecteurs d’eux-mêmes, mon livre n’étant qu’une sorte de ces verres grossissants comme ceux que tendait à un acheteur l’opticien de Combray ; mon livre grâce auquel je leur fournirais le moyen de lire en eux-mêmes. »
«Rage ritual»: derrière la thérapie féministe loufoque qui amuse les réseaux sociaux, un petit business fort lucratif…
En ce moment, sur TikTok, une vidéo remporte un certain succès : on y voit, dans une forêt, des femmes déchaînées frappant rageusement le sol avec des bouts de bois en poussant des hurlements. Cette vidéo promotionnelle a été postée par la « coach d’évolution personnelle » Mia Banducci alias Mia Magik. Cette autoproclamée « fée marraine spirituelle » organise en effet de réjouissantes « retraites » pastorales durant lesquelles ses « sœurs » peuvent « libérer leur colère » contre le patriarcat grâce à un… « rituel de rage ». Le déroulement de ce rituel, explique Mia Magik, est simple : les participantes rassemblent des bouts de bois en pensant aux personnes qui les ont contrariées ou blessées d’une manière ou d’une autre – naturellement, ces tourmenteurs sont essentiellement des hommes. Après une légère séance d’échauffement des bras et quelques vocalises, les filles se lâchent : danses de Saint-Guy et vociférations rythment la pulvérisation des bouts de bois sur le sol. Épuisée, chacune communie ensuite avec la nature en enlaçant un arbre ou sa voisine en sueur. Mia Magik montre l’exemple et participe activement à chacun de ces rituels qu’elle facture 220 dollars par tête de pipe. À ce tarif-là, la « prêtresse énergétique » Jessica Ricchetti ne veut pas être en reste : le 7 juin prochain, elle organise en Caroline du Nord un « rituel de Rage sacrée » lors d’une « retraite alchimique pour femmes » où il est prévu, après une prometteuse « cérémonie du Feu de la Femme sauvage », d’enseigner aussi bien « la Beauté de la Rage » que « la Sagesse de l’Ombre ». Programme chatoyant. En juillet, les Canadiennes auront droit elles aussi à leur « Cérémonie de la rage sacrée » mystico-primitive grâce à Secret Sanctuary, un « espace communautaire » situé en Alberta et proposant moyennant finances des « services de bien-être » – équilibrage des chakras, coaching spirituel, massage chamanique, etc. – ainsi que, ô progrès indiscutable, un hébergement spartiate avec des « toilettes à compost ». Et dire qu’il y a encore des ronchons atrabilaires pour penser que l’Occident décline.
L’examen du texte sur la fin de vie se déroule en ce moment à l’Assemblée nationale. Mais le militantisme de députés de gauche et de la majorité, très engagés sur cette question, a conduit à faire sauter nombre de garde-fous du texte. Analyse.
Le projet de loi sur la « fin de vie », en discussion jusqu’au 7 juin, est devenu une des lois les plus permissives au monde, alors même que des dérives importantes de ce droit à l’euthanasie sont dénoncées et que les problèmes rencontrés sont réels : l’exemple canadien a montré que l’euthanasie avait tendance à se substituer aux soins palliatifs. Plus le recours à celle-ci se développe, plus la qualité des soins de fin de vie se dégrade. Mais ces réalités-là sont niées au nom du libre choix de sa fin. Les députés ont ainsi supprimé le fait que le pronostic vital soit engagé à court ou moyen terme, ont fait sauter le verrou du discernement du patient, ont créé un délit d’entrave au suicide assisté.
La protection du patient, de ses proches ou du soignant, a été écartée d’un revers de main, comme si pouvoir tuer ou se tuer était devenu la dernière liberté à conquérir. Alors l’euthanasie, dernière frontière à conquérir ou vrai recul humaniste à dérive eugéniste ? Dernier acte de volonté ou dérive liée au fait que les sociétés pensent que la vie d’un handicapé ou d’un malade ne vaut rien et pèse sur les ressources de la collectivité ? Un chiffre à méditer : au Canada, ils sont désormais 27% à penser que les gens devraient avoir accès à l’euthanasie pour des raisons de pauvreté et 50% pour le handicap. Et les chiffres sont encore plus élevés chez les jeunes. Bienvenue dans le monde réel.
Ce devait être la loi consensuelle de ce quinquennat. Celle qui devait illustrer le fait que le « et de droite et de gauche » qui fit le succès d’Emmanuel Macron en 2017 n’était pas qu’une arnaque fumeuse bien vendue mais correspondait à quelque chose de concret. Elle devait montrer que la nation s’exprime au-delà des clivages politiques quand on touche à l’essentiel. La loi sur la fin de vie était vue comme l’occasion de trier le bon grain progressiste de l’ivraie identitaire et traditionnaliste. Hélas ce n’est pas ce qui est en train de se passer. Et c’était prévisible.
Une question trop sensible pour être traitée avec dogmatisme
La question de la fin de vie, donc de la mort, du fait de la donner ou de la recevoir, est une question bien trop sensible, intime et délicate pour être traitée avec dogmatisme et idéologie. Tout critiquable qu’il ait pu être, l’ancien monde politique connaissait l’existence de limites anthropologiques et ne les approchait que la main tremblante. Mais les amateurs du camp présidentiel et les exaltés irresponsables d’une certaine gauche, faute d’avoir encore de grandes utopies et même de petites, se sont rués sur « l’aide à mourir » comme si c’était la dernière frontière du progrès. Ils en ont fait l’occasion d’exhiber leur vertu et leur absence de tabous et ont refusé d’entendre toutes les sonnettes d’alarme tirées par le corps médical, le comité d’éthique, les représentants des cultes ou tout simplement les avertissements des humanistes.
Comme si, incapables d’envisager une possibilité d’amélioration individuelle et collective de la condition humaine, une partie des politiques avait décidé de faire du suicide assisté la dernière frontière de démonstration de leur puissance. D’où l’étonnante passion de nombre de députés de la majorité et de la gauche pour que tuer un patient ou l’aider à se suicider soit vu comme la liberté ultime. Ils ignorent ainsi délibérément ce que les acteurs des soins palliatifs savent : rares sont les malades qui veulent vraiment mourir ; ce qu’ils souhaitent c’est ne pas mourir dans la souffrance, la détresse, l’abandon. Ils ne désirent pas qu’on les tue, mais qu’on ne les abandonne pas et qu’on soulage la douleur. Les situations nécessitant un suicide assisté, comme la maladie de Charcot, sont rares. La restrictivité des critères était donc la solution parfaitement adaptée pour que le modèle de fin de vie reste humaniste, donc fondé sur l’accompagnement et non l’élimination.
Soins palliatifs coûteux versus euthanasie économique
Souvent, les soins palliatifs apportent une réponse adaptée et la prise en charge des patients élimine en grande partie les demandes d’aide à mourir. Mais ceux-ci sont coûteux, réclament beaucoup de personnels et n’existent pas dans nombre de départements. Ils sont mêmes attaqués au sein de l’hôpital, où l’on se sert souvent dans leur personnel pour combler les manques et boucher les trous. Au quotidien, le modèle commence à être détricoté au nom des nécessités des autres services et à moins de chefs de service puissants, l’idéal d’accompagnement qu’il incarne est mis à mal par les obsessions budgétaires. L’euthanasie, elle, est très économique et épargne l’investissement dans des soins et des médicaments très lourds financièrement. Comme ce qui coûte le plus cher à la Sécurité sociale, ce sont les dernières années de la vie, ouvrir largement l’aide à mourir est une source d’économie. Surtout si l’aide à mourir fait de l’euthanasie un droit, alors que l’accès garanti aux soins palliatifs n’en est pas un. La loi sur la fin de vie mettrait ainsi symboliquement le fait de donner la mort au-dessus des soins indispensables pour prolonger la vie et accompagner la fin. Les soins palliatifs ne sont pas en effet un droit et même pas une possibilité ouverte à tous.
L’aide à mourir, une démarche purement humaniste ?
« Comment osez-vous parler ainsi ! », voilà ce que me répondraient les défenseurs de la loi sur l’aide à mourir, choqués de voir caricaturer en démarche cynique ce qu’ils voient comme une frontière humaniste et le respect de la volonté de la personne. Je les renvoie à la statistique canadienne qui montre à quel point cette façon purement utilitariste de considérer l’existence amène à porter un jugement violent sur certaines vies qui ne vaudraient pas la peine d’être vécues. Autre point très gênant, le flou concernant les conditions de l’expression de la volonté du patient ou la référence à des directives anticipées. Ici on peut craindre les abus de faiblesse, la famille n’étant pas toujours exempte de violence et de toxicité, des troubles cognitifs peuvent par ailleurs amener à des décisions non éclairées… Et surtout, pour qui a accompagné des personnes en fin de vie, c’est fou la différence entre le discours tenu vis-à-vis de la mort et de la maladie par une personne valide et par la même personne quand elle y est confrontée. Enfin c’est aussi oublier l’épuisement et les perturbations que provoque cet accompagnement pour l’aidant, les réactions ambivalentes que cela implique, la déstabilisation que cela provoque. Il faut pouvoir dire cette envie de fuir que l’on a parfois quand il faut pousser la porte de celui ou celle qui part à petit feu. Il faut pouvoir dire cet investissement dans le matériel et le soin parce que parler devient compliqué, plein de non-dits ou trop plein d’attentes. Bref ne pas prévoir de contrôle et de garde-fous préalables alors que l’on parle de donner la mort à quelqu’un est profondément choquant et irresponsable.
Pourtant je suis sensible à l’idée que quelqu’un dont le pronostic vital est engagé à court et moyen terme et dont les souffrances sont intolérables puisse choisir d’en finir. Mais ces situations doivent être très encadrées. La priorité est avant tout le développement des soins palliatifs et le respect de leur modèle d’accompagnement. Est-on vraiment un humaniste quand on refuse de regarder en face ce que le fait de supprimer certains garde-fous a produit au Canada ou en Belgique ? Pays où la loi est malgré tout plus restrictive que le texte proposé au vote du Parlement français.
Des députés de la majorité et de la gauche choqués par l’évolution du texte de loi
C’est en ce sens que se sont exprimés des députés qu’on ne peut soupçonner d’être d’abominables réactionnaires ou des adorateurs de soutanes. C’est le cas d’Astrid Panosyan, députée Renaissance qui explique dans un entretien au Figaro qu’ «il est rare que des malades disent « je veux mourir ». La plupart d’entre eux envoient le message : « je ne veux pas vivre ainsi » ». La députée sait de quoi elle parle car elle a été confrontée à cette situation en accompagnant son mari, Laurent Bouvet, intellectuel atteint par la maladie de Charcot. Dans ce cas particulier la sédation profonde et continue jusqu’au décès, prévue par la loi Leonetti n’était pas possible. Mais celle-ci ne fait pas de son ressenti ni de son expérience, un dogme inattaquable. Outre le fait qu’elle rappelle qu’ « une expérience personnelle ne vaut pas vérité universelle », elle explique aussi qu’il y a une tension entre le respect de la liberté de vouloir mettre fin à ses douleurs et celui de la fraternité qui consiste à ne jamais laisser une personne se sentir de trop. Dans le cas de la maladie de Charcot, où le malade se retrouve enfermé dans son propre corps, fauteuils adaptés et ordinateurs à commande oculaire sont extrêmement chers par exemple. Or ils sont déterminants pour permettre le lien, la communication et donc une vie qui ait du sens, qui permet la communication avec l’autre. Cela explique pourquoi les difficultés financières sont invoquées pour justifier la demande d’aide à mourir, l’Oregon est sur ce point un exemple parlant1.
Pierre Dharréville, député communiste, est lui aussi très inquiet des changements que la commission a apportés au texte d’origine. Dans son intervention à l’Assemblée nationale, cet homme de gauche explique le vertige qui l’a saisi alors que selon lui une barrière éthique a été renversée, celle qui consiste à confondre « soulager les souffrances » et « abréger la vie ». Il rappelle aussi que souvent la demande de mort est un appel à l’aide. Pour lui cette loi pose insidieusement la question « ne crois-tu pas qu’il est temps de partir ? » et il met le doigt sur un problème que nient ou minimisent les promoteurs de la loi fin de vie remaniée : « Demain, pour combien d’entre nous sera-t-il plus rapide, nettement plus rapide, d’avoir accès à un produit létal qu’à un centre antidouleurs ? Les soins palliatifs et l’assistance au suicide ne sont pas complémentaires mais contradictoires. » Et il évoque la nouvelle norme sociale que porte le texte, celle qui consiste à estimer que certaines vies n’en valent pas la peine.
On devrait plus écouter ces avertissements. Nous allons vers un monde où nos protections sociales vont diminuer. D’ores et déjà, nous sommes confrontés à des pénuries de médicaments, à des déserts médicaux, à la grande misère des hôpitaux, à une baisse des chances pour les patients, à des baisses de remboursements, à l’absence de soins palliatifs dans 21 départements… Avec l’aide à mourir, on crée une réponse économique à la question de la fin de vie que l’on peut emballer dans un discours de compassion, de respect de la liberté du patient et de reconnaissance de la volonté individuelle. L’irresponsabilité et le cynisme érigés en respect de l’autre. Il est probable que bien des partisans de la nouvelle mouture du projet de loi, telle qu’elle est sortie de la commission et de l’examen à l’Assemblée nationale, ne sont pas conscients des implications de leur vote. Mais est-ce une excuse ? Il se trouve que ceux qui occupent ce type de poste ne sont jamais comptables de leurs erreurs, ne les reconnaissent jamais et ne songent jamais à les réparer.
Comment les excuser, alors qu’ils ont sous leurs yeux le résultat des dérives constatées en Belgique comme au Canada et qu’ils n’en tirent aucune conséquence. Quant à cette gauche, qui ne se bat plus pour améliorer les conditions de vie et de travail des Français, la voir présenter la mort comme un droit à conquérir est surréaliste et navrant.
Catherine Vautrin, ministre de la Santé a d’ailleurs déclaré, suite à la Commission spéciale chargée de l’examen de la loi fin de vie : « En moins de cinq jours, ils ont davantage élargi l’accès à la mort provoquée que ne l’ont fait les deux pays les plus permissifs sur l’aide à mourir, la Belgique en 22 ans et le Canada en huit ans ». L’examen en séance n’a pas arrangé les choses. Or, on ne touche pas impunément à certaines frontières sans que cela n’atteigne notre rapport à l’humanité et à notre propre humanité. La loi sur la fin de vie, telle qu’elle a été retouchée par les députés, est en l’état très inquiétante et prépare une société dans laquelle toutes les dérives sont possibles. Si le Sénat peut y apporter un peu de sagesse, l’effort sera reconnu, mais c’est l’Assemblée qui a le dernier mot en la matière et dans l’ambiance de monôme permanent que sont devenues les séances, on ne peut guère attendre de miracle.
Le choix fait par nos députés sur un sujet aussi complexe et intime est d’autant plus inquiétant qu’une loi bien plus stricte et encadrée, portant sur des situations précises et mettant en place des conditions restreintes, aurait été massivement soutenue. Hélas trop de nos députés n’ont pas peur d’être des amateurs, au point d’en devenir des démolisseurs.
Que Marion Maréchal me pardonne, mais son plaidoyer pour les « mamans courage », paru dans Le Figaro le jour de la fête des Mères m’a passablement agacée. D’abord, une lectrice sourcilleuse de Renaud Camus devrait savoir que le mot « maman » est réservé à l’usage privé et (dans la majorité des cas) à une seule personne. Et puis, cette peinture de mères toutes aimantes et vertueuses, c’est du Walt Disney. « La gauche n’aime pas la famille », affirme Mathieu Bock-Côté. Ce n’est pas vrai. L’idéalisation un peu nunuche de la famille n’est pas l’apanage de la droite, ni des hétéros et autres cisgenres. Porteuses de jupes plissées, hommes à cheveux bleus, chanteuses à barbe et sexuellement indécis : tout le monde veut les enfants, le chien et Darty le samedi après-midi. Les innombrables thuriféraires de la famille heureuse n’ont jamais dû lire un roman, ni voir un film de Bergman.
Cependant, ce n’est pas parce que la famille peut être un lieu d’enfermement et de négativité qu’elle n’est pas une médiation indispensable entre l’individu et les communautés humaines. En plus d’être une source d’amour et de névrose, le foyer est le premier échelon administratif, ce n’est pas rien.
Pour Sonia Devillers, l’impayable intervieweuse de France Inter, championne de la bondieuserie progressiste (elle a connu l’extase en accouchant Godrèche), toutes les familles ne se valent pas. Recevant, temps de parole oblige, la tête de liste Reconquête !, elle répète à plusieurs reprises, avec un ton d’institutrice indignée « vous défendez la famille française, et la famille chrétienne ! », sans qu’on sache très bien ce qui, de française ou chrétienne, est le plus infamant. « Pétainiste ! » lâche finalement notre femme savante. « Au moins je sais pourquoi je veux privatiser l’audiovisuel public », réplique Maréchal. Et toc.
Marion Maréchal a raison de s’inquiéter de la catastrophe démographique qui vient. Donc de prôner des mesures natalistes. Et elle a le droit de préférer le modèle papa-maman-la bonne-et-moi[1], même si ça débecte Madame Devillers qui aimerait bien lui coller un procès.
« L’envie du Pénal »[2] de la vertueuse francintérienne trouve un terrain plus favorable, la transidentité, qu’un lobby hargneux et procédurier veut imposer comme une norme parmi d’autres. Après le prix décerné à Cannes à Karla Sofia Gascón, actrice espagnole transgenre, Maréchal a écrit : « C’est donc un homme qui reçoit le prix d’interprétation… féminine. » Six associations portent plaintepour « injure transphobe », tandis que la principale intéressée teste le colifichet pénal inventé par Marlène Schiappa, le délit d’outrage sexiste. On ne voit pas le rapport entre le propos de Maréchal et une femme qui se fait siffler dans la rue, mais passons. « La transphobie n’est pas une opinion, c’est un délit ! » braille Devillers, certaine d’avoir la loi avec elle.
Si elle a raison, si le commentaire de Marion Maréchal (appelé « mégenrage » en jargon LGBT) est hors-la-loi, il y a le feu au lac des libertés. Certes, Karla Sofia Gascón a obtenu en justice un état-civil de femme et le droit d’être reconnue comme telle. On comprend qu’elle soit blessée quand Maréchal affirme qu’un homme reste un homme. Ça ne fait pas de ce propos une injure. Le scepticisme est un droit. Quel est le poids de la génétique ? Jusqu’à quel point peut-on changer ce qu’on est ? Tout cela devrait être matière à débat et controverses, pas à un festival d’interdits. On peut aussi penser à mi-chemin, comme cette trans magnifique qui m’a dit un jour « je sais que je ne suis pas complètement une femme ». La loi n’est pas là pour panser les blessures narcissiques. Interdire toute distinction entre femmes trans et femmes de naissance revient par ailleurs à instaurer une parfaite égalité, notamment dans le sport, et une totale promiscuité dans les vestiaires. Même Sonia Devillers peut comprendre que c’est problématique.
Plus grave que ces frottements de la vie concrète, il y a la censure drapée dans la bienveillance inclusive. Il n’est plus question seulement de traquer la pensée ou la parole, mais d’une police du réel, dûment partagé entre licite et illicite. Si la justice cède, il sera interdit demain d’affirmer qu’il y a des hommes et des femmes ou d’observer la surreprésentation des étrangers dans la délinquance de voie publique, et après-demain, comme dans 1984, de dire que deux et deux font quatre. On répète à satiété la formule de Péguy : « Il faut voir ce que l’on voit. » Alors, profitons-en tant que c’est légal.
[1] Personnellement, tant qu’on ne ment pas sur la fabrication des enfants (donc sur la filiation), je suis plus libérale que Marion Maréchal quant aux conditions de leur élevage. Des homosexuels et des lesbiennes peuvent être des parents aussi toxiques qu’un couple à l’ancienne.
[2] Dont Philippe Muray avait compris qu’elle est l’affect dominant de l’époque.