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« Génocide rwandais : justice pour la France ! »

Le Général Didier Tauzin a commandé de 1992 à 1994 le 1er RPIMa, le très prestigieux Premier régiment de parachutistes d’infanterie de marine. À ce titre, il a été, durant cette période, envoyé à plusieurs reprises au Rwanda pour encadrer et former l’armée rwandaise.
Depuis, l’action de la France au Rwanda a été mise en cause par la presse, mais aussi très officiellement par le président rwandais, Paul Kagamé, qui l’accuse d’avoir été complice du génocide et d’avoir contribué à « former » les génocidaires. En l’absence de réaction des autorités politiques françaises face à ces accusations gravissimes et répétées, il vient de publier Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats.

Muriel Gremillet : Pourquoi avoir écrit ce livre maintenant, si longtemps après les faits ?

Pour deux raisons : tout d’abord, depuis 1994, on continue à accuser très régulièrement la France et son armée d’avoir participé au génocide rwandais. C’est notamment ce qu’affirme le rapport Mucyo commandé par les autorités de Kigali : à lire ce texte, nous nous serions comportés au Rwanda comme les Waffen SS à Oradour sur Glane. Or, à l’heure actuelle, personne, en France, n’a réagi officiellement. Pourtant, en octobre 2008, Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique du président de la République, nous avait promis d’intervenir. Jusqu’à quand les autorités françaises vont-elles laisser ainsi Paul Kagamé cracher sur la France et son armée ainsi ? Nous demandons donc au chef de l’Etat de faire rétablir la vérité. La seconde raison est encore plus simple : nous avons aussi perdu des hommes au Rwanda, j’ai un sous-officier blessé aux Invalides. On finit par se demander quel sens cela a eu.

MG : En 1993, le gouvernement Balladur opère un virage à 180 degrés de notre politique au Rwanda. Pourquoi le regrettez-vous ?

Je crois qu’avec un peu de constance, nous aurions pu éviter des millions de morts sur place. Notre politique a changé au plus mauvais moment et avec trop de légèreté. Les accords d’Arusha (en août 1993) qui devaient pacifier la région en partageant le pouvoir entre Hutus et Tutsis n’ont fait que légitimer officiellement l’intrusion des milices FPR dans le pays. D’ailleurs, le FPR les a violés immédiatement. Mais jamais Paul Kagamé et le FPR[1. Le Front Patriotique Rwandais, aujourd’hui parti politique au pouvoir à Kigali, créé en Ouganda, en 1987-1988 par les exilés tutsis. Parti majoritaire depuis le génocide, le FPR s’est coalisé avec d’autres partis pour former les gouvernements depuis le 19 juillet 1994] n’auraient pu gagner la guerre si nous étions restés sur place pour épauler l’armée rwandaise, avec laquelle nous avions des accords de coopération militaire : si le cessez-le-feu n’avait pas eu lieu, les troupes du FPR auraient été repoussées en Ouganda. Mais lorsqu’Edouard Balladur a succédé à Pierre Bérégovoy, notre diplomatie s’est focalisée sur l’Europe centrale au détriment de notre politique africaine. De plus, au-delà de la situation sur le terrain, le FPR a mené et gagné une formidable guerre psychologique à l’intention de l’opinion internationale. La désinformation en temps de guerre est vieille comme le monde, mais l’ampleur qu’elle a atteint autour du Rwanda dépasse l’entendement. Certains journalistes ont systématiquement relayé, consciemment ou non la propagande du FPR, certaines ONG aussi. Certains Etats se sont impliqués, discrètement, mais directement, dans le conflit. C’est ce que montre Pierre Péan, dans Carnages[2. Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Pierre Péan, Fayard, 2011], où il prouve que les Américains et les Anglais étaient à l’œuvre auprès du FPR dès le tout début des années 90.

Trois mois après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 7 avril 1994, qui a déclenché le génocide, la France, à la demande de la Communauté internationale, déclenchait l’opération Turquoise. Cette opération a été mise en cause à plusieurs reprises.
Nous avons été envoyés sur place trop tardivement. Les tueries étaient pratiquement terminées, et Kagamé finissait de conquérir le Rwanda. Non seulement nous n’aurions jamais permis -et encore moins perpétré !- de tels massacres, mais nous n’étions pas sur place quand ils ont eu lieu ! Une enquête sérieuse et honnête nous laverait de tout soupçon. Je tiens à la disposition des chercheurs de très nombreux témoignages de Tutsis, qui remercient la France et son armée de leur avoir sauvé la vie. De la même façon, je ne peux admettre qu’on laisse croire que les Français soient responsables de l’attentat contre l’avion présidentiel en 1994. Je ne cesserai jamais de le dire : nous ne sommes ni coupables, ni complices de ce génocide.

MG : Au-delà du cas rwandais, vous dénoncez la légèreté des décisions politiques qui, selon vous, sont coûteuses en vies sur le terrain. Comment réagissez-vous aux opérations menées en Côte d’Ivoire et en Libye ?
Je ne me prononcerai pas sur l’opportunité de ces opérations. Nous avons des compatriotes sur place, au sol et dans les airs et je respecte leur engagement. Néanmoins, ces deux exemples attestent malheureusement du fait que la France n’a plus de politique étrangère. Dans l’affaire libyenne, nous recevons un dirigeant en grande pompe, puis nous décidons d’apporter notre concours à ses opposants insurgés dans une guerre d’essence tribale –des insurgés dont il se peut que nous ayons beaucoup à dire dans les mois à venir. À cette occasion, on a accordé à Bernard-Henri Levy –qui est sans doute un homme remarquable- le statut de chef de guerre français en Libye. Personnellement, je ne suis pas persuadé qu’il soit le mieux placé pour connaître le terrain…

MG : BHL n’est pour rien dans l’affaire ivoirienne…

En Côte d’Ivoire, les choses sont encore différentes. Je connais bien ce pays, j’ai travaillé auprès du président Houphouët-Boigny. De l’Indépendance jusqu’aux années 2000, la coopération militaire française n’a eu pour d’autre effet que d’aider ce pays à exister en assurant la paix civile et le développement économique, et donc en stabilisant la ligne de partage entre le Nord et le Sud. En soutenant le nouveau chef d’Etat, Alassane Ouattara, nous avons, de fait, aidé les Musulmans du Nord à achever leur conquête du Sud. Là-bas, comme ailleurs en Afrique, on abandonne du jour au lendemain des pays avec lesquels nous avions des accords de coopération et ensuite on s’étonne que ces pays basculent dans le chaos.

MG : Ne craignez-vous pas un procès en néocolonialisme ?

Je ne crains rien, j’ai l’habitude : c’est une critique classique qui illustre un complexe français classique. Beaucoup de contempteurs de la « Françafrique » préfèrent en rester à leurs idées toutes faites. Alors, quand il s’agit de commenter la situation en Côte d’Ivoire ou en Libye on réagit par l’émotion, on ne se soucie plus de politique. Pour Kadhafi, les choses sont simples, ce dictateur est un tel repoussoir qu’on n’instruit qu’assez rarement le procès de la France. Concernant la Côte d’Ivoire, chacun sait que Gbagbo n’est pas vraiment une sorte de Kadhafi. Alors, on attaque l’intervention par un autre biais, celui du néocolonialisme. Et puis la grille d’analyse médiatique se détermine aussi en fonction des querelles franco-françaises. De fait, le PS penchait pour Gbagbo et l’UMP pour Ouattara : voilà à quoi nous en sommes réduits en matière de politique étrangère ! Aujourd’hui toute action politique est, au mieux, définie à un horizon de cinq ans. Avec une vue aussi courte, il n’est pas étonnant que nous ayons perdu toute influence en Afrique.

Propos recueilli par Muriel Gremillet

Safe Essex

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Pauvres froggies qui se plaignent de leurs radars… En matière de contrôle des automobilistes, le pays d’Orwell et d’Huxley fait beaucoup mieux

Figurez-vous que désormais, les policiers du comté d’Essex mettront en place des barrages routiers et des inspections surprises sur les routes pour chercher des preuves d’utilisation illicite… de tabac.

Sont « seulement » visés pour le moment les véhicules de fonction, considérés comme lieux de travail, et donc soumis aux lois à forte teneur prohibitionniste adoptées dans le pays en 2006

Et ne croyez que vous vous tirerez d’affaire en balançant votre mégot par la fenêtre dès que vous apercevrez au loin le casque d’un bobby : ceux-ci sont habilités à inspecter les cendriers et à humer l’intérieur des véhicules pour traquer et punir les hors-la-loi.

Après l’alcool, la pollution et la vitesse, voilà donc un nouveau vice en voie d’éradication de la sphère automobile. Reste à adapter en Europe les lois en vigueur dans certains états américains qui punissent les gros mots et autres doigts d’honneur au volant sous couvert de lutte contre la violence verbale routière. Une fois ce dossier purgé, la moralisation de la voie publique sera presque achevée, il ne restera plus à légiférer contre les adolescents et adolescentes de tous âges qui partagent leurs émois sur les banquettes arrière…

Revenez, Jean-François Kahn, c’est eux qui sont fous !

photo : Hannah

Le syndrome « J’en tiens un chef ! » vient de faire une nouvelle victime en la personne de Jean-François Kahn. Au moment où j’achève ce texte, je découvre qu’il était peut-être prémonitoire. Le fondateur de Marianne aurait décidé de jeter l’éponge après le tumulte suscité, au sein de l’hebdomadaire, par une formule malheureuse, regrettée deux jours après avoir été prononcée. Il ne s’agit pas seulement d’un épisode dérisoire dans la vie du microcosme. S’il s’avérait qu’une assemblée de journalistes – dont un certain nombre lui doivent leur carrière – alliée à une brochette de féministes vindicatives, a poussé ce bagarreur impénitent à déclarer forfait, cela signifierait que la mauvaise foi et la malveillance, drapées dans les habits de la vertu prêchi-prêcheuse peuvent imposer leur loi. Bref, ce serait une très mauvaise nouvelle. Y compris pour ceux qui ne sont d’accord en rien avec Kahn. À vrai dire, je n’y crois pas.

Revenons sur les faits. Dès 9 heures le 16 mai, grâce à la magie d’internet, nul n’ignorait que, sur France Culture, le fondateur de Marianne avait employé l’expression « troussage de domestique » pour qualifier ce qui, selon Nafissatou Diallo, se serait passé dans la suite 2806 du Sofitel de New York. La planète féministe s’en pourléchait les babines, la gauchosphère triomphait : « Macho ! », clamaient les unes. « Mépris de classe », décrétaient les autres. J’avoue n’avoir pas vraiment fouillé dans les coins et recoins de la Toile mais j’imagine que, compte tenu de la nationalité de la plaignante, il s’est aussi trouvé quelques imbéciles pour affirmer avec l’assurance des commissaires politiques de toutes époques que JFK avait montré sa véritable et vilaine nature raciste[1. Extrait de l’appel publié par le Comité de soutien à Nafissatou Diallo: « Pour exprimer ma condamnation du racisme, du sexisme et de l’islamophobie, pour montrer qu’au pays des droits de l’homme, il ne suffit pas d’être milliardaire et de se dire de gauche pour avoir toujours raison et être au-dessus des lois, pour protester contre l’impunité systématique dont bénéficient en France ceux qui s’en prennent à des Africains ou à des Afro-descendants, je rejoins le comité de soutien à Nafissatou Diallo, dite « Ophélia » »].

Quand, dans la foulée, BHL et Robert Badinter sont montés au créneau, je me suis dit, comme tous mes concitoyens dont j’espionne, l’air de rien, les papotages de métro et de bistrots, que ces gens célèbres, riches et puissants, se serraient les coudes. Je persiste à penser que cette levée de boucliers a eu un effet désastreux. On fait bien du foin pour pas grand-chose, semblaient-ils penser, après tout, « il n’y a pas eu mort d’homme » – ce qui, même si les faits étaient avérés, serait incontestable… S’ils avaient voulu alimenter la rancœur de la France qui se lève tôt et prouver l’existence d’une caste de privilégiés qui non contente d’ignorer à quoi ressemble le métro, prétend jouir de l’impunité, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Pour la vox populi, la cause est entendue : les jugements de Cour ont blanchi le puissant. Comme toujours.

Pas la peine d’avoir les moyens de se payer les communicants les plus chers du monde pour commettre de telles bourdes. Ils m’auraient demandé que je leur aurais conseillé, et à l’œil, de faire simple et de dire la vérité. En l’occurrence, ces sommités ne défendaient pas seulement un type de la haute mais un ami, ce qui est infiniment plus respectable. Vous me direz que ces gens ne comptent pas beaucoup d’amis menuisiers ou chômeurs : la belle affaire. L’endogamie sociale n’est pas une découverte et perso, peu me chaut que tous ces beautiful people vivent dans un monde qui ne ressemble au mien que de très loin. De toute façon, ma bonne dame, autant d’argent, ça fait bien des soucis. S’ils avaient dit « Je connais Dominique, je sais qu’il n’est pas coupable » – ce qui revenait à accuser la plaignante d’être une fieffée menteuse – ou même « quoi qu’il ait fait, je suis dans son camp parce que c’est mon pote », on aurait compris. Après tout, que penserait-on de gens qui lâchent leurs copains quand ils sont vraiment dans le pétrin ? Pour ma part, même si on m’apporte la preuve irréfutable qu’Alain Finkielkraut a volé un i Phone à l’arraché, je ne le croirai pas.

Mais revenons à Jean-François Kahn et à son « troussage de domestiques », expression charmante au demeurant. J’avoue : je ne me suis pas privée de cette occasion de m’indigner avec bonne conscience. Et je ne jurerais pas que celle-ci n’était pas décuplée par les vacheries, parfois excessives, que mon ancien patron me balance de temps à autre. « Quel délicieux parfum d’Ancien régime, c’est bien la peine de nous chanter 1848 et de se la jouer Victor Hugo résistant à Napoléon III », ai-je pensé en ricanant intérieurement. Un zeste de générosité, voire de simple honnêteté, m’aurait incitée à réviser immédiatement ce jugement : je connais le bonhomme, il ne manque pas de défauts, mais l’arrogance de classe n’en fait pas partie – le mépris des femmes non plus.

Je ne cherche pas à infliger mes états d’âme à des lecteurs qui ne m’ont rien fait, mais à attirer leur attention sur ce qui transforme le débat public en guerre impitoyable où tous les coups sont permis, l’objectif n’étant pas de convaincre mais de laisser sur le tapis un adversaire devenu un ennemi. Qu’on pense à Alain Finkielkraut, cloué au pilori des racistes pour une blague sans conséquence quand la lecture de dix lignes d’un seul de ses livres aurait dû suffire à balayer cette accusation. Ou à Christian Jacob qui, pour une sortie bétassonne sur l’incapacité de DSK à incarner le terroir, déclencha diverses foudres dont celles de mon cher Luc Rosenzweig et de… Jean-François Kahn, lequel crut déceler dans cette phrase l’un des multiples signes de la pétainisation des esprits.

Peu importe la compréhension pourvu qu’on ait l’ivresse de la dénonciation. Il est si bon de traquer le dérapage, de répéter avec délectation la parole malheureuse, imprudente, ou ambiguë, de dénoncer le scandale et le scandaleux et surtout de dire et de redire qu’on l’avait bien dit.

Reste à comprendre pourquoi ces mauvaises mayonnaises prennent. C’est qu’au-delà de la joie mauvaise suscitée par le spectacle d’un notable se muant en délinquant et de l’euphorie du flic attrapant au collet un suspect présumé coupable, elles permettent aux innombrables procureurs des puissants déguisés en avocats des opprimés de confirmer leurs certitudes. Un certain nombre de féministes se sont donc emparées avec délectation du « troussage » et des gaffes citées plus haut, y trouvant la preuve de ce qu’elles savaient depuis longtemps, à savoir que la société française est rongée par le mal du sexisme. « Dangereux ! », « irresponsable ! », « terrifiant ! » : à l’heure où j’écris ces lignes, on ignore encore le nombre de femmes agressées par des mâles dopés au machisme kahnien.

Du viol présumé au harcèlement allégué, de la drague consentie aux offenses tolérées, des salaires minorés aux inégalités devant les taches ménagères, tout y est passé. Rien ou pas grand-chose de nouveau dans cette complainte victimaire ressassée avec l’assurance hargneuse du bon droit. Nos révolutionnaires en jupons n’ont pas dû lire Marx, qui leur aurait appris que la destruction du patriarcat était inscrite dans le déploiement du capitalisme. Passons.

Sans doute occupées à mettre sur pied une brigade des plumeaux, elles n’ont pas non plus eu le temps de lire le texte dans lequel Jean-François Kahn, qualifiant son expression « d’injustifiable », expliquait son égarement par le désarroi dans lequel l’avait plongé l’arrestation de DSK. On aurait pu tourner la page, accepter les excuses du coupable, estimer que la honte était une sanction suffisante, le condamner à évoquer les offenses faites aux femmes dans chacun de ses articles. Mais nos vengeuses ne connaissent ni le repentir ni le pardon. On ne la leur fait pas à ces spécialistes des reins et des cœurs : c’est l’inconscient qui a parlé et ton inconscient parle trop, gringo !

Les banderoles étaient prêtes, la manifestation annoncée. Alors qu’on les invitait sur tous les plateaux, elles n’allaient pas laisser passer si belle occasion de faire savoir dans quel pays horrible elles vivent. Quand on a planté ses dents dans les mollets d’une si belle proie, on ne la lâche pas pour l’ombre d’un remords. Surtout s’il est exprimé par un homme qui, si ça se trouve, ne lave même pas la vaisselle. Pour ma part, s’il faut s’en remettre à de telles avocates, je préfère être de corvée de patates toute ma vie.

Inutile de se faire des illusions, cette affaire atterrante ne sèmera pas la moindre graine de doute chez ceux (et celles) qui lynchent au nom de l’humanisme et exécutent pour la justice. Sachez-le, désormais une faute avouée ne sera jamais pardonnée. Si l’erreur est humaine, sa condamnation sans procès annonce la victoire de l’inhumanité. Puisque c’est pour notre bien.

Libérez les banques !

À entendre nos gouvernants et les séides de la toute-puissance étatique, on pourrait presque croire que l’industrie bancaire moderne est un modèle de capitalisme sauvage échappant totalement au contrôle des États. Rien ne saurait être plus éloigné de la réalité : la banque est probablement le secteur de l’économie le plus lourdement réglementé après l’industrie nucléaire et les marchands de canons. On me pardonnera de simplifier le sujet en me concentrant sur les deux principaux instruments de contrôle dont disposent nos législateurs pour mieux tenir les banques : les « réserves obligatoires » et les « ratios prudentiels » de Bâle.[access capability= »lire_inedits »]

Le métier d’une banque consiste à emprunter de l’argent à court terme – principalement votre argent quand vous le déposez sur votre compte – pour le prêter à long terme. Ce faisant, la banque prend deux risques : le premier, c’est que vous veniez retirer votre argent alors qu’elle l’a prêté à un autre client – le « risque de liquidité » – et le second, c’est que cet autre client se révèle incapable de rembourser son crédit – le « risque de crédit ». Comme vous l’avez certainement observé, la banque prête à un taux d’intérêt plus élevé que celui auquel elle rémunère vos dépôts ; cet écart de taux constitue la rémunération des risques qu’elle prend et, si tout se passe bien, la source de ses profits.

Du pastis, de l’eau et la politique monétaire

Dans un monde de « fiat monnaie », le monopole légal de la création monétaire est confié à une institution publique qu’on appelle une « banque centrale ». Seule cette dernière a le droit d’imprimer des billets de banque qu’elle crée comme bon lui semble à un coût pratiquement nul. Une analogie utile, pour comprendre le processus de création monétaire, est celle de l’eau et du pastis. Le pastis, c’est la masse des billets de banque – la « monnaie centrale » ou « base monétaire »[1. En réalité, je simplifie : la base monétaire (M0) est aussi composée des réserves des banques commerciales auprès de la banque centrale] − qui est créée de manière purement discrétionnaire par la banque centrale. Lorsqu’une banque reçoit de la monnaie centrale sur le compte d’un de ses clients, elle va – comme nous l’avons vu plus haut – prêter cet argent à ses clients à la recherche de financement. Ce faisant, elle crée à son tour de la monnaie puisqu’au dépôt initial de monnaie centrale (le pastis) vient s’ajouter le montant du prêt qu’elle a accordé (de l’eau). La limite naturelle de cet exercice, c’est le risque de liquidité : la banque doit être capable à chaque instant de faire face aux demandes de retraits de ses déposants et va donc garder en réserve une fraction des dépôts qu’elle a reçus. Si toutes les banques appliquaient, par exemple, un ratio de réserve de 10 % (elles prêtent 90 % des dépôts qu’elles reçoivent et gardent le solde en réserve), une injection de 100 euros de monnaie centrale par la BCE se traduira – au maximum – par une création monétaire totale de 1 000 euros[2. La banque qui reçoit le dépôt de monnaie centrale crée 90 euros sous forme de prêts, les banques qui reçoivent à leur tour ces 90 euros créent 81 euros et ainsi de suite]. C’est ce qu’on appelle le « multiplicateur monétaire » ; dans notre analogie, cette somme de 1 000 euros correspond à la quantité maximale de pastis dilué (de monnaie) créée par l’injection initiale de pastis pur.

C’est ici qu’interviennent les « réserves obligatoires » : le législateur a estimé nécessaire de réguler le montant des réserves – aux Etats-Unis, il est de 10 %, tandis que la BCE n’impose que 2 % de réserves obligatoires. En d’autres termes, la banque centrale contrôle la quantité de pastis et la dilution maximale autorisée aux banques. Comme les banques ont tout intérêt – du moins dans des conditions économiques normales – à prêter le plus possible, la banque centrale contrôle de fait le volume de crédits accordé par les banques.
Dans la pratique, les banques centrales ont décidé de remplacer le contrôle de la quantité de crédit – la « masse monétaire » – par un pilotage du taux auquel les banques se financent[3. Le taux du marché interbancaire, c’est-à-dire le taux moyen auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles]. Quand la banque centrale, pour une raison ou une autre, souhaite faire en sorte que les banques prêtent plus, elle fait baisser ce taux et, inversement, si elle souhaite restreindre la quantité de crédit, elle le fait remonter. C’est ce qu’on appelle la « politique monétaire ». Aussi incroyable que ça puisse paraître, les banques centrales pilotent donc la quantité totale de crédits accordés par le système bancaire.

Ratios prudentiels et conséquences inattendues

Le contrôle de la quantité de crédits accordés par les banques ne permet pas de contrôler la qualité de ces crédits : une banque peut – si elle a des tendances suicidaires – prêter de l’argent à des emprunteurs insolvables et risquer de se mettre elle-même en faillite. Comme nous vivons dans un monde où ce risque n’est effectivement pas négligeable, le législateur – en l’occurrence le Comité de Bâle[4. Le Comité de Bâle de supervision bancaire est composé des dirigeants des banques centrales du « G10 »] – a également mis en place des « ratios prudentiels » qui limitent la quantité de prêts que chaque banque peut accorder en fonction du risque de crédit que présentent – d’après les critères de la réglementation – les emprunteurs. Le premier ratio prudentiel – le « ratio Cooke » – est né en 1988 et a été imposé par voie légale dans la plupart des pays de l’OCDE à partir de 1992. Il impose aux banques de maintenir le niveau de leurs fonds propres (l’argent des actionnaires) à au moins 8 % de celui de leurs « actifs pondérés des risques » (APRs) de telle sorte qu’elles soient toujours en mesure de rembourser leurs clients si un grand nombre d’emprunteurs devaient se révéler insolvables. La pondération dépend de la qualité de l’emprunteur : s’il s’agit de l’État allemand, le risque est considéré comme nul et la créance correspondante n’entraîne aucune obligation en termes de fonds propres. Pour une entreprise considérée comme solide, on appliquera un taux de 50 % : une créance de 100 euros augmentera les APRs de la banque de 50 euros. En revanche, si l’emprunteur est une entreprise moins solide, le taux peut être de 100 % : lui prêter 100 euros augmente les APRs de 100 euros, ce qui lui « coûte » 8 euros de fonds propres.

Seulement, qui juge de la solidité financière des entreprises ? Eh bien, ce sont les fameuses « agences de notation » ; Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch et quelques autres ont reçu de nos États des statuts particuliers qui confèrent à leur note une valeur réglementaire. Ainsi le législateur a-t-il, en les institutionnalisant, donné à ces agences un pouvoir absolument gigantesque qui n’a rien à voir avec la qualité de leurs prédictions. C’est d’ailleurs au moment où les ratios prudentiels ont été mis en place que les agences ont cessé de se faire payer par les investisseurs pour facturer aux emprunteurs les notes qu’ils leur mettaient – et qui, potentiellement, pouvaient limiter leur accès au crédit ou renchérir son coût. C’est pour cette raison que la baisse d’une note a de tels effets sur les marchés : les investisseurs ne vendent pas parce qu’ils font confiance aux agences mais parce que leur règlementation le leur impose. C’est la douce ironie de ce monde : les politiques se plaignent du pouvoir des agences de notation alors que c’est eux qui le leur ont donné.

Les ratios prudentiels ont eu une autre conséquence, c’est qu’ils ont créé un déséquilibre arbitraire en faveur des dettes publiques (du moins pour les États « bien notés ») et des crédits immobiliers et en défaveur des entreprises. Par exemple, prêter 100 euros à un particulier dans le cadre d’un crédit immobilier « consomme » 2,8 euros de fonds propres tandis que prêter la même somme à une entreprise notée A coûte à la banque 4 euros de fonds propres. L’objectif d’une banque étant de maximiser la rentabilité de ses fonds propres, que s’est-il passé, selon vous ? Les banques ont cessé de prêter aux entreprises et ont privilégié les crédits immobiliers : en 1988, les crédits industriels et commerciaux représentaient 25,3 % de l’ensemble des crédits accordés par le système bancaire états-unien contre 26,9 % pour les crédits immobiliers. En 2010, ces proportions sont passées respectivement à 13,6 % et 40,6 %. Le phénomène porte même un nom : la « désintermédiation financière ». Les banques ont tout fait pour que les entreprises se financent directement sur les marchés en émettant des obligations ou, quand c’était impossible, ont massivement revendu les créances des entreprises sur les mêmes marchés. Et bien sûr, vous entendez tous les jours nos politiques couiner en cœur que les banques ne financent pas suffisamment les entreprises…

Comme d’habitude, nos politiciens ont une réponse toute faite aux échecs et effets indésirables de leurs réglementations : encore plus de réglementations. À ceux qui se demandent par quoi il faudrait remplacer la règlementation bancaire existante, je répondrai ceci : s’il y avait le feu dans votre maison, par quoi le remplaceriez-vous ?[/access]

DSK : Tous les viols sont-ils égaux en droit ?

Hélas pour lui, DSK n’est pas britannique. Sinon il aurait pu tenter une stratégie de défense inspirée des propos du secrétaire d’Etat à la Justice Ken Clarke, qui vient de déclarer à la BBC « que certains viols étaient plus graves que d’autres » et a proposé de diviser certaines peines par deux. Malgré le tollé immédiat, l’afflux de demandes de démission et l’atmosphère ambiante peu favorable aux « hommes vigoureux » (selon la formule de Christine Boutin qui s’y connaît en indulgences), Clarke a pour l’instant courageusement refusé de s’excuser.

On attend désormais de la part de ce ministre britannique imaginatif une typologie illustrée pour violeur putatif permettant de savoir jusqu’où aller trop loin. Michel Rocard avait ouvert la voie de cette saine codification en affirmant que sucer n’était pas tromper. Et pourquoi pas, au bout du compte, une manière de permis à point ?

La fellation imposée à une bonniche guinéenne pourrait alors devenir l’équivalent d’un simple stationnement gênant tandis que la pénétration d’une mineure pourrait être considérée comme un excès de vitesse susceptible d’une confiscation immédiate de l’objet du délit. Voilà une solution rationnelle qui permettrait de préserver la dignité de la femme mais aussi celle, trop souvent oubliée, du violeur qui après tout est un homme comme les autres.

Quand la réalité dépasse l’affliction

À l’origine, les producteurs de la Conquête étaient venus trouver Patrick Rotman pour lui proposer d’écrire un scénario de politique-fiction sur la mort de Nicolas Sarkozy peu après son élection. « Pourquoi s’embêter à inventer ? La réalité dépasse si souvent la fiction ! », leur a répondu en substance l’auteur de François Mitterrand ou le roman du pouvoir, qui a souvent regretté, en tournant ses documentaires politiques, de ne pouvoir faire incarner les scènes truculentes qu’il faisait raconter à des témoins par des acteurs de cinéma. À voir le tableau qu’il a brossé de l’irrésistible ascension de Nicolas Sarkozy vers l’Élysée, il semble surtout que la réalité dépasse l’affliction.

« Bien que les personnages en soient réels, ce film est une œuvre de fiction », est-on averti au début du récit de Xavier Durringer. C’est en réalité le première phrase-gag de ce film qui n’en manque pas. Car quiconque suit d’un peu près l’actualité politique reconnaîtra mainte réplique déjà croisée dans l’article de tel ou tel échotier, dans telle ou telle confidence de politicien soigneusement confiée en “off”. Dominique de Villepin (Samuel Labarthe) en con grandiloquent et infatigable ambassadeur de sa propre virilité, filant les métaphores sexuelles comme d’autres enfilent les perles (« Les hommes politiques sont des bêtes sexuelles », assène en passant Nicolas Sarkozy), Chirac (Bernard Le Coq) en tigre assoupi, balançant des coups de griffe entre deux lampées de Corona, Jean-Louis Debré (Gérard Chaillou) en pousse-au-crime débonnaire, Henri Guaino (Michel Bompoil) en scribe laborieux, tout grisé de voir son lyrisme enfin incarné, Claude Guéant (Hippolyte Girardot) en crocodile madré qui savoure en connaisseur tous les coups bas qui se perpètrent devant ses yeux impassibles, tous sont plus vrais que nature. À commencer bien sûr par Nicolas Sarkozy (Denis Podalydès, prodigieux) en petit garçon insatiable et impatient, égocentrique et capricieux, tyrannique et assoiffé d’affection, totalement dénué de surmoi l’empêchant de dévoiler ses arrière-pensées, et qui a fait de ce défaut la plus terrifiante des armes de destruction massive politique.

La différence est que ces acteurs de la commedia dell’arte du pouvoir, qui apparaissent d’habitude sur nos petits écrans bien peignés et policés, la bouche ronflante de grandes phrases sur la France, l’intérêt général et la survie de la planète, ici ne font plus semblant et nous livrent le fond de leur pensée sans fard ni dissimulation. Et le spectacle n’est pas beau à voir : le fond de ces pauvres hères effraie. De Sarko disant à ses conseillers de la Firme : « Cécilia m’a demandé vos têtes, je vais lui donner vos couilles » ou assénant à un Villepin qui n’en croit pas ses oreilles « Chirac est fini, moi je reste seul et je suis libre. Et vous, Dominique, vous êtes mort ! », à Villepin pestant : « Ce nain va nous faire une France à sa taille », ou « Je vais le baiser, et avec du gravier encore », nous voilà assez loin de la langue de bois d’usage…

L’ensemble, assez mal construit, filmé plutôt platement et manquant d’un point de vue qui ordonnerait le propos, pourrait paraître assez anecdotique, plus croustillant que pertinent. Sauf qu’on s’aperçoit assez vite qu’il manque un personnage au film, pas un comparse comme Brice Hortefeux ou Patrick Buisson, mais un personnage principal : ce grand absent de La Conquête, c’est la France, dont tous ces beaux messieurs se moquent comme de leur première carte d’électeur, tout occupés qu’ils sont à glisser des peaux de banane sous les pieds de leurs ennemis et à élaborer les chausse-trappes qui devront être fatales à leurs alliés d’hier. Quand par hasard on trouve le temps de réfléchir aux thèmes de campagne, ce n’est pas pour défendre des idées auxquelles on croirait, c’est pour pomper les voix du Front national : « Je ne dis jamais du mal des électeurs du Front national, dit Sarkozy-Podalydès. Je dis que ce sont des victimes. Des victimes de quoi ? je ne sais pas, mais des victimes. » Le grand mérite du quinquennat de Sarkozy aura été de lever définitivement cette hypocrisie, aux yeux des derniers naïfs qui y croyaient encore, selon laquelle les politiques d’aujourd’hui seraient là pour servir le bien commun, quand leur cortex n’est plus qu’un gigantesque plan de carrière.

Sarkozy, lui, en assumant totalement son propre arrivisme, agit comme un révélateur des turpitudes des autres ; en cela, il n’est pas différent de ses compétiteurs, seulement plus franc : « Ça fait trente ans que je me prépare, dit-il à Villepin ; pour me déloger, il faudra y aller à l’arme blanche. » En un sens, la Conquête n’est ni de droite ni de gauche : c’est un film monarchiste… La politique réduite à un misérable choc des ambitions, à une dérisoire conjuration des égos : pour le coup, c’est un autre avertissement qu’il aurait fallu inscrire en exergue du film : « Toute ressemblance avec une œuvre de fiction serait purement fortuite. »

Ronald McDonald, ce bouffon à cause de qui nous malbouffons

Ronald, vous voyez, la mascotte clownesque du King of Hamburger McDonald ? Eh bien c’est un très méchant bouffon, ce Ronald ! À cause de lui, les petits zenfants deviennent obèses !

C’est en tout cas ce qui ressort d’une demande très officielle de médecins américains qui souhaitent voir disparaître ce coupable désigné d’un véritable fléau outre-Atlantique, demande largement relayée par tous les journaux du pays.

Composée de plus de 550 groupes et professionnels de la santé, l’organisation Corporate Accountability International a fait publier une pleine page d’annonces dans six grands quotidiens américains pour que cesse la publicité pour cette sorte de nourriture auprès des enfants et pour que son héraut à salopette jaune soit mis à la retraite d’office. L’annonce était ainsi titrée : « Ordre des médecins: arrêtez la publicité de la malbouffe destinée aux enfants ! »

Pauvres de nous, obligés de traîner les enfants dans ces fast-foods diaboliques, forcés de farcir leur progéniture de hamburgers saturés en lipides, hydrates de carbone, mauvais cholestérol et autres reliquats de fritures.

Qui délivrera nos tempes du revolver sur tenu par Ronald le criminel qui, contrairement à DSK quand il était encore au FMI, n’affame pas les peuples, mais les rend bedonnants.

DSK adore les pipes !

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photo : la Banque mondiale

À l’heure où la municipalité de New York vient d’interdire l’usage du tabac dans les parcs publics et où l’agence Reuters nous apprend que depuis ce lundi, les Newyorkais ne pourront plus fumer ailleurs que « sur les trottoirs, dans les parkings et chez eux – à condition que leur propriétaire soit d’accord », nous sommes en mesure de dénoncer un délinquant potentiel, qui aura beaucoup de mal à respecter cette nouvelle loi et qui même, il faut le dire, risque à tout moment de la violer.

Que nous apprenait, en effet, une brève publiée le 16 mars dernier par nos confrères de l’excellent site spécialisé Pipe Gazette Le mieux est de la citer dans son intégralité:

«La prochaine campagne présidentielle en France verra-t-elle s’engager un célèbre fumeur de pipe? Dominique Strauss-Kahn est un amateur de bouffarde, même si on le représente souvent fumant le cigare. L’un n’empêche pas l’autre. DSK avait d’ailleurs été nommé « Premier fumeur » de l’année 1999 par la Confrérie de Saint-Claude, mais avait dû renoncer à recevoir le titre. Il était en effet, à cette époque, cité dans des affaires judiciaires pour lesquelles il a ensuite bénéficié d’un non-lieu.

Lors de son départ pour le FMI en 2007, ses proches collaborateurs lui avaient d’ailleurs offert une pipe.» On notera au passage que ses « proches collaborateurs » savaient et qu’ils n’ont rien dit à personne, c’est du propre. Vous vous imaginez vous retrouvant seul(e) avec DSK dans un ascenseur et de courir le risque qu’il soit pris d’une envie soudaine de pipe?

Mais ce n’est pas tout : les révélations de Pipe Gazette sont accompagnées de deux photos déjà publiées en mars 2009 sur le site du magazine Gala. Certes on pourrait penser que la première d’entre elle est équivoque puisqu’on n’y voit pas le coupable présumé commettre directement le forfait allégué:

Mais le second cliché, pris aux Universités d’été du PS à La Rochelle, lui, est accablant. Non seulement la commission des faits est patente, mais tout cela se passe devant témoins, et quels témoins!

Passe encore pour Pierre Moscovici, grand fumeur lui aussi, donc logiquement complice. Mais après la republication de cette photo, comment François Hollande osera-t-il encore se présenter aux Français comme un présidentiable «normal»?

Une photo vaut mieux qu’un long discours, fut-il imaginé par Ramzy Khiroun, rédigé par Benjamin Brafman ou prononcé par Anne Sinclair. La vérité, la seule, c’est que DSK est forcément coupable puisqu’il n’y a pas de fumée sans feu!

Les « working class heroes » sont fatigués

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Trainspotting, image : kinopoisk.ru

Dans l’inconscient collectif, le prolétaire anglais occupe une place à part. On peut disserter à l’infini sur l’acte de naissance du prolétariat moderne : Marx et Engels sont morts à Londres, et nulle part la « culture ouvriériste » et la solidarité communautaire n’ont été autant exaltées, érigées en art de vivre majeur, que sur les bords de la Tamise.

La working class y était pluvieuse, nerveuse et teigneuse, fière de sa sale gueule, de ses cernes, de ses chicots, de son accent à couper au couteau cranté, de ses rots bien mousseux et de sa bière chaude qui tâchait un peu et s’évacuait beaucoup. Ses gosses avaient le front buté et des voix de rogomme, ils inventaient le football, sport prolétaire par excellence, mais aussi le pub et la pop. Elle avait une poésie bien à elle, où la chaleur d’un mug de thé se conjuguait à l’amertume d’une pinte de bitter, l’esthétique du jeu de jambes de Best et la ferveur des stades à la douceur amniotique d’un canal déserté.[access capability= »lire_inedits »]

« I met my love by the gas works wall
Dreamed a dream by the old canal
Kissed a girl by the factory wall
Dirty old town, dirty old town

Viennent les années 1970 et 1980 : le prolo anglais ne reconnaît plus rien, ni ses vieux clubs ni ses fils promis au chômage de longue durée, shootés aux jeux électroniques et autres niaiseries générationnelles, dégaine de dernier de la classe au fond à gauche. Déprimant dans son job de grouillot −quand il en a un − entre frustration, ennui, bandes, bastons en discothèque, école-impasse et méfiance vis-à-vis de tous les pouvoirs, il résiste mal au kärcher thatchérien qui laisse crever de faim les Irlandais dans leurs prisons, réduit à la misère des centaines de milliers de nouveaux chômeurs et expédie les survivants se faire trouer la peau sur un archipel de cailloux glacés âprement disputé à l’Argentine.

De nouveaux rebelles prolos au crâne tondu apparaissent, des skinheads un peu à la ramasse mais pas bien méchants et encore moins racistes. Ils écoutent du reggae et du ska, s’inventent un logo en forme de damier noir et blanc, fument de l’herbe avec des Jamaïcains et font les zouaves dans des usines désaffectées, seuls terrains de jeux accessibles, tout en échappant à la police sur fond de contestation, de sexe et de foot. Leurs bandes sont multiculturelles et multiethniques dans un contexte d’alliance tacite des victimes de la crise qui n’en finit pas. Ils revendiquent haut et fort leur appartenance à la classe ouvrière et se battent pour son émancipation dans un monde où règne l’injustice et la violence sociale, quand les bébés bourgeois se complaisent dans les facéties d’une jeunesse dorée en mal de sensations fortes, les délires mystico-psychédéliques, fantasmes de paix et spiritualité de pacotille.

Confrontée à la mouise du réel et au dissolvant douceâtre du blairisme, l’Angleterre prolo qui rame dans sa banlieue exsangue sous un ciel gris et sans avenir a le visage du désespoir. Face cachée et honteuse d’un pays qui se perd, la classe ouvrière britannique n’existe plus, le prolétaire a vécu et Ken Loach est son prophète. Cette Angleterre-là a le regard noir comme la suie et les poings fatigués à force de cogner les murs d’enceinte de ses usines délocalisées.

La violence sociale et physique est omniprésente, mais elle n’a pas encore sa sinistre coloration d’extrême droite. Cela va changer. Dans les années 2000, l’ennemi n’est plus Maggie l’antisociale, mais l’épicier pakistanais venu piquer le travail des bons Anglais. Les alliés naturels du prolo ne sont plus les Antillais qui partageaient sa misère mais les militants du National Front, voire de l’English Defence League. Par-dessus son blouson, le prolo s’est enroulé dans un drapeau frappé de la croix de saint Georges. Les plus paumés des miséreux sont tombés dans le piège du nationalisme, perdant leur honneur en croyant le retrouver, à l’image de leurs clubs de foot bien-aimés devenus des entreprises cotées en bourse dont les abonnements à l’année se vendent aux tarifs de ceux de l’opéra. Le plus emblématique de tous, Manchester United, où brillait le King Éric, s’est donné à des mafieux russes ou à des businessmen obscènes qui font leur beurre sur le délabrement social, le chauvinisme débile et le hooliganisme. Vaincus par la prohibition du tabac et la hausse de la pinte, les pubs ferment.

Que sont les Angry young men devenus ? Où sont Alan Sillitoe, John Bailey, Irvine Welsh ? La pop acerbe des Kinks et des Smiths ? Où a disparu la Dirty old town d’Ewann Mac Coll, celle qui collait encore au cœur et au corps, à la recherche du prolo perdu ? Il faudra plus qu’une jolie princesse fraîchement mariée, même arrière-petite-fille de mineurs gallois, pour les ressusciter.[/access]

Pass contraception, le retour

François Taillandier, Cyril Bennasar et Jacques de Guillebon, par ordre d’apparition à l’écran, nous ont entretenus de leurs opinions croisées sur le fameux « pass-contraception ».

Faisant, chacun, preuve d’une virile argumentation et d’une mâle détermination à faire valoir leurs points de vue. Divergents certes, voire carrément inconciliables, mais avec un point commun de taille : tous trois nous expliquent qu’ils sont guidés, dans leurs plaidoiries, par un amour immodéré, sinon d’une femme, du moins de LA femme.

Tant mieux.

Nous aurons donc pu découvrir les diverses opinions qui vont de la crainte d’une appropriation par l’état de la sexualité des jeunes filles à l’apologie de la chrétienté émancipant la femme en passant par le procès de cette même chrétienté priée de se garder à gauche comme à droite, comme Jean le Bon à Poitiers.

De mieux en mieux, on aurait pu craindre que le débat ne parte, disons, en couilles.

Il en ressort, Mesdames, que nos amis les hommes, ronfleurs ou insomniaques, n’ont toujours pas renoncé à leur ancestrale prérogative : contrôler ce qui se passe dans nos strings.

Je propose donc que nous continuions de faire comme nous le faisons depuis 2 000 ans : nous agissons comme nous l’entendons et laissons croire à ces messieurs qu’ils ont quelque chose à dire sur cette intéressante question.

De la duègne à la salope, ils auront tout pour le même prix !

« Génocide rwandais : justice pour la France ! »

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Le Général Didier Tauzin a commandé de 1992 à 1994 le 1er RPIMa, le très prestigieux Premier régiment de parachutistes d’infanterie de marine. À ce titre, il a été, durant cette période, envoyé à plusieurs reprises au Rwanda pour encadrer et former l’armée rwandaise.
Depuis, l’action de la France au Rwanda a été mise en cause par la presse, mais aussi très officiellement par le président rwandais, Paul Kagamé, qui l’accuse d’avoir été complice du génocide et d’avoir contribué à « former » les génocidaires. En l’absence de réaction des autorités politiques françaises face à ces accusations gravissimes et répétées, il vient de publier Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats.

Muriel Gremillet : Pourquoi avoir écrit ce livre maintenant, si longtemps après les faits ?

Pour deux raisons : tout d’abord, depuis 1994, on continue à accuser très régulièrement la France et son armée d’avoir participé au génocide rwandais. C’est notamment ce qu’affirme le rapport Mucyo commandé par les autorités de Kigali : à lire ce texte, nous nous serions comportés au Rwanda comme les Waffen SS à Oradour sur Glane. Or, à l’heure actuelle, personne, en France, n’a réagi officiellement. Pourtant, en octobre 2008, Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique du président de la République, nous avait promis d’intervenir. Jusqu’à quand les autorités françaises vont-elles laisser ainsi Paul Kagamé cracher sur la France et son armée ainsi ? Nous demandons donc au chef de l’Etat de faire rétablir la vérité. La seconde raison est encore plus simple : nous avons aussi perdu des hommes au Rwanda, j’ai un sous-officier blessé aux Invalides. On finit par se demander quel sens cela a eu.

MG : En 1993, le gouvernement Balladur opère un virage à 180 degrés de notre politique au Rwanda. Pourquoi le regrettez-vous ?

Je crois qu’avec un peu de constance, nous aurions pu éviter des millions de morts sur place. Notre politique a changé au plus mauvais moment et avec trop de légèreté. Les accords d’Arusha (en août 1993) qui devaient pacifier la région en partageant le pouvoir entre Hutus et Tutsis n’ont fait que légitimer officiellement l’intrusion des milices FPR dans le pays. D’ailleurs, le FPR les a violés immédiatement. Mais jamais Paul Kagamé et le FPR[1. Le Front Patriotique Rwandais, aujourd’hui parti politique au pouvoir à Kigali, créé en Ouganda, en 1987-1988 par les exilés tutsis. Parti majoritaire depuis le génocide, le FPR s’est coalisé avec d’autres partis pour former les gouvernements depuis le 19 juillet 1994] n’auraient pu gagner la guerre si nous étions restés sur place pour épauler l’armée rwandaise, avec laquelle nous avions des accords de coopération militaire : si le cessez-le-feu n’avait pas eu lieu, les troupes du FPR auraient été repoussées en Ouganda. Mais lorsqu’Edouard Balladur a succédé à Pierre Bérégovoy, notre diplomatie s’est focalisée sur l’Europe centrale au détriment de notre politique africaine. De plus, au-delà de la situation sur le terrain, le FPR a mené et gagné une formidable guerre psychologique à l’intention de l’opinion internationale. La désinformation en temps de guerre est vieille comme le monde, mais l’ampleur qu’elle a atteint autour du Rwanda dépasse l’entendement. Certains journalistes ont systématiquement relayé, consciemment ou non la propagande du FPR, certaines ONG aussi. Certains Etats se sont impliqués, discrètement, mais directement, dans le conflit. C’est ce que montre Pierre Péan, dans Carnages[2. Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Pierre Péan, Fayard, 2011], où il prouve que les Américains et les Anglais étaient à l’œuvre auprès du FPR dès le tout début des années 90.

Trois mois après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 7 avril 1994, qui a déclenché le génocide, la France, à la demande de la Communauté internationale, déclenchait l’opération Turquoise. Cette opération a été mise en cause à plusieurs reprises.
Nous avons été envoyés sur place trop tardivement. Les tueries étaient pratiquement terminées, et Kagamé finissait de conquérir le Rwanda. Non seulement nous n’aurions jamais permis -et encore moins perpétré !- de tels massacres, mais nous n’étions pas sur place quand ils ont eu lieu ! Une enquête sérieuse et honnête nous laverait de tout soupçon. Je tiens à la disposition des chercheurs de très nombreux témoignages de Tutsis, qui remercient la France et son armée de leur avoir sauvé la vie. De la même façon, je ne peux admettre qu’on laisse croire que les Français soient responsables de l’attentat contre l’avion présidentiel en 1994. Je ne cesserai jamais de le dire : nous ne sommes ni coupables, ni complices de ce génocide.

MG : Au-delà du cas rwandais, vous dénoncez la légèreté des décisions politiques qui, selon vous, sont coûteuses en vies sur le terrain. Comment réagissez-vous aux opérations menées en Côte d’Ivoire et en Libye ?
Je ne me prononcerai pas sur l’opportunité de ces opérations. Nous avons des compatriotes sur place, au sol et dans les airs et je respecte leur engagement. Néanmoins, ces deux exemples attestent malheureusement du fait que la France n’a plus de politique étrangère. Dans l’affaire libyenne, nous recevons un dirigeant en grande pompe, puis nous décidons d’apporter notre concours à ses opposants insurgés dans une guerre d’essence tribale –des insurgés dont il se peut que nous ayons beaucoup à dire dans les mois à venir. À cette occasion, on a accordé à Bernard-Henri Levy –qui est sans doute un homme remarquable- le statut de chef de guerre français en Libye. Personnellement, je ne suis pas persuadé qu’il soit le mieux placé pour connaître le terrain…

MG : BHL n’est pour rien dans l’affaire ivoirienne…

En Côte d’Ivoire, les choses sont encore différentes. Je connais bien ce pays, j’ai travaillé auprès du président Houphouët-Boigny. De l’Indépendance jusqu’aux années 2000, la coopération militaire française n’a eu pour d’autre effet que d’aider ce pays à exister en assurant la paix civile et le développement économique, et donc en stabilisant la ligne de partage entre le Nord et le Sud. En soutenant le nouveau chef d’Etat, Alassane Ouattara, nous avons, de fait, aidé les Musulmans du Nord à achever leur conquête du Sud. Là-bas, comme ailleurs en Afrique, on abandonne du jour au lendemain des pays avec lesquels nous avions des accords de coopération et ensuite on s’étonne que ces pays basculent dans le chaos.

MG : Ne craignez-vous pas un procès en néocolonialisme ?

Je ne crains rien, j’ai l’habitude : c’est une critique classique qui illustre un complexe français classique. Beaucoup de contempteurs de la « Françafrique » préfèrent en rester à leurs idées toutes faites. Alors, quand il s’agit de commenter la situation en Côte d’Ivoire ou en Libye on réagit par l’émotion, on ne se soucie plus de politique. Pour Kadhafi, les choses sont simples, ce dictateur est un tel repoussoir qu’on n’instruit qu’assez rarement le procès de la France. Concernant la Côte d’Ivoire, chacun sait que Gbagbo n’est pas vraiment une sorte de Kadhafi. Alors, on attaque l’intervention par un autre biais, celui du néocolonialisme. Et puis la grille d’analyse médiatique se détermine aussi en fonction des querelles franco-françaises. De fait, le PS penchait pour Gbagbo et l’UMP pour Ouattara : voilà à quoi nous en sommes réduits en matière de politique étrangère ! Aujourd’hui toute action politique est, au mieux, définie à un horizon de cinq ans. Avec une vue aussi courte, il n’est pas étonnant que nous ayons perdu toute influence en Afrique.

Propos recueilli par Muriel Gremillet

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Pauvres froggies qui se plaignent de leurs radars… En matière de contrôle des automobilistes, le pays d’Orwell et d’Huxley fait beaucoup mieux

Figurez-vous que désormais, les policiers du comté d’Essex mettront en place des barrages routiers et des inspections surprises sur les routes pour chercher des preuves d’utilisation illicite… de tabac.

Sont « seulement » visés pour le moment les véhicules de fonction, considérés comme lieux de travail, et donc soumis aux lois à forte teneur prohibitionniste adoptées dans le pays en 2006

Et ne croyez que vous vous tirerez d’affaire en balançant votre mégot par la fenêtre dès que vous apercevrez au loin le casque d’un bobby : ceux-ci sont habilités à inspecter les cendriers et à humer l’intérieur des véhicules pour traquer et punir les hors-la-loi.

Après l’alcool, la pollution et la vitesse, voilà donc un nouveau vice en voie d’éradication de la sphère automobile. Reste à adapter en Europe les lois en vigueur dans certains états américains qui punissent les gros mots et autres doigts d’honneur au volant sous couvert de lutte contre la violence verbale routière. Une fois ce dossier purgé, la moralisation de la voie publique sera presque achevée, il ne restera plus à légiférer contre les adolescents et adolescentes de tous âges qui partagent leurs émois sur les banquettes arrière…

Revenez, Jean-François Kahn, c’est eux qui sont fous !

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photo : Hannah

Le syndrome « J’en tiens un chef ! » vient de faire une nouvelle victime en la personne de Jean-François Kahn. Au moment où j’achève ce texte, je découvre qu’il était peut-être prémonitoire. Le fondateur de Marianne aurait décidé de jeter l’éponge après le tumulte suscité, au sein de l’hebdomadaire, par une formule malheureuse, regrettée deux jours après avoir été prononcée. Il ne s’agit pas seulement d’un épisode dérisoire dans la vie du microcosme. S’il s’avérait qu’une assemblée de journalistes – dont un certain nombre lui doivent leur carrière – alliée à une brochette de féministes vindicatives, a poussé ce bagarreur impénitent à déclarer forfait, cela signifierait que la mauvaise foi et la malveillance, drapées dans les habits de la vertu prêchi-prêcheuse peuvent imposer leur loi. Bref, ce serait une très mauvaise nouvelle. Y compris pour ceux qui ne sont d’accord en rien avec Kahn. À vrai dire, je n’y crois pas.

Revenons sur les faits. Dès 9 heures le 16 mai, grâce à la magie d’internet, nul n’ignorait que, sur France Culture, le fondateur de Marianne avait employé l’expression « troussage de domestique » pour qualifier ce qui, selon Nafissatou Diallo, se serait passé dans la suite 2806 du Sofitel de New York. La planète féministe s’en pourléchait les babines, la gauchosphère triomphait : « Macho ! », clamaient les unes. « Mépris de classe », décrétaient les autres. J’avoue n’avoir pas vraiment fouillé dans les coins et recoins de la Toile mais j’imagine que, compte tenu de la nationalité de la plaignante, il s’est aussi trouvé quelques imbéciles pour affirmer avec l’assurance des commissaires politiques de toutes époques que JFK avait montré sa véritable et vilaine nature raciste[1. Extrait de l’appel publié par le Comité de soutien à Nafissatou Diallo: « Pour exprimer ma condamnation du racisme, du sexisme et de l’islamophobie, pour montrer qu’au pays des droits de l’homme, il ne suffit pas d’être milliardaire et de se dire de gauche pour avoir toujours raison et être au-dessus des lois, pour protester contre l’impunité systématique dont bénéficient en France ceux qui s’en prennent à des Africains ou à des Afro-descendants, je rejoins le comité de soutien à Nafissatou Diallo, dite « Ophélia » »].

Quand, dans la foulée, BHL et Robert Badinter sont montés au créneau, je me suis dit, comme tous mes concitoyens dont j’espionne, l’air de rien, les papotages de métro et de bistrots, que ces gens célèbres, riches et puissants, se serraient les coudes. Je persiste à penser que cette levée de boucliers a eu un effet désastreux. On fait bien du foin pour pas grand-chose, semblaient-ils penser, après tout, « il n’y a pas eu mort d’homme » – ce qui, même si les faits étaient avérés, serait incontestable… S’ils avaient voulu alimenter la rancœur de la France qui se lève tôt et prouver l’existence d’une caste de privilégiés qui non contente d’ignorer à quoi ressemble le métro, prétend jouir de l’impunité, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Pour la vox populi, la cause est entendue : les jugements de Cour ont blanchi le puissant. Comme toujours.

Pas la peine d’avoir les moyens de se payer les communicants les plus chers du monde pour commettre de telles bourdes. Ils m’auraient demandé que je leur aurais conseillé, et à l’œil, de faire simple et de dire la vérité. En l’occurrence, ces sommités ne défendaient pas seulement un type de la haute mais un ami, ce qui est infiniment plus respectable. Vous me direz que ces gens ne comptent pas beaucoup d’amis menuisiers ou chômeurs : la belle affaire. L’endogamie sociale n’est pas une découverte et perso, peu me chaut que tous ces beautiful people vivent dans un monde qui ne ressemble au mien que de très loin. De toute façon, ma bonne dame, autant d’argent, ça fait bien des soucis. S’ils avaient dit « Je connais Dominique, je sais qu’il n’est pas coupable » – ce qui revenait à accuser la plaignante d’être une fieffée menteuse – ou même « quoi qu’il ait fait, je suis dans son camp parce que c’est mon pote », on aurait compris. Après tout, que penserait-on de gens qui lâchent leurs copains quand ils sont vraiment dans le pétrin ? Pour ma part, même si on m’apporte la preuve irréfutable qu’Alain Finkielkraut a volé un i Phone à l’arraché, je ne le croirai pas.

Mais revenons à Jean-François Kahn et à son « troussage de domestiques », expression charmante au demeurant. J’avoue : je ne me suis pas privée de cette occasion de m’indigner avec bonne conscience. Et je ne jurerais pas que celle-ci n’était pas décuplée par les vacheries, parfois excessives, que mon ancien patron me balance de temps à autre. « Quel délicieux parfum d’Ancien régime, c’est bien la peine de nous chanter 1848 et de se la jouer Victor Hugo résistant à Napoléon III », ai-je pensé en ricanant intérieurement. Un zeste de générosité, voire de simple honnêteté, m’aurait incitée à réviser immédiatement ce jugement : je connais le bonhomme, il ne manque pas de défauts, mais l’arrogance de classe n’en fait pas partie – le mépris des femmes non plus.

Je ne cherche pas à infliger mes états d’âme à des lecteurs qui ne m’ont rien fait, mais à attirer leur attention sur ce qui transforme le débat public en guerre impitoyable où tous les coups sont permis, l’objectif n’étant pas de convaincre mais de laisser sur le tapis un adversaire devenu un ennemi. Qu’on pense à Alain Finkielkraut, cloué au pilori des racistes pour une blague sans conséquence quand la lecture de dix lignes d’un seul de ses livres aurait dû suffire à balayer cette accusation. Ou à Christian Jacob qui, pour une sortie bétassonne sur l’incapacité de DSK à incarner le terroir, déclencha diverses foudres dont celles de mon cher Luc Rosenzweig et de… Jean-François Kahn, lequel crut déceler dans cette phrase l’un des multiples signes de la pétainisation des esprits.

Peu importe la compréhension pourvu qu’on ait l’ivresse de la dénonciation. Il est si bon de traquer le dérapage, de répéter avec délectation la parole malheureuse, imprudente, ou ambiguë, de dénoncer le scandale et le scandaleux et surtout de dire et de redire qu’on l’avait bien dit.

Reste à comprendre pourquoi ces mauvaises mayonnaises prennent. C’est qu’au-delà de la joie mauvaise suscitée par le spectacle d’un notable se muant en délinquant et de l’euphorie du flic attrapant au collet un suspect présumé coupable, elles permettent aux innombrables procureurs des puissants déguisés en avocats des opprimés de confirmer leurs certitudes. Un certain nombre de féministes se sont donc emparées avec délectation du « troussage » et des gaffes citées plus haut, y trouvant la preuve de ce qu’elles savaient depuis longtemps, à savoir que la société française est rongée par le mal du sexisme. « Dangereux ! », « irresponsable ! », « terrifiant ! » : à l’heure où j’écris ces lignes, on ignore encore le nombre de femmes agressées par des mâles dopés au machisme kahnien.

Du viol présumé au harcèlement allégué, de la drague consentie aux offenses tolérées, des salaires minorés aux inégalités devant les taches ménagères, tout y est passé. Rien ou pas grand-chose de nouveau dans cette complainte victimaire ressassée avec l’assurance hargneuse du bon droit. Nos révolutionnaires en jupons n’ont pas dû lire Marx, qui leur aurait appris que la destruction du patriarcat était inscrite dans le déploiement du capitalisme. Passons.

Sans doute occupées à mettre sur pied une brigade des plumeaux, elles n’ont pas non plus eu le temps de lire le texte dans lequel Jean-François Kahn, qualifiant son expression « d’injustifiable », expliquait son égarement par le désarroi dans lequel l’avait plongé l’arrestation de DSK. On aurait pu tourner la page, accepter les excuses du coupable, estimer que la honte était une sanction suffisante, le condamner à évoquer les offenses faites aux femmes dans chacun de ses articles. Mais nos vengeuses ne connaissent ni le repentir ni le pardon. On ne la leur fait pas à ces spécialistes des reins et des cœurs : c’est l’inconscient qui a parlé et ton inconscient parle trop, gringo !

Les banderoles étaient prêtes, la manifestation annoncée. Alors qu’on les invitait sur tous les plateaux, elles n’allaient pas laisser passer si belle occasion de faire savoir dans quel pays horrible elles vivent. Quand on a planté ses dents dans les mollets d’une si belle proie, on ne la lâche pas pour l’ombre d’un remords. Surtout s’il est exprimé par un homme qui, si ça se trouve, ne lave même pas la vaisselle. Pour ma part, s’il faut s’en remettre à de telles avocates, je préfère être de corvée de patates toute ma vie.

Inutile de se faire des illusions, cette affaire atterrante ne sèmera pas la moindre graine de doute chez ceux (et celles) qui lynchent au nom de l’humanisme et exécutent pour la justice. Sachez-le, désormais une faute avouée ne sera jamais pardonnée. Si l’erreur est humaine, sa condamnation sans procès annonce la victoire de l’inhumanité. Puisque c’est pour notre bien.

Libérez les banques !

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À entendre nos gouvernants et les séides de la toute-puissance étatique, on pourrait presque croire que l’industrie bancaire moderne est un modèle de capitalisme sauvage échappant totalement au contrôle des États. Rien ne saurait être plus éloigné de la réalité : la banque est probablement le secteur de l’économie le plus lourdement réglementé après l’industrie nucléaire et les marchands de canons. On me pardonnera de simplifier le sujet en me concentrant sur les deux principaux instruments de contrôle dont disposent nos législateurs pour mieux tenir les banques : les « réserves obligatoires » et les « ratios prudentiels » de Bâle.[access capability= »lire_inedits »]

Le métier d’une banque consiste à emprunter de l’argent à court terme – principalement votre argent quand vous le déposez sur votre compte – pour le prêter à long terme. Ce faisant, la banque prend deux risques : le premier, c’est que vous veniez retirer votre argent alors qu’elle l’a prêté à un autre client – le « risque de liquidité » – et le second, c’est que cet autre client se révèle incapable de rembourser son crédit – le « risque de crédit ». Comme vous l’avez certainement observé, la banque prête à un taux d’intérêt plus élevé que celui auquel elle rémunère vos dépôts ; cet écart de taux constitue la rémunération des risques qu’elle prend et, si tout se passe bien, la source de ses profits.

Du pastis, de l’eau et la politique monétaire

Dans un monde de « fiat monnaie », le monopole légal de la création monétaire est confié à une institution publique qu’on appelle une « banque centrale ». Seule cette dernière a le droit d’imprimer des billets de banque qu’elle crée comme bon lui semble à un coût pratiquement nul. Une analogie utile, pour comprendre le processus de création monétaire, est celle de l’eau et du pastis. Le pastis, c’est la masse des billets de banque – la « monnaie centrale » ou « base monétaire »[1. En réalité, je simplifie : la base monétaire (M0) est aussi composée des réserves des banques commerciales auprès de la banque centrale] − qui est créée de manière purement discrétionnaire par la banque centrale. Lorsqu’une banque reçoit de la monnaie centrale sur le compte d’un de ses clients, elle va – comme nous l’avons vu plus haut – prêter cet argent à ses clients à la recherche de financement. Ce faisant, elle crée à son tour de la monnaie puisqu’au dépôt initial de monnaie centrale (le pastis) vient s’ajouter le montant du prêt qu’elle a accordé (de l’eau). La limite naturelle de cet exercice, c’est le risque de liquidité : la banque doit être capable à chaque instant de faire face aux demandes de retraits de ses déposants et va donc garder en réserve une fraction des dépôts qu’elle a reçus. Si toutes les banques appliquaient, par exemple, un ratio de réserve de 10 % (elles prêtent 90 % des dépôts qu’elles reçoivent et gardent le solde en réserve), une injection de 100 euros de monnaie centrale par la BCE se traduira – au maximum – par une création monétaire totale de 1 000 euros[2. La banque qui reçoit le dépôt de monnaie centrale crée 90 euros sous forme de prêts, les banques qui reçoivent à leur tour ces 90 euros créent 81 euros et ainsi de suite]. C’est ce qu’on appelle le « multiplicateur monétaire » ; dans notre analogie, cette somme de 1 000 euros correspond à la quantité maximale de pastis dilué (de monnaie) créée par l’injection initiale de pastis pur.

C’est ici qu’interviennent les « réserves obligatoires » : le législateur a estimé nécessaire de réguler le montant des réserves – aux Etats-Unis, il est de 10 %, tandis que la BCE n’impose que 2 % de réserves obligatoires. En d’autres termes, la banque centrale contrôle la quantité de pastis et la dilution maximale autorisée aux banques. Comme les banques ont tout intérêt – du moins dans des conditions économiques normales – à prêter le plus possible, la banque centrale contrôle de fait le volume de crédits accordé par les banques.
Dans la pratique, les banques centrales ont décidé de remplacer le contrôle de la quantité de crédit – la « masse monétaire » – par un pilotage du taux auquel les banques se financent[3. Le taux du marché interbancaire, c’est-à-dire le taux moyen auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles]. Quand la banque centrale, pour une raison ou une autre, souhaite faire en sorte que les banques prêtent plus, elle fait baisser ce taux et, inversement, si elle souhaite restreindre la quantité de crédit, elle le fait remonter. C’est ce qu’on appelle la « politique monétaire ». Aussi incroyable que ça puisse paraître, les banques centrales pilotent donc la quantité totale de crédits accordés par le système bancaire.

Ratios prudentiels et conséquences inattendues

Le contrôle de la quantité de crédits accordés par les banques ne permet pas de contrôler la qualité de ces crédits : une banque peut – si elle a des tendances suicidaires – prêter de l’argent à des emprunteurs insolvables et risquer de se mettre elle-même en faillite. Comme nous vivons dans un monde où ce risque n’est effectivement pas négligeable, le législateur – en l’occurrence le Comité de Bâle[4. Le Comité de Bâle de supervision bancaire est composé des dirigeants des banques centrales du « G10 »] – a également mis en place des « ratios prudentiels » qui limitent la quantité de prêts que chaque banque peut accorder en fonction du risque de crédit que présentent – d’après les critères de la réglementation – les emprunteurs. Le premier ratio prudentiel – le « ratio Cooke » – est né en 1988 et a été imposé par voie légale dans la plupart des pays de l’OCDE à partir de 1992. Il impose aux banques de maintenir le niveau de leurs fonds propres (l’argent des actionnaires) à au moins 8 % de celui de leurs « actifs pondérés des risques » (APRs) de telle sorte qu’elles soient toujours en mesure de rembourser leurs clients si un grand nombre d’emprunteurs devaient se révéler insolvables. La pondération dépend de la qualité de l’emprunteur : s’il s’agit de l’État allemand, le risque est considéré comme nul et la créance correspondante n’entraîne aucune obligation en termes de fonds propres. Pour une entreprise considérée comme solide, on appliquera un taux de 50 % : une créance de 100 euros augmentera les APRs de la banque de 50 euros. En revanche, si l’emprunteur est une entreprise moins solide, le taux peut être de 100 % : lui prêter 100 euros augmente les APRs de 100 euros, ce qui lui « coûte » 8 euros de fonds propres.

Seulement, qui juge de la solidité financière des entreprises ? Eh bien, ce sont les fameuses « agences de notation » ; Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch et quelques autres ont reçu de nos États des statuts particuliers qui confèrent à leur note une valeur réglementaire. Ainsi le législateur a-t-il, en les institutionnalisant, donné à ces agences un pouvoir absolument gigantesque qui n’a rien à voir avec la qualité de leurs prédictions. C’est d’ailleurs au moment où les ratios prudentiels ont été mis en place que les agences ont cessé de se faire payer par les investisseurs pour facturer aux emprunteurs les notes qu’ils leur mettaient – et qui, potentiellement, pouvaient limiter leur accès au crédit ou renchérir son coût. C’est pour cette raison que la baisse d’une note a de tels effets sur les marchés : les investisseurs ne vendent pas parce qu’ils font confiance aux agences mais parce que leur règlementation le leur impose. C’est la douce ironie de ce monde : les politiques se plaignent du pouvoir des agences de notation alors que c’est eux qui le leur ont donné.

Les ratios prudentiels ont eu une autre conséquence, c’est qu’ils ont créé un déséquilibre arbitraire en faveur des dettes publiques (du moins pour les États « bien notés ») et des crédits immobiliers et en défaveur des entreprises. Par exemple, prêter 100 euros à un particulier dans le cadre d’un crédit immobilier « consomme » 2,8 euros de fonds propres tandis que prêter la même somme à une entreprise notée A coûte à la banque 4 euros de fonds propres. L’objectif d’une banque étant de maximiser la rentabilité de ses fonds propres, que s’est-il passé, selon vous ? Les banques ont cessé de prêter aux entreprises et ont privilégié les crédits immobiliers : en 1988, les crédits industriels et commerciaux représentaient 25,3 % de l’ensemble des crédits accordés par le système bancaire états-unien contre 26,9 % pour les crédits immobiliers. En 2010, ces proportions sont passées respectivement à 13,6 % et 40,6 %. Le phénomène porte même un nom : la « désintermédiation financière ». Les banques ont tout fait pour que les entreprises se financent directement sur les marchés en émettant des obligations ou, quand c’était impossible, ont massivement revendu les créances des entreprises sur les mêmes marchés. Et bien sûr, vous entendez tous les jours nos politiques couiner en cœur que les banques ne financent pas suffisamment les entreprises…

Comme d’habitude, nos politiciens ont une réponse toute faite aux échecs et effets indésirables de leurs réglementations : encore plus de réglementations. À ceux qui se demandent par quoi il faudrait remplacer la règlementation bancaire existante, je répondrai ceci : s’il y avait le feu dans votre maison, par quoi le remplaceriez-vous ?[/access]

DSK : Tous les viols sont-ils égaux en droit ?

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Hélas pour lui, DSK n’est pas britannique. Sinon il aurait pu tenter une stratégie de défense inspirée des propos du secrétaire d’Etat à la Justice Ken Clarke, qui vient de déclarer à la BBC « que certains viols étaient plus graves que d’autres » et a proposé de diviser certaines peines par deux. Malgré le tollé immédiat, l’afflux de demandes de démission et l’atmosphère ambiante peu favorable aux « hommes vigoureux » (selon la formule de Christine Boutin qui s’y connaît en indulgences), Clarke a pour l’instant courageusement refusé de s’excuser.

On attend désormais de la part de ce ministre britannique imaginatif une typologie illustrée pour violeur putatif permettant de savoir jusqu’où aller trop loin. Michel Rocard avait ouvert la voie de cette saine codification en affirmant que sucer n’était pas tromper. Et pourquoi pas, au bout du compte, une manière de permis à point ?

La fellation imposée à une bonniche guinéenne pourrait alors devenir l’équivalent d’un simple stationnement gênant tandis que la pénétration d’une mineure pourrait être considérée comme un excès de vitesse susceptible d’une confiscation immédiate de l’objet du délit. Voilà une solution rationnelle qui permettrait de préserver la dignité de la femme mais aussi celle, trop souvent oubliée, du violeur qui après tout est un homme comme les autres.

Quand la réalité dépasse l’affliction

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À l’origine, les producteurs de la Conquête étaient venus trouver Patrick Rotman pour lui proposer d’écrire un scénario de politique-fiction sur la mort de Nicolas Sarkozy peu après son élection. « Pourquoi s’embêter à inventer ? La réalité dépasse si souvent la fiction ! », leur a répondu en substance l’auteur de François Mitterrand ou le roman du pouvoir, qui a souvent regretté, en tournant ses documentaires politiques, de ne pouvoir faire incarner les scènes truculentes qu’il faisait raconter à des témoins par des acteurs de cinéma. À voir le tableau qu’il a brossé de l’irrésistible ascension de Nicolas Sarkozy vers l’Élysée, il semble surtout que la réalité dépasse l’affliction.

« Bien que les personnages en soient réels, ce film est une œuvre de fiction », est-on averti au début du récit de Xavier Durringer. C’est en réalité le première phrase-gag de ce film qui n’en manque pas. Car quiconque suit d’un peu près l’actualité politique reconnaîtra mainte réplique déjà croisée dans l’article de tel ou tel échotier, dans telle ou telle confidence de politicien soigneusement confiée en “off”. Dominique de Villepin (Samuel Labarthe) en con grandiloquent et infatigable ambassadeur de sa propre virilité, filant les métaphores sexuelles comme d’autres enfilent les perles (« Les hommes politiques sont des bêtes sexuelles », assène en passant Nicolas Sarkozy), Chirac (Bernard Le Coq) en tigre assoupi, balançant des coups de griffe entre deux lampées de Corona, Jean-Louis Debré (Gérard Chaillou) en pousse-au-crime débonnaire, Henri Guaino (Michel Bompoil) en scribe laborieux, tout grisé de voir son lyrisme enfin incarné, Claude Guéant (Hippolyte Girardot) en crocodile madré qui savoure en connaisseur tous les coups bas qui se perpètrent devant ses yeux impassibles, tous sont plus vrais que nature. À commencer bien sûr par Nicolas Sarkozy (Denis Podalydès, prodigieux) en petit garçon insatiable et impatient, égocentrique et capricieux, tyrannique et assoiffé d’affection, totalement dénué de surmoi l’empêchant de dévoiler ses arrière-pensées, et qui a fait de ce défaut la plus terrifiante des armes de destruction massive politique.

La différence est que ces acteurs de la commedia dell’arte du pouvoir, qui apparaissent d’habitude sur nos petits écrans bien peignés et policés, la bouche ronflante de grandes phrases sur la France, l’intérêt général et la survie de la planète, ici ne font plus semblant et nous livrent le fond de leur pensée sans fard ni dissimulation. Et le spectacle n’est pas beau à voir : le fond de ces pauvres hères effraie. De Sarko disant à ses conseillers de la Firme : « Cécilia m’a demandé vos têtes, je vais lui donner vos couilles » ou assénant à un Villepin qui n’en croit pas ses oreilles « Chirac est fini, moi je reste seul et je suis libre. Et vous, Dominique, vous êtes mort ! », à Villepin pestant : « Ce nain va nous faire une France à sa taille », ou « Je vais le baiser, et avec du gravier encore », nous voilà assez loin de la langue de bois d’usage…

L’ensemble, assez mal construit, filmé plutôt platement et manquant d’un point de vue qui ordonnerait le propos, pourrait paraître assez anecdotique, plus croustillant que pertinent. Sauf qu’on s’aperçoit assez vite qu’il manque un personnage au film, pas un comparse comme Brice Hortefeux ou Patrick Buisson, mais un personnage principal : ce grand absent de La Conquête, c’est la France, dont tous ces beaux messieurs se moquent comme de leur première carte d’électeur, tout occupés qu’ils sont à glisser des peaux de banane sous les pieds de leurs ennemis et à élaborer les chausse-trappes qui devront être fatales à leurs alliés d’hier. Quand par hasard on trouve le temps de réfléchir aux thèmes de campagne, ce n’est pas pour défendre des idées auxquelles on croirait, c’est pour pomper les voix du Front national : « Je ne dis jamais du mal des électeurs du Front national, dit Sarkozy-Podalydès. Je dis que ce sont des victimes. Des victimes de quoi ? je ne sais pas, mais des victimes. » Le grand mérite du quinquennat de Sarkozy aura été de lever définitivement cette hypocrisie, aux yeux des derniers naïfs qui y croyaient encore, selon laquelle les politiques d’aujourd’hui seraient là pour servir le bien commun, quand leur cortex n’est plus qu’un gigantesque plan de carrière.

Sarkozy, lui, en assumant totalement son propre arrivisme, agit comme un révélateur des turpitudes des autres ; en cela, il n’est pas différent de ses compétiteurs, seulement plus franc : « Ça fait trente ans que je me prépare, dit-il à Villepin ; pour me déloger, il faudra y aller à l’arme blanche. » En un sens, la Conquête n’est ni de droite ni de gauche : c’est un film monarchiste… La politique réduite à un misérable choc des ambitions, à une dérisoire conjuration des égos : pour le coup, c’est un autre avertissement qu’il aurait fallu inscrire en exergue du film : « Toute ressemblance avec une œuvre de fiction serait purement fortuite. »

Ronald McDonald, ce bouffon à cause de qui nous malbouffons

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Ronald, vous voyez, la mascotte clownesque du King of Hamburger McDonald ? Eh bien c’est un très méchant bouffon, ce Ronald ! À cause de lui, les petits zenfants deviennent obèses !

C’est en tout cas ce qui ressort d’une demande très officielle de médecins américains qui souhaitent voir disparaître ce coupable désigné d’un véritable fléau outre-Atlantique, demande largement relayée par tous les journaux du pays.

Composée de plus de 550 groupes et professionnels de la santé, l’organisation Corporate Accountability International a fait publier une pleine page d’annonces dans six grands quotidiens américains pour que cesse la publicité pour cette sorte de nourriture auprès des enfants et pour que son héraut à salopette jaune soit mis à la retraite d’office. L’annonce était ainsi titrée : « Ordre des médecins: arrêtez la publicité de la malbouffe destinée aux enfants ! »

Pauvres de nous, obligés de traîner les enfants dans ces fast-foods diaboliques, forcés de farcir leur progéniture de hamburgers saturés en lipides, hydrates de carbone, mauvais cholestérol et autres reliquats de fritures.

Qui délivrera nos tempes du revolver sur tenu par Ronald le criminel qui, contrairement à DSK quand il était encore au FMI, n’affame pas les peuples, mais les rend bedonnants.

DSK adore les pipes !

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photo : la Banque mondiale

À l’heure où la municipalité de New York vient d’interdire l’usage du tabac dans les parcs publics et où l’agence Reuters nous apprend que depuis ce lundi, les Newyorkais ne pourront plus fumer ailleurs que « sur les trottoirs, dans les parkings et chez eux – à condition que leur propriétaire soit d’accord », nous sommes en mesure de dénoncer un délinquant potentiel, qui aura beaucoup de mal à respecter cette nouvelle loi et qui même, il faut le dire, risque à tout moment de la violer.

Que nous apprenait, en effet, une brève publiée le 16 mars dernier par nos confrères de l’excellent site spécialisé Pipe Gazette Le mieux est de la citer dans son intégralité:

«La prochaine campagne présidentielle en France verra-t-elle s’engager un célèbre fumeur de pipe? Dominique Strauss-Kahn est un amateur de bouffarde, même si on le représente souvent fumant le cigare. L’un n’empêche pas l’autre. DSK avait d’ailleurs été nommé « Premier fumeur » de l’année 1999 par la Confrérie de Saint-Claude, mais avait dû renoncer à recevoir le titre. Il était en effet, à cette époque, cité dans des affaires judiciaires pour lesquelles il a ensuite bénéficié d’un non-lieu.

Lors de son départ pour le FMI en 2007, ses proches collaborateurs lui avaient d’ailleurs offert une pipe.» On notera au passage que ses « proches collaborateurs » savaient et qu’ils n’ont rien dit à personne, c’est du propre. Vous vous imaginez vous retrouvant seul(e) avec DSK dans un ascenseur et de courir le risque qu’il soit pris d’une envie soudaine de pipe?

Mais ce n’est pas tout : les révélations de Pipe Gazette sont accompagnées de deux photos déjà publiées en mars 2009 sur le site du magazine Gala. Certes on pourrait penser que la première d’entre elle est équivoque puisqu’on n’y voit pas le coupable présumé commettre directement le forfait allégué:

Mais le second cliché, pris aux Universités d’été du PS à La Rochelle, lui, est accablant. Non seulement la commission des faits est patente, mais tout cela se passe devant témoins, et quels témoins!

Passe encore pour Pierre Moscovici, grand fumeur lui aussi, donc logiquement complice. Mais après la republication de cette photo, comment François Hollande osera-t-il encore se présenter aux Français comme un présidentiable «normal»?

Une photo vaut mieux qu’un long discours, fut-il imaginé par Ramzy Khiroun, rédigé par Benjamin Brafman ou prononcé par Anne Sinclair. La vérité, la seule, c’est que DSK est forcément coupable puisqu’il n’y a pas de fumée sans feu!

Les « working class heroes » sont fatigués

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Trainspotting, image : kinopoisk.ru

Dans l’inconscient collectif, le prolétaire anglais occupe une place à part. On peut disserter à l’infini sur l’acte de naissance du prolétariat moderne : Marx et Engels sont morts à Londres, et nulle part la « culture ouvriériste » et la solidarité communautaire n’ont été autant exaltées, érigées en art de vivre majeur, que sur les bords de la Tamise.

La working class y était pluvieuse, nerveuse et teigneuse, fière de sa sale gueule, de ses cernes, de ses chicots, de son accent à couper au couteau cranté, de ses rots bien mousseux et de sa bière chaude qui tâchait un peu et s’évacuait beaucoup. Ses gosses avaient le front buté et des voix de rogomme, ils inventaient le football, sport prolétaire par excellence, mais aussi le pub et la pop. Elle avait une poésie bien à elle, où la chaleur d’un mug de thé se conjuguait à l’amertume d’une pinte de bitter, l’esthétique du jeu de jambes de Best et la ferveur des stades à la douceur amniotique d’un canal déserté.[access capability= »lire_inedits »]

« I met my love by the gas works wall
Dreamed a dream by the old canal
Kissed a girl by the factory wall
Dirty old town, dirty old town

Viennent les années 1970 et 1980 : le prolo anglais ne reconnaît plus rien, ni ses vieux clubs ni ses fils promis au chômage de longue durée, shootés aux jeux électroniques et autres niaiseries générationnelles, dégaine de dernier de la classe au fond à gauche. Déprimant dans son job de grouillot −quand il en a un − entre frustration, ennui, bandes, bastons en discothèque, école-impasse et méfiance vis-à-vis de tous les pouvoirs, il résiste mal au kärcher thatchérien qui laisse crever de faim les Irlandais dans leurs prisons, réduit à la misère des centaines de milliers de nouveaux chômeurs et expédie les survivants se faire trouer la peau sur un archipel de cailloux glacés âprement disputé à l’Argentine.

De nouveaux rebelles prolos au crâne tondu apparaissent, des skinheads un peu à la ramasse mais pas bien méchants et encore moins racistes. Ils écoutent du reggae et du ska, s’inventent un logo en forme de damier noir et blanc, fument de l’herbe avec des Jamaïcains et font les zouaves dans des usines désaffectées, seuls terrains de jeux accessibles, tout en échappant à la police sur fond de contestation, de sexe et de foot. Leurs bandes sont multiculturelles et multiethniques dans un contexte d’alliance tacite des victimes de la crise qui n’en finit pas. Ils revendiquent haut et fort leur appartenance à la classe ouvrière et se battent pour son émancipation dans un monde où règne l’injustice et la violence sociale, quand les bébés bourgeois se complaisent dans les facéties d’une jeunesse dorée en mal de sensations fortes, les délires mystico-psychédéliques, fantasmes de paix et spiritualité de pacotille.

Confrontée à la mouise du réel et au dissolvant douceâtre du blairisme, l’Angleterre prolo qui rame dans sa banlieue exsangue sous un ciel gris et sans avenir a le visage du désespoir. Face cachée et honteuse d’un pays qui se perd, la classe ouvrière britannique n’existe plus, le prolétaire a vécu et Ken Loach est son prophète. Cette Angleterre-là a le regard noir comme la suie et les poings fatigués à force de cogner les murs d’enceinte de ses usines délocalisées.

La violence sociale et physique est omniprésente, mais elle n’a pas encore sa sinistre coloration d’extrême droite. Cela va changer. Dans les années 2000, l’ennemi n’est plus Maggie l’antisociale, mais l’épicier pakistanais venu piquer le travail des bons Anglais. Les alliés naturels du prolo ne sont plus les Antillais qui partageaient sa misère mais les militants du National Front, voire de l’English Defence League. Par-dessus son blouson, le prolo s’est enroulé dans un drapeau frappé de la croix de saint Georges. Les plus paumés des miséreux sont tombés dans le piège du nationalisme, perdant leur honneur en croyant le retrouver, à l’image de leurs clubs de foot bien-aimés devenus des entreprises cotées en bourse dont les abonnements à l’année se vendent aux tarifs de ceux de l’opéra. Le plus emblématique de tous, Manchester United, où brillait le King Éric, s’est donné à des mafieux russes ou à des businessmen obscènes qui font leur beurre sur le délabrement social, le chauvinisme débile et le hooliganisme. Vaincus par la prohibition du tabac et la hausse de la pinte, les pubs ferment.

Que sont les Angry young men devenus ? Où sont Alan Sillitoe, John Bailey, Irvine Welsh ? La pop acerbe des Kinks et des Smiths ? Où a disparu la Dirty old town d’Ewann Mac Coll, celle qui collait encore au cœur et au corps, à la recherche du prolo perdu ? Il faudra plus qu’une jolie princesse fraîchement mariée, même arrière-petite-fille de mineurs gallois, pour les ressusciter.[/access]

Pass contraception, le retour

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François Taillandier, Cyril Bennasar et Jacques de Guillebon, par ordre d’apparition à l’écran, nous ont entretenus de leurs opinions croisées sur le fameux « pass-contraception ».

Faisant, chacun, preuve d’une virile argumentation et d’une mâle détermination à faire valoir leurs points de vue. Divergents certes, voire carrément inconciliables, mais avec un point commun de taille : tous trois nous expliquent qu’ils sont guidés, dans leurs plaidoiries, par un amour immodéré, sinon d’une femme, du moins de LA femme.

Tant mieux.

Nous aurons donc pu découvrir les diverses opinions qui vont de la crainte d’une appropriation par l’état de la sexualité des jeunes filles à l’apologie de la chrétienté émancipant la femme en passant par le procès de cette même chrétienté priée de se garder à gauche comme à droite, comme Jean le Bon à Poitiers.

De mieux en mieux, on aurait pu craindre que le débat ne parte, disons, en couilles.

Il en ressort, Mesdames, que nos amis les hommes, ronfleurs ou insomniaques, n’ont toujours pas renoncé à leur ancestrale prérogative : contrôler ce qui se passe dans nos strings.

Je propose donc que nous continuions de faire comme nous le faisons depuis 2 000 ans : nous agissons comme nous l’entendons et laissons croire à ces messieurs qu’ils ont quelque chose à dire sur cette intéressante question.

De la duègne à la salope, ils auront tout pour le même prix !