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Un préfet wallon dans le Gers ou en Corse ?

Paul-Henry Gendebien est, depuis quatre décennies, une figure marquante de la vie politique belge. Né en 1939, issu d’une vieille famille aristocratique de la région de Namur – ses ancêtres Jean-François et Alexandre ont joué un rôle important dans la mise en place de l’État belge en 1830-1831 –, il entre au début des années 1970 au Parti social-chrétien, avant de rejoindre les rangs du Rassemblement wallon. Ce parti de gauche, fondé par le syndicaliste André Renard et le professeur de droit François Perin, a pour objet la défense des intérêts de la Wallonie – dont l’existence institutionnelle est le produit des affrontements communautaires de la fin des années 1960. Député au Parlement belge, puis député européen de 1979 à 1984, il sera de 1988 à 1996 délégué général à Paris de la Communauté française Wallonie-Bruxelles[1. La communauté française Wallonie-Bruxelles est l’institution qui gère les questions « personnalisables » (éducation, santé, culture) des francophones de Wallonie et de Bruxelles.]. En 1999, il fonde le Rassemblement Wallonie-France (RWF) qui prône l’intégration de la Wallonie et de Bruxelles au sein de la République française, dans l’hypothèse, à ses yeux inéluctable, où la Flandre choisirait l’indépendance. Son influence personnelle et celle de son mouvement dépassent très largement les maigres résultats électoraux du RWF (1,5 % lors des élections législatives de juin 2007). Si l’on en juge par les ralliements récents de personnalités du monde politique et intellectuel belge francophone et par les sondages d’opinion, les Wallons sont de plus en plus nombreux à se laisser séduire par les thèses « rattachistes »…

À la tête du Rassemblement Wallonie-France, vous militez, en cas d’éclatement de la Belgique, pour l’annexion de la Wallonie et de Bruxelles par la France. Comment vous, qui êtes issu d’une grande famille fondatrice de l’État Belge, êtes-vous devenu le chef de file des « rattachistes » ?
La querelle belge n’est pas anecdotique. Elle n’est pas le fait du hasard ni d’une crise conjoncturelle. Elle trouve sa source dans une création qui a accouplé des populations dépourvues des affinités et de la cohésion nécessaires pour former un État-nation. Déjà, en 1912, le député socialiste de Charleroi Jules Destrée s’adressait en ces termes au roi Albert 1er, le grand-père de l’actuel souverain Albert II : « Laissez-moi vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : Sire, il n’y a pas de Belges (…). Non, Sire, la fusion des Flamands et des Wallons n’est pas souhaitable, et la désirerait-on, il faut constater qu’elle n’est pas possible. »
Un siècle plus tard, ce constat est plus que jamais pertinent, et la montée en puissance du nationalisme flamand, la volonté de ce peuple de se constituer en État-nation coûte que coûte, placent les Wallons et les Bruxellois francophones devant un choix crucial pour leur avenir. C’est pourquoi, en 1999, avec quelques amis issus de divers horizons politiques – je viens pour ma part du Rassemblement Wallon d’André Renard et de François Perin – nous avons créé le Rassemblement Wallonie-France, ainsi que son frère jumeau le Rassemblement Bruxelles-France. Seule la réunion à la France de la partie francophone de la Belgique nous permettrait de surmonter les graves problèmes économiques et politiques dont souffrent aujourd’hui la Wallonie et Bruxelles. Il ne s’agirait pas d’une annexion, mais d’une réunion librement consentie de deux peuples appartenant à la même aire culturelle, partageant une histoire et des valeurs communes.

Du côté flamand, la rhétorique nationaliste sert-elle avant tout à obtenir des concessions en matière de compétences régionales et sur Bruxelles ?
Nous n’en sommes plus là ! La Flandre de 2009 s’active à dessiner les frontières de son futur État, en cherchant à éviter toute contestation. C’est pourquoi la négociation dans un cadre belge n’a plus de sens sauf, pour les Wallons et les Bruxellois à se coucher encore plus bas que le niveau du sol. À l’instar des Serbes de la fin des années 1980, les Flamands estiment que l’on ne négocie pas avec un faible, mais qu’on lui impose sa volonté. J’appelle cela de la violence politique par le recours abusif à la loi du nombre. On ne discute pas avec celui qui veut détruire l’objet même de la négociation, à savoir l’État belge lui-même.
Il vaudrait mieux s’orienter rapidement vers la seule négociation utile et raisonnable : celle qui prendra acte de la fin de l’espace politique et juridique commun ; organisera la succession d’États ; et établira des relations de bon voisinage entre l’État républicain flamand et l’État français élargi à la Wallonie et à Bruxelles.

Certains observateurs considèrent que la crise économique fait aujourd’hui passer au second plan le débat communautaire. Ils souhaitent que les responsables politiques et économiques flamands et francophones trouvent ensemble des réponses à cette crise…
On voit bien que l’État belge ne possède ni les structures, ni la volonté, ni le personnel politique adéquats et encore moins les moyens financiers pour faire face à une crise qui accroît les inégalités sociales, le chômage et la dette publique. À cet égard, la saga Fortis[2. Fortis, la plus importante banque de Belgique, a été prise, à la fin de l’année 2008, dans la tourmente de la crise financière mondiale. Les péripéties liées à son sauvetage par l’État belge et sa reprise par la BNP française ont provoqué la démission du premier ministre Yves Leterme (chrétien-social flamand) et son remplacement par Herman Van Rompuy, membre de ce même parti.] a porté un coup fatal à la belgitude en déconfiture et a écorné ce qui restait de crédibilité internationale à la Belgique. On a nettement ressenti une méfiance – fort légitime – de la part de la France et des Pays-Bas vis-à-vis des autorités belges, qu’elles fussent politiques ou bancaires. Dans ce contexte, La Flandre ne s’accommodera pas du statu quo institutionnel. Au contraire : à l’approche du scrutin régional de juin 2009, on observera une montée des eaux nationalistes. La Flandre politique et patronale constatera que les caisses fédérales sont vides, qu’il n’y a pas de plan gouvernemental de relance, et que les changements structurels exigés par le Parlement flamand – baisse de l’impôt sur les sociétés et flexibilité accrue de la politique de l’emploi – sont combattus par les formations francophones. Les partis flamands y verront une entrave orchestrée par l’État belge pour empêcher leur région de lutter, avec ses instruments et ses moyens propres, contre la crise et le désordre international.

La plupart des hommes politiques francophones, lorsqu’on évoque le départ de la Flandre, déclarent qu’ils seraient favorables au maintien d’une « petite Belgique », qui pérenniserait la monarchie et assurerait la continuité du royaume au sein de l’Union européenne…
La classe politique est surtout soucieuse de conserver ses pouvoirs, ses privilèges et les moyens d’entretenir une clientèle – autant d’objectifs qu’elle pourrait, en théorie, atteindre dans le cadre d’une « petite Belgique » réduite à la Wallonie et à Bruxelles. Mais, à mon avis, ce projet n’a aucun fondement politique et culturel. Déjà, dans les années 1920-1930, le grand historien Henri Pirenne[3. Henri Pirenne (1862-1935), historien médiéviste, est l’auteur d’une monumentale Histoire de la Belgique.] pensait que, sans la Flandre, la Belgique n’avait pas d’avenir : ce qu’il en resterait serait trop semblable à la France.
Aujourd’hui, la Wallonie et Bruxelles ne constituent pas une nation. À la différence des nouveaux États qui se sont constitués en Europe centrale et orientale après la chute du communisme, nous n’avons pas de nation wallonne, bruxelloise ou « petite belge ». Nous sommes un conglomérat d’anciennes principautés ballottées par l’Histoire au gré des conflits et des traités. Au bout du compte, tout cela ne fait pas une nation, mais deux régions : la Wallonie et Bruxelles, la région wallonne étant elle-même tiraillée entre ses différentes sous-régions. Un Tournaisien ou un habitant de la province de Luxembourg ne se sent pas wallon, au même titre qu’un Liégeois ou un Namurois. Il n’existe pas de conscience nationale belge francophone.
Si l’État belge s’évapore, nous ne pouvons être qu’une région d’un autre État-nation : la République française. De Jules Michelet à Charles de Gaulle, on a toujours considéré, en France, les Wallons comme faisant partie de la famille française. Il n’y a pas d’autre capitale commune aux Wallons et aux Bruxellois que Paris, où ils jouent d’ailleurs un rôle non négligeable dans les arts et la littérature…

On peut imaginer deux États différents appartenant à un même ensemble national et culturel, comme l’Autriche et l’Allemagne…
Non, car un autre problème se pose : cette « petite Belgique » ne serait viable ni économiquement ni socialement. Cet État serait en faillite avant même de commencer à fonctionner. Certains économistes ont chiffré à moins 20-25 % la diminution du niveau de protection sociale en cas de disparition de la Belgique et, par conséquent, des transferts du Nord vers le Sud. Enfin, notre classe politique à Bruxelles, et surtout en Wallonie, a montré depuis un quart de siècle une réelle inaptitude à administrer sainement la chose publique. La corruption, le clientélisme, le népotisme sont monnaie courante, et ne laissent guère augurer d’une bonne gestion de cet hypothétique royaume « petit-belge »… Le chaos pourrait s’installer au cœur de l’Union européenne.

Certains autonomistes flamands, moins radicaux que les séparatistes du Vlaams Belang[4. Le Vlaams Belang (anciennement Vlaams Blok) est un parti séparatiste et xénophobe qui s’est développé en Flandre au début des années 1980. Il représente aujourd’hui environ 20 % de l’électorat flamand.], plaident pour le maintien d’une Belgique dont les autorités fédérales seraient réduites à leur plus simple expression, l’essentiel des pouvoirs ayant été transférés aux régions. Cette « coquille vide » serait-elle viable ?
C’est ce qu’on appelle le confédéralisme – une formule qui sert le plus souvent à masquer un désir d’indépendance. Aujourd’hui, les Flamands se définissent comme « région flamande en Europe ». Lorsque le ministre belge des Affaires étrangères, le flamand Karel De Gucht, parle de « frontière d’État » pour désigner la frontière linguistique intra-belge, il ne s’agit pas d’un simple lapsus. Ces périphrases sont destinées à amortir le choc psychologique de la fin de l’État belge et à faire avaler à l’opinion francophone la pilule de l’indépendance de la Flandre. Je ne suis pas convaincu, d’une manière générale, et particulièrement en période de crise, qu’un État puisse subsister très longtemps dès lors qu’il ne contrôlerait plus des domaines aussi cruciaux que les finances, la justice, l’économie, une partie des relations internationales, la culture ou l’enseignement…
En ces temps difficiles, on ne peut pas se contenter d’un substitut d’État qui, par surcroît, n’aurait pas réglé les contentieux historiques entre les deux parties du pays : la question de l’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde[5. L’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde est la seule circonscription de Belgique où les électeurs peuvent choisir de voter soit pour des partis francophones soit pour des partis flamands. Sa scission est une revendication flamande à laquelle les francophones s’opposent, car elle priverait les francophones des communes flamandes situées à la périphérie de Bruxelles – mais sur le territoire de la Flandre – de la possibilité d’élire des représentants appartenant à leur communauté linguistique.] ; celle de la nomination des maires élus dans les communes de la périphérie de Bruxelles ; et surtout le problème fondamental des frontières entre les composantes de cet État confédéral. Ce serait le meilleur moyen de pérenniser la situation actuelle : une glaciation du fonctionnement de l’État où, depuis deux ans, plus aucune initiative n’est prise, dans l’attente d’une éventuelle réforme des institutions, elle aussi bloquée…

Vos détracteurs soutiennent que les Wallons et les Bruxellois, très attachés à leur autonomie locale, ne supporteraient pas le centralisme jacobin des Français. Imagine-t-on, par exemple, un préfet d’origine corse à Liège ?
Personnellement, j’imagine très bien un préfet wallon dans le Gers ou la Corse du Sud ! La réunion avec la France représentera une ouverture vers l’extérieur pour des Wallons un peu trop confinés dans leur province. Et puis, la France d’aujourd’hui n’est plus aussi centralisée qu’elle l’était jadis, avant les lois Defferre, et elle le sera encore moins à l’avenir si l’on se fie aux propositions de la commission Balladur… Une phase de transition, d’adaptation de nos législations et de nos modes de fonctionnement pourrait être instaurée dans le domaine de l’enseignement ou des cultes. Mais, d’une manière générale, la Wallonie et Bruxelles ont tout à gagner d’une moralisation de la gestion politique locale et régionale, marquée jusqu’à présent par l’incompétence quand ce n’est pas par la corruption…

Il semble, à vous entendre, que les Belges se trouvent dans l’incapacité de régler eux-mêmes leurs problèmes. Seriez-vous favorable à une internationalisation de la « question belge » ?
Jamais dans l’Histoire les Belges n’ont réussi à prendre leur destin en main. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : en 1789, la principauté de Liège a proclamé une république indépendante. Que s’est-il passé ? L’anarchie, le désordre, l’absence d’État et, au bout du compte, la reconquête sans coup férir par les Autrichiens. La deuxième tentative – la formation, en 1831, de la Belgique indépendante – a été apparemment plus fructueuse. Mais la bourgeoisie belge qui a fait la « révolution » (un bien grand mot pour des événements mineurs !) en chassant les Hollandais, n’a pas été capable de mettre elle-même sur pied un État belge. C’est par la volonté des puissances européennes, au premier rang desquelles la France et l’Angleterre, que cet État a fini par voir le jour. Les partenaires européens ne peuvent pas se désintéresser du sort de la Belgique.

Aujourd’hui, on serait plutôt dans la situation inverse : ces mêmes puissances et les autorités européennes verraient d’un mauvais œil l’éclatement de la Belgique et pourraient même s’y opposer en vertu du principe d’intangibilité des frontières au sein de l’Union européenne…
Quelles autorités européennes ? Et au nom de quels principes ? Depuis 1989, plus de quinze nouveaux États sont nés sur notre continent tandis que d’autres, comme la RDA, ont disparu. La plupart des capitales, et l’Europe dans son ensemble, sont restées passives, voire complices, devant ces implosions. Elles ont hésité entre deux principes contradictoires : le droit sacré des peuples à l’autodétermination et la stabilité des frontières étatiques. Si le droit des peuples l’a emporté, ce n’est pas parce que l’Europe a imposé la solution la plus vertueuse, mais parce qu’elle n’avait ni la volonté ni la force de dire non. Je suis persuadé que l’Allemagne ne s’opposera pas aux souhaits des Wallons et des Bruxellois. Elle se souviendra de la loyauté de Paris, qui acquiesça sans réserve à la réunification de 1990. Quant à la Grande-Bretagne, elle ne protestera que pour la forme. L’Europe a intérêt à ce que la crise belge trouve une issue pacifique et que tout risque de chaos soit écarté. Le rattachement à la France constituera un facteur de stabilité évident.

À propos de l’Allemagne, que deviendrait la communauté germanophone des cantons de l’Est dans l’hypothèse d’une intégration de la Wallonie à la France ?
Les 70 000 habitants de ces cantons seraient, eux aussi, appelés à se prononcer via un référendum d’autodétermination. Sans préjuger de leur choix, il pourrait leur être proposé trois options : le rattachement à la République fédérale, l’intégration au Luxembourg ; ou bien le maintien au sein d’une région wallonne devenue française, avec des aménagements du type de ceux en vigueur en Alsace-Moselle.

Et la minorité flamande de Bruxelles ?
Son statut devra être négocié dans un cadre général de protection des minorités linguistiques à Bruxelles, mais aussi en Flandre, où résident quelque 90 000 francophones, hors des communes dites à « facilités » de la périphérie bruxelloise. Ces derniers ne bénéficient aujourd’hui d’aucun droit à faire usage de leur langue dans les services publics, contrairement aux Flamands de Bruxelles. Je suis également favorable à la signature d’un grand traité culturel tripartite, par lequel la France, la Flandre et les Pays-Bas s’attacheraient à promouvoir les échanges linguistiques et culturels.

Comment expliquez-vous le hiatus entre l’écho rencontré récemment par vos idées – près de la moitié des Wallons et Bruxellois seraient favorables au rattachement à la France en cas d’éclatement de la Belgique – et la modestie de vos résultats électoraux ?
Il y a d’abord l’ostracisme dont notre mouvement est victime de la part des grands médias belges francophones depuis sa création en 1999. La radio et la télévision publiques sont verrouillées par des directeurs nommés par les partis politiques au pouvoir, notamment le PS, qui est farouchement hostile à nos idées. Entre parenthèses, il me paraît quelque peu indécent de voir le PS belge critiquer la nomination du président de France Télévisions par le Conseil des ministres, quand on sait comment ses dirigeants se comportent en la matière…
Le peuple wallon et bruxellois francophone nous connaît et nous estime, car nous ne sommes ni des extrémistes ni des excités. Il adhère de plus en plus à nos idées mais, pour l’instant, il nous considère un peu comme le médicament qu’on garde en réserve dans l’armoire à pharmacie au cas où les choses tourneraient mal…
Dans les circonstances actuelles, les choses peuvent bouger très vite, y compris sur le plan électoral. Je constate également que l’opinion française est majoritairement disposée à nous accueillir dans la République : les sondages nous sont particulièrement favorables dans les régions frontalières, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Champagne-Ardenne. Les dirigeants français ne peuvent pas ignorer cette évolution des esprits de part et d’autre de la frontière. Il est grand temps qu’ils se mettent à lire la crise belge avec d’autres lunettes que celles que leur tend la classe politique de Wallonie et de Bruxelles !

Paul-Henry Gendebien est l’auteur de Wallons et Bruxellois, ensemble avec la France !, éditions Cortext, 2008. Paraîtra un article de Luc Rosenzweig sur la situation politique en Belgique dans le n°123 de Politique Internationale, disponible en librairie le 11 mai 2009.

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Ils étaient où, les patrons ?

Personne n’a remarqué que l’unité syndicale exceptionnelle ayant présidé à l’organisation des défilés de ce 1er mai 2009 n’était pas totale. On avait beau scruter les images des cortèges de nos villes, pas trace de délégation du Medef ou de la CGPME ! Et pourtant les patrons, grands et petits, sont comme tout le monde des victimes de la crise ! Et ils en avaient, des choses à dire, si l’on en croit les récentes prises de position de leurs organisations représentatives. On aurait pu voir, par exemple, une grande banderole : « Le Medef avec les travailleurs contre les patrons voyous ! » Assis dans le coffre ouvert d’une Vel Satis conduite par son chauffeur habituel, Gérard Mestrallet, qui fut de gauche avant de diriger Suez, lance les slogans dans son mégaphone : « Bouton, t’es foutu, le Medef est dans la rue ! », « Stock-options, piège à cons ! », « Pas de bénef, pas de bonus, les patrons sont pas des buses ! », etc. L’état-major de Bouygues serait venu au grand complet avec ses pancartes calligraphiées au minorange : « Des lits avec du ciment ! », faisant écho au « Pas de licenciements ! » de la CGT, « Sarko laisse béton ! » Laurence Parisot a raté une bonne occasion de ne pas se taire !

La démocratie des maîtresses d’école

Au piquet, les députés ! Et accessoirement, à la caisse. Terre de conflits, la France vient de refaire son unité face à une menace de taille : l’absentéisme parlementaire, à Paris et à Strasbourg/Bruxelles. On nous le répète à longueur d’éditos, ce manquement à la loi est insupportable. Que les gamins sèchent les cours c’est le minimum syndical, que des ouvriers pètent les plombs on a du mal à le leur reprocher, qu’un collégien agresse un prof, c’est regrettable mais il a eu une enfance malheureuse, que des minorités d’étudiants bloquent des facs, il faut les comprendre ; mais que les députés fassent preuve d’un tel manque d’assiduité, nous ne saurions le tolérer. On paye, on en veut pour notre pognon.

En vrai l’absentéisme est aussi vieux que le Parlement. Heureusement, les interventions avisées de quelques grands moralistes empêchent que l’on planque sous le tapis ce scandale d’Etat permanent. En tête de nos maîtresses d’école nationale, il faut saluer Jean-Michel Apathie et Olivier Duhamel qui distribuent avec gourmandise blâmes et punitions aux garnements qui nous gouvernent. Ah, le sourire heureux qu’on imagine sur le visage d’Apathie quand il peut désigner un bonnet d’âne, brandir une mauvaise moyenne, sermonner et donner un petit coup de règle sur les doigts du délinquant ! Après le fiasco de la loi Hadopi – rejetée par 21 voix contre 15 au cas où cela aurait échappé à quelqu’un -, l’instit qui ne sommeille jamais vraiment chez Apathie, s’est déchaîné : « 93,77 % des députés n’étaient pas à leur travail, hier. Mais qu’est-ce qu’ils foutent les députés, en France ? », écrivait-il sur son blog au lendemain de l’épisode, assez rigolo pourtant, des députés fantômes sortant des lourdes tentures du Palais Bourbon. Bon, Apathie est prof de bonnes manières politiques. On n’est pas à l’Assemblée, ni nulle part d’ailleurs, pour rigoler. Et les petits malins qui croient qu’ils sont payés pour « labourer leur circonscription » vont comprendre leur douleur. Il est assez plaisant de reprocher à des élus de s’intéresser à leurs électeurs – je parle de leurs électeurs de chair et d’os, ceux qui précisément, peuplent ces mystérieuses et lointaines circonscriptions que nos parlementaires perfides persistent à labourer, sans doute pour en tirer quelque bénéfice occulte.

Quant à Olivier Duhamel, je ne l’ai pas entendu – et pour tout dire, je n’ai pas le courage de m’avaler en ce samedi matin toutes ses excellentes chroniques – mais je suis sûre qu’il ne décolère pas depuis la parution d’un rapport sur l’absentéisme des parlementaires européens. Figurez-vous qu’il s’est trouvé un estimable chercheur, ancien collaborateur d’un eurodéputé italien, pour plonger des heures, sans doute des semaines durant, dans la chatoyante et abondante littérature qui témoigne de l’activisme de l’euro-assemblée – et que produit toute institution comme pour témoigner de son existence même. Je l’imagine, l’Indiana Jones en costard-cravate à la recherche des heures perdues (pour l’eurocontribuable), à l’assaut des comptes-rendus de séances, des rapports divers et variés. Il dû bicher à compter, recenser, calculer les temps de présence et de parole des uns et des autres – et combien de fois chacun est-il sorti faire pipi, le citoyen a le droit de savoir. Il n’a pas perdu son temps, le Flavien Deltort, à compter les europoux dans les chevelures de nos élus. À l’arrivée, un magnifique classement qui rappelle les prix d’excellence de notre enfance et, encore plus inestimable, un article dans Le Monde qui annonce triomphalement en « une » : « Pervenche Bérès, notée 9/10, Marine Le Pen 0/10. » On l’a échappé belle : cela aurait pu être le contraire.

Coup de chance, une ruse de l’actualité a placé en même temps sous les feux d’icelle ceux qui truandent avec le temps de travail parlementaire érigé en critère suprême de la moralité politique, et ceux qui plaisantent sur les sujets sur lesquels on ne plaisante pas, à commencer par l’Europe (qui a déjà été l’occasion d’un grand moment de fusion extatique dans le studio de la matinale de France Inter mais c’est une autre histoire). Attaqué sur deux flancs, le camp du Bien l’a mauvaise : non seulement nos députés ne foutent rien à Paris, c’est Apathie qui le dit, non seulement ils jouent les Arlésiennes à Bruxelles/Strasbourg, mais en plus, M’dame, ils s’en fichent tellement de l’Europe que, quand on leur met sur pied une belle séance du mercredi sur les enjeux européens – le truc qui devrait réjouir à l’avance n’importe quel insomniaque –, ils ne déplacent même pas. En décembre, Apathie avait donc déjà servi le lamento du citoyen grugé à propos d’un débat de politique générale organisé en matinée pour nos heureux députés. « Hier, écrivait-il, le Premier ministre de la République française, ce n’est pas rien le Premier ministre de la République française, venait leur causer de l’Europe. Eh bien, 80 % des députés français ne sont pas venus. Consternant. » Apathie, c’est le genre de prof qui manie à merveille le lyrisme disciplinaire. « Petit à petit, au fil des minutes, ici et là, poursuivait-il, quelques élus apparemment écrasés par la chaleur de décembre, s’installent les épaules basses et l’air fatigué sur les sièges qu’ils occupent au nom du peuple français. Au plus fort de la tempête, peut-être ont-ils été une centaine dans l’hémicycle, cent sur 577, quelle tristesse, quelle honte. » De quoi arracher des larmes au cancre le plus endurci.

La jolie cause que voilà. Sans l’ombre d’un danger – qui oserait trouver une justification à la fainéantise de ces gens grassement payés pour s’occuper de nous ? (En vrai, un député n’est pas si grassement payé et doit accepter une certaine précarité mais on s’en fout, c’est un puissant.) Si un ministre de l’Education s’avisait de publier un palmarès (par région, par exemple) de l’absentéisme des profs, ou s’il décidait de punir avec fermeté celui des élèves, la France entière serait sommée de se lever contre ce mauvais coup porté aux libertés et aux droits de l’enfant. Mais l’absentéisme des députés, c’est un sujet tous publics qui permet de prendre l’opinion à témoin avec la certitude d’être acclamé. À en croire l’excellent Jacques Rosselin, patron de Vendredi, cette affaire d’Etat a été l’un des gros buzz de la semaine. Au lendemain du 1er mai, Plantu y consacre son dessin (pas très drôle) en « une » du Monde. Il faut dire qu’en France, on n’aime pas les tire-au-flanc. Surtout quand c’est les autres. Faire crier haro sur les députés est à peu près aussi difficile, par les temps qui courent, que d’attiser le ressentiment envers les riches.

Pour se rattraper et amadouer les journalistes qui les gouvernent, les élus de la nation ont donc (presque) voté leur propre sanction – s’enverront-ils à la guillotine le jour où TF1 proclamera que le Grand soir est arrivé ? En réalité, ils n’ont rien eu à voter puisque les sanctions financières pour absentéisme sont déjà prévues par le règlement de l’Assemblée, mais enfin, il paraît qu’ils ont décidé de l’appliquer. Comme citoyens, vous vous sentez déjà mieux représentés, non ?

Quelques députés se sont lancés dans de savantes explications sur la confection de la loi, le travail effectué en commissions et toutes sortes d’autres choses – et les voyages d’étude, quelqu’un y songe, au temps que ça leur prend, d’aller vérifier qu’ailleurs, ce n’est pas mieux, à tous les membres d’un groupe d’amitiés franco-truc ?

Tout ça est du pur bla-bla, Apathie et tous les autres le savent bien. En réalité, comme on dirait à Sciences Po, le Parlement a de l’importance mais il en a moins qu’avant. Il joue un rôle essentiel, d’un point de vue symbolique et démocratique – faut-il rappeler que le gouvernement est issu de la majorité ? Il arrive parfois qu’il soit le lieu où l’affrontement politique se met en scène – y compris sous la forme du théâtre de boulevard. Mais en même temps, en France et ailleurs, il a perdu la main dans l’équilibre des pouvoirs et ceci, que l’on me pardonne cette minute de cuistrerie, pour trois séries de raisons : l’absence de différences idéologiques fondamentales entre les camps politiques, la technicisation de la gestion publique et l’arraisonnement du débat public par l’espace médiatique.

Il est normal que nos députés travaillent – il me semble même que dans l’ensemble, ils le font. Je n’en disconviens pas, il faut respecter le Parlement, et même, si vous y tenez absolument, le rehausser, lui rendre toute sa dignité. N’empêche qu’il faut s’y faire : la vraie vie (politique) est ailleurs, du côté de l’exécutif et des plateaux de télé. Et puis doit-on absolument, quand on observe la vie politique, en appeler sans cesse à des réflexes de cour d’école – M’dame, il a séché, et en plus, il avait pas appris sa leçon ? Après tout, si Apathie est si respectueux du Parlement, qu’il invite moins de ministres et plus de députés de base.

Si frapper au portefeuille les mauvais députés s’avérait inefficace – avec tous les revenus de leur circonscription, cette mesurette ne risque pas de les gêner – il faudra bien passer à la vitesse supérieure. La réponse unanime des instits de la démocratie, leur méthode globale à eux, c’est l’interdiction du cumul des mandats. Je ne sais pas pourquoi, mais qu’un député puisse être maire et conseiller général, ça les rend dingues. Quelle est la raison de cette obsession ? Tient-elle à ce que les cumulards occupent deux emplois quand d’autres n’en ont pas ? Au fait qu’on ne peut pas exercer correctement plusieurs métiers ? C’est un peu comme si on nous disait qu’un journaliste qui chronique dans un ou deux journaux et intervient quotidiennement sur une radio et une télé ne peut pas faire du bon boulot. Absurde.

Rachida, connais pas !

23

A 81 ans, Simone Veil a été faite mercredi dernier – certains diraient enfin – grand officier de la Légion d’honneur. Mme Veil a reçu la médaille des mains du président Sarkozy devant de nombreux invités. Outre la famille et les proches de l’immortelle, étaient présents l’ancien Premier ministre Edouard Balladur et plusieurs membres du gouvernement : Christine Lagarde, Valérie Pécresse, Xavier Darcos, Rama Yade, Fadela Amara, André Santini. Brillait par son absence Rachida Dati, l’ex-protégée de Simone, qui ajoute donc ainsi un énième « ex » à son CV. Quand ça veut pas rire…

Un préfet sans chœur

Le préfet de l’Oise vient d’interdire un concert du célèbre chœur des Petits chanteurs à la croix de bois. Selon le représentant de l’Etat, les enfants doivent bénéficier d’un contrat de travail et être rémunérés lorsqu’ils se produisent. Peu importe que les parents soient d’accord, peu importe surtout que les enfants souhaitent chanter bénévolement, la préfecture de Beauvais ne plaisante pas.

Je ne connais pas Monsieur le Préfet du département de l’Oise, mais il est tellement bien parti que je ne vois pas pourquoi il s’arrêterait en si bon chemin. Ainsi devra-t-il sans doute exiger l’établissement de fiches de paie en bonne et due forme pour les enfants participant au prochain tournoi de sixte d’Avricourt le lundi de Pentecôte[1. Commune prise totalement au hasard sur la page Wikipédia des communes de l’Oise. Ne vous y rendez pas, il y a de grandes chances que ce village n’organise pas de tournoi de foot pour la Pentecôte.]. En effet, les petits footballeurs, catégorie poussins[2. Enfants de 7 à 8 ans, précisé-je à l’attention des non-initiés du ballon rond.], devraient générer aux alentours de midi des recettes dues à la vente de merguez, de frites et autres boissons[3. Sans alcool ! Evin, le mal nommé, est passé par là.].

Le célèbre gala de danse moderne qui a lieu chaque fin d’année à l’école Roger-Salengro de Beauvais devrait quant à lui être annulé aussi, puisque les petites danseuses, emmenées par la célèbre Josette Michu, enseignante des CE2 de la même école, ne font pas l’objet de rémunérations d’intermittentes du spectacle, malgré des chorégraphies magnifiques sur les chansons de Lorie et Amel Bent.

Et si Monsieur le Préfet allait plus loin encore ? S’il considère que toute production entraînant des recettes doit faire l’objet de contrat de travail, il doit d’urgence exiger la fermeture de l’hypermarché Carrefour de Beauvais. En effet, on y vend du linge de corps fabriqué dans un atelier de la banlieue de Shangaï par des enfants, lesquels ne disposent ni contrat de travail ni rémunération. Pour le coup, Monsieur le Préfet ferait œuvre utile et cela serait bien plus courageux que de faire chier les Petits chanteurs à la croix de bois.

Martine Aubry dans le texto

Qu’il est bon d’être adhérent du Parti socialiste. En plus des cotisations et des réunions, on a parfois droit à de délicieux bonus tracks. Ainsi ce SMS que l’ensemble des militants d’Ile de France ont reçu hier – et souvent plusieurs fois dans la journée : « Demain 1er mai, retrouvons nous pour manifester ensemble RdV 13h30 angle StMichel/Rue Soufflot je compte sur toi Martine AUBRY. » Décodage ? Après la bérézina du Zénith des Libertés, on serre les boulons. Ainsi, avant la dernière réunion des responsables de section parisiens, on avait prévenu qu’on ferait l’appel pour débusquer les absents. Là, c’est plus convivial, un petit SMS perso de Martine – avec tutoiement inclus – pour étoffer les rangs. On notera quand même que ledit message ne fait plus mention du slogan « Le 1er mai, je marche avec les socialistes », dont la tonalité un rien récupératrice avait énervé plus d’un syndicaliste. Mais c’est vrai que dans un SMS, on ne peut pas tout dire…

Marianne 2.0

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On ne change pas une formule qui gagne ? Certes, mais comme disait Prévert : et pourquoi pas ? A preuve mes vaillants confrères (et souvent amis, pour ne rien vous cacher) de Marianne2 qui viennent de rebooter de fond en comble leur site. Cette nouvelle version, le grand timonier Philippe Cohen la place sous la triple volonté « d’accroître la couverture éditoriale, d’améliorer le confort de lecture et d’ouvrir le site aux vents du web ». Et comme en prime, il y a un joli petit scoop sur la Société Générale, le mieux est d’aller vérifier cette bonne nouvelle par vous-même, sans oublier de revenir sur Causeur immédiatement après, non mais !

Comment jeter le bébé avec l’eau du bain ?

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En ces temps riants de grippe porcine planétaire, l’heure me semble venue d’aborder une question d’une singulière gravité. Une question qui hante depuis longtemps chacun d’entre nous. Nul ne l’a pourtant encore étudiée avec la rigueur qu’elle requiert. Comment jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Tous les imbéciles s’accordent à penser qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Avec un laxisme inlassable, cependant, ils omettent d’aborder la question véritable. Est-il seulement possible de jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Certains esprits forts parmi vous m’objecteront sans doute que « jeter le bébé avec l’eau du bain » est une expression. Quand un énoncé ne veut pas dire ce qu’il veut dire, on dit qu’il s’agit d’une « expression ». Ça me paraît un peu facile et je sais que ça en arrange beaucoup.

Ne nous laissons pas arrêter par de telles arguties et examinons sans plus attendre les conditions nécessaires et suffisantes d’un jet de bébé avec l’eau du bain. Il est impératif, tout d’abord, de disposer d’un bébé. (De quel âge ? Noyé ou vif ? Le sien ou celui d’un autre ? Tout cela importe peu, en vérité, aux yeux de la science.) Il semble tout aussi indispensable de disposer d’un bain – contenant nécessairement de l’eau – sinon, toute l’expérience s’écroule.

Quant à « l’eau du bain », rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle doive se trouver dans le bain pour que le protocole soit valide. (Elle peut être recueillie dans des bouteilles – mais ne devient-elle pas alors, au terme d’une durée tenue secrète, de « l’eau de bouteille » ?)

Le problème cardinal est ailleurs. Il réside assurément dans la polysémie de l’interlope préposition « avec ». Celle-ci peut s’entendre au sens de « conjointement à », mais, tout aussi bien, au sens de « au moyen de ».

Etudions la première hypothèse. Est-il possible de jeter le bébé conjointement à l’eau du bain ? Avant comme après 1880, la réponse est non ! Après 1880, cela va de soi, les hommes civilisés et leurs petits prenant des bains dans des baignoires non-amovibles et comportant un siphon dont le diamètre n’autorise pas la moindre fuite de nouveau-né – celui-ci fût-il le plus humble, le plus chétif, le plus timide. Avant 1880, lorsque nous nous baignions dans des baquets des familles, le vulgum est tenté de croire que la chose fut alors possible. Pourtant, elle ne l’était pas davantage – et ce, pour une raison très simple : à l’instant même où, prenant notre élan et notre baquet à plein bras, nous espérions jeter notre progéniture conjointement à l’eau du bain, ceux-ci se disjoignaient fatalement, se désolidarisaient avant même d’avoir touché le sol. La conjonction tant désirée n’était jamais atteinte. Dans cette première hypothèse, il me paraît évident qu’il n’existe qu’une et une seule possibilité de jeter le bébé en préservant sa précieuse conjonction avec l’eau du bain. Il faut placer le bébé et l’eau du bain dans un ballon-aquarium parfaitement hermétique et transparent, résistant aux rebonds, et projeter enfin cette sphère amusante et molle.

Mais il est temps de passer à l’examen de la seconde hypothèse. Est-il possible de jeter le bébé au moyen de l’eau du bain ? Pour jeter un enfant au moyen de quelque chose – qu’il s’agisse d’une catapulte, d’une baliste ou d’un trébuchet à contrepoids – le jet nécessite invariablement l’usage d’un instrument solide. L’eau du bain ne satisfait pas, à l’évidence, à cette condition impérieuse. Dans cette seconde hypothèse, la réponse est donc également négative. Là encore, il n’existe qu’une seule exception probante : précipiter l’enfant et l’eau de son baquet dans le cratère d’un volcan au moment de son éruption. Pour que le jet d’enfant soit vraiment réussi et que son instrument soit bel et bien « l’eau du bain », il convient de veiller à ce que la lave ne soit pas en contact direct avec l’enfant et qu’ils soient dûment séparés par l’eau du bain qui, à l’état de vapeur, n’en demeure pas moins eau.

Après cet édifiant examen physico-logique du problème, tournons-nous brièvement vers sa dimension morale. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Mon positionnement éthique sera, comme d’habitude, à la fois exigeant et nuancé.

Primo, j’affirme que, dans l’écrasante majorité des cas, il est tout bonnement impossible de jeter le bébé avec l’eau du bain. Subséquemment, les tourments moraux liés à ce problème s’évanouissent immédiatement.

Secundo, j’affirme qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain dans un cas et un seul, où cet acte constitue une indiscutable atteinte à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine : celui du jet intentionnel et prémédité de bébé dans un volcan en éruption.

Tertio, j’affirme qu’il faut absolument jeter le bébé avec l’eau du bain dans un cas et un seul : celui où l’enfant est placé dans un ballon hermétique transparent rempli d’eau du bain. Il est cependant nécessaire que l’enfant soit muni de bouteilles d’oxygène adaptées à sa ridicule morphologie. Rien ne nous autorise à priver l’enfant de l’amusement extrême suscité par une telle expérience, qui contribuera en outre à forger son caractère.

Enfin, pour les naïfs qui continuent à porter crédit à l’hypothèse selon laquelle « jeter le bébé avec l’eau du bain » serait une « simple expression », voici quelques détails glanés sur des sites Internet délirants et qui ne manqueront pas d’alimenter leur psychose. L’ »expression » serait apparue en 1512 dans la langue allemande sous la forme : Das Kind mit dem Bade ausschütten. Le virus aurait ensuite touché la langue anglaise, à la fin du XIXe siècle, par l’entremise d’un historien anglais germanophile, Thomas Carlyle, qui aurait été le premier imbécile à dire : Throw the baby out with the bathwater. À partir du foyer anglais, la contagion aurait enfin gagné presque toutes les langues européennes, dont la nôtre. L’espagnol : Tirar al niño con el agua de bañarlo. Le tchèque : Vylít vaničku i s dítětem. Même le russe : выплеснуть ребёнка вместе с водой. Seul le peuple italien aurait démontré une légère résistance, gardant l’eau mais jetant le bain, et introduisant une précision judicieuse. Buttare via il bambino con l’acqua sporca : « jeter le bébé avec l’eau sale ».

Il va de soi que je refuse de cautionner toutes ces aberrations.

Le théorème du chat mort

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Tel l’équipage de Christophe Colomb, nous scrutons l’horizon pour tenter d’apercevoir les lueurs de la fameuse « reprise », notre passage vers les Indes à nous. Mais à force de fixer les yeux sur la ligne bleue de l’horizon, certains croient voir au loin des cimes enneigées et d’autres prennent les albatros pour des cormorans. Si le moral des troupes est un paramètre essentiel dans l’équation compliquée de la gestion de la crise, ceux qui sèment aujourd’hui de faux espoirs risquent de récolter demain un véritable désespoir.

Les performances des marchés boursiers depuis mars – le Cac40 a gagné 20 % en quelques semaines – ne présument en rien de l’avenir de l’économie en général ni d’ailleurs de l’avenir des bourses elles-mêmes. Contrairement à une idée reçue, dans la crise actuelle, le marché des actions n’a rien anticipé. Il atteignait même des sommets au cours de l’automne 2007, plusieurs semaines après les premiers signes de l’éclatement de la bulle des subprimes.

Les spéculateurs sur les marchés des matières premières n’ont pas montré plus de perspicacité – comme l’a signalé Daniel Cohen dans un entretien à Causeur Mensuel – quand ils ont poussé le prix du baril de pétrole à 150 $, à peine un mois et demi avant la faillite de Lehman Brothers, événement à partir duquel la crise s’est déclarée dans toute son ampleur.

L’embellie dans certains secteurs du commerce, notamment celui de l’automobile, est toute relative et pourrait très bien marquer un palier – ce que les Américains appellent malicieusement le « saut du chat mort » – quand on jette un chat du toit d’un gratte-ciel, après le crash initial, son cadavre va forcément rebondir de quelques centimètres, ce qui ne signifie nullement que le félin résiste plutôt bien au choc.

C’est l’explication la plus probable du rebond actuel car les deux fondamentaux de la crise, l’état incertain des bilans des banques et le chômage, ne présagent d’une reprise rapide et ce n’est pas seulement moi qui vous le dit : les institutions financières elles-mêmes n’y croient pas !

En effet, les banques et autres organismes financiers ne cachent pas leur profond pessimisme, comme en témoigne une circulaire envoyée récemment par l’assureur de crédit Axa Assurcredit à ses clients. Sans s’attarder sur des formules de politesse, la missive annonce qu’une « dégradation constante de la situation économique depuis la fin de 2008 concerne tous les pays et tous les secteurs d’activité » et qu’en conséquence « les impayés s’accélèrent et ont été multipliés par trois pour la grande majorité de nos clients ».

Pour Axa, le constat est clair et ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir – on ne peut même pas parler d’un « ralentissement du ralentissement ». En conséquence, l’assureur notifie à ses clients que la couverture de risques considérés comme élevés sera drastiquement réduite. En première ligne, donc, viennent les impayés : les risques qui étaient jusque-là garantis à 100 % ne le seront plus qu’entre 25 % et 40 % et dans certains cas cette couverture sera plafonnée à 5 000 €… Un véritable coup de massue pour les sociétés, notamment dans le tertiaire, dont l’activité exige d’accorder à leurs clients un crédit qui représente un volume important par rapport à leur chiffre d’affaires. Les destinataires de la circulaire sont placés devant un choix difficile : soit assumer seul le risque (impossible dans le cas d’une société dont le PDG m’a transmis la circulaire car les sommes sont importantes et la défaillance d’un seul client déclencherait une faillite immédiate) soit réduire leur activité – décision qui a prévalu dans le cas en question. Alors qu’aucun problème ne s’est (encore ?) déclaré chez ses clients, cette société – comme beaucoup d’autres sans doute – va devoir diminuer son volume d’activité avec eux, voire cesser complètement : un risque potentiel s’est transformé en problème réel.

Cerise sur le gâteau : la même circulaire annonce que ces mesures seront effectives deux mois après leur notification (donc fin juin début juillet) ! Pour ceux qui auraient mal compris, Axa ne croit pas à la reprise mais alors pas du tout. Visiblement, les communicants ou les financiers qui ont pondu ce texte ne se demandent pas si leur nouvelle formulation du merveilleux « principe de précaution » ne risque pas d’aggraver le marasme.

Si quelque part, il y avait un Etat, il ne laisserait ces choses en l’état…

Un préfet wallon dans le Gers ou en Corse ?

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Paul-Henry Gendebien est, depuis quatre décennies, une figure marquante de la vie politique belge. Né en 1939, issu d’une vieille famille aristocratique de la région de Namur – ses ancêtres Jean-François et Alexandre ont joué un rôle important dans la mise en place de l’État belge en 1830-1831 –, il entre au début des années 1970 au Parti social-chrétien, avant de rejoindre les rangs du Rassemblement wallon. Ce parti de gauche, fondé par le syndicaliste André Renard et le professeur de droit François Perin, a pour objet la défense des intérêts de la Wallonie – dont l’existence institutionnelle est le produit des affrontements communautaires de la fin des années 1960. Député au Parlement belge, puis député européen de 1979 à 1984, il sera de 1988 à 1996 délégué général à Paris de la Communauté française Wallonie-Bruxelles[1. La communauté française Wallonie-Bruxelles est l’institution qui gère les questions « personnalisables » (éducation, santé, culture) des francophones de Wallonie et de Bruxelles.]. En 1999, il fonde le Rassemblement Wallonie-France (RWF) qui prône l’intégration de la Wallonie et de Bruxelles au sein de la République française, dans l’hypothèse, à ses yeux inéluctable, où la Flandre choisirait l’indépendance. Son influence personnelle et celle de son mouvement dépassent très largement les maigres résultats électoraux du RWF (1,5 % lors des élections législatives de juin 2007). Si l’on en juge par les ralliements récents de personnalités du monde politique et intellectuel belge francophone et par les sondages d’opinion, les Wallons sont de plus en plus nombreux à se laisser séduire par les thèses « rattachistes »…

À la tête du Rassemblement Wallonie-France, vous militez, en cas d’éclatement de la Belgique, pour l’annexion de la Wallonie et de Bruxelles par la France. Comment vous, qui êtes issu d’une grande famille fondatrice de l’État Belge, êtes-vous devenu le chef de file des « rattachistes » ?
La querelle belge n’est pas anecdotique. Elle n’est pas le fait du hasard ni d’une crise conjoncturelle. Elle trouve sa source dans une création qui a accouplé des populations dépourvues des affinités et de la cohésion nécessaires pour former un État-nation. Déjà, en 1912, le député socialiste de Charleroi Jules Destrée s’adressait en ces termes au roi Albert 1er, le grand-père de l’actuel souverain Albert II : « Laissez-moi vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : Sire, il n’y a pas de Belges (…). Non, Sire, la fusion des Flamands et des Wallons n’est pas souhaitable, et la désirerait-on, il faut constater qu’elle n’est pas possible. »
Un siècle plus tard, ce constat est plus que jamais pertinent, et la montée en puissance du nationalisme flamand, la volonté de ce peuple de se constituer en État-nation coûte que coûte, placent les Wallons et les Bruxellois francophones devant un choix crucial pour leur avenir. C’est pourquoi, en 1999, avec quelques amis issus de divers horizons politiques – je viens pour ma part du Rassemblement Wallon d’André Renard et de François Perin – nous avons créé le Rassemblement Wallonie-France, ainsi que son frère jumeau le Rassemblement Bruxelles-France. Seule la réunion à la France de la partie francophone de la Belgique nous permettrait de surmonter les graves problèmes économiques et politiques dont souffrent aujourd’hui la Wallonie et Bruxelles. Il ne s’agirait pas d’une annexion, mais d’une réunion librement consentie de deux peuples appartenant à la même aire culturelle, partageant une histoire et des valeurs communes.

Du côté flamand, la rhétorique nationaliste sert-elle avant tout à obtenir des concessions en matière de compétences régionales et sur Bruxelles ?
Nous n’en sommes plus là ! La Flandre de 2009 s’active à dessiner les frontières de son futur État, en cherchant à éviter toute contestation. C’est pourquoi la négociation dans un cadre belge n’a plus de sens sauf, pour les Wallons et les Bruxellois à se coucher encore plus bas que le niveau du sol. À l’instar des Serbes de la fin des années 1980, les Flamands estiment que l’on ne négocie pas avec un faible, mais qu’on lui impose sa volonté. J’appelle cela de la violence politique par le recours abusif à la loi du nombre. On ne discute pas avec celui qui veut détruire l’objet même de la négociation, à savoir l’État belge lui-même.
Il vaudrait mieux s’orienter rapidement vers la seule négociation utile et raisonnable : celle qui prendra acte de la fin de l’espace politique et juridique commun ; organisera la succession d’États ; et établira des relations de bon voisinage entre l’État républicain flamand et l’État français élargi à la Wallonie et à Bruxelles.

Certains observateurs considèrent que la crise économique fait aujourd’hui passer au second plan le débat communautaire. Ils souhaitent que les responsables politiques et économiques flamands et francophones trouvent ensemble des réponses à cette crise…
On voit bien que l’État belge ne possède ni les structures, ni la volonté, ni le personnel politique adéquats et encore moins les moyens financiers pour faire face à une crise qui accroît les inégalités sociales, le chômage et la dette publique. À cet égard, la saga Fortis[2. Fortis, la plus importante banque de Belgique, a été prise, à la fin de l’année 2008, dans la tourmente de la crise financière mondiale. Les péripéties liées à son sauvetage par l’État belge et sa reprise par la BNP française ont provoqué la démission du premier ministre Yves Leterme (chrétien-social flamand) et son remplacement par Herman Van Rompuy, membre de ce même parti.] a porté un coup fatal à la belgitude en déconfiture et a écorné ce qui restait de crédibilité internationale à la Belgique. On a nettement ressenti une méfiance – fort légitime – de la part de la France et des Pays-Bas vis-à-vis des autorités belges, qu’elles fussent politiques ou bancaires. Dans ce contexte, La Flandre ne s’accommodera pas du statu quo institutionnel. Au contraire : à l’approche du scrutin régional de juin 2009, on observera une montée des eaux nationalistes. La Flandre politique et patronale constatera que les caisses fédérales sont vides, qu’il n’y a pas de plan gouvernemental de relance, et que les changements structurels exigés par le Parlement flamand – baisse de l’impôt sur les sociétés et flexibilité accrue de la politique de l’emploi – sont combattus par les formations francophones. Les partis flamands y verront une entrave orchestrée par l’État belge pour empêcher leur région de lutter, avec ses instruments et ses moyens propres, contre la crise et le désordre international.

La plupart des hommes politiques francophones, lorsqu’on évoque le départ de la Flandre, déclarent qu’ils seraient favorables au maintien d’une « petite Belgique », qui pérenniserait la monarchie et assurerait la continuité du royaume au sein de l’Union européenne…
La classe politique est surtout soucieuse de conserver ses pouvoirs, ses privilèges et les moyens d’entretenir une clientèle – autant d’objectifs qu’elle pourrait, en théorie, atteindre dans le cadre d’une « petite Belgique » réduite à la Wallonie et à Bruxelles. Mais, à mon avis, ce projet n’a aucun fondement politique et culturel. Déjà, dans les années 1920-1930, le grand historien Henri Pirenne[3. Henri Pirenne (1862-1935), historien médiéviste, est l’auteur d’une monumentale Histoire de la Belgique.] pensait que, sans la Flandre, la Belgique n’avait pas d’avenir : ce qu’il en resterait serait trop semblable à la France.
Aujourd’hui, la Wallonie et Bruxelles ne constituent pas une nation. À la différence des nouveaux États qui se sont constitués en Europe centrale et orientale après la chute du communisme, nous n’avons pas de nation wallonne, bruxelloise ou « petite belge ». Nous sommes un conglomérat d’anciennes principautés ballottées par l’Histoire au gré des conflits et des traités. Au bout du compte, tout cela ne fait pas une nation, mais deux régions : la Wallonie et Bruxelles, la région wallonne étant elle-même tiraillée entre ses différentes sous-régions. Un Tournaisien ou un habitant de la province de Luxembourg ne se sent pas wallon, au même titre qu’un Liégeois ou un Namurois. Il n’existe pas de conscience nationale belge francophone.
Si l’État belge s’évapore, nous ne pouvons être qu’une région d’un autre État-nation : la République française. De Jules Michelet à Charles de Gaulle, on a toujours considéré, en France, les Wallons comme faisant partie de la famille française. Il n’y a pas d’autre capitale commune aux Wallons et aux Bruxellois que Paris, où ils jouent d’ailleurs un rôle non négligeable dans les arts et la littérature…

On peut imaginer deux États différents appartenant à un même ensemble national et culturel, comme l’Autriche et l’Allemagne…
Non, car un autre problème se pose : cette « petite Belgique » ne serait viable ni économiquement ni socialement. Cet État serait en faillite avant même de commencer à fonctionner. Certains économistes ont chiffré à moins 20-25 % la diminution du niveau de protection sociale en cas de disparition de la Belgique et, par conséquent, des transferts du Nord vers le Sud. Enfin, notre classe politique à Bruxelles, et surtout en Wallonie, a montré depuis un quart de siècle une réelle inaptitude à administrer sainement la chose publique. La corruption, le clientélisme, le népotisme sont monnaie courante, et ne laissent guère augurer d’une bonne gestion de cet hypothétique royaume « petit-belge »… Le chaos pourrait s’installer au cœur de l’Union européenne.

Certains autonomistes flamands, moins radicaux que les séparatistes du Vlaams Belang[4. Le Vlaams Belang (anciennement Vlaams Blok) est un parti séparatiste et xénophobe qui s’est développé en Flandre au début des années 1980. Il représente aujourd’hui environ 20 % de l’électorat flamand.], plaident pour le maintien d’une Belgique dont les autorités fédérales seraient réduites à leur plus simple expression, l’essentiel des pouvoirs ayant été transférés aux régions. Cette « coquille vide » serait-elle viable ?
C’est ce qu’on appelle le confédéralisme – une formule qui sert le plus souvent à masquer un désir d’indépendance. Aujourd’hui, les Flamands se définissent comme « région flamande en Europe ». Lorsque le ministre belge des Affaires étrangères, le flamand Karel De Gucht, parle de « frontière d’État » pour désigner la frontière linguistique intra-belge, il ne s’agit pas d’un simple lapsus. Ces périphrases sont destinées à amortir le choc psychologique de la fin de l’État belge et à faire avaler à l’opinion francophone la pilule de l’indépendance de la Flandre. Je ne suis pas convaincu, d’une manière générale, et particulièrement en période de crise, qu’un État puisse subsister très longtemps dès lors qu’il ne contrôlerait plus des domaines aussi cruciaux que les finances, la justice, l’économie, une partie des relations internationales, la culture ou l’enseignement…
En ces temps difficiles, on ne peut pas se contenter d’un substitut d’État qui, par surcroît, n’aurait pas réglé les contentieux historiques entre les deux parties du pays : la question de l’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde[5. L’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde est la seule circonscription de Belgique où les électeurs peuvent choisir de voter soit pour des partis francophones soit pour des partis flamands. Sa scission est une revendication flamande à laquelle les francophones s’opposent, car elle priverait les francophones des communes flamandes situées à la périphérie de Bruxelles – mais sur le territoire de la Flandre – de la possibilité d’élire des représentants appartenant à leur communauté linguistique.] ; celle de la nomination des maires élus dans les communes de la périphérie de Bruxelles ; et surtout le problème fondamental des frontières entre les composantes de cet État confédéral. Ce serait le meilleur moyen de pérenniser la situation actuelle : une glaciation du fonctionnement de l’État où, depuis deux ans, plus aucune initiative n’est prise, dans l’attente d’une éventuelle réforme des institutions, elle aussi bloquée…

Vos détracteurs soutiennent que les Wallons et les Bruxellois, très attachés à leur autonomie locale, ne supporteraient pas le centralisme jacobin des Français. Imagine-t-on, par exemple, un préfet d’origine corse à Liège ?
Personnellement, j’imagine très bien un préfet wallon dans le Gers ou la Corse du Sud ! La réunion avec la France représentera une ouverture vers l’extérieur pour des Wallons un peu trop confinés dans leur province. Et puis, la France d’aujourd’hui n’est plus aussi centralisée qu’elle l’était jadis, avant les lois Defferre, et elle le sera encore moins à l’avenir si l’on se fie aux propositions de la commission Balladur… Une phase de transition, d’adaptation de nos législations et de nos modes de fonctionnement pourrait être instaurée dans le domaine de l’enseignement ou des cultes. Mais, d’une manière générale, la Wallonie et Bruxelles ont tout à gagner d’une moralisation de la gestion politique locale et régionale, marquée jusqu’à présent par l’incompétence quand ce n’est pas par la corruption…

Il semble, à vous entendre, que les Belges se trouvent dans l’incapacité de régler eux-mêmes leurs problèmes. Seriez-vous favorable à une internationalisation de la « question belge » ?
Jamais dans l’Histoire les Belges n’ont réussi à prendre leur destin en main. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : en 1789, la principauté de Liège a proclamé une république indépendante. Que s’est-il passé ? L’anarchie, le désordre, l’absence d’État et, au bout du compte, la reconquête sans coup férir par les Autrichiens. La deuxième tentative – la formation, en 1831, de la Belgique indépendante – a été apparemment plus fructueuse. Mais la bourgeoisie belge qui a fait la « révolution » (un bien grand mot pour des événements mineurs !) en chassant les Hollandais, n’a pas été capable de mettre elle-même sur pied un État belge. C’est par la volonté des puissances européennes, au premier rang desquelles la France et l’Angleterre, que cet État a fini par voir le jour. Les partenaires européens ne peuvent pas se désintéresser du sort de la Belgique.

Aujourd’hui, on serait plutôt dans la situation inverse : ces mêmes puissances et les autorités européennes verraient d’un mauvais œil l’éclatement de la Belgique et pourraient même s’y opposer en vertu du principe d’intangibilité des frontières au sein de l’Union européenne…
Quelles autorités européennes ? Et au nom de quels principes ? Depuis 1989, plus de quinze nouveaux États sont nés sur notre continent tandis que d’autres, comme la RDA, ont disparu. La plupart des capitales, et l’Europe dans son ensemble, sont restées passives, voire complices, devant ces implosions. Elles ont hésité entre deux principes contradictoires : le droit sacré des peuples à l’autodétermination et la stabilité des frontières étatiques. Si le droit des peuples l’a emporté, ce n’est pas parce que l’Europe a imposé la solution la plus vertueuse, mais parce qu’elle n’avait ni la volonté ni la force de dire non. Je suis persuadé que l’Allemagne ne s’opposera pas aux souhaits des Wallons et des Bruxellois. Elle se souviendra de la loyauté de Paris, qui acquiesça sans réserve à la réunification de 1990. Quant à la Grande-Bretagne, elle ne protestera que pour la forme. L’Europe a intérêt à ce que la crise belge trouve une issue pacifique et que tout risque de chaos soit écarté. Le rattachement à la France constituera un facteur de stabilité évident.

À propos de l’Allemagne, que deviendrait la communauté germanophone des cantons de l’Est dans l’hypothèse d’une intégration de la Wallonie à la France ?
Les 70 000 habitants de ces cantons seraient, eux aussi, appelés à se prononcer via un référendum d’autodétermination. Sans préjuger de leur choix, il pourrait leur être proposé trois options : le rattachement à la République fédérale, l’intégration au Luxembourg ; ou bien le maintien au sein d’une région wallonne devenue française, avec des aménagements du type de ceux en vigueur en Alsace-Moselle.

Et la minorité flamande de Bruxelles ?
Son statut devra être négocié dans un cadre général de protection des minorités linguistiques à Bruxelles, mais aussi en Flandre, où résident quelque 90 000 francophones, hors des communes dites à « facilités » de la périphérie bruxelloise. Ces derniers ne bénéficient aujourd’hui d’aucun droit à faire usage de leur langue dans les services publics, contrairement aux Flamands de Bruxelles. Je suis également favorable à la signature d’un grand traité culturel tripartite, par lequel la France, la Flandre et les Pays-Bas s’attacheraient à promouvoir les échanges linguistiques et culturels.

Comment expliquez-vous le hiatus entre l’écho rencontré récemment par vos idées – près de la moitié des Wallons et Bruxellois seraient favorables au rattachement à la France en cas d’éclatement de la Belgique – et la modestie de vos résultats électoraux ?
Il y a d’abord l’ostracisme dont notre mouvement est victime de la part des grands médias belges francophones depuis sa création en 1999. La radio et la télévision publiques sont verrouillées par des directeurs nommés par les partis politiques au pouvoir, notamment le PS, qui est farouchement hostile à nos idées. Entre parenthèses, il me paraît quelque peu indécent de voir le PS belge critiquer la nomination du président de France Télévisions par le Conseil des ministres, quand on sait comment ses dirigeants se comportent en la matière…
Le peuple wallon et bruxellois francophone nous connaît et nous estime, car nous ne sommes ni des extrémistes ni des excités. Il adhère de plus en plus à nos idées mais, pour l’instant, il nous considère un peu comme le médicament qu’on garde en réserve dans l’armoire à pharmacie au cas où les choses tourneraient mal…
Dans les circonstances actuelles, les choses peuvent bouger très vite, y compris sur le plan électoral. Je constate également que l’opinion française est majoritairement disposée à nous accueillir dans la République : les sondages nous sont particulièrement favorables dans les régions frontalières, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Champagne-Ardenne. Les dirigeants français ne peuvent pas ignorer cette évolution des esprits de part et d’autre de la frontière. Il est grand temps qu’ils se mettent à lire la crise belge avec d’autres lunettes que celles que leur tend la classe politique de Wallonie et de Bruxelles !

Paul-Henry Gendebien est l’auteur de Wallons et Bruxellois, ensemble avec la France !, éditions Cortext, 2008. Paraîtra un article de Luc Rosenzweig sur la situation politique en Belgique dans le n°123 de Politique Internationale, disponible en librairie le 11 mai 2009.

Wallons et Bruxellois avec la France !

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Frappe chirurgicale

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babouse

À l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), l’équipe du professeur Lantiéri a greffé une partie du visage et des deux mains sur un homme âgé de 30 ans. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son Carnet : Babouse de là !

La France made in Sarko

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Ils étaient où, les patrons ?

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Personne n’a remarqué que l’unité syndicale exceptionnelle ayant présidé à l’organisation des défilés de ce 1er mai 2009 n’était pas totale. On avait beau scruter les images des cortèges de nos villes, pas trace de délégation du Medef ou de la CGPME ! Et pourtant les patrons, grands et petits, sont comme tout le monde des victimes de la crise ! Et ils en avaient, des choses à dire, si l’on en croit les récentes prises de position de leurs organisations représentatives. On aurait pu voir, par exemple, une grande banderole : « Le Medef avec les travailleurs contre les patrons voyous ! » Assis dans le coffre ouvert d’une Vel Satis conduite par son chauffeur habituel, Gérard Mestrallet, qui fut de gauche avant de diriger Suez, lance les slogans dans son mégaphone : « Bouton, t’es foutu, le Medef est dans la rue ! », « Stock-options, piège à cons ! », « Pas de bénef, pas de bonus, les patrons sont pas des buses ! », etc. L’état-major de Bouygues serait venu au grand complet avec ses pancartes calligraphiées au minorange : « Des lits avec du ciment ! », faisant écho au « Pas de licenciements ! » de la CGT, « Sarko laisse béton ! » Laurence Parisot a raté une bonne occasion de ne pas se taire !

La démocratie des maîtresses d’école

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Au piquet, les députés ! Et accessoirement, à la caisse. Terre de conflits, la France vient de refaire son unité face à une menace de taille : l’absentéisme parlementaire, à Paris et à Strasbourg/Bruxelles. On nous le répète à longueur d’éditos, ce manquement à la loi est insupportable. Que les gamins sèchent les cours c’est le minimum syndical, que des ouvriers pètent les plombs on a du mal à le leur reprocher, qu’un collégien agresse un prof, c’est regrettable mais il a eu une enfance malheureuse, que des minorités d’étudiants bloquent des facs, il faut les comprendre ; mais que les députés fassent preuve d’un tel manque d’assiduité, nous ne saurions le tolérer. On paye, on en veut pour notre pognon.

En vrai l’absentéisme est aussi vieux que le Parlement. Heureusement, les interventions avisées de quelques grands moralistes empêchent que l’on planque sous le tapis ce scandale d’Etat permanent. En tête de nos maîtresses d’école nationale, il faut saluer Jean-Michel Apathie et Olivier Duhamel qui distribuent avec gourmandise blâmes et punitions aux garnements qui nous gouvernent. Ah, le sourire heureux qu’on imagine sur le visage d’Apathie quand il peut désigner un bonnet d’âne, brandir une mauvaise moyenne, sermonner et donner un petit coup de règle sur les doigts du délinquant ! Après le fiasco de la loi Hadopi – rejetée par 21 voix contre 15 au cas où cela aurait échappé à quelqu’un -, l’instit qui ne sommeille jamais vraiment chez Apathie, s’est déchaîné : « 93,77 % des députés n’étaient pas à leur travail, hier. Mais qu’est-ce qu’ils foutent les députés, en France ? », écrivait-il sur son blog au lendemain de l’épisode, assez rigolo pourtant, des députés fantômes sortant des lourdes tentures du Palais Bourbon. Bon, Apathie est prof de bonnes manières politiques. On n’est pas à l’Assemblée, ni nulle part d’ailleurs, pour rigoler. Et les petits malins qui croient qu’ils sont payés pour « labourer leur circonscription » vont comprendre leur douleur. Il est assez plaisant de reprocher à des élus de s’intéresser à leurs électeurs – je parle de leurs électeurs de chair et d’os, ceux qui précisément, peuplent ces mystérieuses et lointaines circonscriptions que nos parlementaires perfides persistent à labourer, sans doute pour en tirer quelque bénéfice occulte.

Quant à Olivier Duhamel, je ne l’ai pas entendu – et pour tout dire, je n’ai pas le courage de m’avaler en ce samedi matin toutes ses excellentes chroniques – mais je suis sûre qu’il ne décolère pas depuis la parution d’un rapport sur l’absentéisme des parlementaires européens. Figurez-vous qu’il s’est trouvé un estimable chercheur, ancien collaborateur d’un eurodéputé italien, pour plonger des heures, sans doute des semaines durant, dans la chatoyante et abondante littérature qui témoigne de l’activisme de l’euro-assemblée – et que produit toute institution comme pour témoigner de son existence même. Je l’imagine, l’Indiana Jones en costard-cravate à la recherche des heures perdues (pour l’eurocontribuable), à l’assaut des comptes-rendus de séances, des rapports divers et variés. Il dû bicher à compter, recenser, calculer les temps de présence et de parole des uns et des autres – et combien de fois chacun est-il sorti faire pipi, le citoyen a le droit de savoir. Il n’a pas perdu son temps, le Flavien Deltort, à compter les europoux dans les chevelures de nos élus. À l’arrivée, un magnifique classement qui rappelle les prix d’excellence de notre enfance et, encore plus inestimable, un article dans Le Monde qui annonce triomphalement en « une » : « Pervenche Bérès, notée 9/10, Marine Le Pen 0/10. » On l’a échappé belle : cela aurait pu être le contraire.

Coup de chance, une ruse de l’actualité a placé en même temps sous les feux d’icelle ceux qui truandent avec le temps de travail parlementaire érigé en critère suprême de la moralité politique, et ceux qui plaisantent sur les sujets sur lesquels on ne plaisante pas, à commencer par l’Europe (qui a déjà été l’occasion d’un grand moment de fusion extatique dans le studio de la matinale de France Inter mais c’est une autre histoire). Attaqué sur deux flancs, le camp du Bien l’a mauvaise : non seulement nos députés ne foutent rien à Paris, c’est Apathie qui le dit, non seulement ils jouent les Arlésiennes à Bruxelles/Strasbourg, mais en plus, M’dame, ils s’en fichent tellement de l’Europe que, quand on leur met sur pied une belle séance du mercredi sur les enjeux européens – le truc qui devrait réjouir à l’avance n’importe quel insomniaque –, ils ne déplacent même pas. En décembre, Apathie avait donc déjà servi le lamento du citoyen grugé à propos d’un débat de politique générale organisé en matinée pour nos heureux députés. « Hier, écrivait-il, le Premier ministre de la République française, ce n’est pas rien le Premier ministre de la République française, venait leur causer de l’Europe. Eh bien, 80 % des députés français ne sont pas venus. Consternant. » Apathie, c’est le genre de prof qui manie à merveille le lyrisme disciplinaire. « Petit à petit, au fil des minutes, ici et là, poursuivait-il, quelques élus apparemment écrasés par la chaleur de décembre, s’installent les épaules basses et l’air fatigué sur les sièges qu’ils occupent au nom du peuple français. Au plus fort de la tempête, peut-être ont-ils été une centaine dans l’hémicycle, cent sur 577, quelle tristesse, quelle honte. » De quoi arracher des larmes au cancre le plus endurci.

La jolie cause que voilà. Sans l’ombre d’un danger – qui oserait trouver une justification à la fainéantise de ces gens grassement payés pour s’occuper de nous ? (En vrai, un député n’est pas si grassement payé et doit accepter une certaine précarité mais on s’en fout, c’est un puissant.) Si un ministre de l’Education s’avisait de publier un palmarès (par région, par exemple) de l’absentéisme des profs, ou s’il décidait de punir avec fermeté celui des élèves, la France entière serait sommée de se lever contre ce mauvais coup porté aux libertés et aux droits de l’enfant. Mais l’absentéisme des députés, c’est un sujet tous publics qui permet de prendre l’opinion à témoin avec la certitude d’être acclamé. À en croire l’excellent Jacques Rosselin, patron de Vendredi, cette affaire d’Etat a été l’un des gros buzz de la semaine. Au lendemain du 1er mai, Plantu y consacre son dessin (pas très drôle) en « une » du Monde. Il faut dire qu’en France, on n’aime pas les tire-au-flanc. Surtout quand c’est les autres. Faire crier haro sur les députés est à peu près aussi difficile, par les temps qui courent, que d’attiser le ressentiment envers les riches.

Pour se rattraper et amadouer les journalistes qui les gouvernent, les élus de la nation ont donc (presque) voté leur propre sanction – s’enverront-ils à la guillotine le jour où TF1 proclamera que le Grand soir est arrivé ? En réalité, ils n’ont rien eu à voter puisque les sanctions financières pour absentéisme sont déjà prévues par le règlement de l’Assemblée, mais enfin, il paraît qu’ils ont décidé de l’appliquer. Comme citoyens, vous vous sentez déjà mieux représentés, non ?

Quelques députés se sont lancés dans de savantes explications sur la confection de la loi, le travail effectué en commissions et toutes sortes d’autres choses – et les voyages d’étude, quelqu’un y songe, au temps que ça leur prend, d’aller vérifier qu’ailleurs, ce n’est pas mieux, à tous les membres d’un groupe d’amitiés franco-truc ?

Tout ça est du pur bla-bla, Apathie et tous les autres le savent bien. En réalité, comme on dirait à Sciences Po, le Parlement a de l’importance mais il en a moins qu’avant. Il joue un rôle essentiel, d’un point de vue symbolique et démocratique – faut-il rappeler que le gouvernement est issu de la majorité ? Il arrive parfois qu’il soit le lieu où l’affrontement politique se met en scène – y compris sous la forme du théâtre de boulevard. Mais en même temps, en France et ailleurs, il a perdu la main dans l’équilibre des pouvoirs et ceci, que l’on me pardonne cette minute de cuistrerie, pour trois séries de raisons : l’absence de différences idéologiques fondamentales entre les camps politiques, la technicisation de la gestion publique et l’arraisonnement du débat public par l’espace médiatique.

Il est normal que nos députés travaillent – il me semble même que dans l’ensemble, ils le font. Je n’en disconviens pas, il faut respecter le Parlement, et même, si vous y tenez absolument, le rehausser, lui rendre toute sa dignité. N’empêche qu’il faut s’y faire : la vraie vie (politique) est ailleurs, du côté de l’exécutif et des plateaux de télé. Et puis doit-on absolument, quand on observe la vie politique, en appeler sans cesse à des réflexes de cour d’école – M’dame, il a séché, et en plus, il avait pas appris sa leçon ? Après tout, si Apathie est si respectueux du Parlement, qu’il invite moins de ministres et plus de députés de base.

Si frapper au portefeuille les mauvais députés s’avérait inefficace – avec tous les revenus de leur circonscription, cette mesurette ne risque pas de les gêner – il faudra bien passer à la vitesse supérieure. La réponse unanime des instits de la démocratie, leur méthode globale à eux, c’est l’interdiction du cumul des mandats. Je ne sais pas pourquoi, mais qu’un député puisse être maire et conseiller général, ça les rend dingues. Quelle est la raison de cette obsession ? Tient-elle à ce que les cumulards occupent deux emplois quand d’autres n’en ont pas ? Au fait qu’on ne peut pas exercer correctement plusieurs métiers ? C’est un peu comme si on nous disait qu’un journaliste qui chronique dans un ou deux journaux et intervient quotidiennement sur une radio et une télé ne peut pas faire du bon boulot. Absurde.

Rachida, connais pas !

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A 81 ans, Simone Veil a été faite mercredi dernier – certains diraient enfin – grand officier de la Légion d’honneur. Mme Veil a reçu la médaille des mains du président Sarkozy devant de nombreux invités. Outre la famille et les proches de l’immortelle, étaient présents l’ancien Premier ministre Edouard Balladur et plusieurs membres du gouvernement : Christine Lagarde, Valérie Pécresse, Xavier Darcos, Rama Yade, Fadela Amara, André Santini. Brillait par son absence Rachida Dati, l’ex-protégée de Simone, qui ajoute donc ainsi un énième « ex » à son CV. Quand ça veut pas rire…

Un préfet sans chœur

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Le préfet de l’Oise vient d’interdire un concert du célèbre chœur des Petits chanteurs à la croix de bois. Selon le représentant de l’Etat, les enfants doivent bénéficier d’un contrat de travail et être rémunérés lorsqu’ils se produisent. Peu importe que les parents soient d’accord, peu importe surtout que les enfants souhaitent chanter bénévolement, la préfecture de Beauvais ne plaisante pas.

Je ne connais pas Monsieur le Préfet du département de l’Oise, mais il est tellement bien parti que je ne vois pas pourquoi il s’arrêterait en si bon chemin. Ainsi devra-t-il sans doute exiger l’établissement de fiches de paie en bonne et due forme pour les enfants participant au prochain tournoi de sixte d’Avricourt le lundi de Pentecôte[1. Commune prise totalement au hasard sur la page Wikipédia des communes de l’Oise. Ne vous y rendez pas, il y a de grandes chances que ce village n’organise pas de tournoi de foot pour la Pentecôte.]. En effet, les petits footballeurs, catégorie poussins[2. Enfants de 7 à 8 ans, précisé-je à l’attention des non-initiés du ballon rond.], devraient générer aux alentours de midi des recettes dues à la vente de merguez, de frites et autres boissons[3. Sans alcool ! Evin, le mal nommé, est passé par là.].

Le célèbre gala de danse moderne qui a lieu chaque fin d’année à l’école Roger-Salengro de Beauvais devrait quant à lui être annulé aussi, puisque les petites danseuses, emmenées par la célèbre Josette Michu, enseignante des CE2 de la même école, ne font pas l’objet de rémunérations d’intermittentes du spectacle, malgré des chorégraphies magnifiques sur les chansons de Lorie et Amel Bent.

Et si Monsieur le Préfet allait plus loin encore ? S’il considère que toute production entraînant des recettes doit faire l’objet de contrat de travail, il doit d’urgence exiger la fermeture de l’hypermarché Carrefour de Beauvais. En effet, on y vend du linge de corps fabriqué dans un atelier de la banlieue de Shangaï par des enfants, lesquels ne disposent ni contrat de travail ni rémunération. Pour le coup, Monsieur le Préfet ferait œuvre utile et cela serait bien plus courageux que de faire chier les Petits chanteurs à la croix de bois.

Martine Aubry dans le texto

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Qu’il est bon d’être adhérent du Parti socialiste. En plus des cotisations et des réunions, on a parfois droit à de délicieux bonus tracks. Ainsi ce SMS que l’ensemble des militants d’Ile de France ont reçu hier – et souvent plusieurs fois dans la journée : « Demain 1er mai, retrouvons nous pour manifester ensemble RdV 13h30 angle StMichel/Rue Soufflot je compte sur toi Martine AUBRY. » Décodage ? Après la bérézina du Zénith des Libertés, on serre les boulons. Ainsi, avant la dernière réunion des responsables de section parisiens, on avait prévenu qu’on ferait l’appel pour débusquer les absents. Là, c’est plus convivial, un petit SMS perso de Martine – avec tutoiement inclus – pour étoffer les rangs. On notera quand même que ledit message ne fait plus mention du slogan « Le 1er mai, je marche avec les socialistes », dont la tonalité un rien récupératrice avait énervé plus d’un syndicaliste. Mais c’est vrai que dans un SMS, on ne peut pas tout dire…

Marianne 2.0

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On ne change pas une formule qui gagne ? Certes, mais comme disait Prévert : et pourquoi pas ? A preuve mes vaillants confrères (et souvent amis, pour ne rien vous cacher) de Marianne2 qui viennent de rebooter de fond en comble leur site. Cette nouvelle version, le grand timonier Philippe Cohen la place sous la triple volonté « d’accroître la couverture éditoriale, d’améliorer le confort de lecture et d’ouvrir le site aux vents du web ». Et comme en prime, il y a un joli petit scoop sur la Société Générale, le mieux est d’aller vérifier cette bonne nouvelle par vous-même, sans oublier de revenir sur Causeur immédiatement après, non mais !

Comment jeter le bébé avec l’eau du bain ?

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En ces temps riants de grippe porcine planétaire, l’heure me semble venue d’aborder une question d’une singulière gravité. Une question qui hante depuis longtemps chacun d’entre nous. Nul ne l’a pourtant encore étudiée avec la rigueur qu’elle requiert. Comment jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Tous les imbéciles s’accordent à penser qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Avec un laxisme inlassable, cependant, ils omettent d’aborder la question véritable. Est-il seulement possible de jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Certains esprits forts parmi vous m’objecteront sans doute que « jeter le bébé avec l’eau du bain » est une expression. Quand un énoncé ne veut pas dire ce qu’il veut dire, on dit qu’il s’agit d’une « expression ». Ça me paraît un peu facile et je sais que ça en arrange beaucoup.

Ne nous laissons pas arrêter par de telles arguties et examinons sans plus attendre les conditions nécessaires et suffisantes d’un jet de bébé avec l’eau du bain. Il est impératif, tout d’abord, de disposer d’un bébé. (De quel âge ? Noyé ou vif ? Le sien ou celui d’un autre ? Tout cela importe peu, en vérité, aux yeux de la science.) Il semble tout aussi indispensable de disposer d’un bain – contenant nécessairement de l’eau – sinon, toute l’expérience s’écroule.

Quant à « l’eau du bain », rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle doive se trouver dans le bain pour que le protocole soit valide. (Elle peut être recueillie dans des bouteilles – mais ne devient-elle pas alors, au terme d’une durée tenue secrète, de « l’eau de bouteille » ?)

Le problème cardinal est ailleurs. Il réside assurément dans la polysémie de l’interlope préposition « avec ». Celle-ci peut s’entendre au sens de « conjointement à », mais, tout aussi bien, au sens de « au moyen de ».

Etudions la première hypothèse. Est-il possible de jeter le bébé conjointement à l’eau du bain ? Avant comme après 1880, la réponse est non ! Après 1880, cela va de soi, les hommes civilisés et leurs petits prenant des bains dans des baignoires non-amovibles et comportant un siphon dont le diamètre n’autorise pas la moindre fuite de nouveau-né – celui-ci fût-il le plus humble, le plus chétif, le plus timide. Avant 1880, lorsque nous nous baignions dans des baquets des familles, le vulgum est tenté de croire que la chose fut alors possible. Pourtant, elle ne l’était pas davantage – et ce, pour une raison très simple : à l’instant même où, prenant notre élan et notre baquet à plein bras, nous espérions jeter notre progéniture conjointement à l’eau du bain, ceux-ci se disjoignaient fatalement, se désolidarisaient avant même d’avoir touché le sol. La conjonction tant désirée n’était jamais atteinte. Dans cette première hypothèse, il me paraît évident qu’il n’existe qu’une et une seule possibilité de jeter le bébé en préservant sa précieuse conjonction avec l’eau du bain. Il faut placer le bébé et l’eau du bain dans un ballon-aquarium parfaitement hermétique et transparent, résistant aux rebonds, et projeter enfin cette sphère amusante et molle.

Mais il est temps de passer à l’examen de la seconde hypothèse. Est-il possible de jeter le bébé au moyen de l’eau du bain ? Pour jeter un enfant au moyen de quelque chose – qu’il s’agisse d’une catapulte, d’une baliste ou d’un trébuchet à contrepoids – le jet nécessite invariablement l’usage d’un instrument solide. L’eau du bain ne satisfait pas, à l’évidence, à cette condition impérieuse. Dans cette seconde hypothèse, la réponse est donc également négative. Là encore, il n’existe qu’une seule exception probante : précipiter l’enfant et l’eau de son baquet dans le cratère d’un volcan au moment de son éruption. Pour que le jet d’enfant soit vraiment réussi et que son instrument soit bel et bien « l’eau du bain », il convient de veiller à ce que la lave ne soit pas en contact direct avec l’enfant et qu’ils soient dûment séparés par l’eau du bain qui, à l’état de vapeur, n’en demeure pas moins eau.

Après cet édifiant examen physico-logique du problème, tournons-nous brièvement vers sa dimension morale. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Mon positionnement éthique sera, comme d’habitude, à la fois exigeant et nuancé.

Primo, j’affirme que, dans l’écrasante majorité des cas, il est tout bonnement impossible de jeter le bébé avec l’eau du bain. Subséquemment, les tourments moraux liés à ce problème s’évanouissent immédiatement.

Secundo, j’affirme qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain dans un cas et un seul, où cet acte constitue une indiscutable atteinte à l’intégrité et à la dignité de la personne humaine : celui du jet intentionnel et prémédité de bébé dans un volcan en éruption.

Tertio, j’affirme qu’il faut absolument jeter le bébé avec l’eau du bain dans un cas et un seul : celui où l’enfant est placé dans un ballon hermétique transparent rempli d’eau du bain. Il est cependant nécessaire que l’enfant soit muni de bouteilles d’oxygène adaptées à sa ridicule morphologie. Rien ne nous autorise à priver l’enfant de l’amusement extrême suscité par une telle expérience, qui contribuera en outre à forger son caractère.

Enfin, pour les naïfs qui continuent à porter crédit à l’hypothèse selon laquelle « jeter le bébé avec l’eau du bain » serait une « simple expression », voici quelques détails glanés sur des sites Internet délirants et qui ne manqueront pas d’alimenter leur psychose. L’ »expression » serait apparue en 1512 dans la langue allemande sous la forme : Das Kind mit dem Bade ausschütten. Le virus aurait ensuite touché la langue anglaise, à la fin du XIXe siècle, par l’entremise d’un historien anglais germanophile, Thomas Carlyle, qui aurait été le premier imbécile à dire : Throw the baby out with the bathwater. À partir du foyer anglais, la contagion aurait enfin gagné presque toutes les langues européennes, dont la nôtre. L’espagnol : Tirar al niño con el agua de bañarlo. Le tchèque : Vylít vaničku i s dítětem. Même le russe : выплеснуть ребёнка вместе с водой. Seul le peuple italien aurait démontré une légère résistance, gardant l’eau mais jetant le bain, et introduisant une précision judicieuse. Buttare via il bambino con l’acqua sporca : « jeter le bébé avec l’eau sale ».

Il va de soi que je refuse de cautionner toutes ces aberrations.

Le théorème du chat mort

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Tel l’équipage de Christophe Colomb, nous scrutons l’horizon pour tenter d’apercevoir les lueurs de la fameuse « reprise », notre passage vers les Indes à nous. Mais à force de fixer les yeux sur la ligne bleue de l’horizon, certains croient voir au loin des cimes enneigées et d’autres prennent les albatros pour des cormorans. Si le moral des troupes est un paramètre essentiel dans l’équation compliquée de la gestion de la crise, ceux qui sèment aujourd’hui de faux espoirs risquent de récolter demain un véritable désespoir.

Les performances des marchés boursiers depuis mars – le Cac40 a gagné 20 % en quelques semaines – ne présument en rien de l’avenir de l’économie en général ni d’ailleurs de l’avenir des bourses elles-mêmes. Contrairement à une idée reçue, dans la crise actuelle, le marché des actions n’a rien anticipé. Il atteignait même des sommets au cours de l’automne 2007, plusieurs semaines après les premiers signes de l’éclatement de la bulle des subprimes.

Les spéculateurs sur les marchés des matières premières n’ont pas montré plus de perspicacité – comme l’a signalé Daniel Cohen dans un entretien à Causeur Mensuel – quand ils ont poussé le prix du baril de pétrole à 150 $, à peine un mois et demi avant la faillite de Lehman Brothers, événement à partir duquel la crise s’est déclarée dans toute son ampleur.

L’embellie dans certains secteurs du commerce, notamment celui de l’automobile, est toute relative et pourrait très bien marquer un palier – ce que les Américains appellent malicieusement le « saut du chat mort » – quand on jette un chat du toit d’un gratte-ciel, après le crash initial, son cadavre va forcément rebondir de quelques centimètres, ce qui ne signifie nullement que le félin résiste plutôt bien au choc.

C’est l’explication la plus probable du rebond actuel car les deux fondamentaux de la crise, l’état incertain des bilans des banques et le chômage, ne présagent d’une reprise rapide et ce n’est pas seulement moi qui vous le dit : les institutions financières elles-mêmes n’y croient pas !

En effet, les banques et autres organismes financiers ne cachent pas leur profond pessimisme, comme en témoigne une circulaire envoyée récemment par l’assureur de crédit Axa Assurcredit à ses clients. Sans s’attarder sur des formules de politesse, la missive annonce qu’une « dégradation constante de la situation économique depuis la fin de 2008 concerne tous les pays et tous les secteurs d’activité » et qu’en conséquence « les impayés s’accélèrent et ont été multipliés par trois pour la grande majorité de nos clients ».

Pour Axa, le constat est clair et ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir – on ne peut même pas parler d’un « ralentissement du ralentissement ». En conséquence, l’assureur notifie à ses clients que la couverture de risques considérés comme élevés sera drastiquement réduite. En première ligne, donc, viennent les impayés : les risques qui étaient jusque-là garantis à 100 % ne le seront plus qu’entre 25 % et 40 % et dans certains cas cette couverture sera plafonnée à 5 000 €… Un véritable coup de massue pour les sociétés, notamment dans le tertiaire, dont l’activité exige d’accorder à leurs clients un crédit qui représente un volume important par rapport à leur chiffre d’affaires. Les destinataires de la circulaire sont placés devant un choix difficile : soit assumer seul le risque (impossible dans le cas d’une société dont le PDG m’a transmis la circulaire car les sommes sont importantes et la défaillance d’un seul client déclencherait une faillite immédiate) soit réduire leur activité – décision qui a prévalu dans le cas en question. Alors qu’aucun problème ne s’est (encore ?) déclaré chez ses clients, cette société – comme beaucoup d’autres sans doute – va devoir diminuer son volume d’activité avec eux, voire cesser complètement : un risque potentiel s’est transformé en problème réel.

Cerise sur le gâteau : la même circulaire annonce que ces mesures seront effectives deux mois après leur notification (donc fin juin début juillet) ! Pour ceux qui auraient mal compris, Axa ne croit pas à la reprise mais alors pas du tout. Visiblement, les communicants ou les financiers qui ont pondu ce texte ne se demandent pas si leur nouvelle formulation du merveilleux « principe de précaution » ne risque pas d’aggraver le marasme.

Si quelque part, il y avait un Etat, il ne laisserait ces choses en l’état…