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Pour une répression préventive

Quand j’étais au lycée, le directeur me convoqua un jour dans son bureau pour une bêtise que je n’avais pas faite. À ses questions sur la farce qui était plutôt comique mais que j’ai oubliée (désolé), je répondis que ce n’était pas moi et rajoutai : « Mais ça aurait pu l’être. » Quelques semaines plus tard, sans faits et sans preuves, j’étais viré. Motif : attitude négative. Dans sa grande sagesse, le responsable de l’établissement s’était débarrassé d’un insolent qui défiait l’autorité depuis un peu trop longtemps. Etait-ce juste ou pas ? Je l’ignore, mais à sa place aujourd’hui, je n’agirais pas autrement.

Dans un film dont j’ai oublié le titre, Sami Naceri est cerné par la police. Au lieu de mettre les mains en l’air comme on le lui ordonne, il fait le mariole, insulte, provoque et fait mine de dégainer en pointant sa main vide de toute arme sur une femme flic qui, se sentant menacée, le descend. Quand elle comprend que le braillard était désarmé, elle est bouleversée et gagnée par ce sentiment étrange et répandu surtout chez les innocents, la culpabilité. Franchement, je ne vois pas ce qu’il y a de bouleversant à flinguer Sami Naceri que je préfère voir torturé dans un roman de Dantec[1. Maurice G. Dantec, Artefact, Albin Michel, 2007, « Le monde de ce Prince ».] plutôt que pérorant à la télévision quand il devrait être en prison.

Mais oublions l’acteur et revenons au personnage du film. Est-il juste qu’il meure ? Je n’ai pas la réponse mais la leçon à tirer de cette histoire est que dans le doute, la police se défend. Si le message passe, le délinquant ne sera pas mort pour rien.

De même, que Saddam Hussein ait ou non détenu des armes de destruction massive n’a que peu d’importance. Qu’il l’ait fait croire au monde en baladant les inspecteurs de l’Onu pendant dix ans aura suffi à lui attirer les foudres de cet Occident qui ne craint pas ses ennemis. Attitude négative. Personne n’est à l’abri d’une guerre préventive. À bon entendeur, salut. Est-ce juste ? Le gendarme du monde marche parfois sur la justice mais je gage que l’avenir, à commencer par celui de l’Irak, donnera raison au regretté président Bush, n’en déplaise à ceux dont la pensée politique semble inspirée par les Guignols de l’Info.

Est-il juste que Julien Coupat soit en prison et Ivan Colonna condamné ? Que leurs sympathisants posent la question me paraît légitime, que les intéressés le fassent à l’ombre me semble indispensable.

Si vous écrivez des âneries sur la nécessité d’attaquer la société technologique en sabotant des trains, évitez de traîner près des rails les nuits de sabotage car vous pourriez attendre quelques mois derrière les barreaux que l’on établisse votre innocence ou votre culpabilité.

Si vous appartenez à un groupe d’où partent des coups de feu qui blessent des policiers, il se pourrait qu’on vous renvoie la balle et que vous en mouriez. Même si vous n’avez pas tiré vous même, même si vous n’avez pas d’armes. Est-ce juste ? Non, je vous l’accorde, mais je doute qu’à part chez les islamo-gauchistes on vous pleure très longtemps.

Si vous jouez le bandit corse avec tout le folklore, meurtre, embrouille, mensonge, aveux, désaveux, maquis et omerta, si, quand on vous aura gaulé comme une noix, vous prenez la justice de haut, vous courrez le risque d’être condamné sans preuves matérielles parce que l’intime conviction d’un jury suffit. Vous pourrez hurler au complot et en appeler à l’Europe mais depuis les geôles de la justice « coloniale ».

Avant de faire régner la justice, l’Etat se défend. À travers vous, l’Etat dissuade et je m’en réjouis. Tant pis pour ceux qui font semblant de tirer sur les flics, pour les dictateurs qui bluffent, les apprentis-révolutionnaires et les bergers bas du front. C’est une loi qu’on devrait enseigner aux écervelés comme l’eau qui mouille ou le feu qui brûle. L’Etat se défend et tant mieux parce que l’Etat c’est moi. Légitime défense. Quand on attaque la police ou qu’on bousille le chemin de fer, quand on menace ma civilisation ou qu’on assassine un Préfet, c’est moi qu’on vise parce que l’Etat, c’est moi.

Alors s’il arrive qu’en mon nom, on prenne quelques libertés avec la loi, les droits de la défense ou les droits de l’homme, je pense à Dirty Harry et je souris. Comme Mme Erignac depuis le verdict, je souris. Et quand une condamnation rend leur sourire aux veuves et aux orphelins, j’ai confiance dans la justice de mon pays. Vous trouvez ça injuste ?

Artefact

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Il est frais, mon Causeur

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numero10

Le numéro de Causeur du mois d’avril vient de paraître ! N’abandonnez pas aux poissonniers le monopole de s’en servir pour emballer le poisson. Abonnez-vous : vous y trouverez, réunis sous le titre de « Satan is back », des textes d’Elisabeth Lévy, Luc Rosenzweig, Marc Cohen, François Miclo, Bruno Maillé, Gil Mihaely, Jérôme Leroy, Basile de Koch, ainsi qu’un entretien exclusif avec Daniel Cohen. Retrouvez Causeur dans vos meilleures poissonneries (ou à défaut sur abonnement).

Le gouvernement Netanyahou : une coalition antinucléaire

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L’Iran d’abord : contrairement à ce que pensent la plupart des commentateurs, telle est la logique du nouveau gouvernement israélien présenté hier. Le casting de Netanyahou reflète et sans doute plus autant ses priorités stratégiques que ses calculs politiques. C’est dans cette perspective que se comprend le maintien d’Ehud Barak à la Défense ainsi que les choix du ministre des Affaires stratégiques et du ministre chargé des services de renseignements et de l’équivalent israélien du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Pour ces deux portefeuilles, Netanyahou a nommé le général Moshe Yaalon (que tout le monde appelle Boguy), ancien chef d’état-major, et Dan Meridor, ancien ministre de la Justice et vétéran du comité parlementaire chargé de la supervision des services de renseignements et des affaires stratégiques. En clair, c’est un cabinet de crise qui va devoir traiter ce dossier brûlant, lequel, selon l’analyse israélienne, est entré dans une phase critique.

Le calendrier a été défini le 25 mars par le général Yadlin, chef du renseignement militaire. Convoqué par la commission de sécurité et des affaires étrangères de la Knesset, cet ancien pilote de chasse qui a participé au raid sur le réacteur irakien Osirak en juin 1981 a déclaré que l’Iran avait dépassé le seuil technologique et que désormais, s’il décidait de se doter d’une arme nucléaire, il y parviendrait en quelques mois, au plus une année. Opérée par un lanceur de fabrication nationale, la mise en orbite d’un satellite par les Iraniens montre que la République islamique possède aussi des missiles capables de porter une tête nucléaire.
Netanyahou va donc observer de près ce que font les Américains qui donnent désormais la priorité aux tractations politiques pour parvenir à un accord avec l’Iran. Mais pendant que Barack Obama négocie, rien n’empêche Ehud Barak (ni la CIA d’ailleurs) de continuer la guerre secrète contre Téhéran et de prévoir, en coordination avec les Américains et les Européens, d’autres options plus violentes et moins discrètes. Au cas où. Autrement dit, l’option militaire est étudiée très sérieusement à Tel Aviv.

En faisant du dossier iranien – problème réel et urgent – la clé de voûte de sa stratégie, Netanyahou se montre très habile. Sur le plan national, cela lui permet d’intégrer les travaillistes dans sa coalition, ce qui a au moins trois avantages : présenter au public ce « gouvernement d’union nationale » qu’il apprécie tant, maquiller le socle de sa majorité qui repose à la fois sur la droite religieuse et sur la droite nationaliste et enfin, porter un coup supplémentaire au parti de Barak, déjà déplumé après les élections de février dernier. Très divisés – cinq députés travaillistes n’ont pas voté la confiance au gouvernement – et en chute libre dans les sondages, la plus vielle formation politique israélienne qui a promis-juré il y a un mois de se refaire une santé sur les bancs de l’opposition, aura du mal à retrouver son électorat aux prochaines échéances nationales.

L’espace politique que Barak vient d’abandonner n’a pas resté vide longtemps – Tzipi Livni, chef de Kadima, le plus grand parti de la Knesset, a montré par son discours musclé qu’elle a bien l’intention de se positionner comme le deuxième parti de gouvernement et donc comme une alternative.

Sur la scène internationale, l’argument iranien de Netanyahou est écouté. À Washington, Paris, Berlin et à Londres, on sait que l’Iran constitue une menace. Mais dans ces mêmes chancelleries, on craint aussi que Netanyahou n’utilise l’Iran comme prétexte pour traîner des pieds avec les Palestiniens et les Syriens. Cette méfiance n’est pas totalement infondée. Encore que quelles que soient les intentions réelles de Netanyahu, la situation au Proche-Orient est bel et bien bloquée, tout le monde attendant l’issue des négociations entre Obama et le gouvernement iranien pour savoir d’où vient le vent. Or, pour les Iraniens, leur influence sur le Hamas, le Hezbollah et la Syrie est une carte majeure dans le nouveau « grand jeu » qui s’annonce. Ils ont donc intérêt à tout verrouiller pour l’instant.

En conséquence, d’ici au moins six mois, il sera impossible d’avancer avec les Palestiniens et avec les Syriens. Netanyahou n’a donc aucune raison d’aller tout de suite au conflit avec ses alliés de droite qui le soutiennent sur le dossier iranien. Si, un règlement général devait être négocié avec l’Iran – ce qui me paraît hautement souhaitable mais un peu moins probable – la situation serait différente. Netanyahou devrait alors faire des choix politiques et idéologiques difficiles. On ne voit pas pourquoi l’Iran lâcherait à la fois la bombe, le Hezbollah et le Hamas, aiderait les Américains en Irak et en Afghanistan sans obtenir en contrepartie la reconnaissance de son statut de puissance régionale – perspective qui n’enthousiasme pas en Israël. Dans le cadre d’un tel arrangement global Israël aurait toute sa place mais il lui faudrait en échange renoncer à occuper celle des autres. Autrement dit, une fois l’hypothèque iranienne levée, les questions de la Cisjordanie et du Golan seront discutées sérieusement et Netanyahou devra choisir entre sa coalition et l’allié principal d’Israël. Par les temps qui courent, la première est plus facile à remplacer que le second.

Je suis con, la RATP parle dans ma tête

Depuis un mois ou deux, la RATP a lancé une éprouvante « campagne pédagogique pour aider à la régularité du trafic ». Les vitres des métros et des RER se sont ainsi recouvertes d’une lèpre pimpante d’ »info-bulles », de chiures multicolores, d’étiquettes adhésives en forme de bulles de bande-dessinée, sur lesquelles les prétendus « usagers » peuvent lire ces slogans qui font désormais partie de leur désespoir quotidien : « Préparer ma sortie facilite ma descente », « Les portes s’ouvrent, je laisse descendre », « Retenir les portes, c’est retenir le métro », « Au signal sonore, je m’éloigne des portes » ou encore « Une seconde perdue en station = du retard sur toute la ligne ». De manière à peu près contemporaine, des saloperies pédagogiques ont également envahi les bus de la ville qui a été un jour Paris.

Ces campagnes d’infantilisation publique généralisée n’ont pour l’heure suscité la création d’aucun collectif « Adultes en colère » ou « Ztop l’infantil ». La discrimination permanente contre les adultes laisse également absolument indifférente notre bonne vieille Halde. Seuls le talentueux Matthieu Jung dans Libération et Caroline Constant dans L’Humanité ont épinglé avec humour ces « stickers » maléfiques, ces outrageants bubons.

Mais la violence radicale de cette campagne réside avant tout dans sa dégoûtante manière d’employer le pronom « je » à ma place. Non contente de broyer régulièrement ses « usagers » physiquement, la RATP désire à présent les broyer aussi logiquement, symboliquement. Les faire entrer en fusion avec ses décourageantes chansonnettes citoyennes. Personnellement, je suis contre l’abolition de la frontière entre la RATP et moi. Je ne l’autorise pas à me tutoyer, moins encore à me jejoyer.

Tout ça me donne envie de coller quelques « stickers » sur le crâne des communicants délirants de la RATP : « Je ne dis pas je à la place des autres », « Mes lapalissades, je me les fous au cul », « Je ne parle pas aux adultes comme à des enfants », « J’arrête d’être cool, sympa et fun ». Si on continue comme ça, les policiers crieront peut-être bientôt à ceux qu’ils s’apprêtent à arrêter : « Je lève les mains, je me rends ! » On en conviendra, cela pourrait prêter à certaines fâcheuses confusions.

Pour tous les adeptes d’une « résistance citoyenne » à l’infantilisation et aux innombrables « incivilités » de la RATP, une bonne nouvelle, tout de même : la charmante petite pointe de ces bulles de bande-dessinée permet de les décoller avec une facilité admirable. Car, en plus, ces gens-là sont bourrés de sens pratique.

Alain Bauer, l’homme qui sauva la France

Un jour Alain Bauer[1. Aucun lien de parenté avec le Jack Bauer de 24 heures.], conseiller spécial pour le terrorisme à l’Elysée et président de l’observatoire de la délinquance, a lu un livre. En conséquence de quoi, Julien Coupat un jeune philosophe qui veut changer la vie, est en prison depuis quatre mois, sans preuve.

Lire un livre, un vrai, cela n’a pas dû arriver souvent à ce tâcheron surdiplômé, Mozart du rapport insipide et surpayé mais authentique virtuose quand il s’agit de mettre en musique les paranoïas à la mode : terrorisme, délinquance, violences urbaines fin du monde, etc. Comme il les enveloppe avec des couvertures dont ne voudrait pas Gérard de Villiers, il attire l’attention de ceux qui aiment tout ce qui brille et qui fait peur, comme le président Sarkozy, car Bauer, franc-maçon venu de la gauche, ou disons de la droite extrême de la gauche est typiquement ce genre de spécialiste autoproclamé dont les concepts clinquants font rire les vrais experts et lui valent dans le milieu universitaire et criminologique une solide réputation de faiseur et de marchand de piano.

C’était à la fin de l’été 2007 et le livre s’appelait L’insurrection qui vient, signé par un mystérieux Comité Invisible. Alain Bauer avait dû lire trop de Tom Clancy sur la plage et se prendre pour Jack Ryan, cet analyste de la CIA qui depuis son bureau annihile à la force du cortex les pires menaces terroristes planant sur les USA : tout seul, avec ses deux ordis de rien du tout, il empêche Al Qaida de s’emparer de toute l’Asie, des suprématistes blancs de fomenter un poutche à Washington ou les Français d’y exporter du Roquefort.

Que fait Alain Bauer, une fois qu’il a terminé péniblement L’Insurrection qui vient ? On peut imaginer sa perplexité : le texte est magnifiquement écrit et Alain Bauer est plus habitué à la poésie involontaire des rapports technocratiques qu’aux éclairs rimbaldiens et post-situ de ce chef d’œuvre. Oui, imaginons Alain Bauer, enseignant des disciplines n’existant pas dans diverses écoles de police se trouver tout à coup confronté à des phrases comme « On a brûlé en enfants perdus les premiers bibelots d’une société qui ne mérite pas plus d’égards que les monuments de Paris à la fin de la Semaine Sanglante, et qui le sait. ». Il ne peut pas comprendre mais comme tous les Danubes de la pensée, il croit comprendre, ce qui est bien pire. Il va justifier la confiance mise en lui par le président qui lui a aussi demandé de conseiller MAM à propos de toute la toute nouvelle DCRI, fusion des RG et de la DST. Bauer n’hésite pas une seconde, casse sa tirelire et achète quarante exemplaires de L’Insurrection qu’il distribue illico à tous les patrons de la sécurité intérieure. Il accompagne tout ça, non pas d’une boite de chocolats, mais d’une note circonstanciée où il explique que nous sommes potentiellement exposés au risque d’une dérive politico-militaire similaire à celle d’Action Directe à la fin années 1970. Il faut faire preuve d’une certaine nullité idéologique pour croire à ces sornettes, mais Alain Bauer connaît le marché. Il sait, comme on dit au poker, qu’il ne va pas falloir tarder à amuser le tapis pour occuper l’opinion qui voit le tsunami économique lui arriver dessus, dans un ralenti terrifiant. Bauer attend un prétexte, il l’a avec quelques sabotages de TGV en novembre. C’est l’invention de la fameuse mouvance anarcho-autonome, et le fiasco de Tarnac, en novembre, où l’on assiste au risible et terrifiant spectacle d’unités antiterroristes surarmées investissant une épicerie corrézienne sur de très aléatoires présomptions.

Ayant rejoint Jack Ryan au panthéon des sauveurs de l’Etat, Bauer se fait plus discret au fur et à mesure que le fiasco judiciaire est un peu plus manifeste. Il n’entend pas pour autant renoncer à son golden parachute: une chaire de criminologie créée à son usage aux Arts et Métiers (CNAM). Evidemment, la plupart de ses éventuels collègues mettent leur veto, arguant, les naïfs, de l’incompétence de ce Père Joseph de mauvais conseil. Mais bon, cela n’a pas suffi. Le décret créant cette chaire et l’attribuant à l’espion qui venait du rocardisme tiède vient d’être signé par le président lui-même.

Julien Coupat, lui, est toujours en prison.

Benoit XVI à l’index ?

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Rompant avec une longue tradition, l’édition 2010 du Salon du livre de Paris ne mettra pas à l’honneur un pays mais l’ensemble des écrivains, français et étrangers, hommes et femmes, morts ou vivants. Très inattendue, cette décision pourrait paraître saugrenue, voire démagogique, si elle ne cachait un mini psychodrame qui secoue depuis deux semaines le monde secret de l’édition : suite aux déclarations controversées du pape, on a finalement annulé le choix primitif arrêté pour le Salon 2010 , dont l’invité d’honneur devait être le Vatican. Cette idée proposée par la maison d’édition Bayard et soutenue par d’autres éditeurs réputés proches de l’Eglise, tels Le Cerf, Fleurus, Le Centurion ou les Presses de la Renaissance, a été dans un premier temps accueillie favorablement au sein du Syndicat National de L’Edition: un récent sondage Ipsos/La Croix montrait que les catholiques pratiquants achetaient en moyenne trois fois plus de livres que l’ensemble des Français (missels non compris). Hélas, les polémiques autour de l’évêque Williamson, puis du préservatif en Afrique ont violemment divisé les organisateurs du Salon qui ont finalement décidé de renoncer à l’invitation du Vatican. Certains éditeurs ont alors suggéré de choisir le Tibet comme nouvel hôte d’honneur, mais on murmure que ce choix aurait été vite abandonné suite à de discrètes mais apparemment efficaces pressions de l’Elysée. C’est bien dommage, on aurait pu enfin savoir ce que le Dalaï Lama pensait de la Princesse de Clèves…

Contes de faits

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A l’origine, le « storystelling » est un art vieux comme le monde, ou presque. L’art d’être grand-mère et de raconter à ses petits-enfants, pour les enchanter ou les endormir, de bonnes vieilles histoires qui commencent toujours par « Il était une fois… » – et finissent bien, en général.

Au XIXe siècle, on retrouve ce « Il était une fois » dans l’Ouest : nos amis les cowboys, assis en cercle autour du feu de camp, occupent leurs soirées à se raconter de bonnes vieilles histoires du Nouveau Monde. Exactement comme dans la pire chanson d’Yves Montand : « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit / Les cowboys près du bivouac sont réunis… », coin-coin.

Une distraction conviviale qui, paraît-il, revient très fort de l’autre côté de l’Atlantique ces trente dernières années. Chaque automne à Jonesborough (Tennessee), le plus grand festival de « storytelling » réunit quelque dix mille inconditionnels du genre. Un week-end durant, ces braves gens viennent retrouver l’esprit de la Frontière en écoutant les exploits d’anciens cowboys réels ou supposés et les « souvenirs » dûment romancés d’alertes arrière-grand-mères.

Mais ce n’est pas exactement de ça que nous parle « Storytelling, la machine à raconter des histoires ». Ce documentaire, multidiffusé sur Canal Plus, recense de façon rigoureuse et plutôt percutante les usages modernes du « storytelling » dont nous sommes aujourd’hui, bon gré mal gré, le public.

Ces histoires-là sont parfois enjolivées, voire totalement inventées, mais jamais gratuites : elles servent à influencer l’opinion au service de tel intérêt politique, économique ou militaire…

De manière un tantinet pédantesque, Christian Salmon, sociologue, co-auteur du documentaire et « inventeur » du néo-storytelling, appelle ça le « Nouvel ordre narratif ». Désormais un peu partout le pouvoir se prend, se garde et se renforce principalement grâce à la diffusion massive de « récits » soigneusement calibrés pour nous convaincre, nous motiver, voire nous mobiliser.

Déjà, aux Etats-Unis, le « storytelling » salmonien est devenu un outil indispensable pour gagner une élection. Il faut revoir, à cet égard, les images ébouriffantes de George W. Bush en pleine campagne pour sa réelection. La scène se passe le 1er mai 2003 : un mois et demi après la chute de Bagdad, le Président atterrit à bord d’un avion de chasse sur le porte-avions USS Abraham-Lincoln, de retour d’Irak.

Déguisé en pilote de guerre, W. semble lui-même rentrer tout droit du front… En fait, plus prosaïquement, il débarque de la base de San Diego – située à quelques miles de là. Qu’à cela ne tienne ! Victorieux, rassurant, courageux, Bush Jr se fait ovationner par les bidasses massés sur le pont, sous une gigantesque banderole proclamant « Mission accomplished ! » Par chance, les caméras des principaux « networks » sont aussi présents, et à travers eux toute l’Amérique – qui, quelques mois plus tard, réélira le Président haut la main !

Mais Barack Obama n’est pas en reste. Cinq jours avant le scrutin de novembre dernier, le candidat démocrate se paye un publi-reportage d’une demi-heure, diffusé en simultané sur six grandes chaînes à l’heure de la plus grande écoute. Le message de cette autobiographie largement photoshoppée est simple : mon histoire, c’est celle de l’Amérique ; donc l’avenir de l’Amérique, c’est moi !

Cela dit, un bon « storytelling », ça ne s’improvise pas ! McCain en fera l’amère expérience en sortant imprudemment de sa manche, lors du dernier débat télévisé de la campagne, la trop belle histoire de « Joe le Plombier ». Ce brave homme n’a-t-il pas apostrophé, quelques jours auparavant, le candidat noir en col blanc, sur un thème toujours porteur : « Et nos impôts ? » C’est bon ça, coco ! En une heure de parole, Mc Cain va donc citer 26 fois « Joe le plombier », incarnation de l’Américain moyen écrasé par les taxes…

Problème : cette « story »-là est plutôt mal ficelée ! Il ne faudra que quelques heures aux médias, et surtout à Internet, pour la démonter. Non seulement Joe le Plombier s’appelle Sam, mais il n’est pas plombier et ne paie pas ses impôts… Du coup l’or se change en plomb, et Mc Cain a l’air d’un con. Dommage ! Avec un peu plus de rigueur, personne n’y aurait vu que du bleu…

Mais l’Amérique n’a pas l’exclusivité du « racontage d’histoires », vient nous rappeler l’incontournable Salmon. Chez nous aussi, Nicolas Sarkozy y a recouru, entre autres pour habiller son retournement de veste (!) sur l’Afghanistan. En 2006, le candidat Sarko confie à Arlette Chabot son hostilité au maintien des troupes françaises « dans cette partie du monde » (sic). L’année suivante, changement de ton : Sarkozy, désormais président, a décidé de renforcer le contingent français en Afghanistan. Et pour expliquer aux larges masses un tel revirement, quoi de mieux qu’un bon « storytelling », je vous le demande ?

En l’espace d’un an, le chef de l’Etat va donc raconter à trois reprises – avec des variantes – la même histoire : les talibans, ils amputent d’une main les femmes qui osent porter du vernis à ongles. Avant d’enchaîner, dans son inimitable syle d’auto-interview piqué à Ardisson : « Est-ce qu’on peut discuter avec des gens comme ça ? Honnêtement, je crois pas ! »

Hélas, dût notre orgueil national en souffrir, cette belle histoire n’est même pas « made in France ». Dès 2001, Mmes Bush puis Blair l’avaient racontée, pratiquement dans les mêmes termes, pour justifier la politique commune de leurs époux respectifs dans l’affaire afghane.

Pire encore ! La source de cette « story » désormais historique est plutôt fragile : quatre lignes au conditionnel dans un rapport d’Amnesty International. En 1996, « dans le quartier de Khayr Khana à Kaboul, des islamistes auraient sectionné l’extrémité du pouce d’une femme ».

Enfoncée, la dépêche d’Ems ! Désormais, une brève invérifiée d’ONG, convenablement martelée, peut suffire à déclencher une guerre. C’est dire s’il convient d’affûter notre esprit critique – ou notre « vigilance citoyenne », comme disent mes amis de gauche : de plus en plus, le « storytelling » se substitue à l’analyse des vrais enjeux, le virtuel l’emporte sur le réel et la fiction légitime la politique !

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…

Des cerises pour Juppé

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Comme tout pays démocratique digne de son nom, la France s’est aménagée en haut de la colline Sainte-Geneviève un petit cellier où elle conserve ses hommes les plus illustres. C’est aussi mélancolique et froid que la campagne canadienne en hiver. De temps à autre, on éclaire l’endroit, on le réchauffe et l’on vient y déposer un dormeur du val qui n’avait rien demandé. Retraite aux flambeaux, discours de comices agricoles, la patrie reconnaissante, vin d’honneur à l’Elysée, fermez le ban.

Seulement il arrive que certaines personnalités aient le mauvais goût de ne pas ravaler leur bulletin de naissance assez vite et de continuer à préférer les bains de foule à ceux de formol. Et on les voit se promener sans vergogne, ces récalcitrants qui tardent à imiter le général de Gaulle, Georges Pompidou ou François Mitterrand, qui, eux, eurent la décence de retourner ad patres sitôt leur tâche achevée. Le premier à contrevenir à cette règle de la bienséance républicaine fut Valéry Giscard d’Estaing. Il maugréa bien en 1981 un timide « au revoir », mais il resta, donnant libre cours à l’imagination féconde d’hommes publics qui vous annoncent se retirer à tout jamais de la vie politique le 1er du mois pour mieux solliciter vos suffrages le 10 suivant.

Certes, aucun régime ne peut longtemps tolérer que l’un ou l’autre homme d’envergure parcoure librement les allées du pouvoir, haussant tous les dix mètres les épaules et murmurant dans sa barbe : « Ah ! les cons. » L’intelligence est souvent sœur du mauvais esprit. Et la démocratie n’aime pas le mauvais esprit. Elle l’exècre, le hait, le déteste autant que l’intelligence – ça n’est pas peu dire. Il a donc bien fallu que l’on trouve des solutions pour écarter loin du pouvoir ces hommes qui l’avaient exercé un jour.

On ouvrit un livre pour regarder ce que faisaient les anciens Romains. Et l’on s’aperçut que les barbares latins n’y allaient pas par quatre chemins : l’exécution ou l’exil. Comme la roche tarpéienne est à une sacrée trotte de l’Elysée et de Matignon, on opta pour la deuxième solution. Philippe Séguin et Alain Juppé furent expédiés au Québec, Rocard à Strasbourg, tandis que l’on perdait définitivement la trace de Jean-Pierre Chevènement ou de Jacques Delors. Un régime de faveur fut prescrit à certains : ainsi demanda-t-on à Edouard Balladur de présider des commissions où sa principale tâche était de remuer du chef de temps à autre pour montrer qu’il était en vie – ce qu’il fait très bien. On expédia un ancien ministre des Finances dans une organisation internationale où sévissent de peu glamour banquiers, tandis qu’un ancien ministre de la Culture fut envoyé sur l’île du docteur Castro afin d’y organiser la prochaine Love Parade.

Pour certains, le traitement ne fut pas jugé assez sévère. Strasbourg n’étant pas assez froide, on muta Rocard en Arctique, où il converse depuis avec des manchots et des pingouins très intéressés par la troisième voie. L’ancien Premier ministre ne désespère pas de refiler une carte du PSU à un vieux phoque échoué sur la banquise. C’est ce qu’à gauche on appelle la rocardisation : ne jamais rien lâcher, même avec les animaux, mais ailleurs. Séguin fut rapatrié de Montréal (au grand dam des pizzaiolos de la place qui voyaient s’achever leur âge d’or) pour se laisser emmurer vivant dans le devoir de réserve qui échoit au premier président de la Cour des comptes. Deux agents de la DGSE vinrent enlever Alain Juppé de la Belle Province, pour l’exiler encore plus loin, c’est-à-dire en province. C’est ce qu’on appelle, à droite, la chabanisation : Bordeaux, poubelle des espoirs politiques. Bordeaux, cru bourgeois.

Jamais en Allemagne, nous n’oserions infliger à un homme un tel traitement. D’abord, parce que chez nous la province n’existe pas : chaque Land a son gouvernement et son Parlement où tout un chacun peut briller comme un phénix. Lorsqu’un maire est battu à une élection on s’occupe proprement de son cas. Quand le Dr Dr Dr Muhlman perdit la municipale d’Esslingen-am-Neckar, près de Stuttgart, dans les années 1970, son heureux successeur n’eut de cesse de lui envoyer des bouteilles de kirsch de la meilleure tenue. Six mois plus tard, le delirium tremens passé, la ville toute entière offrit un merveilleux enterrement à son ancien maire. La cirrhose du foie est apte à régler, quoiqu’on en dise, toutes les crises politiques.

Seulement, cela ne viendrait à l’idée de personne d’envoyer un ou deux litres quotidiens de kirsch à Alain Juppé. Le meilleur d’entre nous n’a pas la gueule du pochetron. Il rumine. Parfois, le téléphone sonne. Bonheur, c’est Nicole Notat. Elle lui rappelle le bon temps qui passe et ne revient pas, quand il ne faisait pas tirer sur les foules et se contentait de rester tout heureux droit dans ses bottes. Parfois même, une ex-juppette donne, de sa maison de retraite, une interview à une radio périphérique et le traite de tous les noms. Ça le ragaillardit et lui ferait hérisser les cheveux sur la tête s’il en avait.

Mais, sitôt passés ces instants de frêle bonheur, il sombre dans la dépression. Il n’a plus goût à rien. Son dernier plaisir minuscule, lui qui ne boit aucune gorgée de bière, était de manger une cerise. Une fois par mois, il allait s’en acheter une. Une belle. Gorgée d’eau, de rouge et de soleil. Il passait une heure à la choisir chez le Turc du coin – mes lecteurs français auront rectifié par Arabe du coin. Il la regardait, la contemplait, la prenait par la queue et la faisait reluire sous le néon blafard de l’épicier. Quand elle était à point, parfois il pouvait se mirer dedans et, contemplant son auguste reflet, entonnait doucement la chanson de Jean-Baptiste Clément : « Quand nous chanterons le temps des cerises, Et gai rossignol et merle moqueur seront tous en fête… »

Et puis le jour vint où l’Elysée décida que c’en était trop et qu’il fallait une fois pour toutes déposséder Alain Juppé de ses menus plaisirs. Nicolas Sarkozy appela Rungis et tous les grossistes en primeur pour interdire que la Gironde fût désormais desservie. Bordeaux fut privée de cerises. Alain Juppé n’en mangerait plus.

Si vous avez un verger, un peu d’argent pour lui en acheter une ou deux – trois serait Byzance –, n’hésitez pas : envoyez-lui des cerises. Ou des navets. Ou des brocolis. Des salsifis et des oranges. Une banane. Cinq fruits ou légumes au minimum par jour, sinon dans trois mois vous le retrouverez à Matignon.

Je ne mangerai plus de cerises en hiver...

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Benoit XVI, vers la démission divine

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Comme il est loin le temps où il était facile de neutraliser les papes qui déplaisaient aux puissants de ce monde. Epoque bénie où ils pouvaient, sans trop de difficultés, être martyrisés (saint Pierre, saint Callixte, saint Pontien…), assassinés (Formosus, Jean XIV…) ou même assignés à résidence dans le Vaucluse (1309-1376). Il semble plus délicat désormais de régler ce genre de problème si simplement, même si certains, tels les commanditaires d’Ali Agca, s’y sont courageusement essayés. On en déduira donc que la voie démocratique est la plus raisonnable pour se débarrasser de l’encombrant Benoît XVI, et qu’il faut donc, faute de rémission, exiger sa démission, ainsi que nous l’a prouvé l’ami XP sur Ilys.

L’AFP plombée par les syndicats

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Dans la joyeuse foire des « sauvons… » (la recherche, la fac, le vin rosé, l’hosto ou la poste), on trouvera un appel angoissé des syndicats de l’Agence France-Presse, accompagné d’une pétition invitant le bon peuple à se mobiliser contre les projets pervers du pouvoir relatifs à l’évolution de cette institution. Cette pétition a reçu le soutien des leaders politiques de la gauche et de l’extrême gauche, d’universitaires de renom, et de « grandes plumes » du Tout-Paris médiatique.

Le SOS-AFP lancé depuis la place de la Bourse, siège de l’agence, par les soutiers de ce supposé Titanic du monde de l’information, tente d’accréditer l’idée que l’Elysée, relayé dans la maison par son PDG Pierre Louette, cherche à miner l’indépendance rédactionnelle de l’agence en la transformant en société commerciale, avec une ouverture du capital à des investisseurs privés.

La défense du statut de l’agence, qui date de 1957 lors de sa création par le gouvernement de Guy Mollet, serait donc, pour nos valeureux syndicalistes l’alpha et l’oméga d’un combat décisif pour la liberté de la presse dans notre pays. On brandit donc comme une bannière l’article 2 §1 de ce statut qui stipule : « L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique. » Qui ne souscrirait à ce programme qui inscrit dans le marbre l’indépendance, donc la qualité rédactionnelle d’une institution sur laquelle s’appuie la quasi totalité de nos médias ?

Et hop, on signe la pétition et on se sent meilleur, de gauche et bien dans ses baskets ! Puisque les syndicats vous le disent, pas besoin d’aller y voir de plus près, cela risquerait de nous embrouiller la tête. Ce qui suit est donc réservé au seul usage des enquiquineurs, néo-réacs, et autres suppôts de la droite liberticide.

Au bout d’un demi-siècle d’activité, il faut bien constater que la France, à travers l’AFP, a réussi à se hisser dans le trio de tête mondial des agences d’information, à côté de la britannique Reuters et de l’américaine Associated Press. D’autres pays, comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne se contentent d’avoir des agences moins ambitieuses, qui alimentent uniquement leur marché national en nouvelles. L’AFP continue à jouer dans la cour des grands, diffusant des « fils » en anglais, allemand, espagnol et arabe, partant à la conquête de nouveaux marchés dans les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, et se projetant dans un avenir où le multimédia l’emportera sur l’imprimé.

Alors que pour Reuters, l’information générale n’est qu’une vitrine peu rémunératrice d’une entreprise essentiellement rentable par son service d’informations financières, et qu’AP est adossée aux médias des Etats-Unis, l’AFP ne dispose ni d’un marché intérieur suffisant, ni des revenus d’une activité dans le secteur financier pour assurer son fonctionnement et son développement à l’échelle mondiale.

Alors qui paye ? Comme d’habitude, vous et moi, par l’intermédiaire des fonds alloués par l’Etat à l’AFP, sous la forme d’abonnements souscrits par les administrations à des tarifs qui, en principe, devraient garantir l’équilibre des comptes de l’agence. Ces revenus, qui, bon an, mal an, constituent 40 % des ressources de l’AFP l’exposent à la critique, serinée par la concurrence, d’être une « agence d’Etat » du style Tass ou Chine nouvelle, dont la crédibilité serait entachée par sa dépendance financière de l’Etat français. C’est de bonne guerre, même si dans les faits on peut constater qu’à de rares exceptions près, le traitement de l’actualité mondiale par l’AFP est tout à fait comparable à celui de ses concurrentes privées.

Par ailleurs, le conseil d’administration de l’AFP, qui comprend seize membres donne la prééminence aux représentants de la presse (8) sur ceux de l’Etat (3). Le plus gros contingent des administrateurs vient de la Presse quotidienne régionale (PQR), qui n’ont qu’un souci : maintenir les tarifs d’abonnement les plus bas possibles, en se fichant du rayonnement mondial de l’AFP comme de l’an quarante. Il suffit de feuilleter l’un de ces quotidiens, et d’y voir la place consacrée à l’actualité nationale et internationale pour comprendre qu’ils n’ont pas besoin d’une Rolls de l’info pour alimenter leurs pages…

L’Etat est donc prié de mettre la main au portefeuille chaque fois qu’il s’agit de modernisation technologique, de création de nouveaux services liés à l’émergence de nouveaux médias, bref des investissements nécessaires pour assurer le développement de l’Agence.

Or, dans l’immédiat, il est vital pour l’AFP de se doter du système 4XML qui permet de livrer aux clients des dépêches incluant des sons et des vidéos, ce qui nécessite un investissement de 21 millions d’euros. C’est tout l’enjeu de la négociation sur le COM (contrat d’objectifs et de moyens) actuellement menée avec l’Etat par la direction de l’Agence.

Il n’est donc pas tout à fait insensé pour les pouvoirs publics de commencer à réfléchir aux moyens de permettre à une entreprise de communication dont la réussite est indéniable, d’affronter la nouvelle donne de l’information mondialisée avec des structures rajeunies, permettant notamment l’entrée dans le Conseil d’administration de l’AFP d’investisseurs ayant intérêt à son développement et à sa rentabilité. D’autre part, un Etat démocratique n’a pas pour vocation d’être un acteur direct dans le secteur de l’information, même s’il doit veiller à ce que le pluralisme et la liberté d’expression soient respectés.

Pour les syndicats, il n’est pas question de laisser le loup capitaliste entrer dans la bergerie AFP, ce douillet cocon où ils assuraient jusque là une gestion clientéliste du personnel ( la CGT locale a fait pendant longtemps le pluie et le beau temps dans les promotions et les mutations de journalistes). Il veulent le beurre et l’argent du beurre : que l’Etat paye sans avoir son mot à dire sur la stratégie de l’entreprise, et qu’il ne s’avise surtout pas d’exercer la moindre pression sur les contenus rédactionnels au nom du sacro-saint statut. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour constater que cette situation n’est pas tenable, et cela d’autant moins que la crise structurelle de la presse renforce encore le poids de l’Etat dans l’agence. Quelques incidents récents, comme l’exigence de l’UMP de voir tous ses communiqués systématiquement répercutés par l’AFP, où des phénomènes d’autocensure à la rédaction en chef[1. Ainsi, la rédaction en chef retint plusieurs heures le scoop du bureau de l’AFP de Prague rapportant la fuite, dans un hebdomadaire tchèque, du compte rendu d’une réunion de Nicolas Sarkozy avec le premier ministre Topolanek, de peur d’indisposer le président de la République. Résultat: la concurrence sortit l’histoire avant l’AFP.] montrent que cette dépendance trop exclusive est dommageable au fonctionnement et à la réputation de l’agence dans un monde où la concurrence est féroce. Dans ce contexte, la diversification des investisseurs, où la puissance publique ne serait plus la seule à mettre de l’argent au pot, constitue un plus en terme d’indépendance rédactionnelle, car la crédibilité d’une entreprise de presse est un élement de son capital immatériel. Le rêve d’une Agence d’Etat sans Etat par des syndicats qui carburent à l’idéologie du statut de 1957 est du même ordre que le célèbre couteau sans lame auquel il manque le manche, invention de l’immortel Georg Friedrich Lichtenberg.

Pour une répression préventive

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Quand j’étais au lycée, le directeur me convoqua un jour dans son bureau pour une bêtise que je n’avais pas faite. À ses questions sur la farce qui était plutôt comique mais que j’ai oubliée (désolé), je répondis que ce n’était pas moi et rajoutai : « Mais ça aurait pu l’être. » Quelques semaines plus tard, sans faits et sans preuves, j’étais viré. Motif : attitude négative. Dans sa grande sagesse, le responsable de l’établissement s’était débarrassé d’un insolent qui défiait l’autorité depuis un peu trop longtemps. Etait-ce juste ou pas ? Je l’ignore, mais à sa place aujourd’hui, je n’agirais pas autrement.

Dans un film dont j’ai oublié le titre, Sami Naceri est cerné par la police. Au lieu de mettre les mains en l’air comme on le lui ordonne, il fait le mariole, insulte, provoque et fait mine de dégainer en pointant sa main vide de toute arme sur une femme flic qui, se sentant menacée, le descend. Quand elle comprend que le braillard était désarmé, elle est bouleversée et gagnée par ce sentiment étrange et répandu surtout chez les innocents, la culpabilité. Franchement, je ne vois pas ce qu’il y a de bouleversant à flinguer Sami Naceri que je préfère voir torturé dans un roman de Dantec[1. Maurice G. Dantec, Artefact, Albin Michel, 2007, « Le monde de ce Prince ».] plutôt que pérorant à la télévision quand il devrait être en prison.

Mais oublions l’acteur et revenons au personnage du film. Est-il juste qu’il meure ? Je n’ai pas la réponse mais la leçon à tirer de cette histoire est que dans le doute, la police se défend. Si le message passe, le délinquant ne sera pas mort pour rien.

De même, que Saddam Hussein ait ou non détenu des armes de destruction massive n’a que peu d’importance. Qu’il l’ait fait croire au monde en baladant les inspecteurs de l’Onu pendant dix ans aura suffi à lui attirer les foudres de cet Occident qui ne craint pas ses ennemis. Attitude négative. Personne n’est à l’abri d’une guerre préventive. À bon entendeur, salut. Est-ce juste ? Le gendarme du monde marche parfois sur la justice mais je gage que l’avenir, à commencer par celui de l’Irak, donnera raison au regretté président Bush, n’en déplaise à ceux dont la pensée politique semble inspirée par les Guignols de l’Info.

Est-il juste que Julien Coupat soit en prison et Ivan Colonna condamné ? Que leurs sympathisants posent la question me paraît légitime, que les intéressés le fassent à l’ombre me semble indispensable.

Si vous écrivez des âneries sur la nécessité d’attaquer la société technologique en sabotant des trains, évitez de traîner près des rails les nuits de sabotage car vous pourriez attendre quelques mois derrière les barreaux que l’on établisse votre innocence ou votre culpabilité.

Si vous appartenez à un groupe d’où partent des coups de feu qui blessent des policiers, il se pourrait qu’on vous renvoie la balle et que vous en mouriez. Même si vous n’avez pas tiré vous même, même si vous n’avez pas d’armes. Est-ce juste ? Non, je vous l’accorde, mais je doute qu’à part chez les islamo-gauchistes on vous pleure très longtemps.

Si vous jouez le bandit corse avec tout le folklore, meurtre, embrouille, mensonge, aveux, désaveux, maquis et omerta, si, quand on vous aura gaulé comme une noix, vous prenez la justice de haut, vous courrez le risque d’être condamné sans preuves matérielles parce que l’intime conviction d’un jury suffit. Vous pourrez hurler au complot et en appeler à l’Europe mais depuis les geôles de la justice « coloniale ».

Avant de faire régner la justice, l’Etat se défend. À travers vous, l’Etat dissuade et je m’en réjouis. Tant pis pour ceux qui font semblant de tirer sur les flics, pour les dictateurs qui bluffent, les apprentis-révolutionnaires et les bergers bas du front. C’est une loi qu’on devrait enseigner aux écervelés comme l’eau qui mouille ou le feu qui brûle. L’Etat se défend et tant mieux parce que l’Etat c’est moi. Légitime défense. Quand on attaque la police ou qu’on bousille le chemin de fer, quand on menace ma civilisation ou qu’on assassine un Préfet, c’est moi qu’on vise parce que l’Etat, c’est moi.

Alors s’il arrive qu’en mon nom, on prenne quelques libertés avec la loi, les droits de la défense ou les droits de l’homme, je pense à Dirty Harry et je souris. Comme Mme Erignac depuis le verdict, je souris. Et quand une condamnation rend leur sourire aux veuves et aux orphelins, j’ai confiance dans la justice de mon pays. Vous trouvez ça injuste ?

Artefact

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Il est frais, mon Causeur

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numero10

Le numéro de Causeur du mois d’avril vient de paraître ! N’abandonnez pas aux poissonniers le monopole de s’en servir pour emballer le poisson. Abonnez-vous : vous y trouverez, réunis sous le titre de « Satan is back », des textes d’Elisabeth Lévy, Luc Rosenzweig, Marc Cohen, François Miclo, Bruno Maillé, Gil Mihaely, Jérôme Leroy, Basile de Koch, ainsi qu’un entretien exclusif avec Daniel Cohen. Retrouvez Causeur dans vos meilleures poissonneries (ou à défaut sur abonnement).

Le gouvernement Netanyahou : une coalition antinucléaire

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L’Iran d’abord : contrairement à ce que pensent la plupart des commentateurs, telle est la logique du nouveau gouvernement israélien présenté hier. Le casting de Netanyahou reflète et sans doute plus autant ses priorités stratégiques que ses calculs politiques. C’est dans cette perspective que se comprend le maintien d’Ehud Barak à la Défense ainsi que les choix du ministre des Affaires stratégiques et du ministre chargé des services de renseignements et de l’équivalent israélien du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Pour ces deux portefeuilles, Netanyahou a nommé le général Moshe Yaalon (que tout le monde appelle Boguy), ancien chef d’état-major, et Dan Meridor, ancien ministre de la Justice et vétéran du comité parlementaire chargé de la supervision des services de renseignements et des affaires stratégiques. En clair, c’est un cabinet de crise qui va devoir traiter ce dossier brûlant, lequel, selon l’analyse israélienne, est entré dans une phase critique.

Le calendrier a été défini le 25 mars par le général Yadlin, chef du renseignement militaire. Convoqué par la commission de sécurité et des affaires étrangères de la Knesset, cet ancien pilote de chasse qui a participé au raid sur le réacteur irakien Osirak en juin 1981 a déclaré que l’Iran avait dépassé le seuil technologique et que désormais, s’il décidait de se doter d’une arme nucléaire, il y parviendrait en quelques mois, au plus une année. Opérée par un lanceur de fabrication nationale, la mise en orbite d’un satellite par les Iraniens montre que la République islamique possède aussi des missiles capables de porter une tête nucléaire.
Netanyahou va donc observer de près ce que font les Américains qui donnent désormais la priorité aux tractations politiques pour parvenir à un accord avec l’Iran. Mais pendant que Barack Obama négocie, rien n’empêche Ehud Barak (ni la CIA d’ailleurs) de continuer la guerre secrète contre Téhéran et de prévoir, en coordination avec les Américains et les Européens, d’autres options plus violentes et moins discrètes. Au cas où. Autrement dit, l’option militaire est étudiée très sérieusement à Tel Aviv.

En faisant du dossier iranien – problème réel et urgent – la clé de voûte de sa stratégie, Netanyahou se montre très habile. Sur le plan national, cela lui permet d’intégrer les travaillistes dans sa coalition, ce qui a au moins trois avantages : présenter au public ce « gouvernement d’union nationale » qu’il apprécie tant, maquiller le socle de sa majorité qui repose à la fois sur la droite religieuse et sur la droite nationaliste et enfin, porter un coup supplémentaire au parti de Barak, déjà déplumé après les élections de février dernier. Très divisés – cinq députés travaillistes n’ont pas voté la confiance au gouvernement – et en chute libre dans les sondages, la plus vielle formation politique israélienne qui a promis-juré il y a un mois de se refaire une santé sur les bancs de l’opposition, aura du mal à retrouver son électorat aux prochaines échéances nationales.

L’espace politique que Barak vient d’abandonner n’a pas resté vide longtemps – Tzipi Livni, chef de Kadima, le plus grand parti de la Knesset, a montré par son discours musclé qu’elle a bien l’intention de se positionner comme le deuxième parti de gouvernement et donc comme une alternative.

Sur la scène internationale, l’argument iranien de Netanyahou est écouté. À Washington, Paris, Berlin et à Londres, on sait que l’Iran constitue une menace. Mais dans ces mêmes chancelleries, on craint aussi que Netanyahou n’utilise l’Iran comme prétexte pour traîner des pieds avec les Palestiniens et les Syriens. Cette méfiance n’est pas totalement infondée. Encore que quelles que soient les intentions réelles de Netanyahu, la situation au Proche-Orient est bel et bien bloquée, tout le monde attendant l’issue des négociations entre Obama et le gouvernement iranien pour savoir d’où vient le vent. Or, pour les Iraniens, leur influence sur le Hamas, le Hezbollah et la Syrie est une carte majeure dans le nouveau « grand jeu » qui s’annonce. Ils ont donc intérêt à tout verrouiller pour l’instant.

En conséquence, d’ici au moins six mois, il sera impossible d’avancer avec les Palestiniens et avec les Syriens. Netanyahou n’a donc aucune raison d’aller tout de suite au conflit avec ses alliés de droite qui le soutiennent sur le dossier iranien. Si, un règlement général devait être négocié avec l’Iran – ce qui me paraît hautement souhaitable mais un peu moins probable – la situation serait différente. Netanyahou devrait alors faire des choix politiques et idéologiques difficiles. On ne voit pas pourquoi l’Iran lâcherait à la fois la bombe, le Hezbollah et le Hamas, aiderait les Américains en Irak et en Afghanistan sans obtenir en contrepartie la reconnaissance de son statut de puissance régionale – perspective qui n’enthousiasme pas en Israël. Dans le cadre d’un tel arrangement global Israël aurait toute sa place mais il lui faudrait en échange renoncer à occuper celle des autres. Autrement dit, une fois l’hypothèque iranienne levée, les questions de la Cisjordanie et du Golan seront discutées sérieusement et Netanyahou devra choisir entre sa coalition et l’allié principal d’Israël. Par les temps qui courent, la première est plus facile à remplacer que le second.

Je suis con, la RATP parle dans ma tête

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Depuis un mois ou deux, la RATP a lancé une éprouvante « campagne pédagogique pour aider à la régularité du trafic ». Les vitres des métros et des RER se sont ainsi recouvertes d’une lèpre pimpante d’ »info-bulles », de chiures multicolores, d’étiquettes adhésives en forme de bulles de bande-dessinée, sur lesquelles les prétendus « usagers » peuvent lire ces slogans qui font désormais partie de leur désespoir quotidien : « Préparer ma sortie facilite ma descente », « Les portes s’ouvrent, je laisse descendre », « Retenir les portes, c’est retenir le métro », « Au signal sonore, je m’éloigne des portes » ou encore « Une seconde perdue en station = du retard sur toute la ligne ». De manière à peu près contemporaine, des saloperies pédagogiques ont également envahi les bus de la ville qui a été un jour Paris.

Ces campagnes d’infantilisation publique généralisée n’ont pour l’heure suscité la création d’aucun collectif « Adultes en colère » ou « Ztop l’infantil ». La discrimination permanente contre les adultes laisse également absolument indifférente notre bonne vieille Halde. Seuls le talentueux Matthieu Jung dans Libération et Caroline Constant dans L’Humanité ont épinglé avec humour ces « stickers » maléfiques, ces outrageants bubons.

Mais la violence radicale de cette campagne réside avant tout dans sa dégoûtante manière d’employer le pronom « je » à ma place. Non contente de broyer régulièrement ses « usagers » physiquement, la RATP désire à présent les broyer aussi logiquement, symboliquement. Les faire entrer en fusion avec ses décourageantes chansonnettes citoyennes. Personnellement, je suis contre l’abolition de la frontière entre la RATP et moi. Je ne l’autorise pas à me tutoyer, moins encore à me jejoyer.

Tout ça me donne envie de coller quelques « stickers » sur le crâne des communicants délirants de la RATP : « Je ne dis pas je à la place des autres », « Mes lapalissades, je me les fous au cul », « Je ne parle pas aux adultes comme à des enfants », « J’arrête d’être cool, sympa et fun ». Si on continue comme ça, les policiers crieront peut-être bientôt à ceux qu’ils s’apprêtent à arrêter : « Je lève les mains, je me rends ! » On en conviendra, cela pourrait prêter à certaines fâcheuses confusions.

Pour tous les adeptes d’une « résistance citoyenne » à l’infantilisation et aux innombrables « incivilités » de la RATP, une bonne nouvelle, tout de même : la charmante petite pointe de ces bulles de bande-dessinée permet de les décoller avec une facilité admirable. Car, en plus, ces gens-là sont bourrés de sens pratique.

Alain Bauer, l’homme qui sauva la France

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Un jour Alain Bauer[1. Aucun lien de parenté avec le Jack Bauer de 24 heures.], conseiller spécial pour le terrorisme à l’Elysée et président de l’observatoire de la délinquance, a lu un livre. En conséquence de quoi, Julien Coupat un jeune philosophe qui veut changer la vie, est en prison depuis quatre mois, sans preuve.

Lire un livre, un vrai, cela n’a pas dû arriver souvent à ce tâcheron surdiplômé, Mozart du rapport insipide et surpayé mais authentique virtuose quand il s’agit de mettre en musique les paranoïas à la mode : terrorisme, délinquance, violences urbaines fin du monde, etc. Comme il les enveloppe avec des couvertures dont ne voudrait pas Gérard de Villiers, il attire l’attention de ceux qui aiment tout ce qui brille et qui fait peur, comme le président Sarkozy, car Bauer, franc-maçon venu de la gauche, ou disons de la droite extrême de la gauche est typiquement ce genre de spécialiste autoproclamé dont les concepts clinquants font rire les vrais experts et lui valent dans le milieu universitaire et criminologique une solide réputation de faiseur et de marchand de piano.

C’était à la fin de l’été 2007 et le livre s’appelait L’insurrection qui vient, signé par un mystérieux Comité Invisible. Alain Bauer avait dû lire trop de Tom Clancy sur la plage et se prendre pour Jack Ryan, cet analyste de la CIA qui depuis son bureau annihile à la force du cortex les pires menaces terroristes planant sur les USA : tout seul, avec ses deux ordis de rien du tout, il empêche Al Qaida de s’emparer de toute l’Asie, des suprématistes blancs de fomenter un poutche à Washington ou les Français d’y exporter du Roquefort.

Que fait Alain Bauer, une fois qu’il a terminé péniblement L’Insurrection qui vient ? On peut imaginer sa perplexité : le texte est magnifiquement écrit et Alain Bauer est plus habitué à la poésie involontaire des rapports technocratiques qu’aux éclairs rimbaldiens et post-situ de ce chef d’œuvre. Oui, imaginons Alain Bauer, enseignant des disciplines n’existant pas dans diverses écoles de police se trouver tout à coup confronté à des phrases comme « On a brûlé en enfants perdus les premiers bibelots d’une société qui ne mérite pas plus d’égards que les monuments de Paris à la fin de la Semaine Sanglante, et qui le sait. ». Il ne peut pas comprendre mais comme tous les Danubes de la pensée, il croit comprendre, ce qui est bien pire. Il va justifier la confiance mise en lui par le président qui lui a aussi demandé de conseiller MAM à propos de toute la toute nouvelle DCRI, fusion des RG et de la DST. Bauer n’hésite pas une seconde, casse sa tirelire et achète quarante exemplaires de L’Insurrection qu’il distribue illico à tous les patrons de la sécurité intérieure. Il accompagne tout ça, non pas d’une boite de chocolats, mais d’une note circonstanciée où il explique que nous sommes potentiellement exposés au risque d’une dérive politico-militaire similaire à celle d’Action Directe à la fin années 1970. Il faut faire preuve d’une certaine nullité idéologique pour croire à ces sornettes, mais Alain Bauer connaît le marché. Il sait, comme on dit au poker, qu’il ne va pas falloir tarder à amuser le tapis pour occuper l’opinion qui voit le tsunami économique lui arriver dessus, dans un ralenti terrifiant. Bauer attend un prétexte, il l’a avec quelques sabotages de TGV en novembre. C’est l’invention de la fameuse mouvance anarcho-autonome, et le fiasco de Tarnac, en novembre, où l’on assiste au risible et terrifiant spectacle d’unités antiterroristes surarmées investissant une épicerie corrézienne sur de très aléatoires présomptions.

Ayant rejoint Jack Ryan au panthéon des sauveurs de l’Etat, Bauer se fait plus discret au fur et à mesure que le fiasco judiciaire est un peu plus manifeste. Il n’entend pas pour autant renoncer à son golden parachute: une chaire de criminologie créée à son usage aux Arts et Métiers (CNAM). Evidemment, la plupart de ses éventuels collègues mettent leur veto, arguant, les naïfs, de l’incompétence de ce Père Joseph de mauvais conseil. Mais bon, cela n’a pas suffi. Le décret créant cette chaire et l’attribuant à l’espion qui venait du rocardisme tiède vient d’être signé par le président lui-même.

Julien Coupat, lui, est toujours en prison.

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Benoit XVI à l’index ?

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Rompant avec une longue tradition, l’édition 2010 du Salon du livre de Paris ne mettra pas à l’honneur un pays mais l’ensemble des écrivains, français et étrangers, hommes et femmes, morts ou vivants. Très inattendue, cette décision pourrait paraître saugrenue, voire démagogique, si elle ne cachait un mini psychodrame qui secoue depuis deux semaines le monde secret de l’édition : suite aux déclarations controversées du pape, on a finalement annulé le choix primitif arrêté pour le Salon 2010 , dont l’invité d’honneur devait être le Vatican. Cette idée proposée par la maison d’édition Bayard et soutenue par d’autres éditeurs réputés proches de l’Eglise, tels Le Cerf, Fleurus, Le Centurion ou les Presses de la Renaissance, a été dans un premier temps accueillie favorablement au sein du Syndicat National de L’Edition: un récent sondage Ipsos/La Croix montrait que les catholiques pratiquants achetaient en moyenne trois fois plus de livres que l’ensemble des Français (missels non compris). Hélas, les polémiques autour de l’évêque Williamson, puis du préservatif en Afrique ont violemment divisé les organisateurs du Salon qui ont finalement décidé de renoncer à l’invitation du Vatican. Certains éditeurs ont alors suggéré de choisir le Tibet comme nouvel hôte d’honneur, mais on murmure que ce choix aurait été vite abandonné suite à de discrètes mais apparemment efficaces pressions de l’Elysée. C’est bien dommage, on aurait pu enfin savoir ce que le Dalaï Lama pensait de la Princesse de Clèves…

Contes de faits

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A l’origine, le « storystelling » est un art vieux comme le monde, ou presque. L’art d’être grand-mère et de raconter à ses petits-enfants, pour les enchanter ou les endormir, de bonnes vieilles histoires qui commencent toujours par « Il était une fois… » – et finissent bien, en général.

Au XIXe siècle, on retrouve ce « Il était une fois » dans l’Ouest : nos amis les cowboys, assis en cercle autour du feu de camp, occupent leurs soirées à se raconter de bonnes vieilles histoires du Nouveau Monde. Exactement comme dans la pire chanson d’Yves Montand : « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit / Les cowboys près du bivouac sont réunis… », coin-coin.

Une distraction conviviale qui, paraît-il, revient très fort de l’autre côté de l’Atlantique ces trente dernières années. Chaque automne à Jonesborough (Tennessee), le plus grand festival de « storytelling » réunit quelque dix mille inconditionnels du genre. Un week-end durant, ces braves gens viennent retrouver l’esprit de la Frontière en écoutant les exploits d’anciens cowboys réels ou supposés et les « souvenirs » dûment romancés d’alertes arrière-grand-mères.

Mais ce n’est pas exactement de ça que nous parle « Storytelling, la machine à raconter des histoires ». Ce documentaire, multidiffusé sur Canal Plus, recense de façon rigoureuse et plutôt percutante les usages modernes du « storytelling » dont nous sommes aujourd’hui, bon gré mal gré, le public.

Ces histoires-là sont parfois enjolivées, voire totalement inventées, mais jamais gratuites : elles servent à influencer l’opinion au service de tel intérêt politique, économique ou militaire…

De manière un tantinet pédantesque, Christian Salmon, sociologue, co-auteur du documentaire et « inventeur » du néo-storytelling, appelle ça le « Nouvel ordre narratif ». Désormais un peu partout le pouvoir se prend, se garde et se renforce principalement grâce à la diffusion massive de « récits » soigneusement calibrés pour nous convaincre, nous motiver, voire nous mobiliser.

Déjà, aux Etats-Unis, le « storytelling » salmonien est devenu un outil indispensable pour gagner une élection. Il faut revoir, à cet égard, les images ébouriffantes de George W. Bush en pleine campagne pour sa réelection. La scène se passe le 1er mai 2003 : un mois et demi après la chute de Bagdad, le Président atterrit à bord d’un avion de chasse sur le porte-avions USS Abraham-Lincoln, de retour d’Irak.

Déguisé en pilote de guerre, W. semble lui-même rentrer tout droit du front… En fait, plus prosaïquement, il débarque de la base de San Diego – située à quelques miles de là. Qu’à cela ne tienne ! Victorieux, rassurant, courageux, Bush Jr se fait ovationner par les bidasses massés sur le pont, sous une gigantesque banderole proclamant « Mission accomplished ! » Par chance, les caméras des principaux « networks » sont aussi présents, et à travers eux toute l’Amérique – qui, quelques mois plus tard, réélira le Président haut la main !

Mais Barack Obama n’est pas en reste. Cinq jours avant le scrutin de novembre dernier, le candidat démocrate se paye un publi-reportage d’une demi-heure, diffusé en simultané sur six grandes chaînes à l’heure de la plus grande écoute. Le message de cette autobiographie largement photoshoppée est simple : mon histoire, c’est celle de l’Amérique ; donc l’avenir de l’Amérique, c’est moi !

Cela dit, un bon « storytelling », ça ne s’improvise pas ! McCain en fera l’amère expérience en sortant imprudemment de sa manche, lors du dernier débat télévisé de la campagne, la trop belle histoire de « Joe le Plombier ». Ce brave homme n’a-t-il pas apostrophé, quelques jours auparavant, le candidat noir en col blanc, sur un thème toujours porteur : « Et nos impôts ? » C’est bon ça, coco ! En une heure de parole, Mc Cain va donc citer 26 fois « Joe le plombier », incarnation de l’Américain moyen écrasé par les taxes…

Problème : cette « story »-là est plutôt mal ficelée ! Il ne faudra que quelques heures aux médias, et surtout à Internet, pour la démonter. Non seulement Joe le Plombier s’appelle Sam, mais il n’est pas plombier et ne paie pas ses impôts… Du coup l’or se change en plomb, et Mc Cain a l’air d’un con. Dommage ! Avec un peu plus de rigueur, personne n’y aurait vu que du bleu…

Mais l’Amérique n’a pas l’exclusivité du « racontage d’histoires », vient nous rappeler l’incontournable Salmon. Chez nous aussi, Nicolas Sarkozy y a recouru, entre autres pour habiller son retournement de veste (!) sur l’Afghanistan. En 2006, le candidat Sarko confie à Arlette Chabot son hostilité au maintien des troupes françaises « dans cette partie du monde » (sic). L’année suivante, changement de ton : Sarkozy, désormais président, a décidé de renforcer le contingent français en Afghanistan. Et pour expliquer aux larges masses un tel revirement, quoi de mieux qu’un bon « storytelling », je vous le demande ?

En l’espace d’un an, le chef de l’Etat va donc raconter à trois reprises – avec des variantes – la même histoire : les talibans, ils amputent d’une main les femmes qui osent porter du vernis à ongles. Avant d’enchaîner, dans son inimitable syle d’auto-interview piqué à Ardisson : « Est-ce qu’on peut discuter avec des gens comme ça ? Honnêtement, je crois pas ! »

Hélas, dût notre orgueil national en souffrir, cette belle histoire n’est même pas « made in France ». Dès 2001, Mmes Bush puis Blair l’avaient racontée, pratiquement dans les mêmes termes, pour justifier la politique commune de leurs époux respectifs dans l’affaire afghane.

Pire encore ! La source de cette « story » désormais historique est plutôt fragile : quatre lignes au conditionnel dans un rapport d’Amnesty International. En 1996, « dans le quartier de Khayr Khana à Kaboul, des islamistes auraient sectionné l’extrémité du pouce d’une femme ».

Enfoncée, la dépêche d’Ems ! Désormais, une brève invérifiée d’ONG, convenablement martelée, peut suffire à déclencher une guerre. C’est dire s’il convient d’affûter notre esprit critique – ou notre « vigilance citoyenne », comme disent mes amis de gauche : de plus en plus, le « storytelling » se substitue à l’analyse des vrais enjeux, le virtuel l’emporte sur le réel et la fiction légitime la politique !

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…

Des cerises pour Juppé

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Comme tout pays démocratique digne de son nom, la France s’est aménagée en haut de la colline Sainte-Geneviève un petit cellier où elle conserve ses hommes les plus illustres. C’est aussi mélancolique et froid que la campagne canadienne en hiver. De temps à autre, on éclaire l’endroit, on le réchauffe et l’on vient y déposer un dormeur du val qui n’avait rien demandé. Retraite aux flambeaux, discours de comices agricoles, la patrie reconnaissante, vin d’honneur à l’Elysée, fermez le ban.

Seulement il arrive que certaines personnalités aient le mauvais goût de ne pas ravaler leur bulletin de naissance assez vite et de continuer à préférer les bains de foule à ceux de formol. Et on les voit se promener sans vergogne, ces récalcitrants qui tardent à imiter le général de Gaulle, Georges Pompidou ou François Mitterrand, qui, eux, eurent la décence de retourner ad patres sitôt leur tâche achevée. Le premier à contrevenir à cette règle de la bienséance républicaine fut Valéry Giscard d’Estaing. Il maugréa bien en 1981 un timide « au revoir », mais il resta, donnant libre cours à l’imagination féconde d’hommes publics qui vous annoncent se retirer à tout jamais de la vie politique le 1er du mois pour mieux solliciter vos suffrages le 10 suivant.

Certes, aucun régime ne peut longtemps tolérer que l’un ou l’autre homme d’envergure parcoure librement les allées du pouvoir, haussant tous les dix mètres les épaules et murmurant dans sa barbe : « Ah ! les cons. » L’intelligence est souvent sœur du mauvais esprit. Et la démocratie n’aime pas le mauvais esprit. Elle l’exècre, le hait, le déteste autant que l’intelligence – ça n’est pas peu dire. Il a donc bien fallu que l’on trouve des solutions pour écarter loin du pouvoir ces hommes qui l’avaient exercé un jour.

On ouvrit un livre pour regarder ce que faisaient les anciens Romains. Et l’on s’aperçut que les barbares latins n’y allaient pas par quatre chemins : l’exécution ou l’exil. Comme la roche tarpéienne est à une sacrée trotte de l’Elysée et de Matignon, on opta pour la deuxième solution. Philippe Séguin et Alain Juppé furent expédiés au Québec, Rocard à Strasbourg, tandis que l’on perdait définitivement la trace de Jean-Pierre Chevènement ou de Jacques Delors. Un régime de faveur fut prescrit à certains : ainsi demanda-t-on à Edouard Balladur de présider des commissions où sa principale tâche était de remuer du chef de temps à autre pour montrer qu’il était en vie – ce qu’il fait très bien. On expédia un ancien ministre des Finances dans une organisation internationale où sévissent de peu glamour banquiers, tandis qu’un ancien ministre de la Culture fut envoyé sur l’île du docteur Castro afin d’y organiser la prochaine Love Parade.

Pour certains, le traitement ne fut pas jugé assez sévère. Strasbourg n’étant pas assez froide, on muta Rocard en Arctique, où il converse depuis avec des manchots et des pingouins très intéressés par la troisième voie. L’ancien Premier ministre ne désespère pas de refiler une carte du PSU à un vieux phoque échoué sur la banquise. C’est ce qu’à gauche on appelle la rocardisation : ne jamais rien lâcher, même avec les animaux, mais ailleurs. Séguin fut rapatrié de Montréal (au grand dam des pizzaiolos de la place qui voyaient s’achever leur âge d’or) pour se laisser emmurer vivant dans le devoir de réserve qui échoit au premier président de la Cour des comptes. Deux agents de la DGSE vinrent enlever Alain Juppé de la Belle Province, pour l’exiler encore plus loin, c’est-à-dire en province. C’est ce qu’on appelle, à droite, la chabanisation : Bordeaux, poubelle des espoirs politiques. Bordeaux, cru bourgeois.

Jamais en Allemagne, nous n’oserions infliger à un homme un tel traitement. D’abord, parce que chez nous la province n’existe pas : chaque Land a son gouvernement et son Parlement où tout un chacun peut briller comme un phénix. Lorsqu’un maire est battu à une élection on s’occupe proprement de son cas. Quand le Dr Dr Dr Muhlman perdit la municipale d’Esslingen-am-Neckar, près de Stuttgart, dans les années 1970, son heureux successeur n’eut de cesse de lui envoyer des bouteilles de kirsch de la meilleure tenue. Six mois plus tard, le delirium tremens passé, la ville toute entière offrit un merveilleux enterrement à son ancien maire. La cirrhose du foie est apte à régler, quoiqu’on en dise, toutes les crises politiques.

Seulement, cela ne viendrait à l’idée de personne d’envoyer un ou deux litres quotidiens de kirsch à Alain Juppé. Le meilleur d’entre nous n’a pas la gueule du pochetron. Il rumine. Parfois, le téléphone sonne. Bonheur, c’est Nicole Notat. Elle lui rappelle le bon temps qui passe et ne revient pas, quand il ne faisait pas tirer sur les foules et se contentait de rester tout heureux droit dans ses bottes. Parfois même, une ex-juppette donne, de sa maison de retraite, une interview à une radio périphérique et le traite de tous les noms. Ça le ragaillardit et lui ferait hérisser les cheveux sur la tête s’il en avait.

Mais, sitôt passés ces instants de frêle bonheur, il sombre dans la dépression. Il n’a plus goût à rien. Son dernier plaisir minuscule, lui qui ne boit aucune gorgée de bière, était de manger une cerise. Une fois par mois, il allait s’en acheter une. Une belle. Gorgée d’eau, de rouge et de soleil. Il passait une heure à la choisir chez le Turc du coin – mes lecteurs français auront rectifié par Arabe du coin. Il la regardait, la contemplait, la prenait par la queue et la faisait reluire sous le néon blafard de l’épicier. Quand elle était à point, parfois il pouvait se mirer dedans et, contemplant son auguste reflet, entonnait doucement la chanson de Jean-Baptiste Clément : « Quand nous chanterons le temps des cerises, Et gai rossignol et merle moqueur seront tous en fête… »

Et puis le jour vint où l’Elysée décida que c’en était trop et qu’il fallait une fois pour toutes déposséder Alain Juppé de ses menus plaisirs. Nicolas Sarkozy appela Rungis et tous les grossistes en primeur pour interdire que la Gironde fût désormais desservie. Bordeaux fut privée de cerises. Alain Juppé n’en mangerait plus.

Si vous avez un verger, un peu d’argent pour lui en acheter une ou deux – trois serait Byzance –, n’hésitez pas : envoyez-lui des cerises. Ou des navets. Ou des brocolis. Des salsifis et des oranges. Une banane. Cinq fruits ou légumes au minimum par jour, sinon dans trois mois vous le retrouverez à Matignon.

Je ne mangerai plus de cerises en hiver...

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Benoit XVI, vers la démission divine

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Comme il est loin le temps où il était facile de neutraliser les papes qui déplaisaient aux puissants de ce monde. Epoque bénie où ils pouvaient, sans trop de difficultés, être martyrisés (saint Pierre, saint Callixte, saint Pontien…), assassinés (Formosus, Jean XIV…) ou même assignés à résidence dans le Vaucluse (1309-1376). Il semble plus délicat désormais de régler ce genre de problème si simplement, même si certains, tels les commanditaires d’Ali Agca, s’y sont courageusement essayés. On en déduira donc que la voie démocratique est la plus raisonnable pour se débarrasser de l’encombrant Benoît XVI, et qu’il faut donc, faute de rémission, exiger sa démission, ainsi que nous l’a prouvé l’ami XP sur Ilys.

L’AFP plombée par les syndicats

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Dans la joyeuse foire des « sauvons… » (la recherche, la fac, le vin rosé, l’hosto ou la poste), on trouvera un appel angoissé des syndicats de l’Agence France-Presse, accompagné d’une pétition invitant le bon peuple à se mobiliser contre les projets pervers du pouvoir relatifs à l’évolution de cette institution. Cette pétition a reçu le soutien des leaders politiques de la gauche et de l’extrême gauche, d’universitaires de renom, et de « grandes plumes » du Tout-Paris médiatique.

Le SOS-AFP lancé depuis la place de la Bourse, siège de l’agence, par les soutiers de ce supposé Titanic du monde de l’information, tente d’accréditer l’idée que l’Elysée, relayé dans la maison par son PDG Pierre Louette, cherche à miner l’indépendance rédactionnelle de l’agence en la transformant en société commerciale, avec une ouverture du capital à des investisseurs privés.

La défense du statut de l’agence, qui date de 1957 lors de sa création par le gouvernement de Guy Mollet, serait donc, pour nos valeureux syndicalistes l’alpha et l’oméga d’un combat décisif pour la liberté de la presse dans notre pays. On brandit donc comme une bannière l’article 2 §1 de ce statut qui stipule : « L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique. » Qui ne souscrirait à ce programme qui inscrit dans le marbre l’indépendance, donc la qualité rédactionnelle d’une institution sur laquelle s’appuie la quasi totalité de nos médias ?

Et hop, on signe la pétition et on se sent meilleur, de gauche et bien dans ses baskets ! Puisque les syndicats vous le disent, pas besoin d’aller y voir de plus près, cela risquerait de nous embrouiller la tête. Ce qui suit est donc réservé au seul usage des enquiquineurs, néo-réacs, et autres suppôts de la droite liberticide.

Au bout d’un demi-siècle d’activité, il faut bien constater que la France, à travers l’AFP, a réussi à se hisser dans le trio de tête mondial des agences d’information, à côté de la britannique Reuters et de l’américaine Associated Press. D’autres pays, comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne se contentent d’avoir des agences moins ambitieuses, qui alimentent uniquement leur marché national en nouvelles. L’AFP continue à jouer dans la cour des grands, diffusant des « fils » en anglais, allemand, espagnol et arabe, partant à la conquête de nouveaux marchés dans les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, et se projetant dans un avenir où le multimédia l’emportera sur l’imprimé.

Alors que pour Reuters, l’information générale n’est qu’une vitrine peu rémunératrice d’une entreprise essentiellement rentable par son service d’informations financières, et qu’AP est adossée aux médias des Etats-Unis, l’AFP ne dispose ni d’un marché intérieur suffisant, ni des revenus d’une activité dans le secteur financier pour assurer son fonctionnement et son développement à l’échelle mondiale.

Alors qui paye ? Comme d’habitude, vous et moi, par l’intermédiaire des fonds alloués par l’Etat à l’AFP, sous la forme d’abonnements souscrits par les administrations à des tarifs qui, en principe, devraient garantir l’équilibre des comptes de l’agence. Ces revenus, qui, bon an, mal an, constituent 40 % des ressources de l’AFP l’exposent à la critique, serinée par la concurrence, d’être une « agence d’Etat » du style Tass ou Chine nouvelle, dont la crédibilité serait entachée par sa dépendance financière de l’Etat français. C’est de bonne guerre, même si dans les faits on peut constater qu’à de rares exceptions près, le traitement de l’actualité mondiale par l’AFP est tout à fait comparable à celui de ses concurrentes privées.

Par ailleurs, le conseil d’administration de l’AFP, qui comprend seize membres donne la prééminence aux représentants de la presse (8) sur ceux de l’Etat (3). Le plus gros contingent des administrateurs vient de la Presse quotidienne régionale (PQR), qui n’ont qu’un souci : maintenir les tarifs d’abonnement les plus bas possibles, en se fichant du rayonnement mondial de l’AFP comme de l’an quarante. Il suffit de feuilleter l’un de ces quotidiens, et d’y voir la place consacrée à l’actualité nationale et internationale pour comprendre qu’ils n’ont pas besoin d’une Rolls de l’info pour alimenter leurs pages…

L’Etat est donc prié de mettre la main au portefeuille chaque fois qu’il s’agit de modernisation technologique, de création de nouveaux services liés à l’émergence de nouveaux médias, bref des investissements nécessaires pour assurer le développement de l’Agence.

Or, dans l’immédiat, il est vital pour l’AFP de se doter du système 4XML qui permet de livrer aux clients des dépêches incluant des sons et des vidéos, ce qui nécessite un investissement de 21 millions d’euros. C’est tout l’enjeu de la négociation sur le COM (contrat d’objectifs et de moyens) actuellement menée avec l’Etat par la direction de l’Agence.

Il n’est donc pas tout à fait insensé pour les pouvoirs publics de commencer à réfléchir aux moyens de permettre à une entreprise de communication dont la réussite est indéniable, d’affronter la nouvelle donne de l’information mondialisée avec des structures rajeunies, permettant notamment l’entrée dans le Conseil d’administration de l’AFP d’investisseurs ayant intérêt à son développement et à sa rentabilité. D’autre part, un Etat démocratique n’a pas pour vocation d’être un acteur direct dans le secteur de l’information, même s’il doit veiller à ce que le pluralisme et la liberté d’expression soient respectés.

Pour les syndicats, il n’est pas question de laisser le loup capitaliste entrer dans la bergerie AFP, ce douillet cocon où ils assuraient jusque là une gestion clientéliste du personnel ( la CGT locale a fait pendant longtemps le pluie et le beau temps dans les promotions et les mutations de journalistes). Il veulent le beurre et l’argent du beurre : que l’Etat paye sans avoir son mot à dire sur la stratégie de l’entreprise, et qu’il ne s’avise surtout pas d’exercer la moindre pression sur les contenus rédactionnels au nom du sacro-saint statut. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour constater que cette situation n’est pas tenable, et cela d’autant moins que la crise structurelle de la presse renforce encore le poids de l’Etat dans l’agence. Quelques incidents récents, comme l’exigence de l’UMP de voir tous ses communiqués systématiquement répercutés par l’AFP, où des phénomènes d’autocensure à la rédaction en chef[1. Ainsi, la rédaction en chef retint plusieurs heures le scoop du bureau de l’AFP de Prague rapportant la fuite, dans un hebdomadaire tchèque, du compte rendu d’une réunion de Nicolas Sarkozy avec le premier ministre Topolanek, de peur d’indisposer le président de la République. Résultat: la concurrence sortit l’histoire avant l’AFP.] montrent que cette dépendance trop exclusive est dommageable au fonctionnement et à la réputation de l’agence dans un monde où la concurrence est féroce. Dans ce contexte, la diversification des investisseurs, où la puissance publique ne serait plus la seule à mettre de l’argent au pot, constitue un plus en terme d’indépendance rédactionnelle, car la crédibilité d’une entreprise de presse est un élement de son capital immatériel. Le rêve d’une Agence d’Etat sans Etat par des syndicats qui carburent à l’idéologie du statut de 1957 est du même ordre que le célèbre couteau sans lame auquel il manque le manche, invention de l’immortel Georg Friedrich Lichtenberg.