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Chasseur de magazines

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Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, journaux, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour ce dimanche, il a choisi de nous parler de la presse magazine française. Il a beaucoup fouillé dans ses archives personnelles et déniché quelques pépites (interview, reportage, enquête, etc…) dans 20 ans, l’Echo des Savanes, Lui, Elle ou le mensuel A Suivre


Je suis tombé dans le papier, très tôt. J’en ai même fait mon métier. À vrai dire, j’aime autant la presse en kiosque que la « grande » littérature. La lecture des magazines dit de loisirs aura guidé toute ma jeunesse provinciale. Je suis venu aux Hussards, aux surréalistes et aux futuristes par l’entremise de revues récréatives. J’ai appris à écrire dans Bicross Magazine, Tennis de France et Moto Verte. On ne guérit jamais de cette enfance avec papier glacé, la tête penchée sur la presse spécialisée. 

La politique et la marche du monde ne m’intéressent que si elles sont maquettées entre l’essai d’une voiture de sport et une collection de maillots de bain. J’ai toujours préféré le superficiel à l’existentialisme des rédactions parisiennes. L’actualité est d’un ennui mortel. Par contre, se replonger dans les magazines datant des années 1970/1980 est aussi salutaire qu’épousseter les résidences secondaires au début du printemps. On s’aère l’esprit, on se libère, on apprend mille choses et on s’amuse franchement. 

A ne pas manquer, notre numéro de l’été: Causeur 125: En première ligne dans la guerre des idées, Notre jeunesse

Dans des titres considérés comme ineptes par les gens sérieux, on est fasciné par leur richesse de contenu, la pertinence de leurs interviews et une fraîcheur qui semble avoir disparu de nos médias militarisés. Se divertir n’est pas un crime. Qui pourrait croire que dans 20 ans, entre un reportage sur l’orgasme masculin et une sélection de « pulls tout pulpeux », on tombe sur une interview folle de Véronique Sanson d’octobre 1972 ? La journaliste l’interroge sur les prénoms. La chanteuse répond : « Pour moi, les gens ressemblent à leurs prénoms. Il y a les Martine, par exemple, des garces. Elles se ressemblent toutes. Petites bourgeoises qui ne pensent qu’à se faire épouser et à avoir des gosses. Oh… et puis les Marie-Dominique, pleines de boutons, brunasses et toujours à faire des coups en-dessous. Dans les restaurants, j’imagine le prénom des gens, et leur vie. On se trompe rarement, c’est marrant… ». On aime Véronique pour cette dinguerie-là. Un an auparavant, toujours dans 20 ans (numéro d’août 1971), le regretté Wolinski mettait les points sur les « i » et faisait la leçon aux donneurs de morale qui l’accusaient de récupération politique car le dessinateur officiait en même temps au Journal du Dimanche et à Charlie Hebdo. Sa réponse était sans appel : « Si j’accepte de travailler dans un journal de grande diffusion, c’est d’abord parce que je veux gagner assez d’argent pour vivre correctement en élevant mes enfants, ensuite parce que les dessins qui paraissent dans certaines publications ultra-politisées et confidentielles ne s’adressent qu’à des gens déjà convertis. La « grande presse » touche la masse, et c’est au moins aussi intéressant qu’une prétendue élite intellectuelle de gauche qui se veut pure mais se trouve mal placée pour donner des leçons ». Voilà, c’est envoyé ! 

La presse magazine d’alors, contrairement à celle d’aujourd’hui, cherchait le contre-pied, et non l’asservissement aux mêmes idées. Dans Elle du 6 juillet 1981, Monica Vitti opérait un tournant stratégique dans sa carrière, à 44 ans, se détachant ainsi des rôles sensuels et dramatiques qui lui collaient à la peau. Elle revendiquait le nez rouge comme sa vocation avouant qu’elle avait eu « son premier succès involontaire » au théâtre, à l’adolescence : « Pour un rôle que je croyais profondément dramatique ; eh bien, toute la salle s’est écroulée de rire ! J’étais très vexée. Aujourd’hui, c’est ce que je veux, les rires du public ». On ne sacralisait pas tellement le cinéma comme le prouve l’entretien hilarant accordé à Martin Veyron en 1985 dans L’Echo des Savanes pour l’adaptation de sa BD L’Amour propre au cinéma. L’intervieweur s’étonne que Claude Zidi, le producteur, lui ait confié la réalisation alors qu’il n’avait jamais mis les pieds sur un plateau. « Vous savez, la production payait directement les techniciens, les comédiens, il n’y avait aucun risque que je dépense les sous avec des filles ou au bistrot » rétorquait-il, aussi désabusé que Bernard Lermite, son double de papier. 

A lire aussi, du même auteur: Alors, on lit quoi cet été ?

Dans le mensuel A Suivre dédié à l’illustration en 1978, Hergé, le créateur de Tintin, évoquait ses goûts littéraires à François Rivière. Celui qui fut un grand lecteur de Balzac, Flaubert, Stendhal, Dostoïevski et Dickens avait évolué. En 1978, « il y a quelque chose de décisif, c’est la psychologie des profondeurs de Jung. Lui m’a orienté vers les philosophies qui ne sont pas seulement des idées et des mots, mais que je ressens dans tout mon être » disait-il. De toutes mes collections, j’ai un faible pour les Lui avec Sophie Favier nue en relief mais surtout pour les confidences de star. En 1986, Irène Blanc avait passé trois jours avec Chaban « pressenti » comme Premier ministre de la cohabitation qui donnait une définition (de normand) du gaullisme : « Le gaullisme n’envisage pas la vie sans liberté mais pas non plus la liberté sans justice sociale […] Si le tout-Etat est inacceptable et finalement meurtrier, le sans-Etat est destructeur ». Sardou, en janvier 1983, était plus direct sur son rôle d’homme public : « Je n’aime pas la foule, j’ai même horreur de la foule. Je suis à l’envers de ce que je fais. […] Dans ce métier, on est toujours en représentation, on fait gaffe à ne pas grossir, on fait gaffe à être aimable, on fait gaffe à tout. Et moi, il y a des moments où j’ai pas envie de faire gaffe ! ». Vive les vieux journaux !

Ouverture des JO: Olympic Lapalissades

Une cérémonie pour le meilleur et pour le pire, où d’indéniables moments de bravoure ont côtoyé la laideur la plus convenue.


Depuis quelques semaines, les “auteurs” de la cérémonie d’ouverture des JO se réjouissaient bruyamment dans la presse des surprises qu’ils nous réservaient. On devinait même, au fil des interviews des uns et des autres, accordées comme il se doit à la crème des médias bobo, que le metteur en scène Thomas Jolly, l’historien Patrick Boucheron, la romancière Leïla Slimani, la scénariste Fanny Herrero et l’animatrice Daphné Bürki – surtout elle d’ailleurs – éprouvaient un indicible plaisir aristocratique à se compter parmi l’élite sachant déjà tout du spectacle qui serait bientôt diffusé en mondiovision.

Vanitas vanitatum ! Au lendemain de l’événement, force est de constater que ce ne sont pas les petits secrets de ces quelques happy fews auto-satisfaits qui resteront gravés dans les mémoires des téléspectateurs. Les moments les plus marquants des quatre heures de show sont totalement étrangers aux travaux de l’équipe artistique. Car l’idée de faire défiler les 200 délégations nationales à bord de bateaux sur la Seine n’est pas la leur. Pas davantage que celle de faire aboutir le parcours de la flamme olympique au pied d’un ballon stationnaire amarré dans le jardin des Tuileries, lieu de décollage historique des premières montgolfières au XVIIIème siècle.

Pour autant, il faut reconnaître que de nombreuses séquences signées par Joly et ses camarades furent très réussies : le french cancan des danseuses du Moulin rouge sur le quai d’Orléans ; le Ah ça ira ! entonné à bord d’une caraque, ce bateau emblématique de Paris, par la mezzo-soprano franco-suisse Marina Viotti accompagnée du groupe de rock metal français Gojira ; la pièce de ballet contemporain, imaginée par la chorégraphe Maud Le Pladec (directrice du Centre chorégraphique national d’Orléans) et interprétée par 420 danseurs venus des quatre coins de la France devant un Hôtel-Dieu paré pour l’occasion de milliers de bandes dorées et argentées ; le show laser, évoquant les meilleures heures de Jean-Michel Jarre dans les années 80, à la tour Eiffel ; et bien sûr, le point final : Céline Dion chantant L’Hymne à l’amour d’Édith Piaf pour clôturer la soirée de la façon la plus classique et humaine qui soit.

Mais pourquoi diable avoir rajouté, entre ces moments de grâce, tant de séquences pathétiques ? Qui a cru subtil de se moquer lourdement, dans un pays qui a aboli la peine de la mort, de la pauvre Marie-Antoinette, en la montrant décapitée à une fenêtre de la Conciergerie, le lieu même de son abominable martyre ? Comment ne pas se croire en Corée du Nord devant la célébration en carton pâte des “femmes inspirantes” dont Olympe de Gouge, Gisèle Halimi et Simone Veil ? Et ne parlons pas de l’interminable show LGBT+ sur la Passerelle Debilly. Une consternante démonstration de conformisme woke, avec femmes à barbe de rigueur.

La ville lumière est sans aucun doute un haut lieu du travestissement et de l’excentricité sexuelle. Seulement, le chevalier d’Eon, George Sand, Rrose Sélavy et Michou ont dû se retourner dans leur tombe durant cette bacchanale sans inventivité, qui aurait pu aussi bien se jouer à Las Vegas, Berlin ou Sydney. Cerise sur le gâteau, son point d’orgue fut une parodie kitsch de la Cène de Léonard de Vinci, manière confortable de gifler sa grand-mère et surtout de confirmer combien les rebelles officiels ont besoin du christianisme honni s’ils veulent donner à leur existence plus d’épaisseur qu’un projet marchand de discothèque à plein temps.

Enfin et surtout, si on porte un regard woke sur la cérémonie d’hier, on ne peut que remarquer une chose : les personnes “racisées”, soit les victimes systémiques de l’Occident à en croire les Insoumis, ont presque toutes été employées hier dans les moments faits d’ordre et de solennité : pendant la Marseillaise (interprétée par la talentueuse Axelle Sait-Cirel, d’origine guadeloupéenne), au cours du relais de la flamme final, avec des légendes du sport telles que Zinédine Zidane, Teddy Riner et Marie-José Pérec, mais aussi bien sûr à chaque fois qu’un athlète du Sud global, en costume national pré-colonial, brandissait fièrement son drapeau.

Pas question pour les auteurs de la cérémonie de demander à des non-blancs de se prêter à quelque orgie décadente… Oh pardon, il y avait certes une drag queen noire, mais qui portait, tel un transfuge de race, une perruque blonde ! Bref le message adressé au reste du monde était limpide : nous avons une capitale superbe et accueillante, des traditions magnifiques et universalisables, et une ouverture aux autres inédite dans l’histoire. Mais la population de souche de la ville est au ras des pâquerettes, ne sachant plus où elle habite. Alors, venez vite la remplacer !

M. Macron et son rêve secret


Une chose est certaine, on ne pourra pas reprocher aux organisateurs de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques labellisés Paris 2024 de ne pas avoir strictement observé les impératifs du moment. Impératifs moraux autant qu’idéologiques, bien entendu. Pour complaire à l’intelligentsia, je veux dire la nôtre, celle de notre Occident allègrement en voie de déconstruction, il fallait absolument que la chose fût inclusive. Or, pour l’être, inclusive, elle l’aura été. Tout a été dûment racisé, transgenré, drag-queenisé, lesbianisé, arc-en-ciélisé. Du rose en abondance. Et de la gesticulation désarticulée à foison. On se disait que la pluie allait finir par rafraîchir tant d’ardeurs. Nullement. Le pays, la France, dans tout ça ? Ce n’était probablement pas là sa place. « Cachons cette France que nous ne saurions voir ». 

Ce qu’il s’agit de montrer désormais est l’adhésion supposée de la nation à l’internationale wokisée, cela en donnant à voir à la planète entière une cérémonie qui aurait pu avoir lieu à l’identique à peu près partout dans le monde où le travail de sape évoqué ci-dessus est en cours. En gros, pour simplifier, partout en Occident mais aussi dans quelques autres contrées par-ci par-là. C’est d’ailleurs le but recherché. L’inversion radicale du principe de l’olympisme. À l’origine, ce rendez-vous quadriennal devait donner lieu à l’expression du génie de chaque nation dans le cadre pacifié d’une confrontation sportive les réunissant toutes. Désormais le principe même se trouve totalement détourné. Ce qui doit être absolument mis en avant n’est autre que le degré d’immersion, de dilution de ces mêmes nations dans un universalisme apatride, aculturé, véritable fosse commune de leurs identités, de leurs spécificités, de leurs richesses civilisationnelles. 

Paradoxalement, on ne songe pas encore à supprimer les drapeaux nationaux. Qu’on se rassure ! S’ils sont – pour l’heure – épargnés, ce n’est pas en raison du sens qu’ils portent, du symbole qu’ils représentent, mais tout simplement parce que ça fait joli, avec toutes ces couleurs, n’est-ce pas. Ça apporte du clinquant au décorum. On a donc eu tout cela. En longueur. Car c’était long, en effet. Quand la scène a les dimensions de la Seine, évidemment l’occuper en entier, la traverser de cour à jardin, ça prend du temps.

Et puis Céline vint. Enfin. Dion chantant Piaf. L’émotion vraie. La sublime Céline, ressuscitée. Reparaissant à la face du monde, elle ne pouvait rêver meilleur moment, meilleur lieu. On s’en réjouit pour elle, évidemment. De la Tour Eiffel, elles deux – Céline et Piaf – ont rayonné quelques instants à travers le monde. Et donc, nous la France, avec elles. Un peu au moins. C’est déjà cela.

M. Macron s’est dit très content de sa cérémonie d’ouverture. Personnellement, je le comprends. Lorsque j’ai vu ces délégations de tous les pays embarquées sur des péniches, je me suis dit immédiatement : « Belle satisfaction pour le président : après nous avoir emmenés si longtemps en bateau nous autres Français, voilà qu’il s’offre à présent le plaisir d’y emmener le monde entier! »

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Voile à visière et œillères sur le voile

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Une solution a été bricolée à la dernière minute par les instances sportives françaises pour que l’athlète Sounkamba Sylla, qui porte un voile islamique, puisse participer à la cérémonie d’ouverture des JO… La sprinteuse arborait une casquette agrémentée d’une bande de tissu cousue main, afin de dissimuler entièrement sa chevelure.


Éclipsée par les commentaires sur la dimension carnavalesque de la cérémonie d’ouverture, l’athlète Sounkamba Sylla a donc pu y participer avec une « casquette » au lieu d’un voile islamique – disons plutôt, pour être honnêtes : avec un voile à visière. Accommodement raisonnable…. ou pas ? L’avenir le dira. Mais ce qui est immédiatement frappant, c’est la constance avec laquelle la plupart des arguments avancés à ce sujet évitent soigneusement l’essentiel, et rivalisent de mauvaise foi.

L’hypocrisie du CIO

Ainsi, Sounkamba Sylla elle-même avait déclaré : « Tu es sélectionnée aux JO, organisés dans ton pays, mais tu ne peux pas participer à la cérémonie d’ouverture parce que tu portes un foulard sur la tête », ce qui est évidemment faux. Il n’a jamais été question de l’empêcher de participer à la cérémonie d’ouverture parce que dans sa vie de tous les jours elle porte un foulard sur la tête, il lui a seulement été imposé d’enlever ce foulard le temps de la cérémonie d’ouverture.

Le Comité International Olympique interdit toute « propagande politique, religieuse ou raciale », mais considère le voile islamique comme culturel et non cultuel. Hypocrisie absurde, tant les défenseurs du voile eux-mêmes revendiquent sa dimension religieuse – le simple fait de traiter « d’islamophobes » ceux qui rejettent le voile étant, de facto, une affirmation de la dimension islamique de ce symbole.

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Amnesty International qualifie sur ce point la politique française de « deux poids, deux mesures discriminatoire. » Là encore, c’est un non-sens : la règle est identique pour tous et pour toutes les religions, mais il se trouve que seuls certains athlètes musulmans (de loin pas tous) ont autant de mal à accepter de ne pas pouvoir afficher ostensiblement leur adhésion à un culte.

Au demeurant, si la France pratique un « deux poids, deux mesures discriminatoire » c’est plutôt en faveur de l’islam. Et là, ce sont les arguments des défenseurs de la laïcité qui ont soudain des pudeurs de gazelle.

En effet, la grande qualité de la laïcité est de soumettre les religions à la loi commune, du moins en théorie. J’aurai beau expliquer que je vénère Bacchus et qu’à ce titre la dégustation de bons vins est pour moi un acte religieux et une action de grâces, cela ne me donnera pas le droit de conduire avec plus d’alcool que de sang dans les veines ! Irais-je prétendre qu’on m’interdit de conduire à cause de ma foi, on saurait (je l’espère) me rétorquer que non, la loi ne me discrimine pas, elle refuse au contraire que ma religion me serve de passe-droit, ce qui constituerait une discrimination au détriment de tous les autres citoyens. Autrement dit, ce qui est interdit à tous (par exemple conduire en état d’ivresse) n’est pas non plus permis aux adeptes d’une religion qui le prescrit.

Accommodements déraisonnables

Or, la République tolère aujourd’hui bien des choses, lorsqu’elles sont faites au nom de l’islam, qui seraient unanimement condamnées si elles étaient faites au nom de n’importe quelle autre idéologie : sexisme, homophobie, refus de la liberté de conscience, et j’en passe. Voilà un véritable « deux poids, deux mesures discriminatoire », d’ailleurs contraire tant à l’esprit de la laïcité qu’à la loi, en particulier à la loi de 1905 et à son titre V relatif à la police des cultes.

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Ce que l’on ose rarement dire, c’est que le problème du voile islamique, et plus largement du hijab, du burqini, etc, n’est pas leur dimension religieuse mais le projet de société dont ces oripeaux sont les étendards. Il ne s’agit évidemment pas de présumer des convictions intimes et des motivations personnelles de telle ou telle femme portant le voile (bien que lorsque celle-ci insiste sur son voile mais ne voit aucun problème à se montrer bras nus et jambes largement visibles, on s’interroge nécessairement) mais simplement de constater l’évidence : la signification d’un symbole arboré dans l’espace public n’est pas déterminée par le for intérieur de la personne qui arbore ce symbole, mais par le sens de celui-ci dans la vie collective. Le salut nazi est interdit (fort heureusement) et affirmer que « oui mais pour moi ce n’est pas un salut nazi mais un salut romain » ne permet pas de contourner cette interdiction. Le voile est le seul « bout de tissu » au monde au nom duquel des États (et non des moindres) persécutent, harcèlent, emprisonnent, torturent et tuent des femmes, tout comme l’islam est la seule religion au monde au nom de laquelle des États (et non des moindres) punissent de mort le blasphème (donc la liberté d’expression), l’apostasie (donc la liberté de conscience), l’homosexualité. La promotion du voile emporte avec elle un dédain non dissimulé pour celles qui ne le portent pas – le terme même de « mode pudique » très utilisé dans le monde anglo-saxon (« modest fashion ») sous-entend que les femmes non-voilées seraient impudiques – et simultanément une vision méprisante des hommes réputés incapables de freiner les pulsions que leur inspirerait la vue de la moindre mèche de cheveux.

La France passe son temps à expliquer au monde la laïcité

La laïcité permet simplement, ou devrait permettre, de dire que le projet de société que véhicule cette vision du monde et des rapports humains est incompatible avec la décence commune de la France et avec les fondements mêmes de ses mœurs et de ses lois, et ce peu importe que l’idéologie qui porte ce projet de société soit religieuse ou non.

Faut-il, dans le cadre des Jeux Olympiques comme dans d’autres (milieu scolaire notamment), n’interdire que les symboles manifestant une adhésion ostentatoire à une idéologie contraire aux règles élémentaires de la société, ou exiger une neutralité plus large ?

Officiellement, le choix qui est fait, et qui est généralement celui des défenseurs autoproclamés de la « laïcité républicaine », est celui de la neutralité. Je dis bien « officiellement » : la promotion insistante de ce que l’on regroupe sous le terme de wokisme lors de la cérémonie d’ouverture n’avait rien de neutre, politiquement parlant. Et même ceux qui ont apprécié cette cérémonie le reconnaissent, comme Sandrine Rousseau tweetant : « Meilleure réponse à la montée du fascisme et de l’extrême-droite cette cérémonie ». Notons que l’inverse est vrai aussi : une cérémonie d’ouverture évoquant la cinéscénie du Puy du Fou aurait évidemment eu ma préférence, mais aurait également été l’expression d’une certaine idée de la France, donc d’une vision politique (pas forcément politicienne, mais assurément politique).

Pour en revenir au voile, fut-il à visière, le choix de la neutralité est en apparence le plus facile voire le plus sage dans une situation comme la nôtre, où coexistent sur un même territoire des idéologies aussi incompatibles qu’irréconciliables. Mais c’est un choix de court terme, qui ne fait que remettre à plus tard l’inévitable confrontation politique avec des projets de société inacceptables.

Le démon farceur

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Mark Twain, “Le chien télégraphiste & autres textes rares”, lecture d’été savoureuse


Mark Twain (1835-1910), écrivain autodidacte né dans le Missouri, nous revient avec Le chien télégraphiste et quelques autres textes inédits en français ou qui ne parurent pas de son vivant. On le connaît surtout pour être l’auteur des Aventures de Tom Sawyer et d’Huckleberry Finn ; moins pour ses écrits courts, drôles, subversifs, absurdes, publiés dans divers journaux.

Présentée par Thierry Beauchamp, spécialiste de littérature américaine, cette édition de poche (Le Passeur) réjouira les amateurs qui refusent l’esprit de sérieux. Elle couvre une période de plus d’un demi-siècle, de 1852 à 1907, soit presque la totalité de la carrière littéraire de Marc Twain. Ce dernier, précise Beauchamp, « était un génie prolifique dont la méthode de travail consistait à faire feu de tout bois ». Twain écrivait plusieurs livres à la fois ; il en interrompait deux, finissait le troisième, tout en reprenant le quatrième. Sa table de travail était un vaste chantier naval. Un point commun à tous ces bateaux en cale sèche : la fluidité du récit. C’est vrai qu’on ne s’ennuie jamais à le lire ; c’est donc une lecture d’été, agréable et divertissante, dont il ne faut surtout pas se priver. C’est énergique, ça provoque le rire, même si parfois le démon farceur cède à la tentation du pessimisme. On le constate en particulier avec « Le chien télégraphiste », datée de 1907, soit trois ans avant sa mort. La vie n’a pas épargné l’écrivain : il a perdu sa fille Susy et son épouse Olivia, sa plus fidèle conseillère littéraire. Sans verser dans le cynisme, la nouvelle en question est une sorte de western crépusculaire, un peu comme les trois derniers films de John Wayne. On ne croit plus aux idéaux, le septième de cavalerie n’est pas composé que de braves, des renégats blancs renseignent les guerriers peaux-rouges qui se font trucider par dizaines. C’est assez désabusé. Quant au petit chien Billy, il va subir la méchanceté des hommes.

Mais je rassure le lecteur : tous les textes ne présentent pas la même tonalité. L’ensemble est plutôt drolatique, à l’image de « L’interviewer interviewé ».

Mark Twain, Le chien télégraphiste & autres textes rares et savoureux, Le Passeur Poche. 213 pages

Quand Liane de Pougy tombait dans les bras de Natalie Clifford Barney

Parce que nous avons lu Nana, nous pensons tout savoir des grandes cocottes qui enchantèrent la France du Second Empire et de la IIIe République. La lecture de leurs œuvres — parce que ces dames écrivaient, elles ne se contentaient pas de vendre deux jambons pour une andouille aux plus hautes altesses et aux grandes fortunes — jette un jour magique sur une époque bien révolue, où une femme ne hurlait pas au harcèlement quand on lui disait qu’on l’aimait, surtout si on lui proposait quelques centaines de milliers de francs-or et des bijoux de rêve en échange d’une heure de son temps. Notre chroniqueur est revenu émerveillé de ce voyage en érotologie.


Liane de Pougy (1869-1950) fut, avec Emilienne d’Alençon (1870-1945) et la belle Otero (1868-1965), l’une des trois merveilleuses de la Belle Epoque. De bonne extraction, elle savait aussi écrire, et a laissé des œuvres que les éditions Bartillat éditent ou rééditent avec une constance admirable.

Autre constance : ces dames qui fréquentaient tant de beaux messieurs étaient souvent plus portées sur les femmes. Liane de Pougy entretient ainsi une liaison quelque peu orageuse avec le bourreau des cœurs féminins des années 1890-1920, la délicieuse Amazone Natalie Clifford Barney — dite Moon Beam, dite Fleur-de-Lin, à cause de sa chevelure d’une blondeur presque excessive. Bartillat édite pour compléter la chronique — parue en feuilleton — de Liane de Pougy un roman refusé à l’époque, Lettres à une connue, où la sublime Américaine narre dans le détail sa passion pour la belle horizontale. 


Dix ans de fête égrène les aventures successives de Liane, dite Line, aussi bien dans les bras de butors qui la couvrent d’or que sur scène : c’est l’époque où Jean Lorrain, fantasque écrivain et grande folle de l’époque, lui fait jouer un rôle dans une pantomime de son invention — un genre fort goûté dans cette avant-guerre où l’on s’étourdit en attendant le pire. Sarah Bernhardt lui avait donné quelques cours, et en désespoir de cause, lui conseilla de « n’ouvrir la bouche que pour sourire ». Ce qu’elle fit, trente ans durant, avec talent.

Elle vécut, comme on dit, de ses charmes. Mais une demi-mondaine n’est pas une pierreuse (qui faisaient le tapin pour quelques pièces sur les tas de cailloux au bas des « fortifs ») ni une prostituée en maison — même si Liane s’amusa à amener Natalie dans l’un des bordels chics de l’époque. Une call girl actuelle se loue pour 3 ou 400 euros de l’heure, tarif de base. Liane de Pougy demandait au minimum 5000 francs / or, soit aux alentours de 25 000 €. Sans compter les cadeaux : elle se constitua ainsi un collier de plusieurs centaines de perles à une époque où l’on ignorait les perles de culture, qui sont inventées à cette époque au Japon par Kokuchi Mikimoto.

Princes, ducs, banquiers (Maurice de Rothschild), fils de famille défilent dans son salon et halètent à la porte de sa chambre : ils meurent tous du désir de l’avoir à leur bras, alors qu’elle n’accorde que rarement ses faveurs, et, de son propre aveu, répugne à la fellation et au coït vaginal. Va comprendre, Charles…

Des hommes de Lettres aussi : pendant que son amie Valtesse de la Bigne fait transpirer d’amour le pauvre Zola, Liane séduit Henri Meilhac, qui avec Halévy avait écrit les livrets des opérettes d’Offenbach. Et Goncourt, qui en avait pourtant connu d’autres, la décrète « plus jolie femme du siècle ». Et Cocteau, dans Reines de la France, la décrira ainsi : « Le poing sur la hanche, harnachée de perles, cuirassée de diamants, Liane de Pougy avançait parmi les tables de Maxim’s avec l’indifférence des astres. Les hommes se levaient, la saluaient. Elle continuait sa route ». La séduction par l’indifférence. Prenez-en de la graine, gourgandines !

Enter Natalie Clifford Barney, héritière américaine richissime, poétesse de talent, et séductrice irrésistible : elle s’est présentée chez Liane habillée en page florentin, « page de l’Amour », dit-elle. Liane lui offrira, en gage de cet amour, une bague signée Lalique en argent, émail bleu et opales, ornée d’une chauve-souris (symbole d’homosexualité, qu’on se le dise). Elle est aujourd’hui au Musée des Arts décoratifs — où est exposé aussi le lit de parade de Valtesse de la Bigne, ce fameux lit que Zola mourait de voir et que la célèbre courtisane lui refusa toujours de contempler.

Liane fut ainsi la première des Parisiennes à tomber dans les bras de l’Américaine. Suivront Renée Vivien, Lucie Delarue-Mardrus, la duchesse de Clermont-Tonnerre, Colette ou Romaine Brooks. Écrivaines de grand talent ou peintres tout aussi célèbres, le 1900 lesbien tout entier est dans le carnet d’adresses de Natalie, qui fut le vrai génie lesbien de son siècle — et du nôtre : ce n’est pas Marie-Jo Bonnet, vraie féministe et autrice de la somme incontournable sur Les Relations amoureuses entre les femmes du XVIe au XXe siècle, qui me démentira.

Deux livres qui en un sens se complètent. Celui de Liane de Pougy est une chronique intelligemment scandaleuse, écrite avec une indifférence exemplaire. Celui de Clifford Barney (à paraître au mois d’août) est un vrai roman par lettres — même s’il n’y a qu’une seule rédactrice, comme dans les Lettres de la religieuse portugaise. Elle décrit tour à tour l’anticipation sensuelle de la fête à venir, et le souvenir langoureux du plaisir passé, dans une langue incroyablement charnelle. Un livre écrit de la main gauche, si je puis dire.

À noter que son titre, Lettres à une connue, se réfère à un ouvrage posthume de Mérimée, Lettres à une inconnue (1873) — et inspirera sans doute le très beau roman de Stefan Zweig, Lettre d’une inconnue (1922). Il ne s’agit pas là de femmes qui par hasard écrivent, mais d’écrivains de talent, férus de littérature, qui se trouvent être des femmes — et, souvent, des lesbiennes : tirez-en la conclusion que vous voulez.

Un point encore ; Liane de Pougy entra finalement dans les ordres, chez les Dominicaines, pendant la Seconde Guerre mondiale, et devint Sœur Anne-Marie de la Pénitence. Après la mort de son second mari en 1945, elle loua une chambre au Carlton de Genève, et la transforma en cellule de nonne. C’est là qu’elle est morte. Mais selon ses vœux, elle fut enterrée dans l’enclos des sœurs au cimetière de Saint-Martin-le-Vinoux, en Isère. Elle a su ce qu’était le péché, et ce qu’était la Grâce.

Liane de Pougy, Dix ans de fête, Mémoires d’une demi-mondaine, Bartillat, septembre 2022, 232 p.

Natalie Clifford Barney, Lettres à une connue, Bartillat, août 2024, 193 p.

Faites vos Jeux, rien ne va plus

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À quelques heures de la cérémonie d’ouverture magique des JO, les derniers Français récalcitrants sont priés de se taire.


Joophiles, passez votre chemin. Je m’adresse ici aux grognons, aux coincés du festivisme, aux réfractaires à l’enthousiasme programmé, aux immunisés contre la religion du sport, aux rebelles aux effusions collectives, aux vaccinés contre le patriotisme des stades – ultime lieu où chérir son drapeau n’est pas nauséabond. Je veux parler aux flâneurs, promeneurs, marcheurs – à tous mes frères piétons de Paris réduits depuis des jours à se déplacer comme des rats de laboratoire dans un labyrinthe de grillage. 

Revenue dans ma ville, ou ce qui en restait, dimanche 21 juillet, j’ai cru qu’un coup d’État avait eu lieu la nuit précédente. Dûment munie de mon ausweis, j’ai traversé une ville déserte, hérissée de barrières et quadrillée de check-points. Il y avait un petit air de Santiago-Pinochet, mais en version Walt Disney, avec des gradins en plastique coloré, et des policiers et des gendarmes gentils – « bienveillants », a sermonné Gérald Darmanin. Et ils le sont. Même s’ils n’ont droit qu’à dix jours de vacances, et quand on en enlève un pour rallier la famille à Mirande dans le Gers et un autre pour rejoindre son affectation, ça ne fait pas lourd après une année de maintien de l’ordre. Ils sont rassurants. Dans le décor lunaire de Paris 2024, ces hommes et femmes en uniforme sont comme une survivance de l’ancienne réalité, absorbée par la fête. Muray parle quelque part de colonie distractionnaire. Nous y sommes.  

Nombre de mes amis parisiens qui vibrent pour ces JO dans leur maison du Luberon sont furieux contre moi. Qu’est-ce que ça peut te faire, c’est seulement pour quelques jours. D’abord, c’est faux. Voilà des mois que ce cirque olympique pourrit la vie de millions de franciliens, les empêchant de travailler correctement et de se déplacer normalement. Ensuite, pour exiger des citoyens le sacrifice de leurs libertés essentielles, de dizaines d’heures de leur vie – et pour certains de leurs revenus -, il faudrait leur prouver que cela servira l’intérêt général. Il paraît que le rayonnement de la France est en jeu. C’est sûr, quand ce calvaire sera enfin fini, le rapport de forces géopolitiques sera bouleversé, les Chinois nous mangeront dans la main, et les Australiens achèteront nos sous-marins. En attendant, Jean-Baptiste Roques m’apprend que, pendant que nous faisons joujou, le monde continue à tourner : « Pendant que Macron préside des dîners de gala avec Mme Biden et le président de Coca-Cola, c’est-à-dire joue en deuxième division diplomatique, l’Allemagne et le Royaume-Uni préparent un nouvel accord post-Brexit Londres-Bruxelles. Et qui n’est pas sur la photo ? Nous ! » Quand d’autres brillent par leur technologie, leur puissance militaire, leur inventivité scientifique, la France, autrefois mère des arts, des armes et des lois, n’a plus à offrir au monde que sa capacité à organiser de gigantesques jeux du cirque et les ripailles de luxe qui vont avec. Qu’attendre d’autre d’un pays qui s’enorgueillit d’être la première destination touristique mondiale. La sortie de l’Histoire, c’est où ? 

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Bien entendu, personne n’est capable de démontrer que les bénéfices pour la collectivité vaudront les tourments infligés à des millions de citoyens. C’est le fait du prince en l’occurrence des princes car Emmanuel Macron et Anne Hidalgo, habituellement en bisbilles, font cause commune. C’est bon pour le peuple puisque nous l’avons décidé. En prime, je ne voudrais pas être mesquine, mais vu que les recettes annoncées fondent comme neige au soleil, nous serons priés de financer d’une façon ou d’une autre les extravagances olympiques – comme les indemnisations de commerçants. En bon français ça s’appelle un impôt. Pas de taxation sans représentation, ça ne veut pas dire que l’impôt doit être décidé par des représentants du peuple ? Et je ne vous parle pas du ticket de métro à quatre euros pour les nigauds qui ont dû rester à Paris pour travailler et/ou ne possèdent pas de résidence secondaire. 

D’ici quelques heures, toute voix dissidente sera étouffée par une immense clameur d’approbation. Après la cérémonie de ce soir, tout sera pardonné, à commencer par la mise à l’arrêt de la capitale de la France et la suspension de nos libertés fondamentales, comme celle d’aller et venir, d’ouvrir son magasin quand on est commerçant ou de prendre un train. On fera assaut de féérie, de magie et de superlatifs en tout genre. D’ailleurs, n’en doutons pas ce sera certainement joli, coloré, festif, ludique, chatoyant. Et édifiant à souhait. La présence parmi les auteurs de Patrick Boucheron, l’homme qui aime l’histoire de France quand elle n’est pas trop française – et qui, pour cela, occupe un poste éminent au Collège de France -, nous promet un salmigondis multi-culti – il sera question, semble-t-il, de « métissage planétaire ». Emportés par un unanimisme effrayant, des hésitants se rallieront à la liesse « populaire » et les derniers Gaulois réfractaires seront dénoncés comme ennemis du peuple. Les mauvais coucheurs sont des mauvais Français. 

Le pire, en effet, ce ne sont pas les saccages en eux-mêmes, c’est la propagande soviétique qui recouvre ces Olympiades de mensonge. La laideur, c’est la beauté, le flicage c’est la liberté, des places à 500 balles, c’est une fête populaire : nos grands leaders remettent Orwell au goût du jour. Comme me le souffle mon cher Stéphane Germain, nos glorieux dirigeants nous offrent la semaine de la joie olympique, il n’est pas question de se dérober. En février, lors de l’inauguration de l’Arena-porte de la Chapelle, on a vu l’improbable Hidalgo manœuvrer un fauteuil roulant pour promouvoir les Paralympiques. À l’appui de ce spectacle douteux, elle nous exhortait à la joie. « On va vibrer ensemble. Paris va être magnifique! Ne partez pas cet été, ce serait une connerie. » Aujourd’hui, elle les supplie de ne pas bouger de chez eux. Et de dire merci. Vous devriez être reconnaissants d’être séquestrés chez vous, vous pourrez vous gaver de cacahuètes en regardant sur votre télé pourrie le spectacle qui se déroule sous haute surveillance à quelques dizaines de mètres de vous. « Paris redevient une fête », titrait il y a peu Courrier International et ce n’était pas de l’humour. Le Parisien est en mode Pravda. France Inter nous inflige chaque matin de pénibles et prévisibles entretiens avec des athlètes – alors, vous êtes heureux, ces JO c’est un rêve, non ? – Oh oui un rêve que je vais enfin réaliser et quelles installations merveilleuses ! Pendant que les insoumis désignent les athlètes israéliens à la vindicte, et que la gauche promet de contester dans la rue sa défaite dans les urnes (et oui, 30 % c’est une défaite), le Parti des Médias nous parle de fraternité olympique. 

Alors oui, tout en admirant les voluptueuses montagnes où j’ai trouvé refuge, j’en profite tant qu’on peut encore râler. Je ne pardonnerai pas ce saccage. Ne pas en être est un droit de l’homme.

Numéro 50 de « Causeur » octobre 2017
Après des actes de vandalisme perturbant fortement le trafic SNCF des TGV, le Premier ministre Gabriel Attal se rend à une cellule de crise
Il va sans dire que je désapprouve totalement les malfaisants qui ont ajouté le chaos ferroviaire à la pagaille olympique. Ces artisans du terrorisme ont déjà réussi à enfermer dans la capitale des milliers d’estivants qui avaient prévu de fuir ce week-end. Ils ne gâchent pas seulement la fête mais plus encore mon plaisir de la gâcher, les mots étant des armes plus distinguées que le feu, très néanderthalien quand on y pense. Cette attaque low cost est un révélateur de notre vulnérabilité. Nous sommes outillés (enfin j’espère) pour déjouer des attaques sophistiquées et hautement technologiques. Des incendies, c’est imparable. Il faut croire que notre maîtrise des mondes virtuels ne nous a pas encore libérés de la bête matérialité du monde concret • EL

Elon Musk: Mais pourquoi est-il si méchant?

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Dans une interview accordée il y a quelques jours à l’intellectuel canadien Jordan Peterson, le patron de Tesla raconte comment le changement de sexe de l’un de ses enfants a, il y a quelques années, profondément ébranlé ses convictions progressistes.


Alors qu’il fut longtemps un fervent soutien du Parti démocrate, Elon Musk affiche depuis un peu plus de deux ans des idées politiques de plus en plus marquées à droite. Une position pour le moins détonante dans le secteur des high-tech américain, où la plupart des dirigeants ont voté pour Joe Biden en 2020.

« J’apporte mon soutien total au président Trump et espère son prompt rétablissement », a-t-il ainsi écrit sur X (le réseau social dont il est lui-même propriétaire) quelques heures après la tentative d’assassinat qui a visé, le 13 juillet dernier à Meridian (Pennsylvanie), l’ancien président des États-Unis. Avant toutefois de publier un démenti quant aux rumeurs sur sa participation financière à la prochaine campagne de celui-ci – le Wall Street Journal avait évoqué le chiffre de 45 millions de dollars par mois.

Autre preuve du combat que Musk entend livrer aux idées progressistes : l’interview qu’il a accordée en début de semaine à la star de la pensée conservatrice outre-Atlantique, Jordan Peterson. Une émission de près de deux heures et quart et déjà visionnée sur le Web plus de 67 millions de fois, où l’on en apprend un peu plus sur les raisons de ce virage idéologique.

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Le milliardaire y fait en effet quelques confidences sur la transition de genre que l’un de ses enfants, aujourd’hui âgé de 20 ans, a réalisé alors qu’il était encore mineur et pour lequel les médecins ont administré des inhibiteurs de puberté après autorisation parentale. « J’ai été amené à signer des documents, confie Musk. J’ai été trompé en faisant ça (…) Il y avait beaucoup de confusion et on m’a dit qu’il pourrait se suicider. »

D’après le quotidien USA Today, l’enfant en question s’appelle à présent Vivian Jenna Wilson, et a obtenu un changement de sexe et de nom à l’âge de 18 ans. « Je ne vis plus ni ne souhaite avoir de lien avec mon père biologique de quelque manière que ce soit », est-il écrit dans sa demande aux services de l’État civil de Santa Monica (Californie), datée du 22 juin 2022. « En gros, j’ai perdu mon fils, se désole à présent Musk. J’ai juré de détruire le virus woke après cela. Et nous faisons des progrès. »

On comprend mieux à présent pourquoi le milliardaire s’est insurgé le 17 juin dernier contre une loi californienne visant à interdire aux écoles de notifier aux parents l’orientation sexuelle de leurs enfants sans le consentement de ceux-ci. En réaction, Musk a annoncé qu’il déplacerait prochainement le siège de deux de ses entreprises actuellement basées en Californie, X et Space X, vers le Texas, État républicain où il a déjà établi le quartier général de sa société automobile Tesla.

Pascal Danel et le mal de mère

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Le chanteur, qui vient de disparaitre à l’âge de 80 ans, racontait son parcours singulier dans un livre


Pascal Danel s’est éteint dans la nuit du 25 juillet, à l’âge de 80 ans, victime d’un malaise cardiaque après une opération. La chanson française perd l’emblématique interprète des Neiges du Kilimandjaro et de La Plage aux romantiques. Il continuait à se produire lors de rares festivals en province, voici encore quelques mois, recueillant l’estime d’un public composé de plusieurs générations qu’il avait traversées avec générosité et simplicité. Son amour de la scène et du disque (il travaillait avec ses musiciens sur de nouvelles chansons) étaient aussi intacts que sa voix.

Une enfance difficile

Pascal Danel était né le 31 mars 1944, dans Paris occupé et bombardé. Sa mère l’abandonna à la naissance, et il resta hanté toute sa vie par cette fuite restée sans explication. On lui mentit, enfant, en affirmant qu’elle était très tôt décédée. Après les premiers succès de Pascal Danel, tous deux furent présentés l’un à l’autre dans le cadre d’une rencontre organisée par la presse. L’enfant découvrit, à l’âge de 22 ans, une mère restée jusqu’alors inconnue, qu’il revit peu. Il intitula son dernier ouvrage J’ai le mal de mère…

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Pascal Danel fut recueilli par ses grands-parents Jean-Marie et Alicia Buttafoco. Après avoir intégré un mouvement de résistance en Corse, Jean-Marie Buttafoco fut désigné pour fédérer les actions dans la capitale des Corses contre l’occupant nazi. L’arrestation puis la déportation sans retour de ses grands-parents, quelques jours après la naissance de Pascal Danel, signa un deuxième abandon. Il dut la vie sauve à la vivacité d’esprit d’une voisine de palier, qui le fit passer pour son propre enfant auprès des agents de la Gestapo. 

Commença alors une vie d’enfant placé, entre plusieurs familles et centres d’accueil, où Pascal Danel grandit en développant un sens progressif de l’adaptation. Il finit par être intégré au hameau-école d’Annelles, comme avant lui Michel Piccoli, Jean-Claude Pascal et Michel Auclair. Comme eux, il y découvrit sa vocation artistique, encouragé par son responsable, le docteur Préau, et son épouse. Pascal accola le nom du hameau-école d’Annelles à son prénom, pour créer son identité scénique. 

Premiers succès au milieu des années 60

Il intégra ensuite l’école de la rue Blanche, réussissant l’examen d’entrée muni d’une dispense de majorité signée par le docteur Préau. Il se produisit également à l’adolescence dans un cirque, présentant un numéro de funambule à moto dangereux. La rencontre avec Michel Delancray, que Pascal Danel suscita en dormant une nuit dans l’escalier de l’immeuble de l’auteur-compositeur, fut décisive. Le compagnonnage avec Lucien Morisse, patron du label Disc AZ et puissant responsable de la programmation musicale, lui permit d’accéder au succès. 

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Possédant un public fidèle aux strates variées, Pascal Danel a accompagné, avec ses chansons célèbres ou moins connues, nombre de familles francophones qui possédaient ses disques portant une œuvre personnelle. L’ami Jacob, Mamina, Les Trois dernières minutes constituent notamment des perles jouissant d’une moindre notoriété, mais d’une profonde sensibilité, comme Ton âme (Prix de la Rose d’Or). 

Politiquement proche de Mitterrand et de FO

En 1974, la rencontre à Château-Chinon entre Pascal Danel et François Mitterrand signa une amitié quasi-filiale et indéfectible. Margit et Pascal Danel, parents de l’artiste Jean-Pierre Danel, possédaient leur chambre à Latche (40), dans la maison de l’ancien président de la République. À partir des années 1980, l’artiste produisit des émissions de télévision (Cadence 3, puis Macadam) et organisa la programmation de la fête annuelle de Force Ouvrière pendant plusieurs années. 

Homme aux diverses complicités amicales et artistiques – on ne compte pas le nombre de ses proches dans le show-biz – Pascal Danel possédait avant tout une passion pour le public, qu’il souhaitait impatiemment retrouver après une période d’affaiblissement physique. Les dernières lignes qu’il a écrites sont pour lui : « Une bonne chanson, c’est celle que les personnes dans la salle auraient pu écrire. Parce que cette mélodie et ce texte, qui les fait vibrer, leur appartiennent. »

Marc Benveniste est co auteur de J’ai le mal de mère

Mélomanie insulaire

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À distance prophylactique des JO parisiens et de l’infernal « Hidalgo Land », tout n’est pas perdu des vieilles traditions, en France. Par chance, certaines d’entre elles perdurent jusque sur l’île de Ré. 


Si l’île de Ré n’est pas protégée des foules estivales surnuméraires qui en franchissent le pont chaque jour depuis La Rochelle, l’oasis charentaise demeure encore un territoire au patrimoine architectural et paysager ardemment préservé des outrages du modernisme, du mitage de la campagne, de l’invasion publicitaire, etc. Ce n’est plus si courant, de nos jours.  

Mozart en plein air et feu d’artifice lundi

Le patrimoine musical y est également à l’honneur, et ce depuis 37 ans qu’existe Musique en Ré, modeste mais exigeant festival de musique classique, implanté non seulement dans l’adorable capitale insulaire de St-Martin-de-Ré, mais dans plusieurs des splendides villages de « Ré-la-Blanche » – Ars, Loix, les Portes… Ouverte le 25 juillet, l’édition 2024 de Musique en Ré se poursuit jusqu’au 8 août. Avec pas moins de 16 concerts programmés, dont sept en plein air, gratuits ceux-ci.

C’est ainsi que St-Martin-de-Ré accueillera, place de la République, en plein air, ce 29 juillet, une soirée opéra avec Don Giovanni de Mozart, concert appelé à se clôturer par un feu d’artifice. Ars-en-Ré s’est réservé l’incontournable concert « Jeune Public », avec Le Petit Prince d’Antoine de St-Exupéry mis en musique par Marc-Olivier Dupin, avec l’Orchestre symphonique de Musique en Ré, dirigé par Florent Pujuila, et la projection concomitante de dessins originaux de Joann Sfar.

Du beau monde

On sait que la famille Casadesus honore l’île de Ré de ses multiples talents depuis maintes générations. Cette année, le maestro Jean-Claude Casadesus sera au pupitre de l’orchestre symphonique du festival dans Schéhérazade de Rimski-Korsakov. Très attendus également, Pierre Dumoussaud, lauréat des Victoires de la musique classique 2022, pour diriger Don Giovanni ; le chef Aurélien Azan Ziélinski (actuellement directeur de l’Orchestre National de la Radio-Télévision albanaise) associé au violoncelliste Xavier Philipps, Trevor Pinnock, légende internationale de la musique baroque ; Sarah Nemtanu, Nicolas Bône, Alexis Cardenas, Théo Fouchenneret, Alexandre Gattet, Marc Trénel, Thibault Noally, Vincent Beer-Demand.… 

Pas de seconds couteaux sur l’île de Ré : rien que du beau monde pour charmer les oreilles attentives.    

Musique en Ré, jusqu’au 8 aout 2024. Informations et programme détaillé sur www.musique-en-re.com

Chasseur de magazines

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Vieux numéros de "20 ans" et "Lui". DR.

Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, journaux, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour ce dimanche, il a choisi de nous parler de la presse magazine française. Il a beaucoup fouillé dans ses archives personnelles et déniché quelques pépites (interview, reportage, enquête, etc…) dans 20 ans, l’Echo des Savanes, Lui, Elle ou le mensuel A Suivre


Je suis tombé dans le papier, très tôt. J’en ai même fait mon métier. À vrai dire, j’aime autant la presse en kiosque que la « grande » littérature. La lecture des magazines dit de loisirs aura guidé toute ma jeunesse provinciale. Je suis venu aux Hussards, aux surréalistes et aux futuristes par l’entremise de revues récréatives. J’ai appris à écrire dans Bicross Magazine, Tennis de France et Moto Verte. On ne guérit jamais de cette enfance avec papier glacé, la tête penchée sur la presse spécialisée. 

La politique et la marche du monde ne m’intéressent que si elles sont maquettées entre l’essai d’une voiture de sport et une collection de maillots de bain. J’ai toujours préféré le superficiel à l’existentialisme des rédactions parisiennes. L’actualité est d’un ennui mortel. Par contre, se replonger dans les magazines datant des années 1970/1980 est aussi salutaire qu’épousseter les résidences secondaires au début du printemps. On s’aère l’esprit, on se libère, on apprend mille choses et on s’amuse franchement. 

A ne pas manquer, notre numéro de l’été: Causeur 125: En première ligne dans la guerre des idées, Notre jeunesse

Dans des titres considérés comme ineptes par les gens sérieux, on est fasciné par leur richesse de contenu, la pertinence de leurs interviews et une fraîcheur qui semble avoir disparu de nos médias militarisés. Se divertir n’est pas un crime. Qui pourrait croire que dans 20 ans, entre un reportage sur l’orgasme masculin et une sélection de « pulls tout pulpeux », on tombe sur une interview folle de Véronique Sanson d’octobre 1972 ? La journaliste l’interroge sur les prénoms. La chanteuse répond : « Pour moi, les gens ressemblent à leurs prénoms. Il y a les Martine, par exemple, des garces. Elles se ressemblent toutes. Petites bourgeoises qui ne pensent qu’à se faire épouser et à avoir des gosses. Oh… et puis les Marie-Dominique, pleines de boutons, brunasses et toujours à faire des coups en-dessous. Dans les restaurants, j’imagine le prénom des gens, et leur vie. On se trompe rarement, c’est marrant… ». On aime Véronique pour cette dinguerie-là. Un an auparavant, toujours dans 20 ans (numéro d’août 1971), le regretté Wolinski mettait les points sur les « i » et faisait la leçon aux donneurs de morale qui l’accusaient de récupération politique car le dessinateur officiait en même temps au Journal du Dimanche et à Charlie Hebdo. Sa réponse était sans appel : « Si j’accepte de travailler dans un journal de grande diffusion, c’est d’abord parce que je veux gagner assez d’argent pour vivre correctement en élevant mes enfants, ensuite parce que les dessins qui paraissent dans certaines publications ultra-politisées et confidentielles ne s’adressent qu’à des gens déjà convertis. La « grande presse » touche la masse, et c’est au moins aussi intéressant qu’une prétendue élite intellectuelle de gauche qui se veut pure mais se trouve mal placée pour donner des leçons ». Voilà, c’est envoyé ! 

La presse magazine d’alors, contrairement à celle d’aujourd’hui, cherchait le contre-pied, et non l’asservissement aux mêmes idées. Dans Elle du 6 juillet 1981, Monica Vitti opérait un tournant stratégique dans sa carrière, à 44 ans, se détachant ainsi des rôles sensuels et dramatiques qui lui collaient à la peau. Elle revendiquait le nez rouge comme sa vocation avouant qu’elle avait eu « son premier succès involontaire » au théâtre, à l’adolescence : « Pour un rôle que je croyais profondément dramatique ; eh bien, toute la salle s’est écroulée de rire ! J’étais très vexée. Aujourd’hui, c’est ce que je veux, les rires du public ». On ne sacralisait pas tellement le cinéma comme le prouve l’entretien hilarant accordé à Martin Veyron en 1985 dans L’Echo des Savanes pour l’adaptation de sa BD L’Amour propre au cinéma. L’intervieweur s’étonne que Claude Zidi, le producteur, lui ait confié la réalisation alors qu’il n’avait jamais mis les pieds sur un plateau. « Vous savez, la production payait directement les techniciens, les comédiens, il n’y avait aucun risque que je dépense les sous avec des filles ou au bistrot » rétorquait-il, aussi désabusé que Bernard Lermite, son double de papier. 

A lire aussi, du même auteur: Alors, on lit quoi cet été ?

Dans le mensuel A Suivre dédié à l’illustration en 1978, Hergé, le créateur de Tintin, évoquait ses goûts littéraires à François Rivière. Celui qui fut un grand lecteur de Balzac, Flaubert, Stendhal, Dostoïevski et Dickens avait évolué. En 1978, « il y a quelque chose de décisif, c’est la psychologie des profondeurs de Jung. Lui m’a orienté vers les philosophies qui ne sont pas seulement des idées et des mots, mais que je ressens dans tout mon être » disait-il. De toutes mes collections, j’ai un faible pour les Lui avec Sophie Favier nue en relief mais surtout pour les confidences de star. En 1986, Irène Blanc avait passé trois jours avec Chaban « pressenti » comme Premier ministre de la cohabitation qui donnait une définition (de normand) du gaullisme : « Le gaullisme n’envisage pas la vie sans liberté mais pas non plus la liberté sans justice sociale […] Si le tout-Etat est inacceptable et finalement meurtrier, le sans-Etat est destructeur ». Sardou, en janvier 1983, était plus direct sur son rôle d’homme public : « Je n’aime pas la foule, j’ai même horreur de la foule. Je suis à l’envers de ce que je fais. […] Dans ce métier, on est toujours en représentation, on fait gaffe à ne pas grossir, on fait gaffe à être aimable, on fait gaffe à tout. Et moi, il y a des moments où j’ai pas envie de faire gaffe ! ». Vive les vieux journaux !

Ouverture des JO: Olympic Lapalissades

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Paris, Cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, 26 juillet 2024 © Matthias Schrader/AP/SIPA

Une cérémonie pour le meilleur et pour le pire, où d’indéniables moments de bravoure ont côtoyé la laideur la plus convenue.


Depuis quelques semaines, les “auteurs” de la cérémonie d’ouverture des JO se réjouissaient bruyamment dans la presse des surprises qu’ils nous réservaient. On devinait même, au fil des interviews des uns et des autres, accordées comme il se doit à la crème des médias bobo, que le metteur en scène Thomas Jolly, l’historien Patrick Boucheron, la romancière Leïla Slimani, la scénariste Fanny Herrero et l’animatrice Daphné Bürki – surtout elle d’ailleurs – éprouvaient un indicible plaisir aristocratique à se compter parmi l’élite sachant déjà tout du spectacle qui serait bientôt diffusé en mondiovision.

Vanitas vanitatum ! Au lendemain de l’événement, force est de constater que ce ne sont pas les petits secrets de ces quelques happy fews auto-satisfaits qui resteront gravés dans les mémoires des téléspectateurs. Les moments les plus marquants des quatre heures de show sont totalement étrangers aux travaux de l’équipe artistique. Car l’idée de faire défiler les 200 délégations nationales à bord de bateaux sur la Seine n’est pas la leur. Pas davantage que celle de faire aboutir le parcours de la flamme olympique au pied d’un ballon stationnaire amarré dans le jardin des Tuileries, lieu de décollage historique des premières montgolfières au XVIIIème siècle.

Pour autant, il faut reconnaître que de nombreuses séquences signées par Joly et ses camarades furent très réussies : le french cancan des danseuses du Moulin rouge sur le quai d’Orléans ; le Ah ça ira ! entonné à bord d’une caraque, ce bateau emblématique de Paris, par la mezzo-soprano franco-suisse Marina Viotti accompagnée du groupe de rock metal français Gojira ; la pièce de ballet contemporain, imaginée par la chorégraphe Maud Le Pladec (directrice du Centre chorégraphique national d’Orléans) et interprétée par 420 danseurs venus des quatre coins de la France devant un Hôtel-Dieu paré pour l’occasion de milliers de bandes dorées et argentées ; le show laser, évoquant les meilleures heures de Jean-Michel Jarre dans les années 80, à la tour Eiffel ; et bien sûr, le point final : Céline Dion chantant L’Hymne à l’amour d’Édith Piaf pour clôturer la soirée de la façon la plus classique et humaine qui soit.

Mais pourquoi diable avoir rajouté, entre ces moments de grâce, tant de séquences pathétiques ? Qui a cru subtil de se moquer lourdement, dans un pays qui a aboli la peine de la mort, de la pauvre Marie-Antoinette, en la montrant décapitée à une fenêtre de la Conciergerie, le lieu même de son abominable martyre ? Comment ne pas se croire en Corée du Nord devant la célébration en carton pâte des “femmes inspirantes” dont Olympe de Gouge, Gisèle Halimi et Simone Veil ? Et ne parlons pas de l’interminable show LGBT+ sur la Passerelle Debilly. Une consternante démonstration de conformisme woke, avec femmes à barbe de rigueur.

La ville lumière est sans aucun doute un haut lieu du travestissement et de l’excentricité sexuelle. Seulement, le chevalier d’Eon, George Sand, Rrose Sélavy et Michou ont dû se retourner dans leur tombe durant cette bacchanale sans inventivité, qui aurait pu aussi bien se jouer à Las Vegas, Berlin ou Sydney. Cerise sur le gâteau, son point d’orgue fut une parodie kitsch de la Cène de Léonard de Vinci, manière confortable de gifler sa grand-mère et surtout de confirmer combien les rebelles officiels ont besoin du christianisme honni s’ils veulent donner à leur existence plus d’épaisseur qu’un projet marchand de discothèque à plein temps.

Enfin et surtout, si on porte un regard woke sur la cérémonie d’hier, on ne peut que remarquer une chose : les personnes “racisées”, soit les victimes systémiques de l’Occident à en croire les Insoumis, ont presque toutes été employées hier dans les moments faits d’ordre et de solennité : pendant la Marseillaise (interprétée par la talentueuse Axelle Sait-Cirel, d’origine guadeloupéenne), au cours du relais de la flamme final, avec des légendes du sport telles que Zinédine Zidane, Teddy Riner et Marie-José Pérec, mais aussi bien sûr à chaque fois qu’un athlète du Sud global, en costume national pré-colonial, brandissait fièrement son drapeau.

Pas question pour les auteurs de la cérémonie de demander à des non-blancs de se prêter à quelque orgie décadente… Oh pardon, il y avait certes une drag queen noire, mais qui portait, tel un transfuge de race, une perruque blonde ! Bref le message adressé au reste du monde était limpide : nous avons une capitale superbe et accueillante, des traditions magnifiques et universalisables, et une ouverture aux autres inédite dans l’histoire. Mais la population de souche de la ville est au ras des pâquerettes, ne sachant plus où elle habite. Alors, venez vite la remplacer !

M. Macron et son rêve secret

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Le président Macron et son épouse Brigitte, dîner de gala du CIO au Louvre, Paris, 25 juillet 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Une chose est certaine, on ne pourra pas reprocher aux organisateurs de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques labellisés Paris 2024 de ne pas avoir strictement observé les impératifs du moment. Impératifs moraux autant qu’idéologiques, bien entendu. Pour complaire à l’intelligentsia, je veux dire la nôtre, celle de notre Occident allègrement en voie de déconstruction, il fallait absolument que la chose fût inclusive. Or, pour l’être, inclusive, elle l’aura été. Tout a été dûment racisé, transgenré, drag-queenisé, lesbianisé, arc-en-ciélisé. Du rose en abondance. Et de la gesticulation désarticulée à foison. On se disait que la pluie allait finir par rafraîchir tant d’ardeurs. Nullement. Le pays, la France, dans tout ça ? Ce n’était probablement pas là sa place. « Cachons cette France que nous ne saurions voir ». 

Ce qu’il s’agit de montrer désormais est l’adhésion supposée de la nation à l’internationale wokisée, cela en donnant à voir à la planète entière une cérémonie qui aurait pu avoir lieu à l’identique à peu près partout dans le monde où le travail de sape évoqué ci-dessus est en cours. En gros, pour simplifier, partout en Occident mais aussi dans quelques autres contrées par-ci par-là. C’est d’ailleurs le but recherché. L’inversion radicale du principe de l’olympisme. À l’origine, ce rendez-vous quadriennal devait donner lieu à l’expression du génie de chaque nation dans le cadre pacifié d’une confrontation sportive les réunissant toutes. Désormais le principe même se trouve totalement détourné. Ce qui doit être absolument mis en avant n’est autre que le degré d’immersion, de dilution de ces mêmes nations dans un universalisme apatride, aculturé, véritable fosse commune de leurs identités, de leurs spécificités, de leurs richesses civilisationnelles. 

Paradoxalement, on ne songe pas encore à supprimer les drapeaux nationaux. Qu’on se rassure ! S’ils sont – pour l’heure – épargnés, ce n’est pas en raison du sens qu’ils portent, du symbole qu’ils représentent, mais tout simplement parce que ça fait joli, avec toutes ces couleurs, n’est-ce pas. Ça apporte du clinquant au décorum. On a donc eu tout cela. En longueur. Car c’était long, en effet. Quand la scène a les dimensions de la Seine, évidemment l’occuper en entier, la traverser de cour à jardin, ça prend du temps.

Et puis Céline vint. Enfin. Dion chantant Piaf. L’émotion vraie. La sublime Céline, ressuscitée. Reparaissant à la face du monde, elle ne pouvait rêver meilleur moment, meilleur lieu. On s’en réjouit pour elle, évidemment. De la Tour Eiffel, elles deux – Céline et Piaf – ont rayonné quelques instants à travers le monde. Et donc, nous la France, avec elles. Un peu au moins. C’est déjà cela.

M. Macron s’est dit très content de sa cérémonie d’ouverture. Personnellement, je le comprends. Lorsque j’ai vu ces délégations de tous les pays embarquées sur des péniches, je me suis dit immédiatement : « Belle satisfaction pour le président : après nous avoir emmenés si longtemps en bateau nous autres Français, voilà qu’il s’offre à présent le plaisir d’y emmener le monde entier! »

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Voile à visière et œillères sur le voile

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Sounkamba Sylla. Capture YouTube / Brico Man.

Une solution a été bricolée à la dernière minute par les instances sportives françaises pour que l’athlète Sounkamba Sylla, qui porte un voile islamique, puisse participer à la cérémonie d’ouverture des JO… La sprinteuse arborait une casquette agrémentée d’une bande de tissu cousue main, afin de dissimuler entièrement sa chevelure.


Éclipsée par les commentaires sur la dimension carnavalesque de la cérémonie d’ouverture, l’athlète Sounkamba Sylla a donc pu y participer avec une « casquette » au lieu d’un voile islamique – disons plutôt, pour être honnêtes : avec un voile à visière. Accommodement raisonnable…. ou pas ? L’avenir le dira. Mais ce qui est immédiatement frappant, c’est la constance avec laquelle la plupart des arguments avancés à ce sujet évitent soigneusement l’essentiel, et rivalisent de mauvaise foi.

L’hypocrisie du CIO

Ainsi, Sounkamba Sylla elle-même avait déclaré : « Tu es sélectionnée aux JO, organisés dans ton pays, mais tu ne peux pas participer à la cérémonie d’ouverture parce que tu portes un foulard sur la tête », ce qui est évidemment faux. Il n’a jamais été question de l’empêcher de participer à la cérémonie d’ouverture parce que dans sa vie de tous les jours elle porte un foulard sur la tête, il lui a seulement été imposé d’enlever ce foulard le temps de la cérémonie d’ouverture.

Le Comité International Olympique interdit toute « propagande politique, religieuse ou raciale », mais considère le voile islamique comme culturel et non cultuel. Hypocrisie absurde, tant les défenseurs du voile eux-mêmes revendiquent sa dimension religieuse – le simple fait de traiter « d’islamophobes » ceux qui rejettent le voile étant, de facto, une affirmation de la dimension islamique de ce symbole.

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Amnesty International qualifie sur ce point la politique française de « deux poids, deux mesures discriminatoire. » Là encore, c’est un non-sens : la règle est identique pour tous et pour toutes les religions, mais il se trouve que seuls certains athlètes musulmans (de loin pas tous) ont autant de mal à accepter de ne pas pouvoir afficher ostensiblement leur adhésion à un culte.

Au demeurant, si la France pratique un « deux poids, deux mesures discriminatoire » c’est plutôt en faveur de l’islam. Et là, ce sont les arguments des défenseurs de la laïcité qui ont soudain des pudeurs de gazelle.

En effet, la grande qualité de la laïcité est de soumettre les religions à la loi commune, du moins en théorie. J’aurai beau expliquer que je vénère Bacchus et qu’à ce titre la dégustation de bons vins est pour moi un acte religieux et une action de grâces, cela ne me donnera pas le droit de conduire avec plus d’alcool que de sang dans les veines ! Irais-je prétendre qu’on m’interdit de conduire à cause de ma foi, on saurait (je l’espère) me rétorquer que non, la loi ne me discrimine pas, elle refuse au contraire que ma religion me serve de passe-droit, ce qui constituerait une discrimination au détriment de tous les autres citoyens. Autrement dit, ce qui est interdit à tous (par exemple conduire en état d’ivresse) n’est pas non plus permis aux adeptes d’une religion qui le prescrit.

Accommodements déraisonnables

Or, la République tolère aujourd’hui bien des choses, lorsqu’elles sont faites au nom de l’islam, qui seraient unanimement condamnées si elles étaient faites au nom de n’importe quelle autre idéologie : sexisme, homophobie, refus de la liberté de conscience, et j’en passe. Voilà un véritable « deux poids, deux mesures discriminatoire », d’ailleurs contraire tant à l’esprit de la laïcité qu’à la loi, en particulier à la loi de 1905 et à son titre V relatif à la police des cultes.

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Ce que l’on ose rarement dire, c’est que le problème du voile islamique, et plus largement du hijab, du burqini, etc, n’est pas leur dimension religieuse mais le projet de société dont ces oripeaux sont les étendards. Il ne s’agit évidemment pas de présumer des convictions intimes et des motivations personnelles de telle ou telle femme portant le voile (bien que lorsque celle-ci insiste sur son voile mais ne voit aucun problème à se montrer bras nus et jambes largement visibles, on s’interroge nécessairement) mais simplement de constater l’évidence : la signification d’un symbole arboré dans l’espace public n’est pas déterminée par le for intérieur de la personne qui arbore ce symbole, mais par le sens de celui-ci dans la vie collective. Le salut nazi est interdit (fort heureusement) et affirmer que « oui mais pour moi ce n’est pas un salut nazi mais un salut romain » ne permet pas de contourner cette interdiction. Le voile est le seul « bout de tissu » au monde au nom duquel des États (et non des moindres) persécutent, harcèlent, emprisonnent, torturent et tuent des femmes, tout comme l’islam est la seule religion au monde au nom de laquelle des États (et non des moindres) punissent de mort le blasphème (donc la liberté d’expression), l’apostasie (donc la liberté de conscience), l’homosexualité. La promotion du voile emporte avec elle un dédain non dissimulé pour celles qui ne le portent pas – le terme même de « mode pudique » très utilisé dans le monde anglo-saxon (« modest fashion ») sous-entend que les femmes non-voilées seraient impudiques – et simultanément une vision méprisante des hommes réputés incapables de freiner les pulsions que leur inspirerait la vue de la moindre mèche de cheveux.

La France passe son temps à expliquer au monde la laïcité

La laïcité permet simplement, ou devrait permettre, de dire que le projet de société que véhicule cette vision du monde et des rapports humains est incompatible avec la décence commune de la France et avec les fondements mêmes de ses mœurs et de ses lois, et ce peu importe que l’idéologie qui porte ce projet de société soit religieuse ou non.

Faut-il, dans le cadre des Jeux Olympiques comme dans d’autres (milieu scolaire notamment), n’interdire que les symboles manifestant une adhésion ostentatoire à une idéologie contraire aux règles élémentaires de la société, ou exiger une neutralité plus large ?

Officiellement, le choix qui est fait, et qui est généralement celui des défenseurs autoproclamés de la « laïcité républicaine », est celui de la neutralité. Je dis bien « officiellement » : la promotion insistante de ce que l’on regroupe sous le terme de wokisme lors de la cérémonie d’ouverture n’avait rien de neutre, politiquement parlant. Et même ceux qui ont apprécié cette cérémonie le reconnaissent, comme Sandrine Rousseau tweetant : « Meilleure réponse à la montée du fascisme et de l’extrême-droite cette cérémonie ». Notons que l’inverse est vrai aussi : une cérémonie d’ouverture évoquant la cinéscénie du Puy du Fou aurait évidemment eu ma préférence, mais aurait également été l’expression d’une certaine idée de la France, donc d’une vision politique (pas forcément politicienne, mais assurément politique).

Pour en revenir au voile, fut-il à visière, le choix de la neutralité est en apparence le plus facile voire le plus sage dans une situation comme la nôtre, où coexistent sur un même territoire des idéologies aussi incompatibles qu’irréconciliables. Mais c’est un choix de court terme, qui ne fait que remettre à plus tard l’inévitable confrontation politique avec des projets de société inacceptables.

Le démon farceur

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L'écrivain américain Mark Twain (1835-1910) © Mary Evans / AF Archive / Sipa

Mark Twain, “Le chien télégraphiste & autres textes rares”, lecture d’été savoureuse


Mark Twain (1835-1910), écrivain autodidacte né dans le Missouri, nous revient avec Le chien télégraphiste et quelques autres textes inédits en français ou qui ne parurent pas de son vivant. On le connaît surtout pour être l’auteur des Aventures de Tom Sawyer et d’Huckleberry Finn ; moins pour ses écrits courts, drôles, subversifs, absurdes, publiés dans divers journaux.

Présentée par Thierry Beauchamp, spécialiste de littérature américaine, cette édition de poche (Le Passeur) réjouira les amateurs qui refusent l’esprit de sérieux. Elle couvre une période de plus d’un demi-siècle, de 1852 à 1907, soit presque la totalité de la carrière littéraire de Marc Twain. Ce dernier, précise Beauchamp, « était un génie prolifique dont la méthode de travail consistait à faire feu de tout bois ». Twain écrivait plusieurs livres à la fois ; il en interrompait deux, finissait le troisième, tout en reprenant le quatrième. Sa table de travail était un vaste chantier naval. Un point commun à tous ces bateaux en cale sèche : la fluidité du récit. C’est vrai qu’on ne s’ennuie jamais à le lire ; c’est donc une lecture d’été, agréable et divertissante, dont il ne faut surtout pas se priver. C’est énergique, ça provoque le rire, même si parfois le démon farceur cède à la tentation du pessimisme. On le constate en particulier avec « Le chien télégraphiste », datée de 1907, soit trois ans avant sa mort. La vie n’a pas épargné l’écrivain : il a perdu sa fille Susy et son épouse Olivia, sa plus fidèle conseillère littéraire. Sans verser dans le cynisme, la nouvelle en question est une sorte de western crépusculaire, un peu comme les trois derniers films de John Wayne. On ne croit plus aux idéaux, le septième de cavalerie n’est pas composé que de braves, des renégats blancs renseignent les guerriers peaux-rouges qui se font trucider par dizaines. C’est assez désabusé. Quant au petit chien Billy, il va subir la méchanceté des hommes.

Mais je rassure le lecteur : tous les textes ne présentent pas la même tonalité. L’ensemble est plutôt drolatique, à l’image de « L’interviewer interviewé ».

Mark Twain, Le chien télégraphiste & autres textes rares et savoureux, Le Passeur Poche. 213 pages

Quand Liane de Pougy tombait dans les bras de Natalie Clifford Barney

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Liane de Pougy (1869 - 1950). DR

Parce que nous avons lu Nana, nous pensons tout savoir des grandes cocottes qui enchantèrent la France du Second Empire et de la IIIe République. La lecture de leurs œuvres — parce que ces dames écrivaient, elles ne se contentaient pas de vendre deux jambons pour une andouille aux plus hautes altesses et aux grandes fortunes — jette un jour magique sur une époque bien révolue, où une femme ne hurlait pas au harcèlement quand on lui disait qu’on l’aimait, surtout si on lui proposait quelques centaines de milliers de francs-or et des bijoux de rêve en échange d’une heure de son temps. Notre chroniqueur est revenu émerveillé de ce voyage en érotologie.


Liane de Pougy (1869-1950) fut, avec Emilienne d’Alençon (1870-1945) et la belle Otero (1868-1965), l’une des trois merveilleuses de la Belle Epoque. De bonne extraction, elle savait aussi écrire, et a laissé des œuvres que les éditions Bartillat éditent ou rééditent avec une constance admirable.

Autre constance : ces dames qui fréquentaient tant de beaux messieurs étaient souvent plus portées sur les femmes. Liane de Pougy entretient ainsi une liaison quelque peu orageuse avec le bourreau des cœurs féminins des années 1890-1920, la délicieuse Amazone Natalie Clifford Barney — dite Moon Beam, dite Fleur-de-Lin, à cause de sa chevelure d’une blondeur presque excessive. Bartillat édite pour compléter la chronique — parue en feuilleton — de Liane de Pougy un roman refusé à l’époque, Lettres à une connue, où la sublime Américaine narre dans le détail sa passion pour la belle horizontale. 


Dix ans de fête égrène les aventures successives de Liane, dite Line, aussi bien dans les bras de butors qui la couvrent d’or que sur scène : c’est l’époque où Jean Lorrain, fantasque écrivain et grande folle de l’époque, lui fait jouer un rôle dans une pantomime de son invention — un genre fort goûté dans cette avant-guerre où l’on s’étourdit en attendant le pire. Sarah Bernhardt lui avait donné quelques cours, et en désespoir de cause, lui conseilla de « n’ouvrir la bouche que pour sourire ». Ce qu’elle fit, trente ans durant, avec talent.

Elle vécut, comme on dit, de ses charmes. Mais une demi-mondaine n’est pas une pierreuse (qui faisaient le tapin pour quelques pièces sur les tas de cailloux au bas des « fortifs ») ni une prostituée en maison — même si Liane s’amusa à amener Natalie dans l’un des bordels chics de l’époque. Une call girl actuelle se loue pour 3 ou 400 euros de l’heure, tarif de base. Liane de Pougy demandait au minimum 5000 francs / or, soit aux alentours de 25 000 €. Sans compter les cadeaux : elle se constitua ainsi un collier de plusieurs centaines de perles à une époque où l’on ignorait les perles de culture, qui sont inventées à cette époque au Japon par Kokuchi Mikimoto.

Princes, ducs, banquiers (Maurice de Rothschild), fils de famille défilent dans son salon et halètent à la porte de sa chambre : ils meurent tous du désir de l’avoir à leur bras, alors qu’elle n’accorde que rarement ses faveurs, et, de son propre aveu, répugne à la fellation et au coït vaginal. Va comprendre, Charles…

Des hommes de Lettres aussi : pendant que son amie Valtesse de la Bigne fait transpirer d’amour le pauvre Zola, Liane séduit Henri Meilhac, qui avec Halévy avait écrit les livrets des opérettes d’Offenbach. Et Goncourt, qui en avait pourtant connu d’autres, la décrète « plus jolie femme du siècle ». Et Cocteau, dans Reines de la France, la décrira ainsi : « Le poing sur la hanche, harnachée de perles, cuirassée de diamants, Liane de Pougy avançait parmi les tables de Maxim’s avec l’indifférence des astres. Les hommes se levaient, la saluaient. Elle continuait sa route ». La séduction par l’indifférence. Prenez-en de la graine, gourgandines !

Enter Natalie Clifford Barney, héritière américaine richissime, poétesse de talent, et séductrice irrésistible : elle s’est présentée chez Liane habillée en page florentin, « page de l’Amour », dit-elle. Liane lui offrira, en gage de cet amour, une bague signée Lalique en argent, émail bleu et opales, ornée d’une chauve-souris (symbole d’homosexualité, qu’on se le dise). Elle est aujourd’hui au Musée des Arts décoratifs — où est exposé aussi le lit de parade de Valtesse de la Bigne, ce fameux lit que Zola mourait de voir et que la célèbre courtisane lui refusa toujours de contempler.

Liane fut ainsi la première des Parisiennes à tomber dans les bras de l’Américaine. Suivront Renée Vivien, Lucie Delarue-Mardrus, la duchesse de Clermont-Tonnerre, Colette ou Romaine Brooks. Écrivaines de grand talent ou peintres tout aussi célèbres, le 1900 lesbien tout entier est dans le carnet d’adresses de Natalie, qui fut le vrai génie lesbien de son siècle — et du nôtre : ce n’est pas Marie-Jo Bonnet, vraie féministe et autrice de la somme incontournable sur Les Relations amoureuses entre les femmes du XVIe au XXe siècle, qui me démentira.

Deux livres qui en un sens se complètent. Celui de Liane de Pougy est une chronique intelligemment scandaleuse, écrite avec une indifférence exemplaire. Celui de Clifford Barney (à paraître au mois d’août) est un vrai roman par lettres — même s’il n’y a qu’une seule rédactrice, comme dans les Lettres de la religieuse portugaise. Elle décrit tour à tour l’anticipation sensuelle de la fête à venir, et le souvenir langoureux du plaisir passé, dans une langue incroyablement charnelle. Un livre écrit de la main gauche, si je puis dire.

À noter que son titre, Lettres à une connue, se réfère à un ouvrage posthume de Mérimée, Lettres à une inconnue (1873) — et inspirera sans doute le très beau roman de Stefan Zweig, Lettre d’une inconnue (1922). Il ne s’agit pas là de femmes qui par hasard écrivent, mais d’écrivains de talent, férus de littérature, qui se trouvent être des femmes — et, souvent, des lesbiennes : tirez-en la conclusion que vous voulez.

Un point encore ; Liane de Pougy entra finalement dans les ordres, chez les Dominicaines, pendant la Seconde Guerre mondiale, et devint Sœur Anne-Marie de la Pénitence. Après la mort de son second mari en 1945, elle loua une chambre au Carlton de Genève, et la transforma en cellule de nonne. C’est là qu’elle est morte. Mais selon ses vœux, elle fut enterrée dans l’enclos des sœurs au cimetière de Saint-Martin-le-Vinoux, en Isère. Elle a su ce qu’était le péché, et ce qu’était la Grâce.

Liane de Pougy, Dix ans de fête, Mémoires d’une demi-mondaine, Bartillat, septembre 2022, 232 p.

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Natalie Clifford Barney, Lettres à une connue, Bartillat, août 2024, 193 p.

Faites vos Jeux, rien ne va plus

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Hotel de Ville, Paris, 23 juillet 2024 © DORIAN DELETTRE/SIPA

À quelques heures de la cérémonie d’ouverture magique des JO, les derniers Français récalcitrants sont priés de se taire.


Joophiles, passez votre chemin. Je m’adresse ici aux grognons, aux coincés du festivisme, aux réfractaires à l’enthousiasme programmé, aux immunisés contre la religion du sport, aux rebelles aux effusions collectives, aux vaccinés contre le patriotisme des stades – ultime lieu où chérir son drapeau n’est pas nauséabond. Je veux parler aux flâneurs, promeneurs, marcheurs – à tous mes frères piétons de Paris réduits depuis des jours à se déplacer comme des rats de laboratoire dans un labyrinthe de grillage. 

Revenue dans ma ville, ou ce qui en restait, dimanche 21 juillet, j’ai cru qu’un coup d’État avait eu lieu la nuit précédente. Dûment munie de mon ausweis, j’ai traversé une ville déserte, hérissée de barrières et quadrillée de check-points. Il y avait un petit air de Santiago-Pinochet, mais en version Walt Disney, avec des gradins en plastique coloré, et des policiers et des gendarmes gentils – « bienveillants », a sermonné Gérald Darmanin. Et ils le sont. Même s’ils n’ont droit qu’à dix jours de vacances, et quand on en enlève un pour rallier la famille à Mirande dans le Gers et un autre pour rejoindre son affectation, ça ne fait pas lourd après une année de maintien de l’ordre. Ils sont rassurants. Dans le décor lunaire de Paris 2024, ces hommes et femmes en uniforme sont comme une survivance de l’ancienne réalité, absorbée par la fête. Muray parle quelque part de colonie distractionnaire. Nous y sommes.  

Nombre de mes amis parisiens qui vibrent pour ces JO dans leur maison du Luberon sont furieux contre moi. Qu’est-ce que ça peut te faire, c’est seulement pour quelques jours. D’abord, c’est faux. Voilà des mois que ce cirque olympique pourrit la vie de millions de franciliens, les empêchant de travailler correctement et de se déplacer normalement. Ensuite, pour exiger des citoyens le sacrifice de leurs libertés essentielles, de dizaines d’heures de leur vie – et pour certains de leurs revenus -, il faudrait leur prouver que cela servira l’intérêt général. Il paraît que le rayonnement de la France est en jeu. C’est sûr, quand ce calvaire sera enfin fini, le rapport de forces géopolitiques sera bouleversé, les Chinois nous mangeront dans la main, et les Australiens achèteront nos sous-marins. En attendant, Jean-Baptiste Roques m’apprend que, pendant que nous faisons joujou, le monde continue à tourner : « Pendant que Macron préside des dîners de gala avec Mme Biden et le président de Coca-Cola, c’est-à-dire joue en deuxième division diplomatique, l’Allemagne et le Royaume-Uni préparent un nouvel accord post-Brexit Londres-Bruxelles. Et qui n’est pas sur la photo ? Nous ! » Quand d’autres brillent par leur technologie, leur puissance militaire, leur inventivité scientifique, la France, autrefois mère des arts, des armes et des lois, n’a plus à offrir au monde que sa capacité à organiser de gigantesques jeux du cirque et les ripailles de luxe qui vont avec. Qu’attendre d’autre d’un pays qui s’enorgueillit d’être la première destination touristique mondiale. La sortie de l’Histoire, c’est où ? 

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Bien entendu, personne n’est capable de démontrer que les bénéfices pour la collectivité vaudront les tourments infligés à des millions de citoyens. C’est le fait du prince en l’occurrence des princes car Emmanuel Macron et Anne Hidalgo, habituellement en bisbilles, font cause commune. C’est bon pour le peuple puisque nous l’avons décidé. En prime, je ne voudrais pas être mesquine, mais vu que les recettes annoncées fondent comme neige au soleil, nous serons priés de financer d’une façon ou d’une autre les extravagances olympiques – comme les indemnisations de commerçants. En bon français ça s’appelle un impôt. Pas de taxation sans représentation, ça ne veut pas dire que l’impôt doit être décidé par des représentants du peuple ? Et je ne vous parle pas du ticket de métro à quatre euros pour les nigauds qui ont dû rester à Paris pour travailler et/ou ne possèdent pas de résidence secondaire. 

D’ici quelques heures, toute voix dissidente sera étouffée par une immense clameur d’approbation. Après la cérémonie de ce soir, tout sera pardonné, à commencer par la mise à l’arrêt de la capitale de la France et la suspension de nos libertés fondamentales, comme celle d’aller et venir, d’ouvrir son magasin quand on est commerçant ou de prendre un train. On fera assaut de féérie, de magie et de superlatifs en tout genre. D’ailleurs, n’en doutons pas ce sera certainement joli, coloré, festif, ludique, chatoyant. Et édifiant à souhait. La présence parmi les auteurs de Patrick Boucheron, l’homme qui aime l’histoire de France quand elle n’est pas trop française – et qui, pour cela, occupe un poste éminent au Collège de France -, nous promet un salmigondis multi-culti – il sera question, semble-t-il, de « métissage planétaire ». Emportés par un unanimisme effrayant, des hésitants se rallieront à la liesse « populaire » et les derniers Gaulois réfractaires seront dénoncés comme ennemis du peuple. Les mauvais coucheurs sont des mauvais Français. 

Le pire, en effet, ce ne sont pas les saccages en eux-mêmes, c’est la propagande soviétique qui recouvre ces Olympiades de mensonge. La laideur, c’est la beauté, le flicage c’est la liberté, des places à 500 balles, c’est une fête populaire : nos grands leaders remettent Orwell au goût du jour. Comme me le souffle mon cher Stéphane Germain, nos glorieux dirigeants nous offrent la semaine de la joie olympique, il n’est pas question de se dérober. En février, lors de l’inauguration de l’Arena-porte de la Chapelle, on a vu l’improbable Hidalgo manœuvrer un fauteuil roulant pour promouvoir les Paralympiques. À l’appui de ce spectacle douteux, elle nous exhortait à la joie. « On va vibrer ensemble. Paris va être magnifique! Ne partez pas cet été, ce serait une connerie. » Aujourd’hui, elle les supplie de ne pas bouger de chez eux. Et de dire merci. Vous devriez être reconnaissants d’être séquestrés chez vous, vous pourrez vous gaver de cacahuètes en regardant sur votre télé pourrie le spectacle qui se déroule sous haute surveillance à quelques dizaines de mètres de vous. « Paris redevient une fête », titrait il y a peu Courrier International et ce n’était pas de l’humour. Le Parisien est en mode Pravda. France Inter nous inflige chaque matin de pénibles et prévisibles entretiens avec des athlètes – alors, vous êtes heureux, ces JO c’est un rêve, non ? – Oh oui un rêve que je vais enfin réaliser et quelles installations merveilleuses ! Pendant que les insoumis désignent les athlètes israéliens à la vindicte, et que la gauche promet de contester dans la rue sa défaite dans les urnes (et oui, 30 % c’est une défaite), le Parti des Médias nous parle de fraternité olympique. 

Alors oui, tout en admirant les voluptueuses montagnes où j’ai trouvé refuge, j’en profite tant qu’on peut encore râler. Je ne pardonnerai pas ce saccage. Ne pas en être est un droit de l’homme.

Numéro 50 de « Causeur » octobre 2017
Après des actes de vandalisme perturbant fortement le trafic SNCF des TGV, le Premier ministre Gabriel Attal se rend à une cellule de crise
Il va sans dire que je désapprouve totalement les malfaisants qui ont ajouté le chaos ferroviaire à la pagaille olympique. Ces artisans du terrorisme ont déjà réussi à enfermer dans la capitale des milliers d’estivants qui avaient prévu de fuir ce week-end. Ils ne gâchent pas seulement la fête mais plus encore mon plaisir de la gâcher, les mots étant des armes plus distinguées que le feu, très néanderthalien quand on y pense. Cette attaque low cost est un révélateur de notre vulnérabilité. Nous sommes outillés (enfin j’espère) pour déjouer des attaques sophistiquées et hautement technologiques. Des incendies, c’est imparable. Il faut croire que notre maîtrise des mondes virtuels ne nous a pas encore libérés de la bête matérialité du monde concret • EL

Elon Musk: Mais pourquoi est-il si méchant?

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L'entrepreneur américain et sud-africain Elon Musk, Cannes, 19 juin 2024 © SYSPEO/SIPA

Dans une interview accordée il y a quelques jours à l’intellectuel canadien Jordan Peterson, le patron de Tesla raconte comment le changement de sexe de l’un de ses enfants a, il y a quelques années, profondément ébranlé ses convictions progressistes.


Alors qu’il fut longtemps un fervent soutien du Parti démocrate, Elon Musk affiche depuis un peu plus de deux ans des idées politiques de plus en plus marquées à droite. Une position pour le moins détonante dans le secteur des high-tech américain, où la plupart des dirigeants ont voté pour Joe Biden en 2020.

« J’apporte mon soutien total au président Trump et espère son prompt rétablissement », a-t-il ainsi écrit sur X (le réseau social dont il est lui-même propriétaire) quelques heures après la tentative d’assassinat qui a visé, le 13 juillet dernier à Meridian (Pennsylvanie), l’ancien président des États-Unis. Avant toutefois de publier un démenti quant aux rumeurs sur sa participation financière à la prochaine campagne de celui-ci – le Wall Street Journal avait évoqué le chiffre de 45 millions de dollars par mois.

Autre preuve du combat que Musk entend livrer aux idées progressistes : l’interview qu’il a accordée en début de semaine à la star de la pensée conservatrice outre-Atlantique, Jordan Peterson. Une émission de près de deux heures et quart et déjà visionnée sur le Web plus de 67 millions de fois, où l’on en apprend un peu plus sur les raisons de ce virage idéologique.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Enquête sur le lobby trans: l’argent n’a pas de sexe

Le milliardaire y fait en effet quelques confidences sur la transition de genre que l’un de ses enfants, aujourd’hui âgé de 20 ans, a réalisé alors qu’il était encore mineur et pour lequel les médecins ont administré des inhibiteurs de puberté après autorisation parentale. « J’ai été amené à signer des documents, confie Musk. J’ai été trompé en faisant ça (…) Il y avait beaucoup de confusion et on m’a dit qu’il pourrait se suicider. »

D’après le quotidien USA Today, l’enfant en question s’appelle à présent Vivian Jenna Wilson, et a obtenu un changement de sexe et de nom à l’âge de 18 ans. « Je ne vis plus ni ne souhaite avoir de lien avec mon père biologique de quelque manière que ce soit », est-il écrit dans sa demande aux services de l’État civil de Santa Monica (Californie), datée du 22 juin 2022. « En gros, j’ai perdu mon fils, se désole à présent Musk. J’ai juré de détruire le virus woke après cela. Et nous faisons des progrès. »

On comprend mieux à présent pourquoi le milliardaire s’est insurgé le 17 juin dernier contre une loi californienne visant à interdire aux écoles de notifier aux parents l’orientation sexuelle de leurs enfants sans le consentement de ceux-ci. En réaction, Musk a annoncé qu’il déplacerait prochainement le siège de deux de ses entreprises actuellement basées en Californie, X et Space X, vers le Texas, État républicain où il a déjà établi le quartier général de sa société automobile Tesla.

Pascal Danel et le mal de mère

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Le chanteur Pascal Danel photographié à Nancy le 22 avril 2008 © POL EMILE/SIPA

Le chanteur, qui vient de disparaitre à l’âge de 80 ans, racontait son parcours singulier dans un livre


Pascal Danel s’est éteint dans la nuit du 25 juillet, à l’âge de 80 ans, victime d’un malaise cardiaque après une opération. La chanson française perd l’emblématique interprète des Neiges du Kilimandjaro et de La Plage aux romantiques. Il continuait à se produire lors de rares festivals en province, voici encore quelques mois, recueillant l’estime d’un public composé de plusieurs générations qu’il avait traversées avec générosité et simplicité. Son amour de la scène et du disque (il travaillait avec ses musiciens sur de nouvelles chansons) étaient aussi intacts que sa voix.

Une enfance difficile

Pascal Danel était né le 31 mars 1944, dans Paris occupé et bombardé. Sa mère l’abandonna à la naissance, et il resta hanté toute sa vie par cette fuite restée sans explication. On lui mentit, enfant, en affirmant qu’elle était très tôt décédée. Après les premiers succès de Pascal Danel, tous deux furent présentés l’un à l’autre dans le cadre d’une rencontre organisée par la presse. L’enfant découvrit, à l’âge de 22 ans, une mère restée jusqu’alors inconnue, qu’il revit peu. Il intitula son dernier ouvrage J’ai le mal de mère…

A lire aussi: Délicieuse Adrienne Pauly

Pascal Danel fut recueilli par ses grands-parents Jean-Marie et Alicia Buttafoco. Après avoir intégré un mouvement de résistance en Corse, Jean-Marie Buttafoco fut désigné pour fédérer les actions dans la capitale des Corses contre l’occupant nazi. L’arrestation puis la déportation sans retour de ses grands-parents, quelques jours après la naissance de Pascal Danel, signa un deuxième abandon. Il dut la vie sauve à la vivacité d’esprit d’une voisine de palier, qui le fit passer pour son propre enfant auprès des agents de la Gestapo. 

Commença alors une vie d’enfant placé, entre plusieurs familles et centres d’accueil, où Pascal Danel grandit en développant un sens progressif de l’adaptation. Il finit par être intégré au hameau-école d’Annelles, comme avant lui Michel Piccoli, Jean-Claude Pascal et Michel Auclair. Comme eux, il y découvrit sa vocation artistique, encouragé par son responsable, le docteur Préau, et son épouse. Pascal accola le nom du hameau-école d’Annelles à son prénom, pour créer son identité scénique. 

Premiers succès au milieu des années 60

Il intégra ensuite l’école de la rue Blanche, réussissant l’examen d’entrée muni d’une dispense de majorité signée par le docteur Préau. Il se produisit également à l’adolescence dans un cirque, présentant un numéro de funambule à moto dangereux. La rencontre avec Michel Delancray, que Pascal Danel suscita en dormant une nuit dans l’escalier de l’immeuble de l’auteur-compositeur, fut décisive. Le compagnonnage avec Lucien Morisse, patron du label Disc AZ et puissant responsable de la programmation musicale, lui permit d’accéder au succès. 

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Possédant un public fidèle aux strates variées, Pascal Danel a accompagné, avec ses chansons célèbres ou moins connues, nombre de familles francophones qui possédaient ses disques portant une œuvre personnelle. L’ami Jacob, Mamina, Les Trois dernières minutes constituent notamment des perles jouissant d’une moindre notoriété, mais d’une profonde sensibilité, comme Ton âme (Prix de la Rose d’Or). 

Politiquement proche de Mitterrand et de FO

En 1974, la rencontre à Château-Chinon entre Pascal Danel et François Mitterrand signa une amitié quasi-filiale et indéfectible. Margit et Pascal Danel, parents de l’artiste Jean-Pierre Danel, possédaient leur chambre à Latche (40), dans la maison de l’ancien président de la République. À partir des années 1980, l’artiste produisit des émissions de télévision (Cadence 3, puis Macadam) et organisa la programmation de la fête annuelle de Force Ouvrière pendant plusieurs années. 

Homme aux diverses complicités amicales et artistiques – on ne compte pas le nombre de ses proches dans le show-biz – Pascal Danel possédait avant tout une passion pour le public, qu’il souhaitait impatiemment retrouver après une période d’affaiblissement physique. Les dernières lignes qu’il a écrites sont pour lui : « Une bonne chanson, c’est celle que les personnes dans la salle auraient pu écrire. Parce que cette mélodie et ce texte, qui les fait vibrer, leur appartiennent. »

Marc Benveniste est co auteur de J’ai le mal de mère

Mélomanie insulaire

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Musique en Ré, édition 2022 © P. Thièbaut

À distance prophylactique des JO parisiens et de l’infernal « Hidalgo Land », tout n’est pas perdu des vieilles traditions, en France. Par chance, certaines d’entre elles perdurent jusque sur l’île de Ré. 


Si l’île de Ré n’est pas protégée des foules estivales surnuméraires qui en franchissent le pont chaque jour depuis La Rochelle, l’oasis charentaise demeure encore un territoire au patrimoine architectural et paysager ardemment préservé des outrages du modernisme, du mitage de la campagne, de l’invasion publicitaire, etc. Ce n’est plus si courant, de nos jours.  

Mozart en plein air et feu d’artifice lundi

Le patrimoine musical y est également à l’honneur, et ce depuis 37 ans qu’existe Musique en Ré, modeste mais exigeant festival de musique classique, implanté non seulement dans l’adorable capitale insulaire de St-Martin-de-Ré, mais dans plusieurs des splendides villages de « Ré-la-Blanche » – Ars, Loix, les Portes… Ouverte le 25 juillet, l’édition 2024 de Musique en Ré se poursuit jusqu’au 8 août. Avec pas moins de 16 concerts programmés, dont sept en plein air, gratuits ceux-ci.

C’est ainsi que St-Martin-de-Ré accueillera, place de la République, en plein air, ce 29 juillet, une soirée opéra avec Don Giovanni de Mozart, concert appelé à se clôturer par un feu d’artifice. Ars-en-Ré s’est réservé l’incontournable concert « Jeune Public », avec Le Petit Prince d’Antoine de St-Exupéry mis en musique par Marc-Olivier Dupin, avec l’Orchestre symphonique de Musique en Ré, dirigé par Florent Pujuila, et la projection concomitante de dessins originaux de Joann Sfar.

Du beau monde

On sait que la famille Casadesus honore l’île de Ré de ses multiples talents depuis maintes générations. Cette année, le maestro Jean-Claude Casadesus sera au pupitre de l’orchestre symphonique du festival dans Schéhérazade de Rimski-Korsakov. Très attendus également, Pierre Dumoussaud, lauréat des Victoires de la musique classique 2022, pour diriger Don Giovanni ; le chef Aurélien Azan Ziélinski (actuellement directeur de l’Orchestre National de la Radio-Télévision albanaise) associé au violoncelliste Xavier Philipps, Trevor Pinnock, légende internationale de la musique baroque ; Sarah Nemtanu, Nicolas Bône, Alexis Cardenas, Théo Fouchenneret, Alexandre Gattet, Marc Trénel, Thibault Noally, Vincent Beer-Demand.… 

Pas de seconds couteaux sur l’île de Ré : rien que du beau monde pour charmer les oreilles attentives.    

Musique en Ré, jusqu’au 8 aout 2024. Informations et programme détaillé sur www.musique-en-re.com