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L’Allemagne ? ça a eu payé…

Angela Merkel
Angela Merkel ne veut plus payer.

La crise grecque et l’agitation des institutions européennes à ce propos a fourni l’occasion aux porte-paroles habituels de l’eurobéatitude dans les médias français de se livrer de nouveau à leurs amusants sauts de cabris jadis moqués par le général de Gaulle.

Prenant aux pied de la lettre les idées émises de-ci de-là pour éviter que la déconfiture hellène ne vienne porter un coup fatal à l’avenir de l’euro : gouvernement économique européen, un FMI pour notre continent etc., ces commentateurs jubilaient.  « C’est dans les crises que l’Europe avance ! » « Voyez, même Merkel parle d’un gouvernement économique de la zone euro, et son ministre de l’économie d’un équivalent européen du FMI ! » Bref, à quelque chose malheur grec est bon, et c’est dans la tempête que se révèlent les grands capitaines et s’élaborent les solutions les plus audacieuses pour se sortir du pétrin. L’Europe ! L’Europe ! L’Europe !

La langue allemande étant, hélas, assez peu répandue dans la population hexagonale, y compris parmi ceux qui nous font chaque matin quelques doctes exposés sur l’évolution de la situation politique et économique de notre continent, on a omis de noter que les mots n’avaient pas le même sens de part et d’autre du Rhin. Comme le notait l’excellent François Lenglet, rédacteur en chef de La Tribune, quand on dit, à Paris, « gouvernement économique européen » on entend à Berlin « l’Allemagne paiera ! » Il suffisait, ces dernières semaines, de faire une tournée des éditorialistes d’outre-rhin sur le web pour constater que l’Allemagne aurait plutôt ces temps-ci des oursins dans le crapaud[1. C’est ainsi qu’Alphonse Boudard ou Auguste Le Breton illustraient l’attitude d’un avaricieux, le crapaud désignant le porte-monnaie en argot de Pantruche.] et que l’idée même de financer les folies budgétaires d’Athènes lui donne des démangeaisons insupportables.

Une fille de pasteur luthérien comme Angela Merkel trouve profondément immoral que des tricheurs invétérés comme les Grecs soient absous de leurs péchés sans passer par une ascèse aussi douloureuse que salutaire. Il n’aurait tenu qu’à elle, les descendants de Platon, Aristote et Euripide auraient été flanqués sans ménagements à la porte d’un club où ils n’auraient jamais dû entrer.

Au « tous pour un, un pour tous ! » prôné flamberge au vent par nos preux commentateurs s’est substitué un chacun pour soi et Dieu pour tous. Mme Merkel s’en fait la championne au nom de la vertu économique pratiquée par son pays depuis les réformes radicales de son prédécesseur Gerhard Schröder : modération salariale, recul à 67 ans de l’âge de la retraite, maintien de la pression fiscale pour réduire les déficits…

Il n’est pas question de donner un coup de pouce à la consommation des ménages d’outre-Rhin, ce qui arrangerait bien les voisins, comme la France, qui attendent comme sœur Anne la reprise et ne voient rien venir. Les Allemands se satisfont fort bien de profiter des taux de croissance maintenus des pays émergents pour faire tourner leurs PME exportatrices de bien d’équipement. Cette attitude a fait sortir Christine Lagarde de ses gonds, qui s’est lâchée dans le Financial Times contre le gouvernement de Berlin, accusé d’égoïsme économique.

Quant aux Grecs, on a trouvé la formule la plus tordue pour leur faire comprendre que l’Union européenne ne fera rien pour elle en tant que telle mais que Bruxelles est de tout cœur avec eux (le cœur est à gauche, et le portefeuille à droite, c’est bien connu). Les aides financières à Athènes seront données dans le cadre d’accords bilatéraux avec les pays de l’UE, mais cette décision sera prise collectivement à l’occasion du prochain Conseil européen ! Traduction en bon français : l’Allemagne ne paiera pas, ou alors si elle veut et quand elle veut, et c’est pas demain la veille. Et en prime, Mme Merkel se met à distribuer leçons, conseils, bons et mauvais points autour d’elle, en vantant les qualités d’un modèle économique et social allemand que chacun est invité à imiter.

Depuis quelques jours, les commentateurs matinaux ont tendance à éviter les sujets européens pour ramener leur science sur des contrées plus lointaines comme la Russie ou le Proche-orient. On se demande bien pourquoi…

Être juif, à quoi ça sert ?

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A serious man, des frères Coen
A serious man, des frères Coen.

À quoi sert le judaïsme ? Vaste question que posent les frères Coen dans leur dernier film, A Serious Man, à travers les aventures on-ne-peut-plus banales de Larry Gopnik, professeur de physique dans une petite université du Midwest américain. Sa femme le quitte pour un autre – de surcroît plus vieux, plus moche et plus bête que lui –, sa fille ne pense qu’à se faire refaire le nez et à se laver les cheveux, son fils fume des pétards et écoute Jefferson Airplane pendant ses cours d’hébreu à la Sunday-School, son frère, sans emploi, squatte son canapé et sa promotion au poste tant convoité de prof titulaire est menacé par des lettres anonymes. Dans des circonstances à peu près similaires, l’ingénieur William Foster (Michael Douglas dans Chute libre de Joel Schumacher) pète les plombs et s’embarque dans une spirale de violence, certes jouissive, mais suicidaire. Larry Gopnik, au contraire, encaisse tout. Ce petit Job moderne, version US des sixties, a tendance à accepter la cascade des petits malheurs qui lui tombent dessus sans remettre en cause les fondamentaux de sa vie : la famille, la communauté, la culture juive. Seule différence entre lui et la célèbre victime du pari entre Dieu et le Diable : l’histoire de Job se termine bien.

Si vous pensez que les frères Coen nous livrent ici le secret du judaïsme, ce je-ne-sais-quoi qui permet à Gopnik non seulement de porter un nom pareil mais aussi de faire face à l’acharnement du destin, vous allez être déçus. Non seulement les cinéastes ne lèvent pas le voile du mystère mais au contraire ils démontrent que tout cela n’a pas de sens ! Dès le début du film, on est égaré vers un piège : une histoire hassidique d’un Juif dont la charrette est cassée fait la rencontre d’un personnage mystérieux : un démon (un dibbouk en yiddish) qui habite le corps d’un homme pieu mort depuis deux ans. Une histoire bizarre, construite comme mille autres concoctées et racontées pendant des siècles dans ce vaste yiddishland qui s’étendait jadis de la mer Noire à la mer Baltique, complètement absurde et – c’est ce que nous allons découvrir pendant le film – c’est justement là le plus intéressant. Cette histoire est là pour être racontée, transmise et servir de ciment à une communauté. La communauté n’est donc pas un groupe lié par le sens, mais par le partage de traditions, de gestes, d’histoires absurdes.

Rien n’est plus éloigné de nos obsessions actuelles. Comprendre à tout prix, trouver du sens : pour nous autres modernes, il n’y a pas d’autre moyen de marcher sur la voie royale qui mène à la paix intérieure, faire le deuil, tourner la page ou arriver à l’équilibre (rayer la mention inutile). Pour les frères Coen, l’essence même de la culture juive est l’exact contraire de cet état d’esprit. Comme ce dentiste de la petite ville où habitent les Gopnik qui fait une mystérieuse découverte : une inscription hébraïque sur les dents d’un de ses patients. Faut-il y voir un message crypté, envoyé par Dieu Lui-même ? Le pauvre dentiste en perd le sommeil et l’appétit.  Ni lui ni les autres n’y comprennent rien et il ne retrouve la paix qu’en cessant de s’interroger, en acceptant le mystère transformé en histoire que l’on raconte et que l’on écoute. On en reste bouche bée et on murmure des « alors ça ! », des « sans blague ? » et des « mon Dieu ! » mais on n’y trouve pas de sens. Pour rendre les choses moins amères, il y a l’humour, cette arme des faibles, non pas utilisée parce qu’ils sont moins forts que les autres, mais parce qu’ils sont impuissants face à l’arbitraire et l’absurdité de l’existence. Il ne s’agit pas d’une résignation « zen » mais d’une acceptation qui n’efface pas la colère, l’indignation et la frustration. Fragile équilibre permettant d’être à la fois dupes et non dupes.

Mais ce n’est pas tout. Les frères Coen ne nous laissent pas plantés devant des vérités aussi atterrantes avec l’humour pour seule arme. Non, ce serait trop cruel. Dans ces trésors de sagesse de la culture juive, à la fois riche et millénaire, les Coen puisent un ultime réconfort, mère de toutes les consolations. Ainsi  vers la fin du film tout semble s’apaiser et les problèmes de Larry se résolvent les uns après les autres : Il décroche la promotion, l’amant de sa femme meurt, son mariage retrouve un nouveau souffle et son fils fête sa bar-mitzva. Et puis un jour le médecin l’appelle et demande avec une insistance qui laisse présager le pire que Larry vienne le voir le plus rapidement possible. Pendant ce temps, le tourbillon noir et menaçant d’une violente tornade se dirige pile sur la Sunday-School de son fils… Ce qui me rappelle l’histoire de ce Juif qui vivait dans un shteitl en Pologne. Ses affaires ne marchaient pas, sa fille vieillissait sans trouver mari, sa femme était morte et sa propre santé n’était pas brillante. Le pauvre homme était certain que Dieu s’acharnait contre lui, qu’il était l’homme le plus malheureux sur terre. Le lendemain, la Pologne était envahie par la Wehrmacht.

À quelqu’un qui lui demandait de résumer le judaïsme en une seule phrase, Hillel l’Ancien, le plus grand des sages de la période du second Temple, répondait : « Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à ton prochain. Voilà toute la Torah. » Les frères Coen y ajoutent : « Tu te crois malheureux ? Attends la suite… »

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Tuer la mère ?

Damien Hirst, The Virgin Mother.
Damien Hirst, The Virgin Mother.

« Les gens qui ont des enfants ne savent pas ce qu’est le bonheur de ne pas en avoir. » J’ai opportunément oublié à qui j’ai piqué cette formule – que son auteur se manifeste s’il lit ces lignes. En tout cas, je l’ai immédiatement faite mienne. À quoi il faudrait ajouter que les gens qui n’ont pas d’enfants sont très heureux que la plupart de leurs contemporains aient fait le choix inverse, et pas seulement parce que leurs chers bambins financent leurs retraites, mais parce que personne n’a envie de vivre dans un monde suicidaire. De ce point de vue, la France dispose peut-être d’une main invisible qui permet de concilier la liberté de chacun et l’intérêt de la collectivité.

[access capability= »lire_inedits »]Il est donc fort heureux que la plupart des femmes choisissent d’être mères – le choix étant la norme sous nos contrées, sauf à considérer que quelques commandos anti-IVG et quelques cliniques récalcitrantes suffisent à proclamer que la réaction a gagné. En se délivrant de son surmoi divin, l’humanité s’est débarrassée de la toute-puissance du père. Et, franchement, elle a bien fait. Sur ce coup-là, on ne m’entraînera pas dans le camp des nostalgiques. L’ennui, c’est qu’il ne s’en est pas remis, le père, d’être transformé en papa. Comme l’observe David Desgouilles, de tout-puissant, il est devenu inexistant. En attendant, si on a troqué le patriarcat pour le règne totalitaire de la mère en gloire et de l’enfant-roi, il n’est pas certain qu’on ait beaucoup progressé.

Aussi, que nos aimables génitrices se rassurent. Nous n’avons aucune intention belliqueuse et encore moins meurtrière à l’égard des femmes qui nous ont mis au monde – celles que, dans le privé, nous appelons   »maman ». Bien entendu, ce n’est pas elle, mais la Maman majuscule, symbolique et étouffante au point d’avoir englouti son autre, qu’il s’agit de tuer. Le pouvoir de la Mère peut être exercé par des hommes et même, de plus en plus, par l’Etat. Il est d’autant plus terrifiant qu’il s’impose par la sollicitude et se légitime par l’amour, d’autant plus insidieux qu’il réduit chacun à l’état supposément heureux d’enfant.

Charlotte Liébert-Hellmann et Florentin Piffard observent justement que cette idéologie maternaliste, dont Élisabeth Badinter observe les progrès avec effroi, ne s’impose pas réellement dans la vie concrète des Françaises. Tant mieux : on n’aimerait guère voir nos rues peuplées de dames allaitant des gaillards de trois ou quatre ans sous l’œil admiratif des passants. De fait, pour peu qu’on soit prête à endurer les regards incrédules, compatissants ou ironiques, il est parfaitement possible, dans nos sociétés libérales, de vivre sans enfant ou d’en élever huit. On peut s’énerver sur le partage des tâches domestiques qui, comme le constatait ironiquement Muray, « demeure depuis quinze ans parfaitement statique ». On dira que pas assez de crèches, que difficultés économiques, que carrières ralenties. Et on aura raison. Mais le problème est-il vraiment là ?

Badinter a raison : quelque chose d’autre se joue, à la convergence des tendances les plus pénibles de l’époque que Michel Schneider avait brillamment dévoilées dans Big Mother. Comme elle, Jérôme Leroy pense que l’idéologie de la Mère va de pair avec celle de la Nature – point n’est besoin, pour cela, de pratiquer la reductio ad petainum, cher Jérôme. D’accord, ce n’est que de l’idéologie. Mais l’idéologie, ce n’est pas rien. On a fini par oublier qu’elle pouvait transformer le monde, et pas forcément pour le meilleur.

Celle-là peut en outre revendiquer l’héritage du féminisme. La mère triomphante d’aujourd’hui est-elle la fille de la femme libérée d’hier ? Élisabeth Badinter assure que le courant universaliste auquel elle appartient est étranger à cette glorification par la maternité de l’essence féminine. On ne peut que lui en donner acte. À l’inverse, elle semble appeler de ses vœux un monde libéré de la nature et du biologique dans lequel hommes et femmes échangent leurs rôles en permanence dans une égalité apaisée parce qu’elle confine à l’identité. Reste que les unes, en niant le rôle de l’homme, et les autres, en faisant de celui-ci non seulement l’égal mais le semblable de la femme, pourraient bien aboutir au même résultat : un monde où les hommes seront des femmes comme les autres et les pères des mères comme les autres. C’est-à-dire un monde sans hommes peuplé de femmes des deux sexes. On ne saurait en imaginer de plus effroyable.[/access]

Fume, c’est de l’Afghan !

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Le Club de Paris, qui rassemble les créanciers publics d’une vingtaine de pays riches dont la France, vient de décider d’effacer la dette de l’Afghanistan qui se montait à plus d’un milliard de dollars. Le Club de Paris, qui est décidément très gentil, a même « salué la détermination de la République Islamique d’Afghanistan à continuer d’appliquer une stratégie globale de réduction de la pauvreté et à mettre en œuvre un programme économique ambitieux favorisant une croissance économique soutenue et durable ». Bon, avis aux autres pays du tiers-monde : vous vous contentez stupidement de mourir de faim, de soif et de maladies diverses et variées, tout en étant étranglé par les simples intérêts d’une dette impossible à rembourser. Vous n’avez rien compris. Utilisez plutôt la recette afghane : prenez des fanatiques religieux trafiquants d’opium qui vous menacent d’un retour à la pire des barbaries, inventez-vous un régime corrompu que vous présenterez sans rire comme une courageuse démocratie, faites le soutenir à bout de bras par les troupes de l’OTAN dans une guerre ingagnable et laissez mijoter quelques années. Vous verrez, à la fin, on vous trouvera vraiment cool et sympa. Enfin, c’est ce qu’on vous dira. Parce qu’en fait, c’est plutôt que vous inspirerez une trouille bleue à l’Occident par votre dinguerie incontrôlable. Au point qu’il en oubliera, l’Occident, de vous demander ce à quoi il tient pourtant le plus au monde : son fric.

Zemmour : la chasse continue

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Après l’USM et le syndicat de la magistrature, après le CRAN, le MRAP et la LICRA, voilà que c’est au tour de France Télévisions de rejoindre la meute de ceux qui veulent expulser Eric Zemmour du paysage audiovisuel français. D’après le blog de Jean-Marc Morandini, Patrice Duhamel, directeur général de France 2, a interrogé la société de production « Tout sur l’écran » sur « les mesures qu’elle comptait prendre pour que cette polémique ne finisse pas par porter atteinte à la réputation de France Télévisions ». S’agit-il d’une ouverture de parapluie, manière élégante de répondre aux curés du politiquement correct qu’il fait son boulot ? Ou s’agit-il d’une manière d’inviter Catherine Barma à se débarrasser de Zemmour ? Chacun se fera son opinion en analysant les termes. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la chasse continue.

Juge ripoux : un métier d’avenir

Déjà bien amochée par le scandale des « cols rouges » de l’hôtel Drouot, ma fierté savoyarde a pris un nouveau coup lorsque j’ai découvert que, pendant une dizaine d’années, les administrateurs judiciaires locaux avaient graissé la patte des juges chargés de prendre des décisions en matière commerciale (faillites, liquidations judiciaires, etc.). Ils obtenaient ainsi des décisions qui les arrangeaient, le plus souvent au détriment des sociétés où ils exerçaient leur mission de mandataires judiciaires.

L’affaire des juges ripoux de Haute-Savoie avait déjà eu les honneurs de la grande presse en septembre 2008, lorsque Marianne, suivie par d’autres journaux de la capitale, révélait qu’un administrateur judiciaire d’Annecy, Robert Meynet, et une juge faisaient l’objet d’une information judiciaire instruite au parquet de Lyon pour corruption active et passive.

L’affaire est toujours en cours, mais les pauvres bougres qui ont été victimes des manigances des robins (ils sont une trentaine dans la région), attendent, pour certains depuis plus de dix ans, que la justice reconsidère leur dossier à la lumière des préjudices subis par la mise en œuvre de ce système mafieux.


Ainsi, une habitante de mon village dont l’entreprise familiale avait fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire jugée par l’une des magistrates mise en cause, ne peut avoir accès au reliquat de ses biens, même après avoir remboursé toutes ses créances. Il leur faut d’abord faire reconnaître que la manière dont la faillite de l’entreprise avait été prise en main par Robert Meynet et la juge en question les a gravement lésés, et cela prend du temps, beaucoup de temps. Ce sont des gens simples, qui travaillent dur et n’ont pas les moyens matériels de mener une guerre d’usure judiciaire. Il faut s’appeler Bernard Tapie pour avoir droit à un traitement spécial dans ce genre d’histoires…

En revanche, les juges qui ont touché les bakchichs généreusement distribués par Robert Meynet s’en tirent bien, très bien même.

Ainsi, l’ex-épouse d’un homme politique important, qui vient d’être nommé au Conseil constitutionnel, avait, du temps où elle était juge à Annecy, reçu de Meynet un stylo et un sac d’une valeur à l’époque, de 6.200 francs (presque 1000 euros). Elle vient n’être nommée conseillère à la Cour de cassation et n’a aucun souci judiciaire à se faire. Les faits ont été jugés trop anciens pour justifier des poursuites. Un de ses collègues et son épouse, tous deux magistrats, ont été gratifiés d’un vélo d’une valeur de 19.950 francs pour monsieur (avec une telle machine on ne doit même plus avoir besoin de pédaler !) et d’un tableau d’une valeur de 6.200 francs pour madame. Même motif, même non punition : prescription et promotion à Lyon. Seule l’une des magistrates, qui fut, elle, promue à la cour d’appel de Douai est poursuivie pour des chèques encaissés par elle-même et son mari en temps non prescrit. En revanche, le fait que Robert Meynet ait financé son voyage de noces en Terre Sainte (un mois dans des hôtels de luxe) ne peut plus lui être reproché.

Tout cela parce que le parquet d’Annecy, saisi de ces faits par l’une des victimes de ces agissements, Fernand Vogne, a tout fait pour enterrer le dossier, jusqu’à ce qu’une plainte avec constitution de partie civile ne vienne la relancer et que la chancellerie, en 2008, se mêle de ce dossier de juges ripoux. Le ministère demande alors au procureur général de Chambéry de saisir la Cour de cassation pour demander la délocalisation du dossier, qui passe alors d’Annecy à Lyon. L’inertie corporatiste des magistrats du parquet d’Annecy a permis de sauver la mise à ceux des collègues qui auraient dû, en bonne justice, se retrouver sur le banc d’infamie. Peut-être même qu’un jour l’un ou l’une d’entre eux se retrouvera sur une liste d’Europe Ecologie aux élections, c’est très tendance en ce moment chez les magistrats.

UMP : rémission impossible

Candidat UMP campant sur ses positions.

Techniquement, la grosse colère piquée ce mardi par le Premier ministre contre les éléments les plus regimbeurs de sa majorité est tout à fait justifiée : ce n’est pas le meilleur moment pour déballer son linge familial tout cradingue face caméras. « Entre les deux tours, a-t-il dit, nous sommes engagés ensemble dans un combat et tous ceux qui veulent par des critiques, qui sont des critiques inutiles, affaiblir la majorité commettent une faute contre cette majorité. » A priori, l’argument est imparable, le B-A BA de la tactique implique qu’on attende dimanche 20 heures pour se livrer à ce genre de sport.

Sauf qu’il n’est pas dit que lesdites critiques, qui ne manqueront pas de se multiplier après l’heure fatidique des premières estimations, seront mieux reçues. Depuis deux ans et demi, dans la majorité présidentielle, la moindre appréciation nuancée relève de la Haute Cour. Nicolas Sarkozy ne veut voir qu’une tête, en l’occurrence, la sienne. C’est un des revers de la pratique managériale qui tient désormais lieu de Constitution secrète à la néo-Ve. Ou bien on est avec Coca à 100 %, ou alors on fait le jeu de Pepsi. Point barre. Au passage, le revers de ce revers étant que plus on exprime son accord total avec le Président, plus on progresse dans l’organigramme. À l’arrivée, ça donne un Estrosi, un Chatel ou une Penchard au conseil des ministres, mais c’est une autre histoire…

Revenons à nos moutons noirs de l’UMP. Qu’a dit de si grave, par exemple, Alain Juppé ? Eh bien, il a osé écrire sur son blog qu’« une réflexion s’impose désormais sur le rythme des réformes, la méthode selon laquelle elles sont lancées et préparées, la concertation qui les accompagne, la façon dont elles peuvent être mieux comprises et acceptées par une opinion que la crise déboussole ». On ne peut pas dire que ce soit extrêmement violent. Ni même que ça ne relève pas du bon sens minimal. Ça acte juste qu’il y a comme un problème quelque part, sinon on voit mal pourquoi, ce dimanche-là, les électeurs UMP ont préféré faire la queue chez Leroy-Merlin plutôt qu’au bureau de vote. Mais il faut croire que se poser ce genre de questions – ne serait-ce que dans un blog – c’est jouer contre son camp, pour reprendre une de ces délicieuses métaphores footballistiques dont nos politiques – ou leurs nègres sous-payés – émaillent leurs déclarations. Bref, Alain, soit tu la fermes, soit tu viens écrire sous pseudo chez Causeur (mais alors, essaye de rajouter quelques gags), soit tu tiens ton blog en copiant/collant les analyses de fond de Frédéric Lefebvre, genre « les p’tits gars, rien est foutu, tout est possible, y’ a qu’à convaincre les abstentionnistes !… »

Sauf que là aussi ça craint sur les bordures. C’est bien beau de décréter la mobilisation générale pour ramener les électeurs de droite aux urnes. Mais qu’est-ce qu’on leur raconte de funky pour les remettre dans le droit chemin ? D’où la question toute bête que pose un autre mouton noir, Ladislas Poniatowski : « Nos leaders nationaux de l’UMP ne peuvent pas dire qu’il y a une masse de gens à aller convaincre de venir voter. Je pense que la première tâche pour les convaincre, c’est de les écouter. »

Et là, pour le coup, on comprend que Fillon soit colère : c’est pile poil la question qu’il ne fallait pas poser. Parce que l’équation est rigoureusement insoluble. L’UMP en panique court après trois lièvres différents : le dedroite boudeur, l’écolo indécis et l’ex-lepeniste converti au sarkozysme et 2007 et redevenu lepéniste depuis. Or, les stratégies de reconquête des uns et des autres sont antagoniques. Plus on en fait des tonnes (et ces jours-ci, ça y va !) sur le Grenelle de l’Environnement, et donc sur la taxe carbone, plus on dissuade le plombier UMP d’Aubusson de se bouger les miches dimanche. Et quand on insiste lourdement sur la sécurité, on dissuade du même coup les électeurs hulotistes CSP++ d’avoir un autre vote au second tour que celui préconisé par Cécile Duflot. Et ainsi de suite…

Le grand écart, c’est spectaculaire, mais c’est un sport dangereux. Faut de la souplesse, et aussi de l’entraînement. Sans quoi, on risque de se faire mal. Très mal même. Et au mauvais endroit…

Hippopodame, hippopodrame ?

J’adore les Etats-Unis. C’est la patrie immortelle de John Wayne, de Steinbeck, de la poupée Barbie et d’Ava Gardner. Mais, des fois, cette Amérique me fâche. Ainsi, le figaro.fr nous apprend qu’une jeune américaine, Donna Simpson, 42 ans, s’est lancée un défi gargantuesque : avaler l’équivalent de 12.000 calories par jour (alors que 2.000 suffirait bien) afin de s’arracher à son poids-plume actuel de 273 kilos pour tendre à l’objectif des 450 kilos, d’ici deux ans. On voit la jeune-femme, dans les pages du Daily Mail britannique, le regard mutin, sur le point d’ingurgiter une bonne dizaine de hamburgers et autant de donuts bien gras. Cette mère de famille, assurant être en « parfaite santé » (on aimerait avoir l’avis d’un cardiologue), est pourtant obligée de se déplacer en voiturette de golf dans les rues de sa petite ville du New-Jersey. Le plus agaçant n’est pas que Donna Simpson souhaite peser le poids tératologique de dix Kate Moss ou d’une Fiat Panda, mais qu’elle entraîne dans son pari stupide toute l’Amérique, qui ne manquera pas d’être à nouveau discréditée – par le petit bout de la lorgnette – à l’occasion de cette info insolite. La triste Amérique de Ronald Mc Donald, masquant toutes les autres. Clou du spectacle : pour financer les 750 $ de nourriture hebdomadaire nécessaire à l’accomplissement de ce défi, Donna a monté un site Internet où des hommes peuvent payer pour… la regarder manger. Vous avez dits « cirque » ?  Hippopodame, hippopodrame ?

L’objet du Dély

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Eric Zemmour
Eric Zemmour : l'objet du Dély.

Il y a des torchons qu’on n’aime pas lire. Il y a des torchons qu’on n’aime pas lire, surtout dans son journal.

Lorsqu’on est un fidèle de Marianne depuis le numéro 1, lire l’article consacré par Renaud Dély à Eric Zemmour dans l’édition de cette semaine rend furieux. On a le droit de ne pas aimer Eric Zemmour – et même le devoir de l’exprimer dans cette éventualité – et de ne pas être d’accord avec la thèse centrale de son livre,ce qui est d’ailleurs mon cas, ce n’est pas une raison pour piétiner allègrement les principes fondateurs de l’hebdomadaire fondé par Jean-François Kahn[1. On passera sur l’article d’Alexis Lacroix qui, heureusement, ne tombe pas dans les mêmes travers que son confrère. Même si on a l’impression qu’il n’a vraiment lu que le dernier chapitre : contrairement à ce qu’écrit Lacroix, Zemmour n’est en phase avec l’histoire de France de Bainville – qui détestait tous les empires et leur préférait les Nations – que sur son analyse du traité de Versailles. Pour le reste, il est davantage proche de Michelet, lequel n’aurait certainement pas vu d’un mauvais œil la comparaison zemmourienne entre la France et Rome.].

La dernière phrase du papier symbolise à elle seule ce qui motivait le rédacteur en chef-adjoint de Marianne. Nuire. Lorsqu’on est capable de moquer avec arrogance la vie privée de l’objet de son article, en l’occurrence les personnes que celui-ci invite à son anniversaire, il est certain qu’on à affaire à quelqu’un qui ne s’embarrasse pas de la moindre éthique. Minable. Vous avez acheté Marianne, vous avez du sous-Closer en plus snob. Remboursez !

Lorsqu’il relaie d’éventuelles jalousies de confrères du Figaro, sur le fait que Zemmour refuserait des piges pour se faire rémunérer « grassement » à la télé et à la radio, de qui se moque t-il ? Faut-il voir dans le « grassement » une jalousie personnelle ? Yves Calvi et Eugène Saccomano paieraient-ils moins que Laurent Ruquier et Christophe Baldelli[2. Directeur de RTL.] ? C’est possible mais ce n’est guère glorieux d’étaler tant de rancœur personnelle dans son journal. Au fait, qu’en pensent les autres journalistes de Marianne ? Ont-ils marginalisé Dély à force de le voir sur France 5 ou de l’écouter discuter ballon rond à « On refait le match » ? Quand bien même s’agirait-il de bénévolat de sa part que cela pourrait expliquer la manière dont il bâcle certains papiers, dont celui qui nous occupe.

On pourrait s’arrêter là. L’opinion que nous avons de Renaud Dély et la confiance que nous pouvons lui accorder seraient déjà réduites à peau de chagrin. Mais il y a pire.

Ce que la quasi-totalité des lecteurs de Marianne ne savent pas, c’est que Renaud Dély quitte Marianne et que ce papier fut le dernier rédigé pour l’hebdo de la rue Boulanger. Ce qu’ils ne savent pas – et ils auraient été certainement reconnaissants d’en être informés, c’est qu’il a été embauché par France Inter pour assurer la rédaction en chef de la matinale de France Inter. Joli cadeau de bienvenue à Philippe Val qui ne doit pas apprécier que les audiences de RTL dans cette tranche horaire profitent de l’arrivée récente d’Eric Zemmour. Avant même qu’on lui verse ses premiers émoluments, la recrue travaille déjà pour la bonne cause.

On me dira que la nature humaine est ainsi faite. Certes. Mais Marianne ne nous avait pas habitués à cela. Et l’hebdo a souvent traqué avec raison les conflits d’intérêts qui déconsidèrent la politique, les affaires ou la Presse. Dès lors, qu’on ait confié à Renaud Dély la rédaction d’un article sur Zemmour pose question. Si on est soulagé d’apprendre qu’on n’aura plus à le lire, on s’interroge sur la manière dont est aujourd’hui dirigé notre hebdo – de moins en moins – préféré.

Et, pour tout dire, on attend des réponses.

Si tu avances et que je recule…

Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy, grand triangulateur.

On est très injuste, à droite, avec Nicolas Sarkozy. Finalement, ses promesses, ses vraies promesses, celles qui étaient inscrites sur la feuille de route donnée par ses amis du Fouquet’s, il les a tenues et il les tient. Les rapports de force entre capital et travail n’ont jamais été aussi défavorables à ce dernier, le bouclier fiscal est toujours là, le principe de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux est appliqué avec une rigueur qui ferait passer un policier tchékiste pour le clown Popov, il a sauvé les banques victimes d’une crise créée par leur propre rapport psychotique à la spéculation et, pour finir, il a lancé un beau débat sur l’identité nationale, histoire de faire oublier au futur ouvrier délocalisé son triste sort et de l’intéresser, dans un grand souci pédagogique d’émancipation, à des questions philosophiques, politiques, voire métaphysiques : qui es-tu, toi, au fond ? Que signifie être français, oui, toi, là, devant ta raffinerie, et pose cette banderole, s’il te plaît, arrête de mettre le feu à ce pneu ou de casser cette sous-préfecture et assieds-toi, réfléchis à tes ancêtres les Gaulois, ça te changera les idées.

Non, décidément, on est injuste avec le Président. Le voilà, le malheureux, qui se retrouve avec un parti unique qui est passé derrière le PS. Le voilà, aussi qui doit faire face une abstention massive qu’il est difficile de ne pas prendre comme un désaveu personnel : quand bien même on tente de faire accroire le contraire, la carte électorale ne ment pas et les zones où l’on a voté avec les pieds sont celles qui l’avaient plébiscité au premier tour de 2007.
Et, cerise sur le gâteau, c’est le grand retour du FN.

Et là, ce n’est vraiment pas juste. Parce que Sarkozy, il faut s’en souvenir, avait promis d’en finir avec Le Pen père et fille, d’éradiquer ces Archaïques aux questions embarrassantes (immigration, insécurité) en les récupérant à son compte et en les ripolinant aux couleurs clinquantes mais acceptables, au moins un temps, du berlusco-populisme. Il a même fait un ministère pour ça…

Alors que s’est-il passé ? Parce que tout de même, tout était bétonné, bouclé, verrouillé grâce, notamment, à cette technique politique très en vogue depuis les années 1990 et qui s’appelle la triangulation. La triangulation, inventée par un conseiller de Clinton, consiste à s’approprier les idées de l’adversaire en les mélangeant avec les siennes, histoire de lui retirer le pain de la bouche. Elle fut utilisée par exemple avec succès par un Tony Blair qui partit du constat sociologique d’un Royaume Uni psychologiquement conservateur malgré sa demande de réduction des inégalités après deux décennies de thatchero-majorisme. Ségolène Royal elle-même surfa un instant sur des sommets de popularité qui lui permirent de s’imposer au PS pour la présidentielle grâce à des thèmes banalement familialistes et sécuritaires qu’elle renomma « égalité homme/femme » ou « ordre juste ».

Nicolas Sarkozy, lui aussi, a été un grand triangulateur. Pour la gauche, la politique d’ouverture a effectivement déstabilisé le camp d’en face. On avait l’impression dans l’opinion que le PS n’avait pas su utiliser ses compétences et que Sarkozy était plus pragmatique qu’idéologue et ne recherchait que le gouvernement des meilleurs. Quant à l’extrême droite, sans trop se forcer, il a repris ses thèmes classiques : immigration et sécurité en leur donnant le sourire politiquement correct de messieurs Hortefeux et Besson. D’ailleurs, un moment, toute critique émise sur cette politique dure risquait la « reductio ad Petainum » et se voyait discréditée : « Enfin, vous exagérez, ce n’est pas la même chose. » Et non, ce n’était pas la même chose, effectivement. C’est même tout l’art de la triangulation d’une idée, qui peut se résumer à ce vers de Verlaine : « Et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. »

Seulement voilà, en voulant trianguler l’extrême droite, Nicolas Sarkozy ne s’est pas aperçu exactement de ce qui changeait comme une vague de fond dans la société française et explique d’ailleurs aussi bien le score du Front de Gauche que celui des Le Pen : la question sociale, avec la crise, a fait un retour en force.

Le licenciement massif fait plus peur que l’Arabe, le harcèlement au boulot que l’insécurité dans le métro, la silhouette d’une cheminée d’usine désaffectée que celle, hypothétique, d’un minaret. Le plus drôle, dans cette histoire, c’est que le Front National et Marine Le Pen qui en est évidemment le nouveau visage, l’avaient déjà compris. Ils ne sont pas dans l’autisme des palais ministériels, ils sont sur le terrain. Ils ne fantasment pas le peuple, ils le voient. Ceux qui ont suivi la redoutable campagne de Marine Le Pen dans le Nord-Pas-de-Calais et ses 18 % à l’arrivée comprendront ce que je veux dire.

Pour le Nord, vieille terre ouvrière qui a accueilli pour la plus grande gloire de l’industrie française des vagues d’immigrations depuis cent ans, l’étranger n’est pas le problème principal. La misère, si. Marine le sait. L’immigration n’a pas été le thème central de sa campagne, loin de là, et si elle avait fait le commencement de l’ombre d’un début de dérapage, genre Ali Soumaré, on ne l’aurait pas ratée tant elle a été scrutée dans l’espérance d’une faute que l’on se serait empressé de rendre rédhibitoire. Eh bien non, elle a fait une « campagne sociale » sur les thèmes de la désindustrialisation, du pouvoir d’achat, de la mondialisation malheureuse, de la fierté ouvrière.

Comme quoi, au petit jeu de la triangulation, Monsieur le Président, on finit toujours par trouver meilleur que soi.

L’Allemagne ? ça a eu payé…

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merkel cdu allemagne
Angela Merkel ne veut plus payer.
Angela Merkel
Angela Merkel ne veut plus payer.

La crise grecque et l’agitation des institutions européennes à ce propos a fourni l’occasion aux porte-paroles habituels de l’eurobéatitude dans les médias français de se livrer de nouveau à leurs amusants sauts de cabris jadis moqués par le général de Gaulle.

Prenant aux pied de la lettre les idées émises de-ci de-là pour éviter que la déconfiture hellène ne vienne porter un coup fatal à l’avenir de l’euro : gouvernement économique européen, un FMI pour notre continent etc., ces commentateurs jubilaient.  « C’est dans les crises que l’Europe avance ! » « Voyez, même Merkel parle d’un gouvernement économique de la zone euro, et son ministre de l’économie d’un équivalent européen du FMI ! » Bref, à quelque chose malheur grec est bon, et c’est dans la tempête que se révèlent les grands capitaines et s’élaborent les solutions les plus audacieuses pour se sortir du pétrin. L’Europe ! L’Europe ! L’Europe !

La langue allemande étant, hélas, assez peu répandue dans la population hexagonale, y compris parmi ceux qui nous font chaque matin quelques doctes exposés sur l’évolution de la situation politique et économique de notre continent, on a omis de noter que les mots n’avaient pas le même sens de part et d’autre du Rhin. Comme le notait l’excellent François Lenglet, rédacteur en chef de La Tribune, quand on dit, à Paris, « gouvernement économique européen » on entend à Berlin « l’Allemagne paiera ! » Il suffisait, ces dernières semaines, de faire une tournée des éditorialistes d’outre-rhin sur le web pour constater que l’Allemagne aurait plutôt ces temps-ci des oursins dans le crapaud[1. C’est ainsi qu’Alphonse Boudard ou Auguste Le Breton illustraient l’attitude d’un avaricieux, le crapaud désignant le porte-monnaie en argot de Pantruche.] et que l’idée même de financer les folies budgétaires d’Athènes lui donne des démangeaisons insupportables.

Une fille de pasteur luthérien comme Angela Merkel trouve profondément immoral que des tricheurs invétérés comme les Grecs soient absous de leurs péchés sans passer par une ascèse aussi douloureuse que salutaire. Il n’aurait tenu qu’à elle, les descendants de Platon, Aristote et Euripide auraient été flanqués sans ménagements à la porte d’un club où ils n’auraient jamais dû entrer.

Au « tous pour un, un pour tous ! » prôné flamberge au vent par nos preux commentateurs s’est substitué un chacun pour soi et Dieu pour tous. Mme Merkel s’en fait la championne au nom de la vertu économique pratiquée par son pays depuis les réformes radicales de son prédécesseur Gerhard Schröder : modération salariale, recul à 67 ans de l’âge de la retraite, maintien de la pression fiscale pour réduire les déficits…

Il n’est pas question de donner un coup de pouce à la consommation des ménages d’outre-Rhin, ce qui arrangerait bien les voisins, comme la France, qui attendent comme sœur Anne la reprise et ne voient rien venir. Les Allemands se satisfont fort bien de profiter des taux de croissance maintenus des pays émergents pour faire tourner leurs PME exportatrices de bien d’équipement. Cette attitude a fait sortir Christine Lagarde de ses gonds, qui s’est lâchée dans le Financial Times contre le gouvernement de Berlin, accusé d’égoïsme économique.

Quant aux Grecs, on a trouvé la formule la plus tordue pour leur faire comprendre que l’Union européenne ne fera rien pour elle en tant que telle mais que Bruxelles est de tout cœur avec eux (le cœur est à gauche, et le portefeuille à droite, c’est bien connu). Les aides financières à Athènes seront données dans le cadre d’accords bilatéraux avec les pays de l’UE, mais cette décision sera prise collectivement à l’occasion du prochain Conseil européen ! Traduction en bon français : l’Allemagne ne paiera pas, ou alors si elle veut et quand elle veut, et c’est pas demain la veille. Et en prime, Mme Merkel se met à distribuer leçons, conseils, bons et mauvais points autour d’elle, en vantant les qualités d’un modèle économique et social allemand que chacun est invité à imiter.

Depuis quelques jours, les commentateurs matinaux ont tendance à éviter les sujets européens pour ramener leur science sur des contrées plus lointaines comme la Russie ou le Proche-orient. On se demande bien pourquoi…

Être juif, à quoi ça sert ?

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A serious man, des frères Coen.
A serious man, des frères Coen
A serious man, des frères Coen.

À quoi sert le judaïsme ? Vaste question que posent les frères Coen dans leur dernier film, A Serious Man, à travers les aventures on-ne-peut-plus banales de Larry Gopnik, professeur de physique dans une petite université du Midwest américain. Sa femme le quitte pour un autre – de surcroît plus vieux, plus moche et plus bête que lui –, sa fille ne pense qu’à se faire refaire le nez et à se laver les cheveux, son fils fume des pétards et écoute Jefferson Airplane pendant ses cours d’hébreu à la Sunday-School, son frère, sans emploi, squatte son canapé et sa promotion au poste tant convoité de prof titulaire est menacé par des lettres anonymes. Dans des circonstances à peu près similaires, l’ingénieur William Foster (Michael Douglas dans Chute libre de Joel Schumacher) pète les plombs et s’embarque dans une spirale de violence, certes jouissive, mais suicidaire. Larry Gopnik, au contraire, encaisse tout. Ce petit Job moderne, version US des sixties, a tendance à accepter la cascade des petits malheurs qui lui tombent dessus sans remettre en cause les fondamentaux de sa vie : la famille, la communauté, la culture juive. Seule différence entre lui et la célèbre victime du pari entre Dieu et le Diable : l’histoire de Job se termine bien.

Si vous pensez que les frères Coen nous livrent ici le secret du judaïsme, ce je-ne-sais-quoi qui permet à Gopnik non seulement de porter un nom pareil mais aussi de faire face à l’acharnement du destin, vous allez être déçus. Non seulement les cinéastes ne lèvent pas le voile du mystère mais au contraire ils démontrent que tout cela n’a pas de sens ! Dès le début du film, on est égaré vers un piège : une histoire hassidique d’un Juif dont la charrette est cassée fait la rencontre d’un personnage mystérieux : un démon (un dibbouk en yiddish) qui habite le corps d’un homme pieu mort depuis deux ans. Une histoire bizarre, construite comme mille autres concoctées et racontées pendant des siècles dans ce vaste yiddishland qui s’étendait jadis de la mer Noire à la mer Baltique, complètement absurde et – c’est ce que nous allons découvrir pendant le film – c’est justement là le plus intéressant. Cette histoire est là pour être racontée, transmise et servir de ciment à une communauté. La communauté n’est donc pas un groupe lié par le sens, mais par le partage de traditions, de gestes, d’histoires absurdes.

Rien n’est plus éloigné de nos obsessions actuelles. Comprendre à tout prix, trouver du sens : pour nous autres modernes, il n’y a pas d’autre moyen de marcher sur la voie royale qui mène à la paix intérieure, faire le deuil, tourner la page ou arriver à l’équilibre (rayer la mention inutile). Pour les frères Coen, l’essence même de la culture juive est l’exact contraire de cet état d’esprit. Comme ce dentiste de la petite ville où habitent les Gopnik qui fait une mystérieuse découverte : une inscription hébraïque sur les dents d’un de ses patients. Faut-il y voir un message crypté, envoyé par Dieu Lui-même ? Le pauvre dentiste en perd le sommeil et l’appétit.  Ni lui ni les autres n’y comprennent rien et il ne retrouve la paix qu’en cessant de s’interroger, en acceptant le mystère transformé en histoire que l’on raconte et que l’on écoute. On en reste bouche bée et on murmure des « alors ça ! », des « sans blague ? » et des « mon Dieu ! » mais on n’y trouve pas de sens. Pour rendre les choses moins amères, il y a l’humour, cette arme des faibles, non pas utilisée parce qu’ils sont moins forts que les autres, mais parce qu’ils sont impuissants face à l’arbitraire et l’absurdité de l’existence. Il ne s’agit pas d’une résignation « zen » mais d’une acceptation qui n’efface pas la colère, l’indignation et la frustration. Fragile équilibre permettant d’être à la fois dupes et non dupes.

Mais ce n’est pas tout. Les frères Coen ne nous laissent pas plantés devant des vérités aussi atterrantes avec l’humour pour seule arme. Non, ce serait trop cruel. Dans ces trésors de sagesse de la culture juive, à la fois riche et millénaire, les Coen puisent un ultime réconfort, mère de toutes les consolations. Ainsi  vers la fin du film tout semble s’apaiser et les problèmes de Larry se résolvent les uns après les autres : Il décroche la promotion, l’amant de sa femme meurt, son mariage retrouve un nouveau souffle et son fils fête sa bar-mitzva. Et puis un jour le médecin l’appelle et demande avec une insistance qui laisse présager le pire que Larry vienne le voir le plus rapidement possible. Pendant ce temps, le tourbillon noir et menaçant d’une violente tornade se dirige pile sur la Sunday-School de son fils… Ce qui me rappelle l’histoire de ce Juif qui vivait dans un shteitl en Pologne. Ses affaires ne marchaient pas, sa fille vieillissait sans trouver mari, sa femme était morte et sa propre santé n’était pas brillante. Le pauvre homme était certain que Dieu s’acharnait contre lui, qu’il était l’homme le plus malheureux sur terre. Le lendemain, la Pologne était envahie par la Wehrmacht.

À quelqu’un qui lui demandait de résumer le judaïsme en une seule phrase, Hillel l’Ancien, le plus grand des sages de la période du second Temple, répondait : « Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à ton prochain. Voilà toute la Torah. » Les frères Coen y ajoutent : « Tu te crois malheureux ? Attends la suite… »

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Tuer la mère ?

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Damien Hirst, The Virgin Mother.
Damien Hirst, The Virgin Mother.
Damien Hirst, The Virgin Mother.
Damien Hirst, The Virgin Mother.

« Les gens qui ont des enfants ne savent pas ce qu’est le bonheur de ne pas en avoir. » J’ai opportunément oublié à qui j’ai piqué cette formule – que son auteur se manifeste s’il lit ces lignes. En tout cas, je l’ai immédiatement faite mienne. À quoi il faudrait ajouter que les gens qui n’ont pas d’enfants sont très heureux que la plupart de leurs contemporains aient fait le choix inverse, et pas seulement parce que leurs chers bambins financent leurs retraites, mais parce que personne n’a envie de vivre dans un monde suicidaire. De ce point de vue, la France dispose peut-être d’une main invisible qui permet de concilier la liberté de chacun et l’intérêt de la collectivité.

[access capability= »lire_inedits »]Il est donc fort heureux que la plupart des femmes choisissent d’être mères – le choix étant la norme sous nos contrées, sauf à considérer que quelques commandos anti-IVG et quelques cliniques récalcitrantes suffisent à proclamer que la réaction a gagné. En se délivrant de son surmoi divin, l’humanité s’est débarrassée de la toute-puissance du père. Et, franchement, elle a bien fait. Sur ce coup-là, on ne m’entraînera pas dans le camp des nostalgiques. L’ennui, c’est qu’il ne s’en est pas remis, le père, d’être transformé en papa. Comme l’observe David Desgouilles, de tout-puissant, il est devenu inexistant. En attendant, si on a troqué le patriarcat pour le règne totalitaire de la mère en gloire et de l’enfant-roi, il n’est pas certain qu’on ait beaucoup progressé.

Aussi, que nos aimables génitrices se rassurent. Nous n’avons aucune intention belliqueuse et encore moins meurtrière à l’égard des femmes qui nous ont mis au monde – celles que, dans le privé, nous appelons   »maman ». Bien entendu, ce n’est pas elle, mais la Maman majuscule, symbolique et étouffante au point d’avoir englouti son autre, qu’il s’agit de tuer. Le pouvoir de la Mère peut être exercé par des hommes et même, de plus en plus, par l’Etat. Il est d’autant plus terrifiant qu’il s’impose par la sollicitude et se légitime par l’amour, d’autant plus insidieux qu’il réduit chacun à l’état supposément heureux d’enfant.

Charlotte Liébert-Hellmann et Florentin Piffard observent justement que cette idéologie maternaliste, dont Élisabeth Badinter observe les progrès avec effroi, ne s’impose pas réellement dans la vie concrète des Françaises. Tant mieux : on n’aimerait guère voir nos rues peuplées de dames allaitant des gaillards de trois ou quatre ans sous l’œil admiratif des passants. De fait, pour peu qu’on soit prête à endurer les regards incrédules, compatissants ou ironiques, il est parfaitement possible, dans nos sociétés libérales, de vivre sans enfant ou d’en élever huit. On peut s’énerver sur le partage des tâches domestiques qui, comme le constatait ironiquement Muray, « demeure depuis quinze ans parfaitement statique ». On dira que pas assez de crèches, que difficultés économiques, que carrières ralenties. Et on aura raison. Mais le problème est-il vraiment là ?

Badinter a raison : quelque chose d’autre se joue, à la convergence des tendances les plus pénibles de l’époque que Michel Schneider avait brillamment dévoilées dans Big Mother. Comme elle, Jérôme Leroy pense que l’idéologie de la Mère va de pair avec celle de la Nature – point n’est besoin, pour cela, de pratiquer la reductio ad petainum, cher Jérôme. D’accord, ce n’est que de l’idéologie. Mais l’idéologie, ce n’est pas rien. On a fini par oublier qu’elle pouvait transformer le monde, et pas forcément pour le meilleur.

Celle-là peut en outre revendiquer l’héritage du féminisme. La mère triomphante d’aujourd’hui est-elle la fille de la femme libérée d’hier ? Élisabeth Badinter assure que le courant universaliste auquel elle appartient est étranger à cette glorification par la maternité de l’essence féminine. On ne peut que lui en donner acte. À l’inverse, elle semble appeler de ses vœux un monde libéré de la nature et du biologique dans lequel hommes et femmes échangent leurs rôles en permanence dans une égalité apaisée parce qu’elle confine à l’identité. Reste que les unes, en niant le rôle de l’homme, et les autres, en faisant de celui-ci non seulement l’égal mais le semblable de la femme, pourraient bien aboutir au même résultat : un monde où les hommes seront des femmes comme les autres et les pères des mères comme les autres. C’est-à-dire un monde sans hommes peuplé de femmes des deux sexes. On ne saurait en imaginer de plus effroyable.[/access]

Fume, c’est de l’Afghan !

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Le Club de Paris, qui rassemble les créanciers publics d’une vingtaine de pays riches dont la France, vient de décider d’effacer la dette de l’Afghanistan qui se montait à plus d’un milliard de dollars. Le Club de Paris, qui est décidément très gentil, a même « salué la détermination de la République Islamique d’Afghanistan à continuer d’appliquer une stratégie globale de réduction de la pauvreté et à mettre en œuvre un programme économique ambitieux favorisant une croissance économique soutenue et durable ». Bon, avis aux autres pays du tiers-monde : vous vous contentez stupidement de mourir de faim, de soif et de maladies diverses et variées, tout en étant étranglé par les simples intérêts d’une dette impossible à rembourser. Vous n’avez rien compris. Utilisez plutôt la recette afghane : prenez des fanatiques religieux trafiquants d’opium qui vous menacent d’un retour à la pire des barbaries, inventez-vous un régime corrompu que vous présenterez sans rire comme une courageuse démocratie, faites le soutenir à bout de bras par les troupes de l’OTAN dans une guerre ingagnable et laissez mijoter quelques années. Vous verrez, à la fin, on vous trouvera vraiment cool et sympa. Enfin, c’est ce qu’on vous dira. Parce qu’en fait, c’est plutôt que vous inspirerez une trouille bleue à l’Occident par votre dinguerie incontrôlable. Au point qu’il en oubliera, l’Occident, de vous demander ce à quoi il tient pourtant le plus au monde : son fric.

Zemmour : la chasse continue

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Après l’USM et le syndicat de la magistrature, après le CRAN, le MRAP et la LICRA, voilà que c’est au tour de France Télévisions de rejoindre la meute de ceux qui veulent expulser Eric Zemmour du paysage audiovisuel français. D’après le blog de Jean-Marc Morandini, Patrice Duhamel, directeur général de France 2, a interrogé la société de production « Tout sur l’écran » sur « les mesures qu’elle comptait prendre pour que cette polémique ne finisse pas par porter atteinte à la réputation de France Télévisions ». S’agit-il d’une ouverture de parapluie, manière élégante de répondre aux curés du politiquement correct qu’il fait son boulot ? Ou s’agit-il d’une manière d’inviter Catherine Barma à se débarrasser de Zemmour ? Chacun se fera son opinion en analysant les termes. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la chasse continue.

Juge ripoux : un métier d’avenir

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Déjà bien amochée par le scandale des « cols rouges » de l’hôtel Drouot, ma fierté savoyarde a pris un nouveau coup lorsque j’ai découvert que, pendant une dizaine d’années, les administrateurs judiciaires locaux avaient graissé la patte des juges chargés de prendre des décisions en matière commerciale (faillites, liquidations judiciaires, etc.). Ils obtenaient ainsi des décisions qui les arrangeaient, le plus souvent au détriment des sociétés où ils exerçaient leur mission de mandataires judiciaires.

L’affaire des juges ripoux de Haute-Savoie avait déjà eu les honneurs de la grande presse en septembre 2008, lorsque Marianne, suivie par d’autres journaux de la capitale, révélait qu’un administrateur judiciaire d’Annecy, Robert Meynet, et une juge faisaient l’objet d’une information judiciaire instruite au parquet de Lyon pour corruption active et passive.

L’affaire est toujours en cours, mais les pauvres bougres qui ont été victimes des manigances des robins (ils sont une trentaine dans la région), attendent, pour certains depuis plus de dix ans, que la justice reconsidère leur dossier à la lumière des préjudices subis par la mise en œuvre de ce système mafieux.


Ainsi, une habitante de mon village dont l’entreprise familiale avait fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire jugée par l’une des magistrates mise en cause, ne peut avoir accès au reliquat de ses biens, même après avoir remboursé toutes ses créances. Il leur faut d’abord faire reconnaître que la manière dont la faillite de l’entreprise avait été prise en main par Robert Meynet et la juge en question les a gravement lésés, et cela prend du temps, beaucoup de temps. Ce sont des gens simples, qui travaillent dur et n’ont pas les moyens matériels de mener une guerre d’usure judiciaire. Il faut s’appeler Bernard Tapie pour avoir droit à un traitement spécial dans ce genre d’histoires…

En revanche, les juges qui ont touché les bakchichs généreusement distribués par Robert Meynet s’en tirent bien, très bien même.

Ainsi, l’ex-épouse d’un homme politique important, qui vient d’être nommé au Conseil constitutionnel, avait, du temps où elle était juge à Annecy, reçu de Meynet un stylo et un sac d’une valeur à l’époque, de 6.200 francs (presque 1000 euros). Elle vient n’être nommée conseillère à la Cour de cassation et n’a aucun souci judiciaire à se faire. Les faits ont été jugés trop anciens pour justifier des poursuites. Un de ses collègues et son épouse, tous deux magistrats, ont été gratifiés d’un vélo d’une valeur de 19.950 francs pour monsieur (avec une telle machine on ne doit même plus avoir besoin de pédaler !) et d’un tableau d’une valeur de 6.200 francs pour madame. Même motif, même non punition : prescription et promotion à Lyon. Seule l’une des magistrates, qui fut, elle, promue à la cour d’appel de Douai est poursuivie pour des chèques encaissés par elle-même et son mari en temps non prescrit. En revanche, le fait que Robert Meynet ait financé son voyage de noces en Terre Sainte (un mois dans des hôtels de luxe) ne peut plus lui être reproché.

Tout cela parce que le parquet d’Annecy, saisi de ces faits par l’une des victimes de ces agissements, Fernand Vogne, a tout fait pour enterrer le dossier, jusqu’à ce qu’une plainte avec constitution de partie civile ne vienne la relancer et que la chancellerie, en 2008, se mêle de ce dossier de juges ripoux. Le ministère demande alors au procureur général de Chambéry de saisir la Cour de cassation pour demander la délocalisation du dossier, qui passe alors d’Annecy à Lyon. L’inertie corporatiste des magistrats du parquet d’Annecy a permis de sauver la mise à ceux des collègues qui auraient dû, en bonne justice, se retrouver sur le banc d’infamie. Peut-être même qu’un jour l’un ou l’une d’entre eux se retrouvera sur une liste d’Europe Ecologie aux élections, c’est très tendance en ce moment chez les magistrats.

UMP : rémission impossible

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Candidat UMP campant sur ses positions.
Candidat UMP campant sur ses positions.

Techniquement, la grosse colère piquée ce mardi par le Premier ministre contre les éléments les plus regimbeurs de sa majorité est tout à fait justifiée : ce n’est pas le meilleur moment pour déballer son linge familial tout cradingue face caméras. « Entre les deux tours, a-t-il dit, nous sommes engagés ensemble dans un combat et tous ceux qui veulent par des critiques, qui sont des critiques inutiles, affaiblir la majorité commettent une faute contre cette majorité. » A priori, l’argument est imparable, le B-A BA de la tactique implique qu’on attende dimanche 20 heures pour se livrer à ce genre de sport.

Sauf qu’il n’est pas dit que lesdites critiques, qui ne manqueront pas de se multiplier après l’heure fatidique des premières estimations, seront mieux reçues. Depuis deux ans et demi, dans la majorité présidentielle, la moindre appréciation nuancée relève de la Haute Cour. Nicolas Sarkozy ne veut voir qu’une tête, en l’occurrence, la sienne. C’est un des revers de la pratique managériale qui tient désormais lieu de Constitution secrète à la néo-Ve. Ou bien on est avec Coca à 100 %, ou alors on fait le jeu de Pepsi. Point barre. Au passage, le revers de ce revers étant que plus on exprime son accord total avec le Président, plus on progresse dans l’organigramme. À l’arrivée, ça donne un Estrosi, un Chatel ou une Penchard au conseil des ministres, mais c’est une autre histoire…

Revenons à nos moutons noirs de l’UMP. Qu’a dit de si grave, par exemple, Alain Juppé ? Eh bien, il a osé écrire sur son blog qu’« une réflexion s’impose désormais sur le rythme des réformes, la méthode selon laquelle elles sont lancées et préparées, la concertation qui les accompagne, la façon dont elles peuvent être mieux comprises et acceptées par une opinion que la crise déboussole ». On ne peut pas dire que ce soit extrêmement violent. Ni même que ça ne relève pas du bon sens minimal. Ça acte juste qu’il y a comme un problème quelque part, sinon on voit mal pourquoi, ce dimanche-là, les électeurs UMP ont préféré faire la queue chez Leroy-Merlin plutôt qu’au bureau de vote. Mais il faut croire que se poser ce genre de questions – ne serait-ce que dans un blog – c’est jouer contre son camp, pour reprendre une de ces délicieuses métaphores footballistiques dont nos politiques – ou leurs nègres sous-payés – émaillent leurs déclarations. Bref, Alain, soit tu la fermes, soit tu viens écrire sous pseudo chez Causeur (mais alors, essaye de rajouter quelques gags), soit tu tiens ton blog en copiant/collant les analyses de fond de Frédéric Lefebvre, genre « les p’tits gars, rien est foutu, tout est possible, y’ a qu’à convaincre les abstentionnistes !… »

Sauf que là aussi ça craint sur les bordures. C’est bien beau de décréter la mobilisation générale pour ramener les électeurs de droite aux urnes. Mais qu’est-ce qu’on leur raconte de funky pour les remettre dans le droit chemin ? D’où la question toute bête que pose un autre mouton noir, Ladislas Poniatowski : « Nos leaders nationaux de l’UMP ne peuvent pas dire qu’il y a une masse de gens à aller convaincre de venir voter. Je pense que la première tâche pour les convaincre, c’est de les écouter. »

Et là, pour le coup, on comprend que Fillon soit colère : c’est pile poil la question qu’il ne fallait pas poser. Parce que l’équation est rigoureusement insoluble. L’UMP en panique court après trois lièvres différents : le dedroite boudeur, l’écolo indécis et l’ex-lepeniste converti au sarkozysme et 2007 et redevenu lepéniste depuis. Or, les stratégies de reconquête des uns et des autres sont antagoniques. Plus on en fait des tonnes (et ces jours-ci, ça y va !) sur le Grenelle de l’Environnement, et donc sur la taxe carbone, plus on dissuade le plombier UMP d’Aubusson de se bouger les miches dimanche. Et quand on insiste lourdement sur la sécurité, on dissuade du même coup les électeurs hulotistes CSP++ d’avoir un autre vote au second tour que celui préconisé par Cécile Duflot. Et ainsi de suite…

Le grand écart, c’est spectaculaire, mais c’est un sport dangereux. Faut de la souplesse, et aussi de l’entraînement. Sans quoi, on risque de se faire mal. Très mal même. Et au mauvais endroit…

Hippopodame, hippopodrame ?

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J’adore les Etats-Unis. C’est la patrie immortelle de John Wayne, de Steinbeck, de la poupée Barbie et d’Ava Gardner. Mais, des fois, cette Amérique me fâche. Ainsi, le figaro.fr nous apprend qu’une jeune américaine, Donna Simpson, 42 ans, s’est lancée un défi gargantuesque : avaler l’équivalent de 12.000 calories par jour (alors que 2.000 suffirait bien) afin de s’arracher à son poids-plume actuel de 273 kilos pour tendre à l’objectif des 450 kilos, d’ici deux ans. On voit la jeune-femme, dans les pages du Daily Mail britannique, le regard mutin, sur le point d’ingurgiter une bonne dizaine de hamburgers et autant de donuts bien gras. Cette mère de famille, assurant être en « parfaite santé » (on aimerait avoir l’avis d’un cardiologue), est pourtant obligée de se déplacer en voiturette de golf dans les rues de sa petite ville du New-Jersey. Le plus agaçant n’est pas que Donna Simpson souhaite peser le poids tératologique de dix Kate Moss ou d’une Fiat Panda, mais qu’elle entraîne dans son pari stupide toute l’Amérique, qui ne manquera pas d’être à nouveau discréditée – par le petit bout de la lorgnette – à l’occasion de cette info insolite. La triste Amérique de Ronald Mc Donald, masquant toutes les autres. Clou du spectacle : pour financer les 750 $ de nourriture hebdomadaire nécessaire à l’accomplissement de ce défi, Donna a monté un site Internet où des hommes peuvent payer pour… la regarder manger. Vous avez dits « cirque » ?  Hippopodame, hippopodrame ?

L’objet du Dély

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Eric Zemmour : l'objet du Dély.
Eric Zemmour
Eric Zemmour : l'objet du Dély.

Il y a des torchons qu’on n’aime pas lire. Il y a des torchons qu’on n’aime pas lire, surtout dans son journal.

Lorsqu’on est un fidèle de Marianne depuis le numéro 1, lire l’article consacré par Renaud Dély à Eric Zemmour dans l’édition de cette semaine rend furieux. On a le droit de ne pas aimer Eric Zemmour – et même le devoir de l’exprimer dans cette éventualité – et de ne pas être d’accord avec la thèse centrale de son livre,ce qui est d’ailleurs mon cas, ce n’est pas une raison pour piétiner allègrement les principes fondateurs de l’hebdomadaire fondé par Jean-François Kahn[1. On passera sur l’article d’Alexis Lacroix qui, heureusement, ne tombe pas dans les mêmes travers que son confrère. Même si on a l’impression qu’il n’a vraiment lu que le dernier chapitre : contrairement à ce qu’écrit Lacroix, Zemmour n’est en phase avec l’histoire de France de Bainville – qui détestait tous les empires et leur préférait les Nations – que sur son analyse du traité de Versailles. Pour le reste, il est davantage proche de Michelet, lequel n’aurait certainement pas vu d’un mauvais œil la comparaison zemmourienne entre la France et Rome.].

La dernière phrase du papier symbolise à elle seule ce qui motivait le rédacteur en chef-adjoint de Marianne. Nuire. Lorsqu’on est capable de moquer avec arrogance la vie privée de l’objet de son article, en l’occurrence les personnes que celui-ci invite à son anniversaire, il est certain qu’on à affaire à quelqu’un qui ne s’embarrasse pas de la moindre éthique. Minable. Vous avez acheté Marianne, vous avez du sous-Closer en plus snob. Remboursez !

Lorsqu’il relaie d’éventuelles jalousies de confrères du Figaro, sur le fait que Zemmour refuserait des piges pour se faire rémunérer « grassement » à la télé et à la radio, de qui se moque t-il ? Faut-il voir dans le « grassement » une jalousie personnelle ? Yves Calvi et Eugène Saccomano paieraient-ils moins que Laurent Ruquier et Christophe Baldelli[2. Directeur de RTL.] ? C’est possible mais ce n’est guère glorieux d’étaler tant de rancœur personnelle dans son journal. Au fait, qu’en pensent les autres journalistes de Marianne ? Ont-ils marginalisé Dély à force de le voir sur France 5 ou de l’écouter discuter ballon rond à « On refait le match » ? Quand bien même s’agirait-il de bénévolat de sa part que cela pourrait expliquer la manière dont il bâcle certains papiers, dont celui qui nous occupe.

On pourrait s’arrêter là. L’opinion que nous avons de Renaud Dély et la confiance que nous pouvons lui accorder seraient déjà réduites à peau de chagrin. Mais il y a pire.

Ce que la quasi-totalité des lecteurs de Marianne ne savent pas, c’est que Renaud Dély quitte Marianne et que ce papier fut le dernier rédigé pour l’hebdo de la rue Boulanger. Ce qu’ils ne savent pas – et ils auraient été certainement reconnaissants d’en être informés, c’est qu’il a été embauché par France Inter pour assurer la rédaction en chef de la matinale de France Inter. Joli cadeau de bienvenue à Philippe Val qui ne doit pas apprécier que les audiences de RTL dans cette tranche horaire profitent de l’arrivée récente d’Eric Zemmour. Avant même qu’on lui verse ses premiers émoluments, la recrue travaille déjà pour la bonne cause.

On me dira que la nature humaine est ainsi faite. Certes. Mais Marianne ne nous avait pas habitués à cela. Et l’hebdo a souvent traqué avec raison les conflits d’intérêts qui déconsidèrent la politique, les affaires ou la Presse. Dès lors, qu’on ait confié à Renaud Dély la rédaction d’un article sur Zemmour pose question. Si on est soulagé d’apprendre qu’on n’aura plus à le lire, on s’interroge sur la manière dont est aujourd’hui dirigé notre hebdo – de moins en moins – préféré.

Et, pour tout dire, on attend des réponses.

Si tu avances et que je recule…

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Nicolas Sarkozy, grand triangulateur.
Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy, grand triangulateur.

On est très injuste, à droite, avec Nicolas Sarkozy. Finalement, ses promesses, ses vraies promesses, celles qui étaient inscrites sur la feuille de route donnée par ses amis du Fouquet’s, il les a tenues et il les tient. Les rapports de force entre capital et travail n’ont jamais été aussi défavorables à ce dernier, le bouclier fiscal est toujours là, le principe de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux est appliqué avec une rigueur qui ferait passer un policier tchékiste pour le clown Popov, il a sauvé les banques victimes d’une crise créée par leur propre rapport psychotique à la spéculation et, pour finir, il a lancé un beau débat sur l’identité nationale, histoire de faire oublier au futur ouvrier délocalisé son triste sort et de l’intéresser, dans un grand souci pédagogique d’émancipation, à des questions philosophiques, politiques, voire métaphysiques : qui es-tu, toi, au fond ? Que signifie être français, oui, toi, là, devant ta raffinerie, et pose cette banderole, s’il te plaît, arrête de mettre le feu à ce pneu ou de casser cette sous-préfecture et assieds-toi, réfléchis à tes ancêtres les Gaulois, ça te changera les idées.

Non, décidément, on est injuste avec le Président. Le voilà, le malheureux, qui se retrouve avec un parti unique qui est passé derrière le PS. Le voilà, aussi qui doit faire face une abstention massive qu’il est difficile de ne pas prendre comme un désaveu personnel : quand bien même on tente de faire accroire le contraire, la carte électorale ne ment pas et les zones où l’on a voté avec les pieds sont celles qui l’avaient plébiscité au premier tour de 2007.
Et, cerise sur le gâteau, c’est le grand retour du FN.

Et là, ce n’est vraiment pas juste. Parce que Sarkozy, il faut s’en souvenir, avait promis d’en finir avec Le Pen père et fille, d’éradiquer ces Archaïques aux questions embarrassantes (immigration, insécurité) en les récupérant à son compte et en les ripolinant aux couleurs clinquantes mais acceptables, au moins un temps, du berlusco-populisme. Il a même fait un ministère pour ça…

Alors que s’est-il passé ? Parce que tout de même, tout était bétonné, bouclé, verrouillé grâce, notamment, à cette technique politique très en vogue depuis les années 1990 et qui s’appelle la triangulation. La triangulation, inventée par un conseiller de Clinton, consiste à s’approprier les idées de l’adversaire en les mélangeant avec les siennes, histoire de lui retirer le pain de la bouche. Elle fut utilisée par exemple avec succès par un Tony Blair qui partit du constat sociologique d’un Royaume Uni psychologiquement conservateur malgré sa demande de réduction des inégalités après deux décennies de thatchero-majorisme. Ségolène Royal elle-même surfa un instant sur des sommets de popularité qui lui permirent de s’imposer au PS pour la présidentielle grâce à des thèmes banalement familialistes et sécuritaires qu’elle renomma « égalité homme/femme » ou « ordre juste ».

Nicolas Sarkozy, lui aussi, a été un grand triangulateur. Pour la gauche, la politique d’ouverture a effectivement déstabilisé le camp d’en face. On avait l’impression dans l’opinion que le PS n’avait pas su utiliser ses compétences et que Sarkozy était plus pragmatique qu’idéologue et ne recherchait que le gouvernement des meilleurs. Quant à l’extrême droite, sans trop se forcer, il a repris ses thèmes classiques : immigration et sécurité en leur donnant le sourire politiquement correct de messieurs Hortefeux et Besson. D’ailleurs, un moment, toute critique émise sur cette politique dure risquait la « reductio ad Petainum » et se voyait discréditée : « Enfin, vous exagérez, ce n’est pas la même chose. » Et non, ce n’était pas la même chose, effectivement. C’est même tout l’art de la triangulation d’une idée, qui peut se résumer à ce vers de Verlaine : « Et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. »

Seulement voilà, en voulant trianguler l’extrême droite, Nicolas Sarkozy ne s’est pas aperçu exactement de ce qui changeait comme une vague de fond dans la société française et explique d’ailleurs aussi bien le score du Front de Gauche que celui des Le Pen : la question sociale, avec la crise, a fait un retour en force.

Le licenciement massif fait plus peur que l’Arabe, le harcèlement au boulot que l’insécurité dans le métro, la silhouette d’une cheminée d’usine désaffectée que celle, hypothétique, d’un minaret. Le plus drôle, dans cette histoire, c’est que le Front National et Marine Le Pen qui en est évidemment le nouveau visage, l’avaient déjà compris. Ils ne sont pas dans l’autisme des palais ministériels, ils sont sur le terrain. Ils ne fantasment pas le peuple, ils le voient. Ceux qui ont suivi la redoutable campagne de Marine Le Pen dans le Nord-Pas-de-Calais et ses 18 % à l’arrivée comprendront ce que je veux dire.

Pour le Nord, vieille terre ouvrière qui a accueilli pour la plus grande gloire de l’industrie française des vagues d’immigrations depuis cent ans, l’étranger n’est pas le problème principal. La misère, si. Marine le sait. L’immigration n’a pas été le thème central de sa campagne, loin de là, et si elle avait fait le commencement de l’ombre d’un début de dérapage, genre Ali Soumaré, on ne l’aurait pas ratée tant elle a été scrutée dans l’espérance d’une faute que l’on se serait empressé de rendre rédhibitoire. Eh bien non, elle a fait une « campagne sociale » sur les thèmes de la désindustrialisation, du pouvoir d’achat, de la mondialisation malheureuse, de la fierté ouvrière.

Comme quoi, au petit jeu de la triangulation, Monsieur le Président, on finit toujours par trouver meilleur que soi.