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Les aventures de Dany

Le dessinateur de BD belge Dany voit l’album de Spirou qu’il a dessiné être retiré des ventes, et sa venue à un festival à Angers annulée. En cause, une polémique autour de dessins jugés racistes. En réalité, tous les personnages, Noirs, Blancs, Asiatiques, hommes ou femmes, sont caricaturés, selon les codes, peut-être dépassés, de la BD d’humour.


À l’instar de La Merveilleuse Odyssée d’Olivier Rameau et de Colombe Tiredaile, les actuelles aventures du dessinateur de BD Dany comportent plusieurs épisodes.

Indignation générale pour des dessins de Noirs jugés caricaturaux

Il y a quelques jours, on apprenait que le Conseil d’Administration des éditions Dupuis, réuni de manière partielle (partiale ?), retirait de la vente l’album de Dany, La gorgone bleue, suite à des éructations[1] sur les réseaux sociaux. S’agitant comme un diable dans un bénitier à la vue de personnages afro-américains caricaturés, comme tous les autres personnages, d’ailleurs, ou de jeunes héroïnes un peu trop sexy, un utilisateur de Facebook exigeait un autodafé, sans prononcer ce mot qu’il ne connait probablement pas. Effet d’aubaine ? C’est très possible. En effet, n’importe quel lecteur, même peu attentif, du journal de Spirou, aura été frappé par sa profonde modification, tant graphique que scénaristique, et sa nouvelle tournure résolument woke, sauce antiraciste, LGBTQ+, altermondialiste, écolo, j’en passe et des plus tartes.

La presse s’est emparée de l’affaire avec une prude indignation à défaut de rigueur. On a ainsi pu lire des énormités du genre « Le dessinateur Dany s’est fait connaître à partir des années 1960 pour sa série de bandes dessinées érotiques « Ça vous intéresse ? » »[2], série qui est en réalité sortie en 1990, ou encore qu’un journaliste serait allé interviewer Dany « dans son atelier bruxellois »[3], alors que cela fait 50 ans que Dany a quitté Bruxelles !

La réaction des lecteurs ne se fit pas attendre et La gorgone bleue est à présent épuisé après être devenu la meilleure vente sur Amazon ! C’est qu’il existe un fossé gigantesque entre l’élite autoproclamée du milieu de l’édition et son lectorat. On peut d’ailleurs s’étonner que cette même élite éditoriale ait couronné en 2022 du Grand Prix d’Angoulême l’auteur (ni auteure, ni autrice, ni autres singeries…) Julie Doucet, créatrice du fanzine Dirty Plotte, expression qu’elle traduit par « vagin dégueulasse ». Un vagin dégueulasse, c’est conforme aux codes de la nouvelle doxa, tandis qu’une jeune fille en mini-jupe, comme Dany les dessine si bien, c’est bien sûr inadmissible !

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Mais n’assiste-t-on pas là à une simple « querelle des Anciens et des Modernes » ? Les codes de l’art n’ont-ils pas toujours changé ? Après tout, nous ne peignons plus comme à Lascaux et notre musique ne se réduit plus à quelques percussions hasardeuses. Il semble cependant que la vague wokiste n’a pas pour simple intention de faire évoluer la littérature ou le graphisme, ce qui serait une chose saine, constructive et créative, mais plutôt de détruire ce qui l’a précédé, d’effacer toute trace du passé et d’invisibiliser les auteurs héritiers de Morris ou de Franquin.

Fin du premier épisode

Car l’histoire ne s’arrête pas là.

Les organisateurs du festival de BD d’Angers ont décidé samedi 2 novembre d’annuler la venue de Dany prévue les 7 et 8 décembre prochains. L’immense Dany en était pourtant l’invité d’honneur et c’est lui qui en avait réalisé l’affiche. Cette affiche sera-t-elle maintenue ? Auteurs et public boycotteront-ils l’événement ? La question mérite d’être posée et seul l’avenir nous livrera les prochains rebondissements de « La Merveilleuse Odyssée des wokistes au pays de la BD ».

Mais on peut déjà se pencher sur le profil du président du festival de BD d’Angers. Ce fringant trentenaire, Jean Esnault, est titulaire d’un master en environnement et développement durable, et nous l’en félicitons. De son propre aveu, il a fait de sa passion pour l’environnement son métier. D’ailleurs il recycle des cagettes de pommes pour en faire des jardinières sur les bords de Loire, en s’appuyant sur l’Etat (établissement et services d’aide par le travail), c’est-à-dire les contribuables[4]. Certes, la transformation des cagettes de pommes en jardinières est une activité louable, mais fait-elle de vous l’arbitre des élégances en matière de BD ? Ou faut-il y voir une nouvelle « convergence des luttes » entre les « passionnés de l’environnement et des cagettes de pommes » et les forcenés de la littérature politiquement correcte, si bien décrits par Patrice Jean, dans L’homme surnuméraire ?


[1] https://www.facebook.com/reel/1746080632816207

[2] France 3

[3] Paris Match

[4] https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/comment-le-president-du-festival-angers-bd-est-devenu-un-farouche-defenseur-de-lenvironnement-dac42260-950d-11ee-a573-

Le Mali sombre un peu plus dans l’homophobie

Le Mali a décidé de renforcer son arsenal juridique contre toutes activités LGBTQIA+ dans le pays, estimant que cela est incompatible avec les valeurs traditionnelles africaines.


C’est un vote qui s’est perdu dans le feu brûlant de l’actualité. Le 31 octobre, la République du Mali a décidé de durcir son appareil pénal envers la communauté LGBTQI+ en interdisant toutes activités homosexuelles dans ce pays du Sahel. Le vote des membres du Conseil National de Transition (CNT) a été unanime sur le sujet. « Toute personne s’adonnant à cette pratique, en faisant sa promotion ou son apologie, sera poursuivie », a déclaré le ministre de la Justice à l’issue de ce scrutin.

Inch’Allah

C’est à Mamadou Kassogue que l’on doit cette initiative. Ancien procureur, il a été nommé par la junte au pouvoir comme garde des Sceaux. Depuis deux ans, il a fait de la répression contre les activités militantes des homosexuels un véritable cheval de bataille. « L’homosexualité est une relation contre-nature. Il n’y avait pas de sanctions précises (pour la condamner – ndlr). Nous allons prendre des lois pour l’interdire dans notre pays », avait déclaré à la presse le bouillant ministre, peu de temps avant le dépôt du projet de loi. C’est désormais chose faite. Interrogé, le ministre de la Justice s’est réjoui de cette décision qui doit encore être contresignée par le tout fraîchement nommé général cinq étoiles Assimi Goïta, auteur d’un putsch en septembre 2020.

Dans un pays où le poids de la religion musulmane est important, aucun doute à avoir pour Mamadou Kassogue sur la légalité de cette loi. « Le Mali est un pays avec des valeurs profondes et enracinées dans la culture africaine. Cette législation est une réponse à une demande sociale pour préserver notre identité », a justifié le ministre.  « Nous n’accepterons pas que nos coutumes et nos valeurs soient violées par des personnes venues d’ailleurs. Ce texte sera appliqué, inch’Allah », a ajouté encore le ministre. Il a d’ailleurs rappelé que cette loi était conforme à la nouvelle Constitution de 2023 qui stipule dans son chapitre 1, article 9, que la seule forme de mariage reconnue et autorisée reste « l’union entre un homme et une femme ».

Mamadou Camara, pas un pédé !

Cette loi est votée alors qu’une autre affaire avait secoué le football français en mai dernier. Joueur à l’AS Monaco, le milieu de terrain malien Mamadou Camara avait refusé d’afficher le logo contre l’homophobie floqué sur son maillot, en le cachant avec du scotch, marquant ainsi sa désapprobation de la campagne de lutte contre les discriminations initiée par la Ligue de Football Professionnel (LFP). Une action condamnée en France mais qui a recueilli un large soutien dans son pays d’origine, félicitée publiquement par Hamidou Doumbia, leader du parti politique Yéléma, des stars de la chanson et des influenceurs locaux.

Par le passé, le Mali s’est d’ailleurs distingué par plusieurs chasses aux « homos et lesbiennes » dans diverses villes du pays, dégénérant parfois en incidents violents. Frappé par une vague inédite de conservatisme sur les questions d’identité sexuelle, une majorité de pays africains ont récemment renforcé leur arsenal juridique contre les organisations LGBTQAI+.

Bien que l’on retrouve évidemment des coutumes homosexuelles dans certaines ethnies d’Afrique noire, divers ténors politiques africains ont pointé du doigt ces dernières années une Europe accusée d’importer une sexualité qui serait étrangère au continent originel de l’Homme…

Français et Algériens: séparés par un passé commun

Les relations franco-algériennes n’en finissent pas de ressembler à un concours de mauvaise foi, de mauvaise conscience et de mauvaise grâce. Plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps qu’Alger et Paris fassent enfin (et vraiment) la paix.


Les nations ne peuvent pas s’allonger sur un divan. Et c’est fâcheux car les névroses collectives existent. Entre les pays aussi, il y a des histoires qui finissent mal, des guerres qu’on n’arrive pas à terminer, des fantômes qui rôdent. Beaucoup d’Algériens diront qu’entre la France et l’Algérie, ça avait mal commencé. C’est aussi ce que devaient penser, sur la rive nord de la Méditerranée, les victimes des razzias barbaresques. Mais on n’est pas là pour se jeter des crimes à la figure. Maintenant que chacun est chez soi, vivons en paix ! Problème : si le divorce a été signé en bonne et due forme il y a plus de soixante ans, nous avons raté la séparation de corps et d’esprit. D’où la succession de chamailleries, récriminations et portes qui claquent. « Notre relation avec l’Algérie est surdéterminée par des considérations psychiatriques », remarque un diplomate. Pour la France, l’Algérie est quasiment une question intérieure et vice-versa. Il est temps que notre ancienne colonie devienne indépendante. Pour elle comme pour nous.

Relation à tendance sado-maso

Cependant, dans la relation imaginaire qui a supplanté ou revisité la vérité historique, nous sommes loin d’être à égalité. Il y a un coupable et une victime. Pour les dirigeants algériens, la France est responsable de tout ce qui ne va pas chez eux et la liste est longue. Après des décennies de matraquage, une partie des générations arabisées a fini par le croire, même si l’historien Benjamin Stora veut croire que, derrière la haine ou l’indifférence des jeunes Algériens pour l’ancienne métropole, l’amour demeure. Lui-même demeure habité par son enfance juive à Constantine : « Il y a de l’amertume, des ressentiments, mais aussi de la nostalgie heureuse pour ce pays magnifique. » Cependant, dans le récit officiel algérien, l’action française n’est qu’une litanie de crimes, de la conquête en 1830, qualifiée de génocide, à la guerre d’indépendance, fantasmée comme une victoire de David contre Goliath, en gommant évidemment les épisodes douloureux tels que l’écrasement des messalistes ou la prise du pouvoir par l’Armée des frontières. Rien ne doit ternir la légende dorée d’un FLN seul vainqueur du redoutable envahisseur.

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Or, une partie notable des élites françaises a intégré ce narratif en noir et noir. Selon celui-ci, nous n’avons commis là-bas que des crimes et, loin d’avoir payé notre dette en accueillant sur notre sol et dans la communauté nationale des millions de descendants d’Arabes d’Algérie (quand les pieds-noirs sont partis dans les conditions que l’on sait), nous avons persévéré dans le mal, le racisme succédant au colonialisme. Cette propension à l’autoflagellation culmine avec la déclaration d’Emmanuel Macron assimilant la colonisation (qui n’a certes pas été une promenade de santé) au crime contre l’humanité. Bugeaud-SS ! Certes, le même, quelques années plus tard, fustigera la rente mémorielle, comme un type qui donnerait des coups de pied dans le juke-box où il n’a cessé de glisser des pièces. Mais au-delà de ses errements personnels, le président endosse l’héritage idéologique de la gauche française. Dans les années 1960, elle s’est refondée dans le soutien au FLN. Le combat anticolonial a été son totem de Résistance. L’ennui, c’est qu’il n’a pas accouché du paradis socialiste promis, mais d’une dictature militaire kleptomane qui a réussi à conduire à la faillite ce pays de cocagne. Avoir contribué à ce gâchis olympique, il y a de quoi avoir des remords. Aussi la gauche en a-t-elle rajouté dans l’antiracisme pénitentiel, conférant aux immigrés le statut de victimes éternelles et irréprochables, ce qui les a enkystés dans la plainte. Ainsi sommes-nous tous pris dans une relation à tendance sado-maso – « J’ai été très méchant, punis-moi ». Dans une alcôve cela peut avoir son charme, entre peuples, c’est mortifère.

Il est temps pour les Algériens d’aller consulter !

Emmanuel Macron a pensé que l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune, en 2019, serait l’occasion de réinitialiser la relation franco-algérienne. « Ça avait du sens d’essayer, poursuit le diplomate. L’Algérie comme Israël sont des questions intérieures pour nous. De plus Tebboune n’est pas foncièrement antifrançais. Et justement, il fait de la surenchère pour ne pas être accusé de francophilie. » Comme l’observe dans notre dossier du mois un autre témoin privilégié de la relation entre les deux pays, l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt, inlassable avocat d’une normalisation, aux gestes d’apaisement et autres câlins mémoriels multipliés par Paris, Alger a répondu par des rebuffades et fins de non-recevoir. Quant à la commission d’historiens chargée d’établir un récit commun, sous la houlette de Benjamin Stora, elle ne pouvait que capoter, les historiens algériens n’ayant pas la liberté de s’écarter du discours mémoriel officiel. Ses membres se sont néanmoins sentis légèrement trahis en découvrant dans la presse que Macron avait finalement décidé, cet été, de jouer la carte du Maroc.

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Quoi que pensent beaucoup de Français, excédés par la délinquance comme par la repentance, on ne peut pas réécrire l’histoire. Pour la France, l’Algérie ne va pas devenir demain un partenaire parmi d’autres, au même titre que la Suisse ou le Japon. Pour au moins deux raisons. D’abord, il y a les enfants, ces millions de Français nés au xxie siècle dont beaucoup se définissent encore comme d’anciens colonisés, au point de se qualifier d’indigènes. Il faudra bien qu’ils choisissent s’ils sont d’ici ou de là-bas. Ensuite, comme l’observe un connaisseur de la région, depuis la partition du Soudan, l’Algérie est le plus grand pays d’Afrique : « Au nord, c’est lui qui a la plus grande frontière maritime avec l’Europe. Au sud, le Sahara algérien est le plus grand désert du monde. Tous les mouvements djihadistes et les trafiquants qui circulent au Sahel sont contenus par l’armée, de même que les candidats à l’exil. » Le nombre de sans-papiers, essentiellement nigériens, retenus sur le sol algérien en échange de diverses aides de Paris est estimé à 400 000. Et la coopération antiterroriste est, semble-t-il, toujours féconde.

À la fin de la guerre, de Gaulle voulait qu’on referme « la boîte à chagrins ». À en juger par la schizophrénie des Franco-Algériens ou par la mémoire toujours douloureuse des pieds-noirs, on en est loin. On ne la fermera pour de bon, cette boîte, que le jour où les Algériens feront eux aussi leur examen de conscience et renonceront à leur obsession française. Un bon analyste leur montrerait que, pour recouvrer leur souveraineté, ils doivent assumer leur part de responsabilité, donc reconnaître leurs torts, particulièrement envers les pieds-noirs. L’Algérie fait partie de l’histoire de France –on n’efface pas le passé, ni les assiettes cassées, ni les bons moments. La première condition pour que des ex deviennent de bons amis, c’est la vérité.

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Cinéma: les foutaises de François Ruffin

Au boulot !, de Gilles Perret et François Ruffin, un documentaire insoumis mais insignifiant


L’avocate Sarah Saldmann prise au piège dans le nouveau film de François Ruffin © Les 400 clous

La démagogie est la chose la mieux partagée au monde et n’a pas de limites. On arrive rapidement à cette conclusion en découvrant Au boulot !, le nouveau documentaire de Gilles Perret réalisé avec François Ruffin.

Le premier aime manifestement filmer les Insoumis, car son précédent film était un portrait complaisant de Mélenchon. En s’alliant cette fois avec le député Ruffin, il fait preuve d’une belle constance idéologique. Les deux auteurs ont décidé de défier l’avocate Sarah Saldmann, habituée des plateaux télé et des formules à l’emporte-pièce. On se croirait sur Canal + tendance historique tant les ficelles sont grosses : il s’agit de mettre la Saldmann bling-bling face à la France d’en bas, des premiers de cordée dont personne ne songe à remettre en cause et l’abnégation et le courage au quotidien. Mais quel est l’intérêt profond d’une telle démarche, sinon de se payer, et pour pas cher, une figure médiatique ? L’avocate n’aurait jamais dû accepter le principe d’un tel « documentaire ». Nul ne l’a forcée et le piège s’est refermé sur elle.

Le résultat est une curée assez facile qui se termine sur une plage du Nord par un sommet de complaisance veule.

Sortie le 6 novembre

« Delulu is the solulu »: dernières folies de la planète TikTok

On savait que la fréquentation excessive des réseaux sociaux pouvait détourner du monde réel en enfermant leurs usagers dans un univers de préoccupations virtuelles. On savait que les nouvelles générations – dites Z et Alpha – étaient particulièrement exposées à ce danger à cause de leur addiction, surtout à TikTok. Ce qu’on ne savait pas, c’est que beaucoup de ces jeunes assument la notion d’illusion et en font la pierre d’angle de leur vie. C’est le monde de delulu. Explications…


Vous êtes une jeune femme ? Vous maquillez la réalité comme un camion volé ? Votre crush boude vos rafales de textos parce que – c’est du moins ce que préférez croire – il vous aime trop ? Vous êtes une delulu girl !


Optimisme délirant

À en croire la démultiplication sur TikTok des hashtags avec le néologisme « delulu », les jeunes – surtout les filles – des générations Z et Alpha ont un gros problème avec la réalité. Delulu, une contraction du mot anglais delusional, envahit les réseaux sociaux, notamment TikTok et Instagram, en 2022, et décolle l’été de l’année suivante. Fin 2023, les posts avec ce mot-clé comptent plus de cinq milliards de vues. Aujourd’hui, le nombre de ces posts sur TikTok s’élève à plus de 170 millions. Traduit par « délirant », delulu désigne ceux et surtout celles qui opposent aux déconvenues de la vie un optimisme béat voire délirant.

Le terme delulu (allumé) prend son origine, vers 2013, dans le milieu des fans de K-pop (style de musique pop coréenne) qui s’imaginent entretenir une relation parasociale, fantasmée, avec leur vedette préférée. Delulu est ensuite adopté et assumé par la Gen Z, pour décrire l’attitude de quelqu’un qui, face aux difficultés de la vie et aux revers de fortune, s’en sort tout simplement en maquillant la réalité. On embrasse le déni pour nourrir son cœur de mièvreries; on transforme en bien tout ce qui se passe mal par la pensée magique. Mon mec ne prend pas mes appels ? Il est évidemment intimidé par ma beauté et ma personnalité! Une Londonienne a raté son permis de conduire quatre fois ? Peu lui chaut ! Elle décide qu’elle préfère les transports publics à la voiture et poste des vidéos d’elle dansant dans le métro… Cette illusion de liberté masque la déception de l’échec.

Le délire est la solution à tous vos problèmes…

Le Wall Street Journal pousse le bouchon encore plus loin : la delulu attitude stimulerait la confiance en soi, et permettrait de repousser ses limites professionnelles. Une étudiante en anthropologie aurait ainsi appris – vite et seule – à coder, devenant ingénieur informatique, explique le journal. Selon une variante alarmante du hashtag: Delulu is the solulu, c’est-à-dire que le délire est la solution (« delusion is the solution »). Pour que vos désirs adviennent, il suffirait d’y croire dur comme fer. À cet égard, la tendance delulu se rapproche d’une nouvelle mode en psychologie populaire qui s’appelle le manifesting (manifestation en français). Cette dernière est une technique d’auto-persuasion censée attirer les bonnes choses à soi. Sorte de méthode Coué remise au goût du jour, le manifesting est particulièrement prisé de la gent féminine et fait l’objet de discussions passionnées dans la presse féminine.

Les delulus, dans une autodérision surjouée, semblent fuir la vie. La delulu attitude permet de vivre dans un monde parallèle, certes, mais gare à la confrontation finale avec le réel.

États-Unis: pourquoi le vote Harris s’est effondré durant les derniers jours de la campagne

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Faire de la candidate progressiste la candidate des femmes et des minorités raciales s’est avéré un choix désastreux pour les Démocrates. Cette stratégie a excédé les jeunes hommes, qui se sont mobilisés en masse pour son adversaire. Pendant ce temps, Donald Trump réinventait le trumpisme et voyait le vote des femmes progresser en sa faveur. Bilan des courses.


Kamala Harris avait le show-business avec elle. Donald Trump a fait le show. Si la formule est simplificatrice, elle n’en est pas moins vraie. La victoire historique du candidat républicain s’est ainsi dessinée dans les derniers jours de la campagne, dénouement de son spectacle politique.

Ce sont en effet les électeurs indécis qui ont fait pencher la balance en sa faveur en bout de course.


Enchainant les séquences remarquées qui l’ont vu servir des frites dans un McDonald’s de Pennsylvanie ou encore conduire un camion à ordures pour dénoncer les injures lancées par Joe Biden envers ses supporters, Donald Trump s’est démarqué par son charisme et sa proximité naturelle avec un peuple qu’il impressionne et amuse. Il a aussi su s’en tenir, au-delà des effets de scène, à un discours simple concentré sur des fondamentaux du quotidien : l’inflation, la fiscalité ou encore l’immigration.

A lire aussi: Un fantasme pro-Kamala révélateur : le vote caché des femmes républicaines

Kamala Harris a, de son côté, paru tétanisée en fin de campagne. Elle avait pourtant réussi une bonne convention démocrate et un débat correct. Son principal défaut fut de ne rien dire de pertinent. Qui se souvient de son slogan ? Qui a été interpellé par son iconographie ? Par l’un de ses discours ? Par une seule de ses propositions ? L’a-t-on vue en bleu de travail dans une usine comme avait su si bien le faire Joe Biden, en 2020, ce qui lui permit de gagner les trois « swing states » de la ceinture de rouille industrielle du Midwest ? Se contentant de répéter qu’elle était une femme métisse, elle s’est adressée à des segments de la population américaine plutôt qu’aux Américains dans leur ensemble. Sa campagne ne fut pas catastrophique, elle fut inodore et incolore.

Donald Trump et Kamala Harris se serrent la main avant le début du débat présidentiel organisé par ABC News au National Constitution Center, Philadelphie, le 10 septembre 2024. Alex Brandon/AP/SIPA

Harris : le gender gap et la diversité n’ont pas été suffisants

De nombreux commentateurs internationaux jugeaient que Kamala Harris allait mobiliser les femmes plus qu’aucune autre candidate avant elle. Las, les choses ne se sont pas du tout passées comme prévu. Non seulement, n’a-t-elle pas progressé chez les femmes, mais elle a reculé ! Donald Trump a intelligemment joué d’un progressisme soft pour les États-Unis en déclarant très tôt qu’il ne comptait pas proposer de législation fédérale sur la question de l’avortement pour laisser cette liberté aux Etats. Mieux, il a même affirmé qu’il poserait son veto si le Congrès adoptait « une interdiction fédérale de l’avortement », tout en entretenant le flou sur la nature de ce veto afin de ménager les milieux évangélistes qui le soutenaient. Malin. À l’occasion de la publication de sa biographie, son épouse Melania s’est aussi fendue d’un communiqué au ton très « pro choice » qui a sûrement rassuré certaines électrices.

Cette volonté d’accorder plus d’autonomie législative aux Etats avait beaucoup séduit lors de son premier mandat. Trump avait d’ailleurs… permis l’annulation de la garantie fédérale du droit à l’avortement grâce aux nominations de trois juges à la Cour suprême. Depuis, les Etats sont libres de décider leurs législations respectives en la matière. Le risque que courait Donald Trump lors de cette élection tenait au fait que dix Etats avaient couplé des référendums sur l’avortement au vote à l’élection présidentielle. Les démocrates espéraient que les femmes se mobilisent plus en conséquence et qu’elles votent massivement pour Harris. Pourtant, Donald Trump a enregistré une augmentation de 3% de ses voix féminines par rapport à l’élection 2020. On a aussi constaté dans des Etats comme le Missouri que des référendums pour le droit à l’avortement sont passés sans que le vote Trump ne soit entamé. Une très mauvaise surprise pour la candidate Harris.

Mais les surprises ne se sont pas arrêtées là. Les minorités ont voté beaucoup plus qu’elles ne le faisaient habituellement pour Donald Trump, battant même plusieurs records pour un candidat républicain. Chez les hommes afro-américains, Donald Trump a réalisé un score d’environ 20%, inédit depuis Nixon. C’est surtout chez les « hispaniques » ou « latinos » que le candidat républicain s’est distingué, puisqu’il y est majoritaire chez les hommes et a progressé de près de 15% par rapport au précédent scrutin. Cela lui a permis d’obtenir une large victoire en Floride. En somme il semblerait que les « desperate housewives » étaient bien moins enthousiasmées par Kamala Harris que ne l’ont été les amateurs de l’UFC et de la NFL pour Trump. Les divers soutiens de personnalités « viriles » ou incarnant une masculinité assumée, à l’image de l’animateur Joe Rogan ou du patron de l’UFC Dana White, mais aussi dans une certaine mesure du « dark lord geek » Elon Musk, ont séduit de nombreux jeunes hommes sans repousser l’électorat féminin. Un « male awakening » a succédé au retour de l’Amérique historique de 2016.

Harris ne résiste pas au chef-d’œuvre stratégique de Trump

Les soutiens de grandes personnalités de la Silicon Valley (MM. Musk, Zuckerberg, Bezos ou Thiel) couplés à ceux de sportifs et de combattants (MM. Jake Paul et Mike Tyson) ont touché un public large de primo-votants et d’électeurs nouveaux, tout en permettant à Trump de limiter la casse dans les grandes villes du Midwest et de la Sunbelt. Il a ainsi pu remporter tous les swing states sans mettre en danger ses territoires de prédilection. Plus encore, il a progressé partout. Chose remarquable, Donald Trump perd l’Etat de New York par un écart relativement faible, plus petit que celui qu’il a infligé à Harris en Floride. Il remporte même le vote populaire à l’échelle nationale, une première pour un Républicain depuis Bush en 2004 ; quand Kamala Harris fait moins bien que Joe Biden dans tous les comtés…

En vente maintenant, Causeur #128: Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

Il faut enfin ajouter à ce tableau peu reluisant pour Mme Harris les prises du Sénat et de la Chambre des représentants. L’administration républicaine disposera ainsi de tous les pouvoirs pendant deux ans. C’est très rare. M. Trump a imposé sa poigne sur un parti entier, actuellement dirigé par sa propre belle-fille, Lara. Pourtant, il aurait pu payer les actes du 6 janvier 2021, quand il avait refusé d’admettre sa défaite. Son vice-président Mike Pence avait fini par le lâcher. Sa fille Ivanka et son genre Jared Kuchner avaient également pris leurs distances. Mais rien n’y a fait. Donald Trump ne perd jamais et a voulu le prouver. Son esprit de revanche a renversé des montagnes et il a pu habilement capitaliser sur les erreurs de ses adversaires. 

Donald Trump n’a laissé aucun répit au Parti à l’âne. Le bilan démocrate était pourtant loin d’être déshonorant sur le plan économique, l’Inflation reduction act constituant même un ambitieux plan protectionniste et ouvriériste. Donald Trump a répondu « bitcoin » et quotidien… Sur l’immigration illégale, il a dénoncé les errements des démocrates. Il a opposé son sens de la « gagne » aux défaites démocrates en politique internationale. Très timorés, les démocrates ont paru faibles face à la guerre d’Ukraine et aux conflits au Moyen-Orient. Ils ont, il faut le dire, été entravés dans leur action par une chambre où les Républicains ont été très influents pendant quatre ans. Cette excuse n’est que partiellement valable. Joe Biden n’en a pas fait assez, il a fait passer l’Amérique pour une puissance incapable de mettre un terme aux guerres. Donald Trump y a répondu avec une certaine simplicité et même un fond de démagogie ; ce fut suffisant pour convaincre des Américains peu intéressés par les questions étrangères qu’il était « l’homme fort » dont ils avaient besoin.

Donald Trump est donc désormais l’Empereur américain pour quatre ans, à la tête d’une gens antique semblable aux Iulii romains. Il voudra diriger et mettre en œuvre ses promesses. L’idée d’installer sa dynastie entière pour un siècle doit aussi lui traverser l’esprit… Quant à nous autres Européens, ne soyons pas les Grecs de la tragédie mondiale qui se joue sous nos yeux ébahis et impuissants. Donald Trump a réinventé le trumpisme en ajoutant aux ingrédients qui avaient fait son succès de 2016 une dimension nouvelle, à mi-chemin entre la Silicon Valley et Las Vegas. Qu’avons-nous à répondre ? Il faudra rapidement le savoir. Notre économie sera vite sous pression, de même que notre flanc est en Ukraine… Et si l’élection de Donald Trump représentait enfin le coup de fouet dont l’Europe avait besoin pour prendre conscience de la nécessité de forger son autonomie stratégique ?

Harcèlement scolaire: ce que Gabriel Attal peut faire…

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Le prédécesseur de Michel Barnier avait défrayé la chronique en mettant en place des cours d’empathie à l’Education nationale. Il vient de fonder l’association « Faire face au harcèlement ».


7 novembre : Journée officielle de la lutte contre le harcèlement scolaire. Sujet on ne peut plus grave, avec son cortège de souffrances et de morts, d’autant qu’un million de jeunes sont touchés par le phénomène en France. Autrement dit, un jeune sur 10. En France, le harcèlement scolaire est responsable de deux enfants morts par mois en France. N’allons pas croire pour autant que l’école ait été jadis un sanctuaire : la méchanceté des enfants n’a pas attendu le XXIème siècle pour sévir au cœur des établissements. Pour autant, on ne peut qu’être révolté par le fait que notre Education nationale, trop souvent, « laisse faire », en présence du harcèlement comme de la phobie scolaire, de la radicalisation islamiste ou des comportements d’autodestruction en tous genres…

Un sujet qui dérange

Quelle réponse au drame du harcèlement scolaire notre Etat protecteur apporte-t-il ? La mise en place d’une journée nationale de lutte contre ce fléau, aux côtés de dizaines d’autres thématiques : sécurité routière, toxicomanies, mathématiques… A chaque fois, c’est le même cycle de l’émotion sur commande, des promesses solennelles puis de l’insupportable abandon … Les adultes sous-estiment la violence du harcèlement scolaire aujourd’hui en France. Et cette minoration du phénomène n’épargne pas nos responsables politiques. On notera que le harcèlement scolaire n’a jamais été érigé par un Premier ministre en grande cause nationale. L’association HUGO ! pointe du doigt le laxisme face à un fléau de société qui tue, et invite à une mobilisation transcendant les clivages politiques.

Comment prétendre que notre école publique fait vivre les idéaux républicains de tolérance et de fraternité lorsqu’elle devient un lieu de persécution ? Pourquoi de plus en plus de garçons et de filles se muent-ils en tortionnaires de leurs congénères ?

Le sujet dérange. On a les plus grandes peines du monde à trouver des chiffres récents et précis sur les suicides de mineurs et leur contexte, alors que la remontée systématique des informations sur la mort par suicide est pourtant instituée depuis 2018.

Non seulement l’école est le cadre privilégié du harcèlement (qui se poursuit et s’amplifie généralement sur les réseaux sociaux) mais, en plus, elle ne brille pas par sa capacité de réaction dès lors qu’un cas de harcèlement lui est signalé. Dans la majorité des cas, c’est la victime qui est culpabilisée et conduite par son entourage comme par l’institution à se poser en première responsable de sa persécution. Ce qui la conduit à se replier sur elle-même, et à ne plus demander d’aide, jusqu’à se laisser écraser par ses persécuteurs. Combien d’élèves harcelés accèdent-ils en temps et en heure à un accompagnement thérapeutique adapté ? Il s’agit d’une proportion d’enfants marginale, tant les dispositifs sont coûteux et inaccessibles à la plupart des familles.

Quant aux cours d’empathie, on peut douter de leur utilité. Ils font partie d’un environnement culturel nordique pétri de respect de l’autre, quand cette valeur est franchement inexistante en France. Cette panne du cœur glace le sang. Souvenons-nous de la manière dont Lindsay, qui s’est suicidée à 13 ans en mai 2023, a été moquée sur les réseaux sociaux au-delà même de sa mort : « T’as bien fait de te suicider », «  Lindsay enfin morte ! », avec des vidéos de l’enfant défunte…

Que faire, pour ne plus « laisser faire » et « faire face » ?

Dans le cas de Lindsay, le harcèlement avait été dénoncé clairement et à plusieurs reprises à l’établissement scolaire comme aux autorités. Des menaces de mort étaient proférées contre la jeune fille qui a fini par mettre fin à ses jours. Et ce n’est pas l’activation par le directeur du collège, du protocole prévu pour les situations de harcèlement qui a apporté la solution.

A lire ensuite: Nous exprimons notre stupéfaction et notre inquiétude face à la décision de Sciences-po Strasbourg

Face à la barbarie des cœurs, aucune réponse technocratique ne peut suffire. Et l’on est frappé du silence de l’administration une fois que le suicide est commis. Du directeur d’école au ministre, on ne les entend parler que pour s’exempter de toute responsabilité. Il faut que des personnes de chair et d’os s’engagent personnellement et se mouillent. Un harceleur avait été exclu… mais quatre ont ensuite été mis en examen dans le cas de Lindsay. Quel chef d’établissement osera exclure quatre élèves dans notre système actuel, où il ou elle est jugé avant tout sur sa capacité à endiguer les vagues dans les limites de l’établissement ?

Le proviseur a-t-il démissionné ? Et le directeur académique ? Le recteur ? Le ministre ?

On se souvient de la camarade de promotion d’Emmanuel Macron, la rectrice de Versailles, Charline Avenel, dont les services avaient adressé une lettre de réprimande aux parents de Nicolas, garçon harcelé de 15 ans qui a fini par commettre l’irréparable. Cette dernière avait en effet refusé d’endosser la responsabilité des actes de ses services, et s’était même indignée d’avoir fait l’objet d’une procédure disciplinaire à l’initiative du ministre Gabriel Attal.

Consacrer un jour officiel au harcèlement, l’Etat sait le faire. Mais assumer ses responsabilités, prévenir, accompagner et, quand le drame advient malgré tout, essayer de réparer ? L’Etat ne le fait pas aujourd’hui. Tous les proches des victimes de harcèlement scolaire décrivent le lâchage de l’institution, avant, pendant, après.

Ces harcèlements scolaires parasitent le narratif officiel d’une école rrépublicaine accueillant tout le monde sans discrimination. Nul n’est besoin d’être handicapé, de religion ou de mœurs minoritaires, pas habillé à la mode, gros ou petit, pour se faire harceler en 2024. Cela peut être votre fille, votre fils, sans motif. Et gare à ceux qui sont doux et gentils ou qui sont forts en thème, trop bien peignés ou trop intégrés. Ce sont les victimes toutes trouvées de la nouvelle génération de harceleurs.

Il est urgent de nous investir pleinement dans la compréhension et la lutte contre le harcèlement scolaire. Compréhension qui implique de tenir compte du fait que certains auteurs de harcèlement sont d’anciennes victimes de ce même fléau, l’opprimé d’hier se transformant comme souvent en l’oppresseur de demain. La création officialisée hier par Gabriel Attal de la Fondation « Faire face » pour lutter contre ce fléau aux côtés d’Elian Patier, président de l’association Urgence harcèlement, est encourageante. A suivre.

Face à ce drame d’une Education nationale qui est le cadre impuissant du harcèlement, des lieux de refuge existent cependant hic et nunc, parmi lesquels les écoles privées et indépendantes. Qu’on les aime ou non, il se trouve qu’elles accueillent un nombre toujours plus important d’enfants qui cherchent à échapper au harcèlement scolaire qu’ils ont subi au sein de l’Education nationale, voire dans l’enseignement privé sous contrat. C’est en particulier vrai depuis la crise du Covid. Ces écoles sont loin d’avoir réponse à tout et, parfois, les phénomènes de harcèlement tendent à se reproduire en leur sein, mais elles présentent des avantages incontestables : elles sont à taille humaine et les responsabilités y sont bien identifiées. Les petits locaux permettent une meilleure observation des comportements, donc une meilleure détection de la détresse. De plus, nombre d’écoles indépendantes cherchent à développer les capacités humaines des enfants et futurs adultes que sont leurs élèves, au moins autant que leurs compétences académiques et, sans doute plus que dans l’Education Nationale. C’est en particulier le cas dans des écoles plutôt libertaires alternatives, qui donnent une place essentielle au règlement des conflits entre enfants et à l’apprentissage voire à la co-construction des règles de vie en société. Les écoles démocratiques représentent la pointe avancée de cette tendance. A l’autre bout du spectre se trouvent les écoles catholiques ou très classiques, façon hussards noirs de la République, qui mettent le respect de l’autre, la politesse et la déconnection numérique au cœur de leurs pratiques pédagogiques. Il est indubitable que moins les élèves donnent d’importance à leur téléphone dans leur vie, moins ils sont exposés au harcèlement numérique et au regard des autres en général et plus ils échappent aux comportements de meute.

Dans l’attente que des solutions efficaces au harcèlement se répandent, l’urgence est sans doute d’informer les parents d’enfants harcelés du droit qu’ils ont de les exfiltrer vers des écoles libres et indépendantes. C’est évidemment choquant que l’Education nationale soit impuissante à protéger ses élèves et que ce soit les victimes qui doivent céder la place aux bourreaux, mais c’est toujours mieux que de rester dans une école jusqu’à en perdre le goût d’étudier et de vivre. Si les écoles publiques se décidaient à adopter des tailles moins inhumaines, une gestion moins technocratique, un suivi plus personnalisé des élèves, à encourager la responsabilisation de ses personnels et des enseignants plus face à ce qui n’est pas strictement académique, des programmes exaltant le vrai, le bien et le beau plutôt que de les faire passer pour des niaiseries désuètes, alors sans doute n’aurions-nous pas besoin aujourd’hui des écoles indépendantes pour protéger les enfants harcelés. Mais ce n’est pas encore le cas. Alors, pour une fois, laissons de côté les réticences idéologiques. Lorsque la maison brûle, on ne demande pas la nationalité du pompier. Peu importe le caractère public ou privé de l’école, ce qui importe est de sauver les enfants. Trop de parents n’imaginent même pas confier leur enfant à une école libre, même lorsque leur enfant est en danger manifeste. Faisons-leur savoir que c’est possible et tout à fait légitime ; mettons en place des bourses pour lever les barrières financières et des accompagnants pour faciliter leur intégration. Voilà une mesure d’urgence que la toute nouvelle fondation de Gabriel Attal pourrait déjà mettre en œuvre.

Toussaint rouge: un anniversaire sous le sceau de la haine

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Le 1er novembre est le jour de la Toussaint. Comme son nom l’indique, la fête est consacrée aux saints. Non seulement ceux dont l’identité et la vie furent connues de tous, mais aussi les saints « inconnus », foule d’anonymes qui un jour ont accompli des miracles pour les autres. Ce 1er novembre 2024 était aussi la date du soixante-dixième anniversaire de la « Toussaint rouge », jour où le Front de libération nationale (FLN) s’est fait connaitre pour la première fois en commettant soixante-dix attentats sur le sol algérien. Cette journée de sang est célébrée en Algérie. Elle l’est aussi… en France ou par des gens exerçant d’importantes fonctions dans l’hexagone. Ce fut ainsi le cas pour Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris depuis le 11 janvier 2020 et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Il a posté sur le réseau social X / Twitter un message explicite depuis l’Algérie où il séjournait pour les vacances : « Le 1er novembre 2024, à minuit la célébration du déclenchement de la guerre d’Algérie commence. Quelle émotion ! »

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Un peu de décence !

Les lecteurs de Causeur l’ignorent mais je suis moi-même fils d’un pupille de la nation. Mon grand-père paternel est décédé en Algérie à l’âge de 27 ans en 1959. Ingénieur agronome de profession, il était appelé du contingent et élève officier à l’école d’infanterie militaire de Cherchell. Il était d’ailleurs issu de la promotion baptisée « Sous-lieutenant Yves Allaire », la même que celle de François d’Orléans qui a aussi perdu la vie dans le conflit. J’ai donc, en conséquence, répondu au « recteur » sur Twitter, l’invitant à faire preuve de décence en évitant le registre de la joie pour « fêter » le début d’une guerre qui a coûté la vie à des dizaines de milliers d’Algériens, de Français dits « pieds-noirs », de Français de métropole appelés pour se battre loin de chez eux, de Harkis, mais aussi à des enfants et des femmes qui n’avaient absolument rien à voir avec ces horreurs.

Je croyais, sûrement naïvement, qu’un message aussi équilibré n’appellerait aucun commentaire particulier, et peut-être même des excuses de la part du « recteur » de la principale mosquée de l’hexagone, la plus ancienne aussi. Le contraire s’est produit. Vu plus de cinq-cents mille fois, ma très courte apostrophe m’a valu… des centaines de messages d’une haine et d’une violence à peine racontables, de la part d’Algériens mais aussi de personnes de nationalité française et d’origine algérienne. Le plus marquant fut celui d’un homme qui m’a rétorqué à propos de mon grand-père qu’il souhaitait que celui-ci reposa « en pièces ».

Enthousiasme macabre révoltant

À l’évocation d’attentats postérieurs, comme celui du Milk Bar, qui coûta la vie à des enfants Français d’Algérie, des messages réjouis et ironiques ont fleuri. Ils témoignent d’un inconscient meurtrier et génocidaire profondément ancré dans certains esprits. Comment peut-on côtoyer sur notre sol des gens qui s’enthousiasment à l’évocation de massacres ? Comment pourrait-on un jour vivre en paix sans une reconnaissance commune des horreurs du conflit ? Je ne reviens pas sur les faits historiques qui ont présidé au pourrissement de ce conflit. La France y a évidemment sa part de torts, mais le FLN a mis en place une guérilla terroriste et insurrectionnelle qui a explicitement ciblé les civils. C’est une réalité historique qui est occultée. De la même manière, les quelques 27 000 appelés tombés pour la France n’ont jamais eu droit à l’hommage qu’ils méritaient parce que les binationaux Franco-Algériens l’empêchent en prenant en otage l’histoire pour opérer un racket sur le pays qui les accueille aujourd’hui.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Français et Algériens: séparés par un passé commun

Le plus terrifiant dans ce chantage mémoriel permanent est qu’il se double d’une haine sans commune mesure. Le mythe de la Guerre d’Algérie sert de ciment à un régime politique dont les méthodes rappellent celles de l’ex-URSS. Il s’agit d’un dérivatif. Afin d’éviter de faire le bilan des politiques à destination d’une jeunesse frappée par la pauvreté, l’Algérie désigne à la foule des boucs-émissaires et honore le souvenir des « martyrs ». La France, le Maroc ou les juifs sont ainsi alternativement brandis comme autant d’ennemis de l’ombre qui empêcheraient l’Algérie « non alignée » de pouvoir opérer sa transition vers une économie moderne. Et que dire d’un homme censé représenter les musulmans vivant en France et utilisant sa position pour défendre les intérêts d’un régime ? Célébrant le déclenchement d’une guerre qui arracha à l’existence des dizaines de milliers de Français dans des massacres d’une violence inouïe ? Il est temps de solder cette dette.

Je passe d’ailleurs sur le révisionnisme historique constant de nos contradicteurs qui osent affirmer que la France a commis un génocide en Algérie quand sa population autochtone a été multipliée par quatre entre notre arrivée et notre départ… Il n’est pas non plus inutile de rappeler que la défaite de la France ne fut pas militaire mais politique. La France a décidé d’arrêter le massacre. Les pieds-noirs ne pouvaient plus vivre dans un état de terrorisme permanent non plus. Tout cela a d’ailleurs fini par la signature des accords d’Evian qui offrent des facilités d’installation… aux Algériens désireux de vivre en France. Un système anachronique qu’il convient d’urgemment réviser.

https://twitter.com/Max_dz11/status/1852312309823091094

Un fantasme pro-Kamala révélateur: le vote caché des femmes républicaines

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Surprise: des électrices américaines ont estimé que certains sujets étaient plus importants que l’avortement


Les chaînes d’information françaises en ont fait leurs choux gras pendant les deux derniers jours de la campagne présidentielle aux Etats-Unis. Sauf une, je vous laisse deviner laquelle. Il existerait un vote caché des femmes républicaines, et ce vote pourrait très bien donner la victoire à la candidate démocrate.

Les femmes républicaines considérées comme décérébrées

Les femmes républicaines entrent dans le bureau de vote au bras de leur époux, forcément un patriarche grincheux et autoritaire, et une fois dans l’isoloir, je t’embrouille et j’exprime ma liberté de femme et ma volonté de protéger le droit à l’avortement, je noircis la case correspondant au vote pour Kamala ! Un clip a mis en images ce scénario de rêve, la républicaine enfin libérée de la tutelle masculine adressait dans la dernière image un clin d’œil joyeusement complice au spectateur. Donc il y aurait un vote caché, donc les sondages se trompent, donc la Démocrate a encore toutes ses chances de l’emporter. Et les présentatrices et encore plus les présentateurs, de s’esbaudir dans la joie d’une communion dans le Bien, un Bien pro-féministe, pro-Kamala, anti-Mussolini, anti-Hitler, anti-tous les méchants.

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Personne n’osa dire que l’hypothèse inverse d’un vote caché des hommes démocrates en faveur de Donald Trump était tout aussi vraisemblable. Le dépouillement du scrutin a d’ailleurs montré que chez les Noirs et les Latinos les hommes n’avaient plus du tout envie d’être assignés au vote démocrate. Et vu le triomphe du Républicain, je me demande si les Barbie n’ont pas elles aussi voté pour lui. Personne n’osa dire que ce clip était insultant pour les femmes républicaines, a priori considérées comme des décérébrées incapables de choisir par elles-mêmes.


Individualisme contre intérêt général

Cette affaire de vote caché est apparemment anecdotique, mais l’anecdotique peut se montrer extrêmement révélateur, ainsi que l’a prouvé le voyage de notre président au Maroc. Ce clip suppose que l’électeur, une fois entré dans l’isoloir, ne vote qu’en fonction de son intérêt personnel, qu’il est incapable de choisir d’après ce qu’il pense être l’intérêt de sa société tout entière et du pays où il vit, incapable d’être – oh, je vais dire un gros mot – patriote. Il me semble que tout électeur raisonnable fait dans sa tête une liste hiérarchisée des problèmes de son pays et choisit un bulletin en fonction des réponses à ces problèmes que propose tel ou tel candidat. Un exemple que je n’irai pas chercher loin, ma modeste personne. Il m’est arrivé de voter pour une candidate dont je réprouvai totalement les idées antilibérales en économie, mais dont j’approuvai totalement les idées antimigratoires. Je pensais en effet qu’elle avait plus de chances que d’autres d’arriver au pouvoir et de mettre ses idées en pratique.

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Voter en fonction de ses intérêts personnels ou en fonction des intérêts de son pays ?  On saute à pieds joints dans l’opposition anthropologique essentielle à notre époque : progressistes versus conservateurs, pour parler à l’américaine. L’individualisme ravageur des Démocrates américains comme des progressistes de tous pays pose en principe que la dame républicaine dans son isoloir est incapable de penser que les problèmes de l’immigration à la frontière mexicaine, la saine peur que pourrait inspirer à Poutine l’imprévisibilité de Trump, la fermeté de l’aide à Israël, sont plus importants pour elle que le soutien qu’elle pourrait accorder à l’interruption de grossesse aux Etats-Unis.

Le progressisme est ici pris la main dans le sac ; il préfère systématiquement les droits de l’individu à ceux de la société. “ Nous autres civilisations savons que nous sommes mortelles”, disait ce progressiste de Valéry. Qu’importe que la France meure, “que voulez-vous que ça me fasse que la France s’islamise”, pourvu que les droits individuels des migrants et ceux des djihadistes incarcérés soient respectés ? Qu’importe que les Italiens disparaissent d’Italie, que les gènes venus de Michel-Ange, de Palladio ou de Garibaldi finissent dans des préservatifs, pourvu que les migrants n’aillent pas dans le pourtant coquet centre de rétention construit en Albanie, pourvu que l’insatiable pouvoir des juges triomphe de la démocratie ?

La passion délétère du mea culpa

Les critiques concernant la délégation pléthorique des invités de son voyage officiel au Maroc ne suffisaient pas. Dans la foulée, le président de la République a estimé nécessaire de montrer une nouvelle preuve de repentance envers l’Algérie, qui voyait ce fameux déplacement d’un mauvais œil.


Pour son voyage tapis rouge au Maroc, nous avons eu sa petite cour privée de repris de justice. Un condamné pour abus de faiblesse sur une personne de grand âge et d’encore plus grande fortune, un triste sire ex-député bas de plafond coupable, lui, d’avoir tabassé à coup de casque de moto un de ses semblables, et surtout le troisième de ces individus de notable mérite, le très influent et très prisé Yassine Bellatar, convaincu quant lui de divers faits de délinquance dont de très affables menaces de mort.

Salut la compagnie !

Yassine Bellatar dont il se dit qu’il aurait eu assez d’influence auprès du président pour l’avoir convaincu de ne pas s’associer l’an passé à la marche contre l’antisémitisme organisée conjointement par la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Yassine Bellatar qui, lorsqu’il était propriétaire d’un café PMU à Sevran veillait tout particulièrement à ce que l’accès en soit interdit aux femmes, ce que montra fort bien à l’époque un reportage de France 2. Sur ce point, je me demande comment la Première Dame, dont on nous vante si complaisamment la fibre féministe, a pu s’accommoder d’une telle compagnie au sein de la cohorte officielle. Il est vrai que dans la déliquescence morale actuelle de ce petit monde-là, on n’en est plus à une compromission près.
La présence de ces gens déshonorés dans une délégation officielle ne pouvait que nous déshonorer nous-mêmes. Comment aurions-nous pu être fiers de l’image frelatée que cette représentation de la France nous imposait et imposait à nos hôtes marocains ?
Il y avait eu aussi, quelques jours plus tôt, dans la bouche du chef de l’État, les inepties historiques et les mots désagréables crachés à l’encontre d’Israël et de son peuple, stupidités sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici[1].

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Enfin, il y a à présent, non plus des humiliations mais ce qui relève en réalité de l’insulte. Une insulte à nous autres Français, une insulte à la France notre patrie, une insulte à la mémoire de ceux qui se sont battus en Algérie pour le drapeau et qui, nombreux, trop nombreux, y ont perdu la vie.

Bombe mémorielle

Le 1er novembre, jour de commémoration de l’insurrection en Algérie qui a mis le feu aux poudres, le président Macron y est allé, quant à lui, de sa bombe mémorielle. Le dirigeant Larbi Ben M’hidi, « un des six dirigeants du FLN a été assassiné en mars 1957 par des militaires français placés sont le commandement du général Aussaresses », voilà ce qu’écrit le communiqué élyséen[2]. Vous avez bien lu. Le choix des mots est de première importance. M. Macron n’écrit pas que l’individu en question a été éliminé, par exemple. Non, son choix s’est porté sur le terme assassiné, celui qu’on emploie pour désigner, en droit, les meurtres avec préméditation. Cela revient à ravaler au rang d’acte criminel perpétré par de vulgaires assassins de droit commun ce qui est – et reste – pour violent qu’il soit, un fait de guerre. Là est effectivement l’insulte. Là se faufile la preuve indiscutable de l’intention délibérée de piétiner la mémoire nationale.
Ces faits m’incitent à considérer que, désormais, M. Macron pourrait légitimement revendiquer une place de choix dans les défilés et manifestations de M. Mélenchon. Celui-ci brandirait avec fierté sa pancarte « La police tue » et le Jupiter dégringolé de l’Olympe une autre banderole avec ces mots en lettres de sang : « L’Armée assassine ». Est-il besoin de rappeler en passant que le président de la République n’est autre que le chef des Armées ! Sans commentaire. Tout aussi inutile d’évoquer, je pense, l’utilisation que le pouvoir algérien fera de cette énième auto-flagellation.
Quant à moi, je suis convaincu que rien de cela n’est le fait du hasard. Pas plus la honteuse présence de ces types plus que douteux dans le voyage officiel que ce communiqué cinglant, le moment choisi et le vocabulaire employé. En narcissique caractérisé, M. Macron, déçu, blessé de l’image de lui-même que lui renvoie désormais le miroir qu’est l’opinion du peuple de France, s’en prend à ce miroir. Il cherche à le briser, ou tout au moins à le salir, à le souiller. Et c’est bien ce à quoi il s’emploie en nous imposant, d’une part l’humiliation d’infréquentables mis à l’honneur dans un voyage officiel, et d’autre part, cette déclaration insultante sur notre passé militaire.
Les jours de la Toussaint sont souvent assez tristes, assez sombres. Ils le sont dans la sphère familiale, dans l’intime. M. Macron aura au moins réussi à hausser cette affliction au niveau de la nation entière. Espérons que cette formidable réussite suffira à cautériser quelque peu les égratignures de son ego démesuré.

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[1] Mi-octobre, la presse rapportait que le président de la République aurait déclaré, lors du Conseil des ministres : « M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU. Par conséquent il ne devrait pas s’affranchir des décisions de l’ONU ». NDLR.

[2] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/11/01/commemoration-du-1er-novembre-2024-70eme-anniversaire-du-declenchement-de-linsurrection-du-1er-novembre-1954

Les aventures de Dany

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Les dessins de Dany au cœur de la polémique. DR.

Le dessinateur de BD belge Dany voit l’album de Spirou qu’il a dessiné être retiré des ventes, et sa venue à un festival à Angers annulée. En cause, une polémique autour de dessins jugés racistes. En réalité, tous les personnages, Noirs, Blancs, Asiatiques, hommes ou femmes, sont caricaturés, selon les codes, peut-être dépassés, de la BD d’humour.


À l’instar de La Merveilleuse Odyssée d’Olivier Rameau et de Colombe Tiredaile, les actuelles aventures du dessinateur de BD Dany comportent plusieurs épisodes.

Indignation générale pour des dessins de Noirs jugés caricaturaux

Il y a quelques jours, on apprenait que le Conseil d’Administration des éditions Dupuis, réuni de manière partielle (partiale ?), retirait de la vente l’album de Dany, La gorgone bleue, suite à des éructations[1] sur les réseaux sociaux. S’agitant comme un diable dans un bénitier à la vue de personnages afro-américains caricaturés, comme tous les autres personnages, d’ailleurs, ou de jeunes héroïnes un peu trop sexy, un utilisateur de Facebook exigeait un autodafé, sans prononcer ce mot qu’il ne connait probablement pas. Effet d’aubaine ? C’est très possible. En effet, n’importe quel lecteur, même peu attentif, du journal de Spirou, aura été frappé par sa profonde modification, tant graphique que scénaristique, et sa nouvelle tournure résolument woke, sauce antiraciste, LGBTQ+, altermondialiste, écolo, j’en passe et des plus tartes.

La presse s’est emparée de l’affaire avec une prude indignation à défaut de rigueur. On a ainsi pu lire des énormités du genre « Le dessinateur Dany s’est fait connaître à partir des années 1960 pour sa série de bandes dessinées érotiques « Ça vous intéresse ? » »[2], série qui est en réalité sortie en 1990, ou encore qu’un journaliste serait allé interviewer Dany « dans son atelier bruxellois »[3], alors que cela fait 50 ans que Dany a quitté Bruxelles !

La réaction des lecteurs ne se fit pas attendre et La gorgone bleue est à présent épuisé après être devenu la meilleure vente sur Amazon ! C’est qu’il existe un fossé gigantesque entre l’élite autoproclamée du milieu de l’édition et son lectorat. On peut d’ailleurs s’étonner que cette même élite éditoriale ait couronné en 2022 du Grand Prix d’Angoulême l’auteur (ni auteure, ni autrice, ni autres singeries…) Julie Doucet, créatrice du fanzine Dirty Plotte, expression qu’elle traduit par « vagin dégueulasse ». Un vagin dégueulasse, c’est conforme aux codes de la nouvelle doxa, tandis qu’une jeune fille en mini-jupe, comme Dany les dessine si bien, c’est bien sûr inadmissible !

A lire aussi: Sur France Culture, le journaliste Sylvain Bourmeau dénonce… la domination blanche

Mais n’assiste-t-on pas là à une simple « querelle des Anciens et des Modernes » ? Les codes de l’art n’ont-ils pas toujours changé ? Après tout, nous ne peignons plus comme à Lascaux et notre musique ne se réduit plus à quelques percussions hasardeuses. Il semble cependant que la vague wokiste n’a pas pour simple intention de faire évoluer la littérature ou le graphisme, ce qui serait une chose saine, constructive et créative, mais plutôt de détruire ce qui l’a précédé, d’effacer toute trace du passé et d’invisibiliser les auteurs héritiers de Morris ou de Franquin.

Fin du premier épisode

Car l’histoire ne s’arrête pas là.

Les organisateurs du festival de BD d’Angers ont décidé samedi 2 novembre d’annuler la venue de Dany prévue les 7 et 8 décembre prochains. L’immense Dany en était pourtant l’invité d’honneur et c’est lui qui en avait réalisé l’affiche. Cette affiche sera-t-elle maintenue ? Auteurs et public boycotteront-ils l’événement ? La question mérite d’être posée et seul l’avenir nous livrera les prochains rebondissements de « La Merveilleuse Odyssée des wokistes au pays de la BD ».

Mais on peut déjà se pencher sur le profil du président du festival de BD d’Angers. Ce fringant trentenaire, Jean Esnault, est titulaire d’un master en environnement et développement durable, et nous l’en félicitons. De son propre aveu, il a fait de sa passion pour l’environnement son métier. D’ailleurs il recycle des cagettes de pommes pour en faire des jardinières sur les bords de Loire, en s’appuyant sur l’Etat (établissement et services d’aide par le travail), c’est-à-dire les contribuables[4]. Certes, la transformation des cagettes de pommes en jardinières est une activité louable, mais fait-elle de vous l’arbitre des élégances en matière de BD ? Ou faut-il y voir une nouvelle « convergence des luttes » entre les « passionnés de l’environnement et des cagettes de pommes » et les forcenés de la littérature politiquement correcte, si bien décrits par Patrice Jean, dans L’homme surnuméraire ?


[1] https://www.facebook.com/reel/1746080632816207

[2] France 3

[3] Paris Match

[4] https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/comment-le-president-du-festival-angers-bd-est-devenu-un-farouche-defenseur-de-lenvironnement-dac42260-950d-11ee-a573-

Le Mali sombre un peu plus dans l’homophobie

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Le président de la transition de la République du Mali, Assimi Goïta, Saint-Pétersbourg, Russie, 29 juillet 2023 © Alexander Ryumin/TASS Host Photo/Sipa USA/SIPA

Le Mali a décidé de renforcer son arsenal juridique contre toutes activités LGBTQIA+ dans le pays, estimant que cela est incompatible avec les valeurs traditionnelles africaines.


C’est un vote qui s’est perdu dans le feu brûlant de l’actualité. Le 31 octobre, la République du Mali a décidé de durcir son appareil pénal envers la communauté LGBTQI+ en interdisant toutes activités homosexuelles dans ce pays du Sahel. Le vote des membres du Conseil National de Transition (CNT) a été unanime sur le sujet. « Toute personne s’adonnant à cette pratique, en faisant sa promotion ou son apologie, sera poursuivie », a déclaré le ministre de la Justice à l’issue de ce scrutin.

Inch’Allah

C’est à Mamadou Kassogue que l’on doit cette initiative. Ancien procureur, il a été nommé par la junte au pouvoir comme garde des Sceaux. Depuis deux ans, il a fait de la répression contre les activités militantes des homosexuels un véritable cheval de bataille. « L’homosexualité est une relation contre-nature. Il n’y avait pas de sanctions précises (pour la condamner – ndlr). Nous allons prendre des lois pour l’interdire dans notre pays », avait déclaré à la presse le bouillant ministre, peu de temps avant le dépôt du projet de loi. C’est désormais chose faite. Interrogé, le ministre de la Justice s’est réjoui de cette décision qui doit encore être contresignée par le tout fraîchement nommé général cinq étoiles Assimi Goïta, auteur d’un putsch en septembre 2020.

Dans un pays où le poids de la religion musulmane est important, aucun doute à avoir pour Mamadou Kassogue sur la légalité de cette loi. « Le Mali est un pays avec des valeurs profondes et enracinées dans la culture africaine. Cette législation est une réponse à une demande sociale pour préserver notre identité », a justifié le ministre.  « Nous n’accepterons pas que nos coutumes et nos valeurs soient violées par des personnes venues d’ailleurs. Ce texte sera appliqué, inch’Allah », a ajouté encore le ministre. Il a d’ailleurs rappelé que cette loi était conforme à la nouvelle Constitution de 2023 qui stipule dans son chapitre 1, article 9, que la seule forme de mariage reconnue et autorisée reste « l’union entre un homme et une femme ».

Mamadou Camara, pas un pédé !

Cette loi est votée alors qu’une autre affaire avait secoué le football français en mai dernier. Joueur à l’AS Monaco, le milieu de terrain malien Mamadou Camara avait refusé d’afficher le logo contre l’homophobie floqué sur son maillot, en le cachant avec du scotch, marquant ainsi sa désapprobation de la campagne de lutte contre les discriminations initiée par la Ligue de Football Professionnel (LFP). Une action condamnée en France mais qui a recueilli un large soutien dans son pays d’origine, félicitée publiquement par Hamidou Doumbia, leader du parti politique Yéléma, des stars de la chanson et des influenceurs locaux.

Par le passé, le Mali s’est d’ailleurs distingué par plusieurs chasses aux « homos et lesbiennes » dans diverses villes du pays, dégénérant parfois en incidents violents. Frappé par une vague inédite de conservatisme sur les questions d’identité sexuelle, une majorité de pays africains ont récemment renforcé leur arsenal juridique contre les organisations LGBTQAI+.

Bien que l’on retrouve évidemment des coutumes homosexuelles dans certaines ethnies d’Afrique noire, divers ténors politiques africains ont pointé du doigt ces dernières années une Europe accusée d’importer une sexualité qui serait étrangère au continent originel de l’Homme…

Français et Algériens: séparés par un passé commun

Emmanuel Macron visite la Grande Mosquée d'Alger, 26 août 2022 © DOMINIQUE JACOVIDES-pool/SIPA

Les relations franco-algériennes n’en finissent pas de ressembler à un concours de mauvaise foi, de mauvaise conscience et de mauvaise grâce. Plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps qu’Alger et Paris fassent enfin (et vraiment) la paix.


Les nations ne peuvent pas s’allonger sur un divan. Et c’est fâcheux car les névroses collectives existent. Entre les pays aussi, il y a des histoires qui finissent mal, des guerres qu’on n’arrive pas à terminer, des fantômes qui rôdent. Beaucoup d’Algériens diront qu’entre la France et l’Algérie, ça avait mal commencé. C’est aussi ce que devaient penser, sur la rive nord de la Méditerranée, les victimes des razzias barbaresques. Mais on n’est pas là pour se jeter des crimes à la figure. Maintenant que chacun est chez soi, vivons en paix ! Problème : si le divorce a été signé en bonne et due forme il y a plus de soixante ans, nous avons raté la séparation de corps et d’esprit. D’où la succession de chamailleries, récriminations et portes qui claquent. « Notre relation avec l’Algérie est surdéterminée par des considérations psychiatriques », remarque un diplomate. Pour la France, l’Algérie est quasiment une question intérieure et vice-versa. Il est temps que notre ancienne colonie devienne indépendante. Pour elle comme pour nous.

Relation à tendance sado-maso

Cependant, dans la relation imaginaire qui a supplanté ou revisité la vérité historique, nous sommes loin d’être à égalité. Il y a un coupable et une victime. Pour les dirigeants algériens, la France est responsable de tout ce qui ne va pas chez eux et la liste est longue. Après des décennies de matraquage, une partie des générations arabisées a fini par le croire, même si l’historien Benjamin Stora veut croire que, derrière la haine ou l’indifférence des jeunes Algériens pour l’ancienne métropole, l’amour demeure. Lui-même demeure habité par son enfance juive à Constantine : « Il y a de l’amertume, des ressentiments, mais aussi de la nostalgie heureuse pour ce pays magnifique. » Cependant, dans le récit officiel algérien, l’action française n’est qu’une litanie de crimes, de la conquête en 1830, qualifiée de génocide, à la guerre d’indépendance, fantasmée comme une victoire de David contre Goliath, en gommant évidemment les épisodes douloureux tels que l’écrasement des messalistes ou la prise du pouvoir par l’Armée des frontières. Rien ne doit ternir la légende dorée d’un FLN seul vainqueur du redoutable envahisseur.

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Or, une partie notable des élites françaises a intégré ce narratif en noir et noir. Selon celui-ci, nous n’avons commis là-bas que des crimes et, loin d’avoir payé notre dette en accueillant sur notre sol et dans la communauté nationale des millions de descendants d’Arabes d’Algérie (quand les pieds-noirs sont partis dans les conditions que l’on sait), nous avons persévéré dans le mal, le racisme succédant au colonialisme. Cette propension à l’autoflagellation culmine avec la déclaration d’Emmanuel Macron assimilant la colonisation (qui n’a certes pas été une promenade de santé) au crime contre l’humanité. Bugeaud-SS ! Certes, le même, quelques années plus tard, fustigera la rente mémorielle, comme un type qui donnerait des coups de pied dans le juke-box où il n’a cessé de glisser des pièces. Mais au-delà de ses errements personnels, le président endosse l’héritage idéologique de la gauche française. Dans les années 1960, elle s’est refondée dans le soutien au FLN. Le combat anticolonial a été son totem de Résistance. L’ennui, c’est qu’il n’a pas accouché du paradis socialiste promis, mais d’une dictature militaire kleptomane qui a réussi à conduire à la faillite ce pays de cocagne. Avoir contribué à ce gâchis olympique, il y a de quoi avoir des remords. Aussi la gauche en a-t-elle rajouté dans l’antiracisme pénitentiel, conférant aux immigrés le statut de victimes éternelles et irréprochables, ce qui les a enkystés dans la plainte. Ainsi sommes-nous tous pris dans une relation à tendance sado-maso – « J’ai été très méchant, punis-moi ». Dans une alcôve cela peut avoir son charme, entre peuples, c’est mortifère.

Il est temps pour les Algériens d’aller consulter !

Emmanuel Macron a pensé que l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune, en 2019, serait l’occasion de réinitialiser la relation franco-algérienne. « Ça avait du sens d’essayer, poursuit le diplomate. L’Algérie comme Israël sont des questions intérieures pour nous. De plus Tebboune n’est pas foncièrement antifrançais. Et justement, il fait de la surenchère pour ne pas être accusé de francophilie. » Comme l’observe dans notre dossier du mois un autre témoin privilégié de la relation entre les deux pays, l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt, inlassable avocat d’une normalisation, aux gestes d’apaisement et autres câlins mémoriels multipliés par Paris, Alger a répondu par des rebuffades et fins de non-recevoir. Quant à la commission d’historiens chargée d’établir un récit commun, sous la houlette de Benjamin Stora, elle ne pouvait que capoter, les historiens algériens n’ayant pas la liberté de s’écarter du discours mémoriel officiel. Ses membres se sont néanmoins sentis légèrement trahis en découvrant dans la presse que Macron avait finalement décidé, cet été, de jouer la carte du Maroc.

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Quoi que pensent beaucoup de Français, excédés par la délinquance comme par la repentance, on ne peut pas réécrire l’histoire. Pour la France, l’Algérie ne va pas devenir demain un partenaire parmi d’autres, au même titre que la Suisse ou le Japon. Pour au moins deux raisons. D’abord, il y a les enfants, ces millions de Français nés au xxie siècle dont beaucoup se définissent encore comme d’anciens colonisés, au point de se qualifier d’indigènes. Il faudra bien qu’ils choisissent s’ils sont d’ici ou de là-bas. Ensuite, comme l’observe un connaisseur de la région, depuis la partition du Soudan, l’Algérie est le plus grand pays d’Afrique : « Au nord, c’est lui qui a la plus grande frontière maritime avec l’Europe. Au sud, le Sahara algérien est le plus grand désert du monde. Tous les mouvements djihadistes et les trafiquants qui circulent au Sahel sont contenus par l’armée, de même que les candidats à l’exil. » Le nombre de sans-papiers, essentiellement nigériens, retenus sur le sol algérien en échange de diverses aides de Paris est estimé à 400 000. Et la coopération antiterroriste est, semble-t-il, toujours féconde.

À la fin de la guerre, de Gaulle voulait qu’on referme « la boîte à chagrins ». À en juger par la schizophrénie des Franco-Algériens ou par la mémoire toujours douloureuse des pieds-noirs, on en est loin. On ne la fermera pour de bon, cette boîte, que le jour où les Algériens feront eux aussi leur examen de conscience et renonceront à leur obsession française. Un bon analyste leur montrerait que, pour recouvrer leur souveraineté, ils doivent assumer leur part de responsabilité, donc reconnaître leurs torts, particulièrement envers les pieds-noirs. L’Algérie fait partie de l’histoire de France –on n’efface pas le passé, ni les assiettes cassées, ni les bons moments. La première condition pour que des ex deviennent de bons amis, c’est la vérité.

Les clés retrouvées: Une enfance juive à Constantine

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Cinéma: les foutaises de François Ruffin

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Le député d'extrème gauche François Ruffin dans son dernier film © Les 400 Clous

Au boulot !, de Gilles Perret et François Ruffin, un documentaire insoumis mais insignifiant


L’avocate Sarah Saldmann prise au piège dans le nouveau film de François Ruffin © Les 400 clous

La démagogie est la chose la mieux partagée au monde et n’a pas de limites. On arrive rapidement à cette conclusion en découvrant Au boulot !, le nouveau documentaire de Gilles Perret réalisé avec François Ruffin.

Le premier aime manifestement filmer les Insoumis, car son précédent film était un portrait complaisant de Mélenchon. En s’alliant cette fois avec le député Ruffin, il fait preuve d’une belle constance idéologique. Les deux auteurs ont décidé de défier l’avocate Sarah Saldmann, habituée des plateaux télé et des formules à l’emporte-pièce. On se croirait sur Canal + tendance historique tant les ficelles sont grosses : il s’agit de mettre la Saldmann bling-bling face à la France d’en bas, des premiers de cordée dont personne ne songe à remettre en cause et l’abnégation et le courage au quotidien. Mais quel est l’intérêt profond d’une telle démarche, sinon de se payer, et pour pas cher, une figure médiatique ? L’avocate n’aurait jamais dû accepter le principe d’un tel « documentaire ». Nul ne l’a forcée et le piège s’est refermé sur elle.

Le résultat est une curée assez facile qui se termine sur une plage du Nord par un sommet de complaisance veule.

Sortie le 6 novembre

« Delulu is the solulu »: dernières folies de la planète TikTok

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DR

On savait que la fréquentation excessive des réseaux sociaux pouvait détourner du monde réel en enfermant leurs usagers dans un univers de préoccupations virtuelles. On savait que les nouvelles générations – dites Z et Alpha – étaient particulièrement exposées à ce danger à cause de leur addiction, surtout à TikTok. Ce qu’on ne savait pas, c’est que beaucoup de ces jeunes assument la notion d’illusion et en font la pierre d’angle de leur vie. C’est le monde de delulu. Explications…


Vous êtes une jeune femme ? Vous maquillez la réalité comme un camion volé ? Votre crush boude vos rafales de textos parce que – c’est du moins ce que préférez croire – il vous aime trop ? Vous êtes une delulu girl !


Optimisme délirant

À en croire la démultiplication sur TikTok des hashtags avec le néologisme « delulu », les jeunes – surtout les filles – des générations Z et Alpha ont un gros problème avec la réalité. Delulu, une contraction du mot anglais delusional, envahit les réseaux sociaux, notamment TikTok et Instagram, en 2022, et décolle l’été de l’année suivante. Fin 2023, les posts avec ce mot-clé comptent plus de cinq milliards de vues. Aujourd’hui, le nombre de ces posts sur TikTok s’élève à plus de 170 millions. Traduit par « délirant », delulu désigne ceux et surtout celles qui opposent aux déconvenues de la vie un optimisme béat voire délirant.

Le terme delulu (allumé) prend son origine, vers 2013, dans le milieu des fans de K-pop (style de musique pop coréenne) qui s’imaginent entretenir une relation parasociale, fantasmée, avec leur vedette préférée. Delulu est ensuite adopté et assumé par la Gen Z, pour décrire l’attitude de quelqu’un qui, face aux difficultés de la vie et aux revers de fortune, s’en sort tout simplement en maquillant la réalité. On embrasse le déni pour nourrir son cœur de mièvreries; on transforme en bien tout ce qui se passe mal par la pensée magique. Mon mec ne prend pas mes appels ? Il est évidemment intimidé par ma beauté et ma personnalité! Une Londonienne a raté son permis de conduire quatre fois ? Peu lui chaut ! Elle décide qu’elle préfère les transports publics à la voiture et poste des vidéos d’elle dansant dans le métro… Cette illusion de liberté masque la déception de l’échec.

Le délire est la solution à tous vos problèmes…

Le Wall Street Journal pousse le bouchon encore plus loin : la delulu attitude stimulerait la confiance en soi, et permettrait de repousser ses limites professionnelles. Une étudiante en anthropologie aurait ainsi appris – vite et seule – à coder, devenant ingénieur informatique, explique le journal. Selon une variante alarmante du hashtag: Delulu is the solulu, c’est-à-dire que le délire est la solution (« delusion is the solution »). Pour que vos désirs adviennent, il suffirait d’y croire dur comme fer. À cet égard, la tendance delulu se rapproche d’une nouvelle mode en psychologie populaire qui s’appelle le manifesting (manifestation en français). Cette dernière est une technique d’auto-persuasion censée attirer les bonnes choses à soi. Sorte de méthode Coué remise au goût du jour, le manifesting est particulièrement prisé de la gent féminine et fait l’objet de discussions passionnées dans la presse féminine.

Les delulus, dans une autodérision surjouée, semblent fuir la vie. La delulu attitude permet de vivre dans un monde parallèle, certes, mais gare à la confrontation finale avec le réel.

États-Unis: pourquoi le vote Harris s’est effondré durant les derniers jours de la campagne

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La candidate démocrate Kamala Harris reconnaissant sa défaite à l'élection présidentielle américaine, Washington, 6 novembre 2024 © Jacquelyn Martin/AP/SIPA

Faire de la candidate progressiste la candidate des femmes et des minorités raciales s’est avéré un choix désastreux pour les Démocrates. Cette stratégie a excédé les jeunes hommes, qui se sont mobilisés en masse pour son adversaire. Pendant ce temps, Donald Trump réinventait le trumpisme et voyait le vote des femmes progresser en sa faveur. Bilan des courses.


Kamala Harris avait le show-business avec elle. Donald Trump a fait le show. Si la formule est simplificatrice, elle n’en est pas moins vraie. La victoire historique du candidat républicain s’est ainsi dessinée dans les derniers jours de la campagne, dénouement de son spectacle politique.

Ce sont en effet les électeurs indécis qui ont fait pencher la balance en sa faveur en bout de course.


Enchainant les séquences remarquées qui l’ont vu servir des frites dans un McDonald’s de Pennsylvanie ou encore conduire un camion à ordures pour dénoncer les injures lancées par Joe Biden envers ses supporters, Donald Trump s’est démarqué par son charisme et sa proximité naturelle avec un peuple qu’il impressionne et amuse. Il a aussi su s’en tenir, au-delà des effets de scène, à un discours simple concentré sur des fondamentaux du quotidien : l’inflation, la fiscalité ou encore l’immigration.

A lire aussi: Un fantasme pro-Kamala révélateur : le vote caché des femmes républicaines

Kamala Harris a, de son côté, paru tétanisée en fin de campagne. Elle avait pourtant réussi une bonne convention démocrate et un débat correct. Son principal défaut fut de ne rien dire de pertinent. Qui se souvient de son slogan ? Qui a été interpellé par son iconographie ? Par l’un de ses discours ? Par une seule de ses propositions ? L’a-t-on vue en bleu de travail dans une usine comme avait su si bien le faire Joe Biden, en 2020, ce qui lui permit de gagner les trois « swing states » de la ceinture de rouille industrielle du Midwest ? Se contentant de répéter qu’elle était une femme métisse, elle s’est adressée à des segments de la population américaine plutôt qu’aux Américains dans leur ensemble. Sa campagne ne fut pas catastrophique, elle fut inodore et incolore.

Donald Trump et Kamala Harris se serrent la main avant le début du débat présidentiel organisé par ABC News au National Constitution Center, Philadelphie, le 10 septembre 2024. Alex Brandon/AP/SIPA

Harris : le gender gap et la diversité n’ont pas été suffisants

De nombreux commentateurs internationaux jugeaient que Kamala Harris allait mobiliser les femmes plus qu’aucune autre candidate avant elle. Las, les choses ne se sont pas du tout passées comme prévu. Non seulement, n’a-t-elle pas progressé chez les femmes, mais elle a reculé ! Donald Trump a intelligemment joué d’un progressisme soft pour les États-Unis en déclarant très tôt qu’il ne comptait pas proposer de législation fédérale sur la question de l’avortement pour laisser cette liberté aux Etats. Mieux, il a même affirmé qu’il poserait son veto si le Congrès adoptait « une interdiction fédérale de l’avortement », tout en entretenant le flou sur la nature de ce veto afin de ménager les milieux évangélistes qui le soutenaient. Malin. À l’occasion de la publication de sa biographie, son épouse Melania s’est aussi fendue d’un communiqué au ton très « pro choice » qui a sûrement rassuré certaines électrices.

Cette volonté d’accorder plus d’autonomie législative aux Etats avait beaucoup séduit lors de son premier mandat. Trump avait d’ailleurs… permis l’annulation de la garantie fédérale du droit à l’avortement grâce aux nominations de trois juges à la Cour suprême. Depuis, les Etats sont libres de décider leurs législations respectives en la matière. Le risque que courait Donald Trump lors de cette élection tenait au fait que dix Etats avaient couplé des référendums sur l’avortement au vote à l’élection présidentielle. Les démocrates espéraient que les femmes se mobilisent plus en conséquence et qu’elles votent massivement pour Harris. Pourtant, Donald Trump a enregistré une augmentation de 3% de ses voix féminines par rapport à l’élection 2020. On a aussi constaté dans des Etats comme le Missouri que des référendums pour le droit à l’avortement sont passés sans que le vote Trump ne soit entamé. Une très mauvaise surprise pour la candidate Harris.

Mais les surprises ne se sont pas arrêtées là. Les minorités ont voté beaucoup plus qu’elles ne le faisaient habituellement pour Donald Trump, battant même plusieurs records pour un candidat républicain. Chez les hommes afro-américains, Donald Trump a réalisé un score d’environ 20%, inédit depuis Nixon. C’est surtout chez les « hispaniques » ou « latinos » que le candidat républicain s’est distingué, puisqu’il y est majoritaire chez les hommes et a progressé de près de 15% par rapport au précédent scrutin. Cela lui a permis d’obtenir une large victoire en Floride. En somme il semblerait que les « desperate housewives » étaient bien moins enthousiasmées par Kamala Harris que ne l’ont été les amateurs de l’UFC et de la NFL pour Trump. Les divers soutiens de personnalités « viriles » ou incarnant une masculinité assumée, à l’image de l’animateur Joe Rogan ou du patron de l’UFC Dana White, mais aussi dans une certaine mesure du « dark lord geek » Elon Musk, ont séduit de nombreux jeunes hommes sans repousser l’électorat féminin. Un « male awakening » a succédé au retour de l’Amérique historique de 2016.

Harris ne résiste pas au chef-d’œuvre stratégique de Trump

Les soutiens de grandes personnalités de la Silicon Valley (MM. Musk, Zuckerberg, Bezos ou Thiel) couplés à ceux de sportifs et de combattants (MM. Jake Paul et Mike Tyson) ont touché un public large de primo-votants et d’électeurs nouveaux, tout en permettant à Trump de limiter la casse dans les grandes villes du Midwest et de la Sunbelt. Il a ainsi pu remporter tous les swing states sans mettre en danger ses territoires de prédilection. Plus encore, il a progressé partout. Chose remarquable, Donald Trump perd l’Etat de New York par un écart relativement faible, plus petit que celui qu’il a infligé à Harris en Floride. Il remporte même le vote populaire à l’échelle nationale, une première pour un Républicain depuis Bush en 2004 ; quand Kamala Harris fait moins bien que Joe Biden dans tous les comtés…

En vente maintenant, Causeur #128: Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

Il faut enfin ajouter à ce tableau peu reluisant pour Mme Harris les prises du Sénat et de la Chambre des représentants. L’administration républicaine disposera ainsi de tous les pouvoirs pendant deux ans. C’est très rare. M. Trump a imposé sa poigne sur un parti entier, actuellement dirigé par sa propre belle-fille, Lara. Pourtant, il aurait pu payer les actes du 6 janvier 2021, quand il avait refusé d’admettre sa défaite. Son vice-président Mike Pence avait fini par le lâcher. Sa fille Ivanka et son genre Jared Kuchner avaient également pris leurs distances. Mais rien n’y a fait. Donald Trump ne perd jamais et a voulu le prouver. Son esprit de revanche a renversé des montagnes et il a pu habilement capitaliser sur les erreurs de ses adversaires. 

Donald Trump n’a laissé aucun répit au Parti à l’âne. Le bilan démocrate était pourtant loin d’être déshonorant sur le plan économique, l’Inflation reduction act constituant même un ambitieux plan protectionniste et ouvriériste. Donald Trump a répondu « bitcoin » et quotidien… Sur l’immigration illégale, il a dénoncé les errements des démocrates. Il a opposé son sens de la « gagne » aux défaites démocrates en politique internationale. Très timorés, les démocrates ont paru faibles face à la guerre d’Ukraine et aux conflits au Moyen-Orient. Ils ont, il faut le dire, été entravés dans leur action par une chambre où les Républicains ont été très influents pendant quatre ans. Cette excuse n’est que partiellement valable. Joe Biden n’en a pas fait assez, il a fait passer l’Amérique pour une puissance incapable de mettre un terme aux guerres. Donald Trump y a répondu avec une certaine simplicité et même un fond de démagogie ; ce fut suffisant pour convaincre des Américains peu intéressés par les questions étrangères qu’il était « l’homme fort » dont ils avaient besoin.

Donald Trump est donc désormais l’Empereur américain pour quatre ans, à la tête d’une gens antique semblable aux Iulii romains. Il voudra diriger et mettre en œuvre ses promesses. L’idée d’installer sa dynastie entière pour un siècle doit aussi lui traverser l’esprit… Quant à nous autres Européens, ne soyons pas les Grecs de la tragédie mondiale qui se joue sous nos yeux ébahis et impuissants. Donald Trump a réinventé le trumpisme en ajoutant aux ingrédients qui avaient fait son succès de 2016 une dimension nouvelle, à mi-chemin entre la Silicon Valley et Las Vegas. Qu’avons-nous à répondre ? Il faudra rapidement le savoir. Notre économie sera vite sous pression, de même que notre flanc est en Ukraine… Et si l’élection de Donald Trump représentait enfin le coup de fouet dont l’Europe avait besoin pour prendre conscience de la nécessité de forger son autonomie stratégique ?

Harcèlement scolaire: ce que Gabriel Attal peut faire…

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Lancement de l'association "Faire face au harcelement scolaire", avec Gabriel Attal, Paris, 5 novembre 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Le prédécesseur de Michel Barnier avait défrayé la chronique en mettant en place des cours d’empathie à l’Education nationale. Il vient de fonder l’association « Faire face au harcèlement ».


7 novembre : Journée officielle de la lutte contre le harcèlement scolaire. Sujet on ne peut plus grave, avec son cortège de souffrances et de morts, d’autant qu’un million de jeunes sont touchés par le phénomène en France. Autrement dit, un jeune sur 10. En France, le harcèlement scolaire est responsable de deux enfants morts par mois en France. N’allons pas croire pour autant que l’école ait été jadis un sanctuaire : la méchanceté des enfants n’a pas attendu le XXIème siècle pour sévir au cœur des établissements. Pour autant, on ne peut qu’être révolté par le fait que notre Education nationale, trop souvent, « laisse faire », en présence du harcèlement comme de la phobie scolaire, de la radicalisation islamiste ou des comportements d’autodestruction en tous genres…

Un sujet qui dérange

Quelle réponse au drame du harcèlement scolaire notre Etat protecteur apporte-t-il ? La mise en place d’une journée nationale de lutte contre ce fléau, aux côtés de dizaines d’autres thématiques : sécurité routière, toxicomanies, mathématiques… A chaque fois, c’est le même cycle de l’émotion sur commande, des promesses solennelles puis de l’insupportable abandon … Les adultes sous-estiment la violence du harcèlement scolaire aujourd’hui en France. Et cette minoration du phénomène n’épargne pas nos responsables politiques. On notera que le harcèlement scolaire n’a jamais été érigé par un Premier ministre en grande cause nationale. L’association HUGO ! pointe du doigt le laxisme face à un fléau de société qui tue, et invite à une mobilisation transcendant les clivages politiques.

Comment prétendre que notre école publique fait vivre les idéaux républicains de tolérance et de fraternité lorsqu’elle devient un lieu de persécution ? Pourquoi de plus en plus de garçons et de filles se muent-ils en tortionnaires de leurs congénères ?

Le sujet dérange. On a les plus grandes peines du monde à trouver des chiffres récents et précis sur les suicides de mineurs et leur contexte, alors que la remontée systématique des informations sur la mort par suicide est pourtant instituée depuis 2018.

Non seulement l’école est le cadre privilégié du harcèlement (qui se poursuit et s’amplifie généralement sur les réseaux sociaux) mais, en plus, elle ne brille pas par sa capacité de réaction dès lors qu’un cas de harcèlement lui est signalé. Dans la majorité des cas, c’est la victime qui est culpabilisée et conduite par son entourage comme par l’institution à se poser en première responsable de sa persécution. Ce qui la conduit à se replier sur elle-même, et à ne plus demander d’aide, jusqu’à se laisser écraser par ses persécuteurs. Combien d’élèves harcelés accèdent-ils en temps et en heure à un accompagnement thérapeutique adapté ? Il s’agit d’une proportion d’enfants marginale, tant les dispositifs sont coûteux et inaccessibles à la plupart des familles.

Quant aux cours d’empathie, on peut douter de leur utilité. Ils font partie d’un environnement culturel nordique pétri de respect de l’autre, quand cette valeur est franchement inexistante en France. Cette panne du cœur glace le sang. Souvenons-nous de la manière dont Lindsay, qui s’est suicidée à 13 ans en mai 2023, a été moquée sur les réseaux sociaux au-delà même de sa mort : « T’as bien fait de te suicider », «  Lindsay enfin morte ! », avec des vidéos de l’enfant défunte…

Que faire, pour ne plus « laisser faire » et « faire face » ?

Dans le cas de Lindsay, le harcèlement avait été dénoncé clairement et à plusieurs reprises à l’établissement scolaire comme aux autorités. Des menaces de mort étaient proférées contre la jeune fille qui a fini par mettre fin à ses jours. Et ce n’est pas l’activation par le directeur du collège, du protocole prévu pour les situations de harcèlement qui a apporté la solution.

A lire ensuite: Nous exprimons notre stupéfaction et notre inquiétude face à la décision de Sciences-po Strasbourg

Face à la barbarie des cœurs, aucune réponse technocratique ne peut suffire. Et l’on est frappé du silence de l’administration une fois que le suicide est commis. Du directeur d’école au ministre, on ne les entend parler que pour s’exempter de toute responsabilité. Il faut que des personnes de chair et d’os s’engagent personnellement et se mouillent. Un harceleur avait été exclu… mais quatre ont ensuite été mis en examen dans le cas de Lindsay. Quel chef d’établissement osera exclure quatre élèves dans notre système actuel, où il ou elle est jugé avant tout sur sa capacité à endiguer les vagues dans les limites de l’établissement ?

Le proviseur a-t-il démissionné ? Et le directeur académique ? Le recteur ? Le ministre ?

On se souvient de la camarade de promotion d’Emmanuel Macron, la rectrice de Versailles, Charline Avenel, dont les services avaient adressé une lettre de réprimande aux parents de Nicolas, garçon harcelé de 15 ans qui a fini par commettre l’irréparable. Cette dernière avait en effet refusé d’endosser la responsabilité des actes de ses services, et s’était même indignée d’avoir fait l’objet d’une procédure disciplinaire à l’initiative du ministre Gabriel Attal.

Consacrer un jour officiel au harcèlement, l’Etat sait le faire. Mais assumer ses responsabilités, prévenir, accompagner et, quand le drame advient malgré tout, essayer de réparer ? L’Etat ne le fait pas aujourd’hui. Tous les proches des victimes de harcèlement scolaire décrivent le lâchage de l’institution, avant, pendant, après.

Ces harcèlements scolaires parasitent le narratif officiel d’une école rrépublicaine accueillant tout le monde sans discrimination. Nul n’est besoin d’être handicapé, de religion ou de mœurs minoritaires, pas habillé à la mode, gros ou petit, pour se faire harceler en 2024. Cela peut être votre fille, votre fils, sans motif. Et gare à ceux qui sont doux et gentils ou qui sont forts en thème, trop bien peignés ou trop intégrés. Ce sont les victimes toutes trouvées de la nouvelle génération de harceleurs.

Il est urgent de nous investir pleinement dans la compréhension et la lutte contre le harcèlement scolaire. Compréhension qui implique de tenir compte du fait que certains auteurs de harcèlement sont d’anciennes victimes de ce même fléau, l’opprimé d’hier se transformant comme souvent en l’oppresseur de demain. La création officialisée hier par Gabriel Attal de la Fondation « Faire face » pour lutter contre ce fléau aux côtés d’Elian Patier, président de l’association Urgence harcèlement, est encourageante. A suivre.

Face à ce drame d’une Education nationale qui est le cadre impuissant du harcèlement, des lieux de refuge existent cependant hic et nunc, parmi lesquels les écoles privées et indépendantes. Qu’on les aime ou non, il se trouve qu’elles accueillent un nombre toujours plus important d’enfants qui cherchent à échapper au harcèlement scolaire qu’ils ont subi au sein de l’Education nationale, voire dans l’enseignement privé sous contrat. C’est en particulier vrai depuis la crise du Covid. Ces écoles sont loin d’avoir réponse à tout et, parfois, les phénomènes de harcèlement tendent à se reproduire en leur sein, mais elles présentent des avantages incontestables : elles sont à taille humaine et les responsabilités y sont bien identifiées. Les petits locaux permettent une meilleure observation des comportements, donc une meilleure détection de la détresse. De plus, nombre d’écoles indépendantes cherchent à développer les capacités humaines des enfants et futurs adultes que sont leurs élèves, au moins autant que leurs compétences académiques et, sans doute plus que dans l’Education Nationale. C’est en particulier le cas dans des écoles plutôt libertaires alternatives, qui donnent une place essentielle au règlement des conflits entre enfants et à l’apprentissage voire à la co-construction des règles de vie en société. Les écoles démocratiques représentent la pointe avancée de cette tendance. A l’autre bout du spectre se trouvent les écoles catholiques ou très classiques, façon hussards noirs de la République, qui mettent le respect de l’autre, la politesse et la déconnection numérique au cœur de leurs pratiques pédagogiques. Il est indubitable que moins les élèves donnent d’importance à leur téléphone dans leur vie, moins ils sont exposés au harcèlement numérique et au regard des autres en général et plus ils échappent aux comportements de meute.

Dans l’attente que des solutions efficaces au harcèlement se répandent, l’urgence est sans doute d’informer les parents d’enfants harcelés du droit qu’ils ont de les exfiltrer vers des écoles libres et indépendantes. C’est évidemment choquant que l’Education nationale soit impuissante à protéger ses élèves et que ce soit les victimes qui doivent céder la place aux bourreaux, mais c’est toujours mieux que de rester dans une école jusqu’à en perdre le goût d’étudier et de vivre. Si les écoles publiques se décidaient à adopter des tailles moins inhumaines, une gestion moins technocratique, un suivi plus personnalisé des élèves, à encourager la responsabilisation de ses personnels et des enseignants plus face à ce qui n’est pas strictement académique, des programmes exaltant le vrai, le bien et le beau plutôt que de les faire passer pour des niaiseries désuètes, alors sans doute n’aurions-nous pas besoin aujourd’hui des écoles indépendantes pour protéger les enfants harcelés. Mais ce n’est pas encore le cas. Alors, pour une fois, laissons de côté les réticences idéologiques. Lorsque la maison brûle, on ne demande pas la nationalité du pompier. Peu importe le caractère public ou privé de l’école, ce qui importe est de sauver les enfants. Trop de parents n’imaginent même pas confier leur enfant à une école libre, même lorsque leur enfant est en danger manifeste. Faisons-leur savoir que c’est possible et tout à fait légitime ; mettons en place des bourses pour lever les barrières financières et des accompagnants pour faciliter leur intégration. Voilà une mesure d’urgence que la toute nouvelle fondation de Gabriel Attal pourrait déjà mettre en œuvre.

Toussaint rouge: un anniversaire sous le sceau de la haine

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Drapeau de l'Algérie. DR.

Le 1er novembre est le jour de la Toussaint. Comme son nom l’indique, la fête est consacrée aux saints. Non seulement ceux dont l’identité et la vie furent connues de tous, mais aussi les saints « inconnus », foule d’anonymes qui un jour ont accompli des miracles pour les autres. Ce 1er novembre 2024 était aussi la date du soixante-dixième anniversaire de la « Toussaint rouge », jour où le Front de libération nationale (FLN) s’est fait connaitre pour la première fois en commettant soixante-dix attentats sur le sol algérien. Cette journée de sang est célébrée en Algérie. Elle l’est aussi… en France ou par des gens exerçant d’importantes fonctions dans l’hexagone. Ce fut ainsi le cas pour Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris depuis le 11 janvier 2020 et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Il a posté sur le réseau social X / Twitter un message explicite depuis l’Algérie où il séjournait pour les vacances : « Le 1er novembre 2024, à minuit la célébration du déclenchement de la guerre d’Algérie commence. Quelle émotion ! »

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Un peu de décence !

Les lecteurs de Causeur l’ignorent mais je suis moi-même fils d’un pupille de la nation. Mon grand-père paternel est décédé en Algérie à l’âge de 27 ans en 1959. Ingénieur agronome de profession, il était appelé du contingent et élève officier à l’école d’infanterie militaire de Cherchell. Il était d’ailleurs issu de la promotion baptisée « Sous-lieutenant Yves Allaire », la même que celle de François d’Orléans qui a aussi perdu la vie dans le conflit. J’ai donc, en conséquence, répondu au « recteur » sur Twitter, l’invitant à faire preuve de décence en évitant le registre de la joie pour « fêter » le début d’une guerre qui a coûté la vie à des dizaines de milliers d’Algériens, de Français dits « pieds-noirs », de Français de métropole appelés pour se battre loin de chez eux, de Harkis, mais aussi à des enfants et des femmes qui n’avaient absolument rien à voir avec ces horreurs.

Je croyais, sûrement naïvement, qu’un message aussi équilibré n’appellerait aucun commentaire particulier, et peut-être même des excuses de la part du « recteur » de la principale mosquée de l’hexagone, la plus ancienne aussi. Le contraire s’est produit. Vu plus de cinq-cents mille fois, ma très courte apostrophe m’a valu… des centaines de messages d’une haine et d’une violence à peine racontables, de la part d’Algériens mais aussi de personnes de nationalité française et d’origine algérienne. Le plus marquant fut celui d’un homme qui m’a rétorqué à propos de mon grand-père qu’il souhaitait que celui-ci reposa « en pièces ».

Enthousiasme macabre révoltant

À l’évocation d’attentats postérieurs, comme celui du Milk Bar, qui coûta la vie à des enfants Français d’Algérie, des messages réjouis et ironiques ont fleuri. Ils témoignent d’un inconscient meurtrier et génocidaire profondément ancré dans certains esprits. Comment peut-on côtoyer sur notre sol des gens qui s’enthousiasment à l’évocation de massacres ? Comment pourrait-on un jour vivre en paix sans une reconnaissance commune des horreurs du conflit ? Je ne reviens pas sur les faits historiques qui ont présidé au pourrissement de ce conflit. La France y a évidemment sa part de torts, mais le FLN a mis en place une guérilla terroriste et insurrectionnelle qui a explicitement ciblé les civils. C’est une réalité historique qui est occultée. De la même manière, les quelques 27 000 appelés tombés pour la France n’ont jamais eu droit à l’hommage qu’ils méritaient parce que les binationaux Franco-Algériens l’empêchent en prenant en otage l’histoire pour opérer un racket sur le pays qui les accueille aujourd’hui.

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Le plus terrifiant dans ce chantage mémoriel permanent est qu’il se double d’une haine sans commune mesure. Le mythe de la Guerre d’Algérie sert de ciment à un régime politique dont les méthodes rappellent celles de l’ex-URSS. Il s’agit d’un dérivatif. Afin d’éviter de faire le bilan des politiques à destination d’une jeunesse frappée par la pauvreté, l’Algérie désigne à la foule des boucs-émissaires et honore le souvenir des « martyrs ». La France, le Maroc ou les juifs sont ainsi alternativement brandis comme autant d’ennemis de l’ombre qui empêcheraient l’Algérie « non alignée » de pouvoir opérer sa transition vers une économie moderne. Et que dire d’un homme censé représenter les musulmans vivant en France et utilisant sa position pour défendre les intérêts d’un régime ? Célébrant le déclenchement d’une guerre qui arracha à l’existence des dizaines de milliers de Français dans des massacres d’une violence inouïe ? Il est temps de solder cette dette.

Je passe d’ailleurs sur le révisionnisme historique constant de nos contradicteurs qui osent affirmer que la France a commis un génocide en Algérie quand sa population autochtone a été multipliée par quatre entre notre arrivée et notre départ… Il n’est pas non plus inutile de rappeler que la défaite de la France ne fut pas militaire mais politique. La France a décidé d’arrêter le massacre. Les pieds-noirs ne pouvaient plus vivre dans un état de terrorisme permanent non plus. Tout cela a d’ailleurs fini par la signature des accords d’Evian qui offrent des facilités d’installation… aux Algériens désireux de vivre en France. Un système anachronique qu’il convient d’urgemment réviser.

https://twitter.com/Max_dz11/status/1852312309823091094

Un fantasme pro-Kamala révélateur: le vote caché des femmes républicaines

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DR.

Surprise: des électrices américaines ont estimé que certains sujets étaient plus importants que l’avortement


Les chaînes d’information françaises en ont fait leurs choux gras pendant les deux derniers jours de la campagne présidentielle aux Etats-Unis. Sauf une, je vous laisse deviner laquelle. Il existerait un vote caché des femmes républicaines, et ce vote pourrait très bien donner la victoire à la candidate démocrate.

Les femmes républicaines considérées comme décérébrées

Les femmes républicaines entrent dans le bureau de vote au bras de leur époux, forcément un patriarche grincheux et autoritaire, et une fois dans l’isoloir, je t’embrouille et j’exprime ma liberté de femme et ma volonté de protéger le droit à l’avortement, je noircis la case correspondant au vote pour Kamala ! Un clip a mis en images ce scénario de rêve, la républicaine enfin libérée de la tutelle masculine adressait dans la dernière image un clin d’œil joyeusement complice au spectateur. Donc il y aurait un vote caché, donc les sondages se trompent, donc la Démocrate a encore toutes ses chances de l’emporter. Et les présentatrices et encore plus les présentateurs, de s’esbaudir dans la joie d’une communion dans le Bien, un Bien pro-féministe, pro-Kamala, anti-Mussolini, anti-Hitler, anti-tous les méchants.

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Personne n’osa dire que l’hypothèse inverse d’un vote caché des hommes démocrates en faveur de Donald Trump était tout aussi vraisemblable. Le dépouillement du scrutin a d’ailleurs montré que chez les Noirs et les Latinos les hommes n’avaient plus du tout envie d’être assignés au vote démocrate. Et vu le triomphe du Républicain, je me demande si les Barbie n’ont pas elles aussi voté pour lui. Personne n’osa dire que ce clip était insultant pour les femmes républicaines, a priori considérées comme des décérébrées incapables de choisir par elles-mêmes.


Individualisme contre intérêt général

Cette affaire de vote caché est apparemment anecdotique, mais l’anecdotique peut se montrer extrêmement révélateur, ainsi que l’a prouvé le voyage de notre président au Maroc. Ce clip suppose que l’électeur, une fois entré dans l’isoloir, ne vote qu’en fonction de son intérêt personnel, qu’il est incapable de choisir d’après ce qu’il pense être l’intérêt de sa société tout entière et du pays où il vit, incapable d’être – oh, je vais dire un gros mot – patriote. Il me semble que tout électeur raisonnable fait dans sa tête une liste hiérarchisée des problèmes de son pays et choisit un bulletin en fonction des réponses à ces problèmes que propose tel ou tel candidat. Un exemple que je n’irai pas chercher loin, ma modeste personne. Il m’est arrivé de voter pour une candidate dont je réprouvai totalement les idées antilibérales en économie, mais dont j’approuvai totalement les idées antimigratoires. Je pensais en effet qu’elle avait plus de chances que d’autres d’arriver au pouvoir et de mettre ses idées en pratique.

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Voter en fonction de ses intérêts personnels ou en fonction des intérêts de son pays ?  On saute à pieds joints dans l’opposition anthropologique essentielle à notre époque : progressistes versus conservateurs, pour parler à l’américaine. L’individualisme ravageur des Démocrates américains comme des progressistes de tous pays pose en principe que la dame républicaine dans son isoloir est incapable de penser que les problèmes de l’immigration à la frontière mexicaine, la saine peur que pourrait inspirer à Poutine l’imprévisibilité de Trump, la fermeté de l’aide à Israël, sont plus importants pour elle que le soutien qu’elle pourrait accorder à l’interruption de grossesse aux Etats-Unis.

Le progressisme est ici pris la main dans le sac ; il préfère systématiquement les droits de l’individu à ceux de la société. “ Nous autres civilisations savons que nous sommes mortelles”, disait ce progressiste de Valéry. Qu’importe que la France meure, “que voulez-vous que ça me fasse que la France s’islamise”, pourvu que les droits individuels des migrants et ceux des djihadistes incarcérés soient respectés ? Qu’importe que les Italiens disparaissent d’Italie, que les gènes venus de Michel-Ange, de Palladio ou de Garibaldi finissent dans des préservatifs, pourvu que les migrants n’aillent pas dans le pourtant coquet centre de rétention construit en Albanie, pourvu que l’insatiable pouvoir des juges triomphe de la démocratie ?

La passion délétère du mea culpa

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Emmanuel Macron à Rabat, Maroc, 28 octobre 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Les critiques concernant la délégation pléthorique des invités de son voyage officiel au Maroc ne suffisaient pas. Dans la foulée, le président de la République a estimé nécessaire de montrer une nouvelle preuve de repentance envers l’Algérie, qui voyait ce fameux déplacement d’un mauvais œil.


Pour son voyage tapis rouge au Maroc, nous avons eu sa petite cour privée de repris de justice. Un condamné pour abus de faiblesse sur une personne de grand âge et d’encore plus grande fortune, un triste sire ex-député bas de plafond coupable, lui, d’avoir tabassé à coup de casque de moto un de ses semblables, et surtout le troisième de ces individus de notable mérite, le très influent et très prisé Yassine Bellatar, convaincu quant lui de divers faits de délinquance dont de très affables menaces de mort.

Salut la compagnie !

Yassine Bellatar dont il se dit qu’il aurait eu assez d’influence auprès du président pour l’avoir convaincu de ne pas s’associer l’an passé à la marche contre l’antisémitisme organisée conjointement par la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Yassine Bellatar qui, lorsqu’il était propriétaire d’un café PMU à Sevran veillait tout particulièrement à ce que l’accès en soit interdit aux femmes, ce que montra fort bien à l’époque un reportage de France 2. Sur ce point, je me demande comment la Première Dame, dont on nous vante si complaisamment la fibre féministe, a pu s’accommoder d’une telle compagnie au sein de la cohorte officielle. Il est vrai que dans la déliquescence morale actuelle de ce petit monde-là, on n’en est plus à une compromission près.
La présence de ces gens déshonorés dans une délégation officielle ne pouvait que nous déshonorer nous-mêmes. Comment aurions-nous pu être fiers de l’image frelatée que cette représentation de la France nous imposait et imposait à nos hôtes marocains ?
Il y avait eu aussi, quelques jours plus tôt, dans la bouche du chef de l’État, les inepties historiques et les mots désagréables crachés à l’encontre d’Israël et de son peuple, stupidités sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici[1].

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Enfin, il y a à présent, non plus des humiliations mais ce qui relève en réalité de l’insulte. Une insulte à nous autres Français, une insulte à la France notre patrie, une insulte à la mémoire de ceux qui se sont battus en Algérie pour le drapeau et qui, nombreux, trop nombreux, y ont perdu la vie.

Bombe mémorielle

Le 1er novembre, jour de commémoration de l’insurrection en Algérie qui a mis le feu aux poudres, le président Macron y est allé, quant à lui, de sa bombe mémorielle. Le dirigeant Larbi Ben M’hidi, « un des six dirigeants du FLN a été assassiné en mars 1957 par des militaires français placés sont le commandement du général Aussaresses », voilà ce qu’écrit le communiqué élyséen[2]. Vous avez bien lu. Le choix des mots est de première importance. M. Macron n’écrit pas que l’individu en question a été éliminé, par exemple. Non, son choix s’est porté sur le terme assassiné, celui qu’on emploie pour désigner, en droit, les meurtres avec préméditation. Cela revient à ravaler au rang d’acte criminel perpétré par de vulgaires assassins de droit commun ce qui est – et reste – pour violent qu’il soit, un fait de guerre. Là est effectivement l’insulte. Là se faufile la preuve indiscutable de l’intention délibérée de piétiner la mémoire nationale.
Ces faits m’incitent à considérer que, désormais, M. Macron pourrait légitimement revendiquer une place de choix dans les défilés et manifestations de M. Mélenchon. Celui-ci brandirait avec fierté sa pancarte « La police tue » et le Jupiter dégringolé de l’Olympe une autre banderole avec ces mots en lettres de sang : « L’Armée assassine ». Est-il besoin de rappeler en passant que le président de la République n’est autre que le chef des Armées ! Sans commentaire. Tout aussi inutile d’évoquer, je pense, l’utilisation que le pouvoir algérien fera de cette énième auto-flagellation.
Quant à moi, je suis convaincu que rien de cela n’est le fait du hasard. Pas plus la honteuse présence de ces types plus que douteux dans le voyage officiel que ce communiqué cinglant, le moment choisi et le vocabulaire employé. En narcissique caractérisé, M. Macron, déçu, blessé de l’image de lui-même que lui renvoie désormais le miroir qu’est l’opinion du peuple de France, s’en prend à ce miroir. Il cherche à le briser, ou tout au moins à le salir, à le souiller. Et c’est bien ce à quoi il s’emploie en nous imposant, d’une part l’humiliation d’infréquentables mis à l’honneur dans un voyage officiel, et d’autre part, cette déclaration insultante sur notre passé militaire.
Les jours de la Toussaint sont souvent assez tristes, assez sombres. Ils le sont dans la sphère familiale, dans l’intime. M. Macron aura au moins réussi à hausser cette affliction au niveau de la nation entière. Espérons que cette formidable réussite suffira à cautériser quelque peu les égratignures de son ego démesuré.

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[1] Mi-octobre, la presse rapportait que le président de la République aurait déclaré, lors du Conseil des ministres : « M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU. Par conséquent il ne devrait pas s’affranchir des décisions de l’ONU ». NDLR.

[2] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/11/01/commemoration-du-1er-novembre-2024-70eme-anniversaire-du-declenchement-de-linsurrection-du-1er-novembre-1954