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Nicolas Baverez et l’improbable «Sursaut»

L’essayiste Nicolas Baverez est persuadé que les Français, prêts à sauver leur pays du déclassement, peuvent accepter une purge libérale. C’est oublier les intérêts particuliers de nos millions de fonctionnaires, leurs puissants syndicats, notre goût prononcé pour le corporatisme. Et tous ces nouveaux citoyens qui détestent leur pays…


Nicolas Baverez vient de publier Sursaut, un essai qui prolonge son travail de vigie du déclin français, entamé avec La France qui tombe en 2003. Soupçonné par les ricaneurs d’avoir inventé la « déclinologie », qui serait à l’économie ce que l’astrologie serait à l’astronomie, il semblerait pourtant qu’il ait eu à peu près raison sur tout. Déficits, éducation, insécurité, innovation, immigration : le modèle social gaulois à crédit comate en phase terminale. Le village Potemkine de la radiotélévision publique a beau nous vanter l’attractivité de la France, la start-up nation se bat désormais, non pour conserver un quelconque savoir-faire dans le numérique, mais pour que la production du Doliprane reste en France. Si l’on ajoute à cela le fait que nous sommes devenus l’un des plus gros exportateurs mondiaux de pommes de terre, cela donne une idée de nos ambitions. France Inter ne nous alerte cependant pas sur la chute du PIB par tête – nous sommes désormais talonnés… par la République tchèque ! Ceux qui se souviennent de l’image de dénuement de la Tchécoslovaquie avant la chute du mur de Berlin expliqueront aux ravis de la crèche l’effarement que cela devrait susciter. Baverez tente de rejouer le match Aron-Sartre, avec à ma droite, lui-même, et à ma gauche, tous les tenants de la sacro-sainte « dépense publique » (soit du NFP au RN en passant par les LR !). Pour faire admettre aux Français la purge libérale qu’ils méritent depuis une trentaine d’années, l’essayiste en appelle au sursaut des Français, au nom de l’intérêt général. Hélas, ce concept paraît aussi mort que feu Raymond. La France archipellisée décrite par Jérôme Fourquet n’a que des intérêts particuliers à défendre, à commencer par les deux millions de fonctionnaires surnuméraires, défendus par de puissants syndicats. Ces corporations considèrent désormais le déclin comme un avantage acquis et s’y accrocheront quoi qu’il en coûte (aux autres). Il ne faudra pas trop compter non plus sur cette nouvelle catégorie de Français qui détestent leur pays. C’est l’angle mort de ce brillant décliniste.

Éditions de l’Observatoire, octobre 2024. 192 pages.

Sur France Culture, le journaliste Sylvain Bourmeau dénonce… la domination blanche

La radio publique plus woke que jamais.


Sylvain Bourmeau est journaliste. Son parcours professionnel exemplaire – journaliste à Libé, directeur-adjoint des Inrocks, bref passage à Mediapart au moment de son lancement, retour à Libé en tant que directeur-adjoint, producteur et animateur de l’émission “La Suite dans les idées” sur France Culture – lui a permis d’afficher à maintes occasions des engagements qu’il qualifie lui-même d’humanistes.

Mur du son progressiste

Mitterrandien, bourdieusien, plenelien, bourmalien (car il s’estime beaucoup), ses thèmes de prédilection sont, c’est original, le fascisme et le racisme. Ses bêtes noires s’appellent Renaud Camus, Jean-Claude Michéa, Richard Millet, Alain Finkielkraut et Pierre Jourde. En 2013, ce dernier raillait « le camarade Bourmov, commissaire politique aux affaires culturelles de Libé », pour sa conception simpliste du monde : il y aurait d’un côté les progressistes, de l’autre les réacs. Depuis, le camarade Bourmov a affiné sa pensée. Il considère aujourd’hui que le monde est composé de deux catégories d’individus distinctes : les gentils progressistes et les méchants fascistes.

Progressistes, les émissions hebdomadaires de M. Bourmeau sur France Culture le sont indéniablement. On y prend régulièrement la défense des « minorités ». On y promeut l’éco-féminisme, les thèses décolonialistes ou celles du GIEC sur le climat. On y aborde la question de l’immigration avec un discours qui ne laisse aucun doute sur ce qu’il faut en penser : « Si, pour le climat, les travaux du GIEC ont joué un rôle fondamental dans la marginalisation du climatoscepticisme (sic), il n’en va hélas pas de même à propos du GIEM (Groupe international d’experts sur les migrations) et des migrations, et ce, en dépit d’un large consensus scientifique (resic). Il n’est qu’à regarder l’inanité du débat autour de l’ignominieuse énième loi adoptée en fin d’année au parlement français pour s’en rendre compte (et sic de der). » Plusieurs épisodes, consacrés au Rassemblement national, ont donné la parole aux plus éminents castors universitaires ou médiatiques. Tous sont d’accord pour dire que « le racisme se trouve au fondement du vote des électeurs lepénistes » et que ces derniers sont des « fachos ».

Le jeudi 24 octobre, M. Bourmeau a passé le mur du son progressiste pour atteindre la stratosphère wokiste et se positionner sur l’orbite racialiste – Dieu seul sait quand il aura fini de tourner. Ce jour-là, le journaliste a en effet reçu dans son émission une docteure en sociologie du CNRS (1) et une sociologue de l’Université de Lausanne pour leur essai intitulé… La domination blanche (2) et une question lui brûle les lèvres : « Comment comprendre qu’en France, en 2024, les Blancs sont mieux traités que les Noirs ? » L’introduction qui suit relève du délire ; si des enseignants l’ont écoutée, leur sang a dû bouillir : « En France, en 2024, un élève dont la peau est noire ne fait pas de l’école la même expérience qu’un camarade dont la peau est blanche », affirme M. Bourmeau avant d’affabuler en racontant l’histoire d’un « élève à la peau noire » qui « peut s’entendre dire par un enseignant lorsqu’il a oublié son manuel qu’il est en quelque sorte un sans-papier – allez, c’est une boutade, un clin d’œil à la leçon sur l’immigration au programme ce jour-là… – ; et, un autre jour, il peut s’entendre dire, parce qu’il ne travaille pas assez, qu’il aurait besoin d’être fouetté ». Le journaliste a oublié les menaces de marquage au fer rouge ou de déportation dans les lointaines colonies. Plaisanterie mise à part, voilà le genre d’insanités qu’est capable d’inventer ce commissaire politique de la radio publique pour illustrer ce que lui et ses acolytes appellent le « racisme systémique ». Espérons que, parmi les enseignants ayant entendu cette infamie, nombreux sont ceux qui auront envoyé un message à la présidente de Radio France pour réclamer des explications et les excuses du journaliste qui les a diffamés.

France Culture, le privilège woke

Le reste de l’émission sera sans surprise. Résumé : il existe un racisme systémique en France et « on ne peut pas nier que les Blancs ont des privilèges » ; le racisme de la police a éclaté au grand jour lors de l’affaire Adama Traoré ; Virginie Despentes a magnifiquement mis en évidence les privilèges des Blanches pendant le confinement dans une lettre lue par Augustin Trapenard sur France Inter ; malheureusement, en France, la dénégation de la domination blanche est grande ; etc. Déterminées, semble-t-il, à rejoindre leur hôte sur orbite, les deux sociologues pensent par ailleurs qu’il y a des privilèges qui devraient « être complètement abolis, par exemple plus personne ne devrait prendre un jet privé pour faire un trajet Paris-Bordeaux ». Où il est confirmé que l’écolo-wokisme existe et qu’il est un totalitarisme.

A lire aussi, Renaud Camus: « Une vérité n’est plus tout à fait une vérité s’il est interdit de la contester »

Sylvain Bourmeau ne rate jamais une occasion d’accabler les intellectuels ou les écrivains « d’extrême droite » qui réfutent les bienfaits d’une immigration illimitée. Tous les moyens, même les plus grossiers et mensongers, sont bons. « Cette domination blanche peut prendre des formes extraordinairement violentes qui conduisent à des attentats qui ont eu lieu en Norvège, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne, aux États-Unis. […] On a trouvé parmi les livres que lisaient les auteurs de ces attentats, des textes de théoriciens français », explique-t-il sournoisement en tendant le micro à la « chercheuse » du CNRS qui embraie : « Oui, en effet, on trouve régulièrement des références à Renaud Camus, cet auteur d’extrême droite qui théorise le premier la thèse du Grand remplacement […] thèse qui postule qu’il y aurait une espèce de forme de complot général où des populations non-blanches vont émigrer par vagues extrêmement importantes et submerger les populations occidentales. » Évidemment, le camarade Bourmov et ses invitées n’ont pas lu une seule ligne des écrits de Renaud Camus et se contentent de répéter les assertions très orientées de l’encyclopédie Wikipédia ou de Mediapart à son sujet.   

Passons rapidement sur l’accusation ridicule d’incitation à la violence concernant un homme qui, confronté, comme nous tous, à la réalité de la nocence – les nuisances sous toutes leurs formes, de la délinquance au terrorisme, du bruit des voisins aux tirs à la Kalachnikov, des éoliennes à la plastification des océans, des rodéos urbains au crime organisé en passant par toutes les “incivilités” quotidiennes – ne lui oppose pour toute arme que l’in-nocence, c’est-à-dire l’essence même de la civilisation.  « La civilisation n’est pas la source de tous les maux mais, au contraire, la suite désespérée et tâtonnante, parfois victorieuse un moment mais perpétuellement remise en cause, des efforts des sociétés diverses pour endiguer et tenir sous contrôle la nocence, que celle-ci s’exerce contre les hommes, contre les femmes, contre les enfants, contre la nature, contre les biens, contre les races, contre les espèces, contre la biodiversité, contre l’air, contre l’eau, contre l’humanité de l’homme et la beauté du monde », écrit-il sur son compte Facebook (9 février 2020) avant de conclure : « La nocence est une réalité irrévocable du monde. Il ne s’agit pas de la nier mais de la combattre et de la circonscrire, et cela d’abord en soi, pour chacun de nous. »

Renaud Camus contre la matière humaine indifférenciée

Renaud Camus n’évoque jamais l’idée d’un « complot général » quand il analyse le grand remplacement, qu’il définit comme la substitution visible d’un peuple par un autre historiquement, culturellement et religieusement radicalement différent, avec les conséquences qu’on sait sur la vie des autochtones. Par ailleurs, ce grand remplacement, qui n’est pas une théorie mais un fait observable, n’est plus, selon lui, qu’une petite part d’une nouvelle forme de totalitarisme qu’il nomme le « remplacisme global ». La dépossession (de la langue, des sexes, des races, de l’histoire singulière des pays et des civilisations), la déculturation (l’effondrement de la transmission, l’enseignement de l’oubli, la cancel culture) et la production industrielle de l’homme remplaçable aboutissent inéluctablement à la transformation de l’humanité en ce qu’il appelle la MHI (Matière Humaine Indifférenciée), un agrégat d’êtres déracinés, anhistoriques, interchangeables, utilisables, déplaçables au gré des besoins et des intérêts d’une oligarchie mondialisée, davosienne et globale, dans un monde effrayant combinant les visions prédictives d’Orwell et de Huxley.

Tout va bien se passer …

Curieusement, M. Bourmeau et ses invitées ont oublié de citer quelques autres personnalités soutenant les « thèses conspirationnistes » de Renaud Camus et adhérant allègrement à l’idée d’un grand remplacement des peuples français et européens. Sur Al-Jazeera, le 13 mai 2017, Rokhaya Diallo affirme que les Français doivent s’habituer au fait que « la France n’est plus un pays chrétien et blanc ». Quelque temps auparavant, sur le plateau de Ce soir ou jamais, la romancière franco-camerounaise Léonora Miano prophétisait déjà la « disparition du monde connu » et prêchait la bonne parole remplaciste : « N’ayez pas peur d’être minoritaire culturellement. N’ayez pas peur de quelque chose qui va se passer. Parce que ça va se passer. Ça s’appelle une mutation. L’Europe va muter. […] Ils [les Subsahariens] vont venir, et ils vont venir avec leur bagage identitaire. […] C’est ça qui va se passer, et c’est déjà en train de se passer. N’ayez pas peur. » Pour son dernier livre, L’opposé de la blancheur, réflexions sur le problème blanc (sic), Mme Miano a été conviée sur France Culture où elle a pu déblatérer pendant plus d’une demi-heure sur une supposée « blanchité dominante et toxique » sans rencontrer de résistance, devant deux journalistes wokisés jusqu’aux oreilles exprimant leurs propres difficultés à se « déconstruire » en tant que « personnes blanches » (Les Midis de Culture, 5 octobre 2023). Le 3 mai 2016, toujours sur France Culture, un homme décrivait très exactement ce qui était en cours et ce qui allait advenir. Après que la journaliste Amélie Perrier eut décrit « des migrations qui deviennent énormes et incontournables », cet homme entérina l’idée d’un phénomène irrépressible : « Oui, disons qu’on assiste à un processus de longue durée, un processus de repeuplement du monde qui va s’intensifier dans les années qui viennent. […] Les pays du Nord vont continuer d’accuser une tendance au vieillissement. Dans 50 ans à peu près, une grande partie des habitants de la planète viendra de l’Afrique et de l’Asie. Tout cela va provoquer des recompositions majeures avec lesquelles il faudra vivre. » Cet homme, qui évoquait un « processus de repeuplement du monde » présentant de fortes similitudes avec les remplacements de populations décrits par Renaud Camus, n’était pas Renaud Camus mais… l’historien camerounais préféré des décolonialistes et des mélenchonistes, Achille Mbembe (3). Jean-Luc Mélenchon, dans un tweet du 21 septembre 2021, implorera les Français d’accepter joyeusement ce bouleversement incontestable et, pour certains, désirable : « Vous ne vous baladez pas dans la rue ? Vous ne voyez pas ce qu’est le peuple français ? Le peuple français a commencé une créolisation. Il ne faut pas en avoir peur. Il faut s’en réjouir. » Depuis, le mouvement mélenchoniste a clarifié ses objectifs en accueillant en son sein Rima Hassan : il n’est plus seulement question d’offrir l’hospitalité à de nouveaux arrivants dans le but de « métisser » ou de « créoliser » la population mais bien de modifier en profondeur les mœurs de la société française en lui imposant celles d’une imposante immigration musulmane n’ayant nullement l’intention d’abandonner ou d’adoucir les préceptes coraniques les plus rétrogrades, la charia en premier.  

Sylvain Bourmeau, confit dans les certitudes gauchisantes et wokes d’une petite mais très influente caste politico-médiatico-universitaire, est dévoré comme elle par la haine de soi et une répugnance pour son propre pays, son histoire et son peuple. Le voici prêt à discuter de sa couleur de peau, pour la renier, au prétexte qu’elle serait la marque du démon. Depuis plus de quarante ans, cette belle âme se ripoline la conscience à grands coups de pinceaux antiracistes. Il ne pouvait pas ne pas prendre en marche le train des thèses racialistes. Présenté comme une « théorie critique de la race », un nouvel antiracisme a vu le jour, un antiracisme raciste encourageant le ressentiment, la haine, les relations conflictuelles. Dans un pays comme la France où le racisme était devenu résiduel, le racialisme, après avoir ravivé d’anciennes rancœurs, en a créé de nouvelles et tente de tuer tout espoir d’apaisement. Une société multiethnique, communautariste, « racialisée » et victimaire est vouée à la violence. Mais M. Bourmeau n’en a cure. M. Bourmeau arbore virtuellement et à tout jamais une petite main jaune sur le revers de son veston. Il se croit encore en 1984, date de la création de SOS Racisme. Date des débuts de M. Bourmeau sur la scène du petit théâtre de l’antiracisme. Second rôle médiatique au jeu très limité, il n’en sortira plus. La mise en scène est immuable ; le texte s’est vu gratifié au fil des ans d’ajouts racialistes et décolonialistes ; la voix aigre-douce du comédien s’est acidifiée. Mais, au fond, rien n’a changé. M. Bourmeau, alias la Castafiore de l’antiracisme, entonne toujours le même air – « Ah ! Je ris de me voir si vertueux en ce miroir » – et n’imagine pas un seul instant qu’il est en vérité le chantre du désastre…   


(1) Judith Waintraub consacre, dans Le Figaro du 26 octobre, un article à cette institution, ce « paradis des sciences “molles” [qui nous] coûte cher, très cher ». « En sociologie, le militantisme a vite fait de remplacer la rigueur scientifique, surtout quand la répartition des postes, l’évaluation et les circuits de financement des projets sont régis selon un système volontairement opaque où règne l’entre-soi », écrit-elle avant de rapporter les propos édifiants de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler : « Le champ de la recherche dans ce domaine est dominé par le courant décolonialiste. Quand on ne s’en réclame pas, on n’avance pas en matière de carrière, trouver des financements est très difficile. » Et on n’est pas invité dans l’émission du camarade Bourmov.

(2) Solène Brun et Claire Cosquer, La domination blanche, 2024, Éditions Textuel. Dispensable, au même titre que les ouvrages de Lilian Thuram, Rokhaya Diallo, Miano Léonora et autres Robin Di Angelo.

(3) André Perrin rappelle cet entretien dans son excellent Journal d’un indigné (Éditions de L’Artilleur). Il note ironiquement que « personne [n’ayant] dénoncé le caractère “nauséabond” des propos d’Amélie Perrier et d’Achille Mbembe, on peut donc en conclure qu’ils n’ont rien à voir avec la sinistre théorie du “Grand Remplacement” ».

P.S : Bruno Lafourcade brosse de Sylvain Bourmeau un portrait réjouissant et saisissant de vérité dans Les nouveaux vertueux, éditions Jean-Dézert. Nous en conseillons très vivement la lecture.

Vol à l’étalage: double peine pour les commerces!

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Ras le vol, clament de nombreux commerçants, qui ne prennent parfois même plus la peine d’aller porter plainte! Un député propose d’autoriser en France la pratique du « name and shame » pour éloigner les voleurs des boutiques. 


Quand il est question de « vol à l’étalage », la plupart d’entre nous pensent « chapardage ». S’impose alors la vision de petits voleurs, davantage opportunistes que réels délinquants. Parfois même aurons-nous, consciemment ou non, une vision misérabiliste et victimaire du voleur, poussé à l’acte par la faim ou le besoin. Un vol, certes, mais pas très grave, bien loin du vol avec violence ou du braquage. Pour un peu, on entendrait la voix, fort heureusement lointaine, de Sandrine Rousseau déclarer, comme lors des émeutes de juillet 2022 : « Et si le pillage avait à voir avec la pauvreté ? ».

Tu as volé l’orange du marchand…

C’est malheureusement à cause de biais de ce genre que les commerçants français vivent actuellement un véritable enfer, entre laxisme des institutions et indifférence voire mépris de l’opinion publique. La réalité est bien différente : le vol à l’étalage en France est majoritairement pratiqué par des professionnels de ce délit, souvent en bande, selon des schémas bien rodés, les amenant à changer régulièrement de villes. Le butin de ces vols, qui s’apparentent parfois à de véritables razzias, alimentent des réseaux de vente parallèles en France ou à l’étranger. Nous sommes bien loin de l’image d’Épinal du petit voleur de pommes. Ce fléau concerne l’ensemble des commerces, de la plus grande enseigne au petit commerce indépendant de quartier.

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Mi-octobre, une vidéo montrant des tablettes de chocolat sous blister antivol dans un Monoprix de Marseille a fait le buzz, mais si beaucoup ont souligné le cocasse de la situation, peu de gens se sont émus de la justification de l’enseigne qui a alors indiqué se faire actuellement voler pour plus de 500€ par mois dans ce seul rayon ! Les derniers chiffres fournis par le Ministère de l’Intérieur remontent à 2022 et montrent une augmentation des vols à l’étalage de 14 % cette seule année, un chiffre identique dans les grandes villes et les zones plus rurales. Hélas, le Ministère de l’Intérieur n’a, pour le moment, pas divulgué de statistiques plus récentes malgré les demandes récurrentes de M. Jérôme Jean, ancien commerçant et président du collectif « Ras Le Vol », association qui œuvre depuis début 2023 pour défendre les intérêts des commerçants victimes de vols. Ce dernier relativise cependant la représentativité de ces chiffres qui seraient vraisemblablement très en dessous de la réalité puisque beaucoup de commerçants, dépités,  ne prennent même plus la peine de porter plainte. 

Sentiment d’humiliation et d’impuissance

Pourquoi un tel découragement face à des actes qui, par leur ampleur ou leur récurrence, peuvent  pourtant mettre en péril une entreprise et le projet d’une vie ? Selon Jérôme Jean, « on a d’un côté une police qui manque de moyens, et, de l’autre, une justice qui ne condamne pas, ou si peu. » En effet, les commerçants se sentent réellement abandonnés par les pouvoirs publics. Les rares passages au tribunal se soldent souvent par de simples « rappels à la loi ». Au-delà du préjudice financier, ces vols à l’étalage et l’impunité de leurs auteurs ont un réel impact sur le fonctionnement de l’entreprise (tensions dans les équipes de vente, difficultés d’organisation) ainsi que sur la santé mentale des commerçants qui affirment ressentir au quotidien un fort sentiment d’insécurité, d’humiliation et d’impuissance.

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En janvier 2024, le député de l’Ain Romain Daubié a déposé une proposition de loi relative à la sécurité des commerçants dans l’exercice de leurs activités. Il demande une modification de l’article L.226-1 du Code pénal pour que « le consentement des personnes pénétrant dans des commerces […] ayant recours à la vidéo protection soit présumé ». En effet, de nombreux commerces sont désormais équipés de matériel de vidéosurveillance mais cela se retourne parfois contre eux lorsqu’ils sont tentés de diffuser sur les réseaux sociaux ou d’afficher à l’entrée de leur magasin les images des voleurs. Cette pratique, surnommée le « name and shame » dans les pays anglo-saxons, est déjà légale dans beaucoup de pays et semble porter ses fruits, notamment en Angleterre, mais force est de constater qu’en France le droit à l’image semble primer sur celui de la propriété. Jérôme Jean se souvient notamment de cette commerçante récemment condamnée à verser à ses voleurs plus de 1000€ de dommages et intérêts alors que ceux-ci n’avaient écopé pour leur délit que d’un simple rappel à la loi. Une autre commerçante, dans l’Allier, a eu, quant à elle, la mauvaise surprise de recevoir un courrier d’avocat défendant le droit à l’image de ses deux voleuses et exigeant le retrait des images qu’elle avait publiées sur les réseaux sociaux. Ces cas sont loin d’être anecdotiques et isolés. Il semblerait bien que nous assistions en France à une aberrante inversion des valeurs. La proposition de loi n’a pas encore été débattue mais nul doute que certains députés feront leur cheval de bataille de défendre le sacro-saint droit à l’image, défendront et plaindront les voleurs. Il ne faudrait quand même pas que ces petits anges ressentent une quelconque honte ou gêne, suite à la diffusion des accablantes images ! Cela risquerait de leur donner envie de revenir dans le droit chemin !

Des solutions de lutte contre le vol à l’étalage sont pourtant bel et bien présentes dans la loi. Depuis un an et demi, les policiers ont le droit, devant un flagrant délit de vol pour un préjudice inférieur à 300€, d’appliquer immédiatement une AFD (Amende Forfaitaire Délictuelle) d’un montant de 300€ sans poursuites judiciaires. L’usage de l’AFD permet de désengorger les tribunaux, de faciliter le travail des policiers mais également de sanctionner immédiatement les auteurs et limiter ainsi le risque de récidive. À part dans quelques villes telles que Lille, les AFD semblent malheureusement peu utilisées. Preuve là encore que la France ne manque pas d’outils judiciaires mais d’une réelle volonté politique de les appliquer. En 2024, les voleurs ne sont plus des chapardeurs de pommes. Ils agissent en toute impunité et s’offrent les services des meilleurs avocats. À ce rythme-là, ils se payeront bientôt le culot, après leur passage, de mettre des mauvais avis sur Google. Commerçants, n’oubliez pas de sourire !

Une soirée avec les partisans français de Donald Trump

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L’association Republican Overseas se réunissait hier soir à Paris, dans l’attente du résultat de l’élection présidentielle américaine.


Une internationale trumpiste. Qui l’eut cru ? Mardi d’élection, à l’étage d’un restaurant italien du quartier de Saint-Germain-des-Près, ils sont quelques dizaines réunis par l’association Republican Overseas qui regroupe les citoyens américains membres du parti républicain expatriés. Le président de la section française, Randy M. Yaloz, nous accueille avec le sourire des grands jours. Il est 22h. Les premiers résultats arriveront vers 1h du matin. Est-il confiant ? « Je n’aurais pas organisé cette fête, si ce n’était pas le cas. Beaucoup m’ont demandé d’organiser un évènement. En 2020, nous étions plus pessimistes. La situation post-Covid était chaotique et plusieurs erreurs avaient été commises pendant notre campagne… »  


Pas de place au pessimisme

« Nous les Américains, on a une tendance pro-active : on agit d’abord, on réfléchit ensuite. Alors non, aucun pessimisme ! » assume David, rédacteur franco-américain. Les expatriés américains sont-ils un cœur de cible pour le parti républicain ? Profitant de la mondialisation, beaucoup résident en métropole et occupent des emplois qualifiés dans les services dans la capitale française…

Mais, on pourrait aussi voir en eux des électeurs type du… parti démocrate. « Beaucoup étaient encore hésitants en 2016 et 2020, mais ils viennent maintenant vers nous » assure Randy Yaloz. Comment l’expliquer ? « On subit la double taxation : l’impôt sur la citoyenneté américaine et l’impôt du pays résident ! Trump a promis de changer cela pour que nous ne soyons pas obligés de payer deux fois. Et son message a été entendu par beaucoup d’Américains vivant à l’étranger »

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Nostalgique Amérique

Cet enthousiasme, on le retrouve chez d’autres convives de la soirée. Des Américaines enjouées arborant les casquettes MAGA affichent ainsi toute leur confiance. Aimée, chef d’entreprise vivant en France depuis 1985, voit en « Donald », un des premiers politiques « qui ne fait pas carrière pour l’argent, mais par amour du peuple américain ». On entend souvent que la politique américaine fracture la société, oppose des voisins, brise même les familles. Qu’en est-il réellement ? « Je viens d’une grande famille. Ma sœur est républicaine comme moi, mais le reste est démocrate pur et dur… Mais, on s’aime quand même. » Camala (avec un C, précision importante ce soir) est violoniste, et voit en Trump « le protecteur du peuple américain ». Elle dit venir d’une famille conservatrice… « Religieuse ? » demande-t-on naïvement. « Je suis choquée que l’on puisse considérer la pratique religieuse comme un marqueur politique… Autrefois, tout le monde allait à l’église ! Démocrates comme républicains ». Lors de cette petite sauterie parisienne, la présence de nombreuses femmes quinquagénaires contredit le fameux « gender gap » dont parlaient les médias et que semblaient mesurer les sondages annonçant une mobilisation féminine exceptionnelle en faveur des démocrates… Du côté des bi-nationaux, on trouve Lorenzo, consultant dans le tertiaire: « Encore techniquement inscrit au parti démocrate », il nous dit être «  en phase de transition ». L’homme a vécu à New-York, « avec une espèce d’interdit autour de la politique… il fallait être du bon côté. Cette omerta était pesante et m’a fait finalement évoluer. Je ne sais pas si je suis parfaitement républicain aujourd’hui, peut-être libertarien… Il y a en tout cas un terreau de valeurs communes entre nous, des conservateurs modérés jusqu’à certains démocrates libéraux classiques, même ». Un peu comme dans un roman de Philip Roth, les Américains présents ici sont avant tout des nostalgiques. Ils regrettent cette vieille pastorale américaine qui rassemblait les enfants d’Uncle Sam par-delà leurs différences politiques. Cette Amérique que décrivait Tocqueville organisée autour de la sainte trinité du dollar, de la Bible et de la Constitution – et dont les wokes déboulonnent les statues et brûlent les symboles. Le président des Republicans Overseas France s’autorise à formuler un message assez tendre pour ses compatriotes démocrates expatriés : « C’est une chose tout à fait nouvelle de considérer les chrétiens comme conservateurs. Cela n’a rien d’automatique. Auparavant, la plupart des Américains allaient à l’église, peu importe leurs idées politiques ». Nos trumpistes parisiens sont finalement assez loin du cliché de l’Américain haineux, armé, impatient d’en découdre avec l’adversaire démocrate dans une nouvelle guerre de sécession.

La famille d’Aimée est très démocrate, mais elle maintient ses positions trumpistes. 

En France comme aux Etats-Unis, ces expatriés doivent aussi assumer la diabolisation : « Je suis d’une famille juive : il y a comme un conditionnement à voter à gauche quand on est juif new-yorkais… mais les actes anti-israéliens et antisémites des campus ont changé les choses. Voir Anne Sinclair, que je respecte par ailleurs, traiter l’élection américaine de manière aussi caricaturale à la télévision est désolant… »  raconte Lorenzo.

Ces Français qui admirent Donald Trump

À l’étage, on trouve aussi les admirateurs français de Donald Trump. Des assistants parlementaires, quelques journalistes et aussi des gens ordinaires. Jenny, une Française quinqua,  qui « travaille dans le wokistan » – entendez par-là « le monde de la culture et des médias » – soutient Trump car « elle en a marre » de devoir suivre dans un cadre professionnel « des ateliers sur la journée des pronoms où l’on se concerte pour savoir s’il faut mettre he ou him pour créer des safe space ».


Vers 23h30, ce sont des invités plus inattendus qui arrivent. Le leader souverainiste Nicolas Dupont-Aignan vient saluer les convives : « Le soutien de Robert F. Kennedy Jr (le fils de robert Kennedy et éphémère candidat indépendant à l’élection, NDLR) à Donald Trump a beaucoup compté. J’ai admiré son courage pendant la pandémie Covid ». Comment pourrait évoluer la relation franco-américaine, en cas de victoire de Trump ? « Je reste gaulliste… Les Français devront de toute façon défendre leurs intérêts ». L’ancien député de l’Essonne aurait pu croiser son alter ego souverainiste et opposant au passe sanitaire, Florian Philippot, qui est passé un peu plus tard. « Je reste tout à fait anti-américain », nous rassure le chef des « Patriotes » derrière une bannière Trump 2024. Son soutien est toutefois enthousiaste : « Je soutiens Trump. Il incarne la paix, la liberté d’expression, la rupture franche avec le système qu’incarne Kamala Harris et la domination impériale ». Et il se trouve des convergences politiques avec l’Américain : « Une élection de Trump permettrait d’assouplir la domination américaine. Il n’est pas attaché à l’OTAN ou l’UE. Cela tombe bien ; je veux sortir et de l’OTAN et de l’UE! »

Des expatriés, des indépendants, des anciens démocrates, des gaullistes, des bi-nationaux, des Français du quotidien : les effectifs sont encore modestes, mais cette internationale trumpiste pourrait étonner…

La sombre nuit du wokisme

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Aux États-Unis d’Amérique, Donald Trump revendique sa victoire. Emmanuel Macron le félicite, et écrit « être prêt à travailler ensemble comme nous avons su le faire durant quatre années. Avec vos convictions et avec les miennes. Avec respect et ambition. Pour plus de paix et de prospérité. » Cet événement planétaire est un camouflet terrible pour le progressisme. Et le wokisme, son appendice débile.


La victoire de Trump est avant tout la défaite, la déroute du wokisme, ce fatras de fausse science, de moraline frelatée, de haine de soi, de mépris du vrai. Le populisme s’est exprimé. Ce populisme qui n’est autre, en vérité, que l’affirmation de la voix et de la raison du peuple. Tout l’opposé de la caricature que nos intelligentsias sacralisées veulent en dessiner et nous imposer.

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Pas un caprice des urnes

Cette victoire dépasse de beaucoup la victoire électorale d’un homme. Elle est bien davantage encore la marque magistrale du réveil des légions du bon sens et de la culture du réel. Cette élection, devrait marquer pour l’Occident dans son entier, ici et là, chez nous et à Bruxelles, l’an Un de ce qui pourrait être une reconquête. Ou en tout cas l’émergence d’un souffle nouveau. Elle sonne, pour paraphraser qui vous savez, « le crépuscule des idoles ». Les idoles artificiellement fabriquées contre ce même bon sens, contre, surtout, les populations. Contre l’immense masse des gens de la vraie vie. Aussi, le président élu Donald Trump dit vrai – ô combien – lorsqu’il clame « Nous avons écrit l’histoire ». Il y a bien de cela, en effet. Et personne ne pourra faire comme s’il ne s’agissait que d’une « regrettable » péripétie électorale, un caprice des urnes, un coup du diable, un malentendu déplorable. C’est bien sûr ce que, sans vergogne, tenteront de nous faire avaler les beaux esprits d’ici.

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La gueule de bois du mondialisme, encore béat hier

Or, la question pour nous, aujourd’hui, le nez devant le résultat hors norme, est de savoir ce que nous allons en faire. Quelle lecture nos médias, le pouvoir, nos cabinets ministériels, les instances européennes confinées en mondialisme béat vont en proposer ? On attend les repentirs. On attend les analyses refondatrices. On guette avec gourmandise les réactions universitaires. On espère une salutaire humilité intellectuelle à travers le pays, chez nos chers sachants notamment, cette humilité tellement nécessaire, particulièrement dans les médias distingués qui nous ont bombardé ces dernières semaines de ce que le résultat du jour relègue, qu’ils le veuillent ou non, dans le registre des fake news. C’est ainsi. 

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On peut et doit espérer un jour nouveau chez nous, de ce côté-là au moins. Ne serait-ce qu’en raison de la claque phénoménale qui vient d’être administrée au pitoyable barrage dit républicain du second tour des élections législatives de ce printemps. Barrage hors sol, manipulation indigne, en fait, contre les attentes véritables du peuple. La démonstration par la voix de l’Oncle Sam vient de nous en être administrée. Cette aube du 6 novembre, le jour, pour nous, s’est levé à l’Ouest.

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Elon Musk, Deus ex machina

Déjà engagé dans la conquête spatiale, le développement des voitures électriques et l’IA, Elon Musk relève un nouveau défi : recaser à la Maison Blanche son super-héros Donald Trump. Comme dans les affaires, le militant le plus riche du monde bouscule tous les codes.


Le 5 octobre, Donald Trump tient meeting à Butler, en Pennsylvanie, là où en juillet il avait été blessé dans une tentative d’assassinat. Soudainement, un homme habillé comme un geek typique, la casquette de base-ball vissée sur la tête, saute sur scène, fait quelques bonds disgracieux avec les bras en l’air en signe de victoire, et vient se positionner devant le micro que Trump lui cède. C’est Elon Musk, l’homme le plus riche de la planète, qui vient apporter son soutien total à la candidature de l’ancien président. Il lance à la foule les paroles de défi scandées par Trump en juillet : « Fight, fight, fight! » (« Luttez, luttez, luttez ! ») avant d’annoncer, alarmiste, que cette élection pourrait être la dernière : « Le président Trump doit gagner pour préserver la Constitution, pour préserver la démocratie en Amérique. » À la différence d’autres milliardaires, Musk ne s’est pas contenté de donner plus de 118 millions de dollars à Donald Trump, il a personnellement fait campagne pour lui en organisant ses propres meetings dans l’État pivot de Pennsylvanie. Il a même inventé une astuce originale pour influencer les électeurs, en lançant une pétition pour soutenir les deux premiers amendements de la Constitution – sur la liberté d’expression et le droit de porter des armes – qui, selon Musk, sont menacés par le Parti démocrate. Chaque jour jusqu’au vote du 5 novembre, une loterie a été organisée parmi les citoyens signataires résidant dans un État pivot, le gagnant empochant un chèque d’un million de dollars. Le département de la Justice a écrit à Musk pour l’avertir que ce procédé pourrait être contraire à la loi électorale, mais plus rien ne semble arrêter le milliardaire que ses critiques accusent de se croire au-dessus des lois.

Dark MAGA

À Butler, Musk, pointant sa casquette frappée du slogan « Make America Great Again », qui n’était pas rouge mais noire, a proclamé : « Je ne suis pas seulement MAGA, je suis Dark MAGA ». « Dark MAGA » est un mème partagé depuis 2022 par des internautes ultra-trumpistes souhaitant le retour au pouvoir d’un Donald plus fort que jamais. Certains commentateurs n’ont pas manqué de flairer des relents d’extrême droite dans son esthétique visuelle – tirée des films Terminator. Mais Musk ne craint pas de flirter avec le complotisme, et « Dark Maga » marque surtout la force de son engagement pour Trump. Il représente aussi le côté sombre de son personnage, le double énigmatique qui, même aux pays des utopies capitalistes, sort de tous les cadres conventionnels.

Tout, chez Musk, est surdimensionné. Cinq jours après son intervention à Butler, il présentait les dernières inventions de Tesla : un taxi autonome, sans conducteur, et un robot polyvalent destiné à servir dans la maison, presque un sosie du C-3PO de la Guerre des étoiles, qui – à en croire le milliardaire – pourrait être commercialisé fin 2025 à un prix d’environ 20 000 dollars. Trois jours après, Musk a bluffé le monde entier quand la nouvelle fusée de SpaceX, Starship, est redescendue sur son pas de tir pour être attrapée par deux bras mécaniques – une étape importante dans le développement de son projet martien. Bien que né en Afrique du Sud en 1971, cet homme-orchestre de la technologie et des affaires est devenu un héros américain que Trump compare à Thomas Edison. Il a commencé sa carrière d’homme d’affaires, comme tant d’autres, dans la Silicon Valley, mais il a rapidement dépassé ce milieu par la diversité et l’ambition de ses projets. S’établissant aux États-Unis en 1992 (il devient citoyen américain en 2002), il abandonne un doctorat en physique à Stanford pour cofonder avec son frère une société qui développe des logiciels de guide touristique. L’entreprise est rachetée en 1999, lui permettant de créer une banque en ligne, X.com, qui fusionne avec une autre pour créer PayPal. Quand cette dernière est rachetée en 2002, Musk investit ses gains dans la création de SpaceX dont le but ultime est de coloniser Mars. L’entreprise se met à fabriquer des fusées partiellement réutilisables – la série des Falcon –, qui aujourd’hui ont permis de diviser par dix les coûts de l’accès à l’espace. À partir de 2006, SpaceX décroche des contrats avec la NASA pour desservir la station spatiale internationale et préparer de futures missions lunaires. Accomplissant ce dont l’État est incapable, écrasant la concurrence, SpaceX commence en 2019 à développer le fameux Starship, un lanceur entièrement réutilisable, capable de porter huit fois plus de poids que les Falcon et destiné à révolutionner encore les voyages spatiaux. Musk compte envoyer cinq vaisseaux sans équipage sur Mars en 2026 et des humains quatre ans plus tard. Pour l’instant, la vraie profitabilité de SpaceX vient de Starlink, l’immense réseau de satellites que ses fusées ont mis en orbite pour fournir un accès internet à des endroits isolés.

SpaceX teste son lanceur Starship depuis le site de lancement de Boca Chica au Texas, 7 juin 2024. Une nouvelle étape a été franchie le 13 octobre avec la capture inédite du booster par les bras mécaniques de la tour. SpaceX/UPI Photo via Newscom/SIPA

Tesla concurrencée par la concurrence chinoise de BYD

Son autre entreprise phare, Tesla, a été créée en 2003 pour produire des voitures électriques. L’année suivante, Musk, qui prend au sérieux le changement climatique, y investit et en devient l’actionnaire principal, avant de prendre la tête de la société en 2008. En 2021, la capitalisation boursière de Tesla atteint 1 000 milliards de dollars. Lancé en 2020, le crossover Model Y est devenu le véhicule électrique le plus vendu dans le monde. Néanmoins, Tesla est concurrencée par la marque chinoise BYD. Pour faire face, elle parie sur sa capacité à produire des véhicules autonomes moins chers, comme son cybertaxi. Les investisseurs restent confiants : en octobre, les actions Tesla ont augmenté de 22 %. Mais les ambitions de Musk ne s’arrêtent pas là. En 2016, il crée la Boring Company pour creuser des tunnels destinés à de nouveaux moyens de transports collectifs. Bien qu’il décrive le développement d’une intelligence artificielle superpuissante comme « la plus grande menace existentielle pour l’humanité » en 2014, il investit dans l’IA. En 2015, il cofonde OpenAI qui commercialise aujourd’hui des programmes comme ChatGPT. Il quitte le conseil d’administration en 2018, mais crée sa propre société xAI en 2023 pour concurrencer OpenAI et Google. Entretemps, il a lancé Neuralink en 2016 dont l’objectif est de développer des interfaces entre le cerveau humain et des ordinateurs grâce à des implants cérébraux. Il s’agit dans un premier temps de combattre des maladies neurodégénératives comme celle d’Alzheimer, mais dans un deuxième d’augmenter les capacités mentales de l’homme. Pourquoi cet intérêt pour l’IA dont il dit redouter le développement ? D’abord, ses voitures – surtout les autonomes – et ses fusées dépendent de systèmes IA. Ensuite il y a la FOMO (fear of missing out) – la peur de rater un coche technologique et commercial. Il croit aussi que, grâce à Neuralink, un être humain augmenté sera capable de tenir tête à une super-IA. Musk n’est pas un transhumaniste, comme l’affirment la plupart des médias français : il ne partage pas cette croyance répandue dans la Silicon Valley que le destin de l’homme est de devenir immortel en téléchargeant son esprit dans une machine. Du cerveau à l’espace, cet entrepreneur en série sous stéroïdes incarne plutôt un retour à l’imaginaire futuriste des années 1960, fondé sur l’ingénierie lourde plutôt que l’informatique. Pour devenir enfin une réalité, cet imaginaire avait besoin de la révolution numérique, mais aujourd’hui cette réalité la transcende.

Pourquoi un tel futuriste a-t-il jeté son dévolu sur Trump qui n’est pas un grand technophile et émet des doutes sur l’utilité des véhicules électriques ? Dans le passé, Musk s’est montré plutôt centriste. Il dit avoir voté pour Hillary Clinton en 2016 et Biden en 2020. Ses relations avec Trump ont connu des hauts et des bas, et les deux hommes ont parfois eu des prises de bec acrimonieuses. Après l’élection de Trump, Musk a participé à deux organes conseillant le président, mais en a démissionné en 2017 quand ce dernier a quitté l’accord de Paris sur le climat. Ce n’est qu’après la tentative d’assassinat en juillet dernier qu’il s’est pleinement engagé pour Trump.

La grande mue de Musk commence à l’époque du Covid, quand les autorités démocrates en Californie lui ordonnent de fermer les usines Tesla. Cette ingérence de l’État dans ses affaires le révolte. Musk n’est pas antivax, mais dénonce les confinements. En 2022, il annonce laisser tomber les démocrates qui sont le parti « de la division et de la haine », et soutiennent trop les syndicats. Comme l’indique cette dernière référence, Musk a des raisons économiques d’être trumpiste. Il accuse les syndicats de brider l’efficacité de ses entreprises. Ces dernières dépendent en partie de l’État qui leur a accordé des milliards de contrats et octroyé des crédits d’impôt au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, Musk rechigne contre tout ce qu’il considère comme une réglementation excessive. Actuellement, ses sociétés font l’objet de plus de vingt enquêtes de la part de régulateurs gouvernementaux. Si Tesla mise sur ses véhicules autonomes moins chers, leurs systèmes de contrôle risquent d’avoir du mal à obtenir l’agrément du régulateur pour des questions de sécurité routière. Il serait donc très utile pour Musk d’avoir un ami ultralibéral à la Maison-Blanche. Trump et lui ont même parlé de sa nomination possible à la tête d’une commission sur l’efficacité gouvernementale. Les deux hommes partagent le même enthousiasme pour les cryptomonnaies qui, en contournant les banques centrales, représentent l’outil antiétatique par excellence.

Musk a aussi des raisons personnelles d’être pro-Trump. En 2022, il rachète Twitter, sa sixième entreprise, qu’il fusionne avec une nouvelle société pour créer X. Il l’a payée 44 milliards et elle n’en vaut aujourd’hui que 19, à la grande joie de ses ennemis de gauche. Mais cette acquisition est plus une manœuvre politique qu’un investissement économique. En effet, Musk se déclare le champion de la liberté d’expression et accuse la plateforme dans son avatar précédent d’avoir censuré les opinions et les internautes de droite. Il condamne comme « une faute morale » la décision de bannir Trump de Twitter en 2021 et il lève l’interdit. Il livre à des journalistes les « Twitter Papers », une sélection de documents censés prouver les tropismes politiques de l’ancienne direction. Le réseau, qui compte 202 millions d’abonnés, sert aujourd’hui de mégaphone personnel à Musk qui l’a rebaptisé de sa marque fétiche, « X ». Pour prouver que sa liberté d’expression passe avant tout, il envoie balader tous ceux qui voudraient le faire chanter en lui refusant des contrats de publicité : « Allez vous faire foutre ! » Il utilise X pour interpeller directement des politiques. Il a croisé le fer avec Thierry Breton cet été, quand ce dernier était encore commissaire au Marché intérieur de l’UE, et plus récemment avec Véra Jourovà, une vice-présidente sortante. Elle l’a qualifié de « promoteur du mal » et il l’a accusée d’incarner « le mal banal, bureaucratique ». Il s’est attaqué cet été au Premier ministre britannique Keir Starmer et à l’ancien leader écossais Humza Yousaf, qu’il accuse de racisme anti-Blancs. Il dénonce aussi l’immigration aux États-Unis qui, selon lui, est instrumentalisée par les démocrates, soucieux de se garantir de futurs électeurs. Sans surprise, la gauche traite Musk de raciste et l’accuse même de manier des tropes antisémites dans ses dénonciations de Justin Trudeau et George Soros. En réponse, il s’est dit « plutôt philosémite » et en novembre 2023, il a banni de X les termes « décolonisation » et « de la rivière à la mer ». Il est surtout contre le wokisme sous toutes ses formes, en partie pour des raisons très personnelles. En effet, un de ses fils, Xavier, né en 2004, a décidé en 2020 de devenir une femme transgenre. Elle est allée jusqu’à adopter officiellement le nom de sa mère, devenant Vivian Jenna Wilson en 2022, pour mettre le plus de distance entre elle et son père, qu’elle accuse d’avoir été absent et d’être un « fornicateur en série ». Musk prétend que s’il a autorisé le changement de genre, c’est qu’il avait été piégé par le « virus mental woke » et considère désormais comme « mort » ce fils qui « pense que tous les riches sont malfaisants ».

En devenant Dark Maga, Musk semble assumer d’être associé au Mal, peut-être parce qu’il affectionne les films de super-héros qu’il affectionne – il a même fait une apparition-éclair dans Iron Man 2 en 2010. Comme un super-vilain qui travaillerait pour le bien, il ne cherche rien de moins qu’à recréer l’État, le monde et l’humanité à sa propre image.

Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

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Les relations franco-algériennes n’en finissent pas de ressembler à un concours de mauvaise foi, de mauvaise conscience et de mauvaise grâce. Plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps qu’Alger et Paris fassent enfin (et vraiment) la paix. Afin de normaliser leurs relations, il faut que la France mette fin à sa propension à l’autoflagellation au sujet de la colonisation, tandis que, comme le disent Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques dans leur introduction à notre dossier, « il est temps que notre ancienne colonie devienne indépendante. Pour elle comme pour nous ». Mais « comment ne plus être l’otage d’Alger ? » C’est la question que pose Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020). Il propose des solutions pour que les deux pays établissent enfin une relation adulte, sans chantage affectif ni délire de persécution, afin de normaliser, voire banaliser, des rapports bilatéraux. Jusqu’ici, la politique de la repentance a coûté cher à la France. Malgré la tentative d’intimidation du gouvernement algérien, l’eurodéputée Sarah Knafo a décidé de révéler à combien s’élève l’addition. Se confiant à Élisabeth Lévy, elle affirme que, plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps de divorcer pour de bon. Selon Driss Ghali, le pouvoir algérien n’a jamais cessé de cultiver le même ressentiment envers la France. Une intoxication mémorielle très utile pour faire oublier les errements de sa politique sociale et économique ; et pour culpabiliser les bonnes âmes françaises qui ne demandent qu’à faire repentance. 

Le numéro de novembre est disponible aujourd’hui dans le kiosque numérique, et demain chez votre marchand de journaux.

Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy nous parle de cette « Maison des mondes africains » que, « dans un esprit de réparation coloniale » (nous dit Libération), Emmanuel Macron a accepté de loger dans une aile de l’hôtel de la Monnaie à Paris, la plus vieille institution française encore en activité. Conclusion ? « Pour se faire pardonner son passé criminel, la vieille France raciste et colonialiste doit cesser d’exister et même faire oublier qu’elle a existé pour se vouer tout entière à l’Autre ». Faut-il canoniser Charles de Gaulle ?  Voilà la question que se pose Paul Thibaud. Le Général incarne la témérité mais n’a pas accompli de miracles. Comme Jeanne d’Arc, qui a pourtant été canonisée. L’Église pouvant faire des exceptions, elle pourrait ouvrir le « procès » en béatification de l’homme du 18-Juin, moins pour célébrer un exploit que pour défendre un modèle d’exigence.

MeToo, ça suffit ! Élisabeth Lévy déplore que ce mouvement ait libéré la furie des lyncheurs en ligne et des délateurs à carte de presse. La lourde condamnation de Nicolas Bedos en première instance prouve qu’un féminisme révolutionnaire, assoiffé de morts sociales et de bannissements, a désormais investi les palais de justice. Se confiant à Yannis Ezziadi et Élisabeth Lévy, Cyrille Eldin raconte l’histoire terrifiante qu’il a vécue avec son ex-compagne. Condamné pour « violences psychologiques » sur elle, l’ancien animateur-vedette de Canal+ est aujourd’hui séparé du fils qu’ils ont eu ensemble, au chômage et sans possibilité de travailler. En attendant l’appel de cette condamnation, il veut rétablir la vérité. Après la condamnation de Nicolas Bedos à un an de prison pour agression sexuelle (avec sursis probatoire de six mois), sa compagne Pauline Desmonts a dénoncé sur Instagram l’« injustice » d’une décision « tyrannique ». L’avocat pénaliste Randall Schwerdorffer, qui officie sur BFMTV, lui répond dans une lettre ouverte. Sa conclusion est alarmante : « Aujourd’hui, tous les hommes sont en danger face à ce lynchage permanent, à la violence des médias et parfois de la justice ». Caroline Fourest vient de publier Le Vertige MeToo aux éditions Grasset. Elle continue à approuver MeToo mais pointe la dérive fanatique de certains de ses zélateurs. Selon Yannis Ezziadi, c’est une nuance inadmissible pour les défenseurs de la cause : les néo-féministes et la presse comme-il-faut lui tombent dessus. Alerte : Caroline a viré à droite.  

En politique étrangère, constance et fermeté sont indispensables pour être respectés. Emmanuel Macron a enfreint cette règle élémentaire tout en démantelant la diplomatie française. Selon le journaliste Vincent Hervouët, s’entretenant avec Gil Mihaely, la « voix de la France » est devenue inaudible du Liban à l’Ukraine en passant par Bruxelles. Il affirme que « depuis qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, le Quai d’Orsay a perdu toute autorité au sein de l’administration ». Hillel Neuer, le directeur d’UN Watch, dont j’ai recueilli les propos, nous livre son témoignage d’expert sur les dérives de l’Organisation des nations unies. Israël vient d’interdire à l’UNRWA d’exercer ses activités sur son territoire. L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, notoirement corrompue par le Hamas, œuvre depuis sa création à délégitimer l’État hébreu, quand elle n’aide pas à le combattre. Selon Neuer, « chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix ».

Nos pages culture s’ouvrent sur un entretien avec l’écrivain Abel Quentin qui s’est confié à Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques. Dans son nouveau roman, Cabane, le prix de Flore 2021 brosse le portrait de quatre universitaires des années 1970 qui, grâce à l’informatique naissante, parviennent à mesurer les dangers écologiques de la croissance, et alertent sur la catastrophe à venir. Un récit passionnant et troublant, dont même les lecteurs climato-sceptiques ne sortiront pas indemnes. Georgia Ray s’est rendue à l’exposition Caillebotte au musée d’Orsay qui se révèle être une succession de chefs-d’œuvre. C’est aussi un concentré de bêtise. Le peintre de la vie bourgeoise au XIXe siècle est présenté comme le chantre de la déconstruction, venu « bousculer les stéréotypes de genre » en tentant d’« échapper à sa condition de riche rentier ». On s’émerveille et on rigole.

Au fil de ses livres et de ses articles dans Causeur, Thomas Morales célèbre la France d’hier, celle de sa jeunesse et des Trente glorieuses. Ses deux nouveaux recueils de chroniques, Les Bouquinistes et Tendre est la province, qu’a lus Philippe Lacoche, font la part belle aux souvenirs personnels et aux portraits littéraires. Emmanuel de Waresquiel, lui, dynamite les mythes. Selon le grand historien du XVIIIe siècle, se confiant à Vincent Roy, la Révolution française est encore bien vivante. Il suffit de voir comment ses « mythes noirs » sont instrumentalisés, de LFI aux JO de Paris. Son nouvel ouvrage (Il nous fallait des mythes, aux éditions Tallendier) remet les pendules à l’heure et démontre que la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés dès 1789.

Emmanuel Tresmontant nous recommande le Bistrot du Maquis à Montmartre. André Le Letty est passé par les meilleures maisons, de Bretagne et de Paris, avant de devenir citoyen de Montmartre et d’y ouvrir son propre restaurant où il mijote une cuisine traditionnelle tout en délicatesse et pleine de fraîcheur. Priorité est donnée aux produits de qualité, et aux prix bistrot ! De son côté, Jean Chauvet nous recommande pour le mois de novembre un film d’animation digne de ce nom et trois films du grand Ophüls en version restaurée.

Pour Ivan Rioufol, « la fin de règne des incapables a sonné ». Non contents de subir une libanisation accélérée de leur pays, les Français vont devoir payer pour les flambeurs qui ont endetté la nation pour acheter la paix sociale. Les faillis doivent partir. Et avec eux les idéologues de la post-nation. Enfin, Gilles-William Goldnadel lance un grand concours : il s’agit de célébrer le membre du Nouveau Front populaire qui se sera le plus distingué pour sa sottise, sa bassesse, son ignorance ou sa turpitude. La compétition s’annonce très serrée !

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L’âge de l’insulte

La campagne américaine a été marquée par les insultes. La démocratie américaine est-elle en danger ? La France est-elle, elle aussi, menacée par ce que les éditocrates nomment au choix « trumpisation » ou « polarisation » de la vie politique ? Pire, est-elle déjà gravement atteinte ?


À en croire la majorité des médias français, la campagne présidentielle américaine aurait opposé un Donald Trump déchaîné dans l’outrance et l’insulte à une gentille Kamala Harris respectueuse des usages… En langage d’éditorialiste, on parle de polarisation extrême dont M. Trump serait le seul responsable. Quant aux rares journalistes pro-Trump, ils nous servent un récit symétrique où le pauvre Trump est systématiquement attaqué et diffamé.
Soyons honnêtes : durant la période récente, c’est certainement M. Trump qui a normalisé l’insulte et l’affabulation en politique. Rappelez-vous de tous ses tweets (c’est au point que l’on parle désormais de « trumpisme »).  Mais, cette fois, ça a volé haut des deux côtés. Kamala Harris a traité Trump de « fasciste », d’ »inapte », de « dérangé ». Lui a répliqué par « communiste », « idiote », « attardée » ou « bête comme une pierre ». Donald Trump a aussi traité ses opposants d’ennemis de l’intérieur, et Porto-Rico a été comparé à une poubelle flottante lors de son meeting de New-York. Réponse de Biden à cette dernière outrance : les seules ordures que je voie, ce sont les électeurs de Trump. Bref : c’était l’école maternelle, et pas la mieux fréquentée.
Résultat des courses, selon 75% des Américains, leur démocratie est menacée. Ils ont raison. La démocratie, ce n’est pas seulement des procédures et des règles à respecter, mais aussi un état d’esprit ; le désaccord civilisé veut que l’autre soit légitime et appartienne à la même communauté politique que moi, et que j’accepte éventuellement sa victoire et son existence dans le même champ que moi. Quand des magasins se barricadent avant une élection, cet accord minimal pour le désaccord n’existe pas.

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On nous dit que nous n’en sommes pas encore là en France. Croyez-vous vraiment ? La veille du 2ème tour des législatives, c’était pourtant pareil à Paris. Des magasins étaient barricadés, car on attendait des troubles voire des émeutes en cas de victoire du Rassemblement national.
La « trumpisation », c’est-à-dire la montée aux extrêmes, a gagné la vie publique et l’Assemblée nationale. Les LFIstes traitent leurs adversaires de fascistes ou de racistes quotidiennement. Au-delà de l’insulte, le bobard, le mensonge conscient et l’affabulation sont frappants. Le Nouveau Front populaire raconte qu’on lui a volé l’élection, et donc que le gouvernement actuel n’est pas légitime. Lucie Castets a prétendu pendant des semaines être le choix du « groupe majoritaire » à l’Assemblée – un mensonge éhonté. Par ailleurs, même le discours sur le fameux front républicain durant l’entre deux tours relevait aussi du mensonge en bande organisée. Qui croyait vraiment à la menace fasciste ? Personne.
Comment expliquer cette montée aux extrêmes ? Tout d’abord, il faut rappeler la baisse générale du niveau d’éducation. Qu’attendre franchement d’un Louis Boyard ou d’une Ersilia Soudais ? C’est ce que j’appellerais la trumpisation par le haut.
Ensuite, le rôle des réseaux sociaux est immense. C’est la trumpisation par le bas. Nous sommes face à une force ravageuse de désocialisation. Les réseaux sociaux lèvent les inhibitions. Il n’y a plus de surmoi, c’est-à-dire plus de civilisation : on ne dit pas tout ce qui nous passe en permanence par la tête normalement. Eh bien derrière son clavier, si. La menace de mort est banale, presque naturelle ; l’adversaire devient un ennemi, donc tout est permis, y compris bien sûr la calomnie.
Ce climat dégoûtant navre beaucoup de Français. Il explique sûrement pour bonne partie le capital-sympathie de Michel Barnier, l’homme qui dit à Mathilde Panot qu’il la respecte malgré la grande agressivité de cette dernière.
N’en déplaise aux rebelles d’opérette, aujourd’hui, la bonne éducation est d’avant-garde et la courtoisie, révolutionnaire.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Quincy Jones, touche-à-tout de génie

La disparition d’un géant du jazz


Trompettiste américain, compositeur, producteur de jazz, Quincy Jones vient de mourir le 3 novembre, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Cette disparition a suscité une émotion dans le monde entier et un hommage unanime, par-delà les styles et les tendances – fait assez rare pour être souligné. Chez nous, une chaîne de radio comme France-Musique a bouleversé ses programmes pour lui rendre un hommage mérité. Semblable réflexe à la télévision où la chaîne C8 a ressorti des documents inédits, parmi lesquels une rencontre historique avec Charles Aznavour.

28 Grammy Awards !

Une telle mobilisation médiatique s’explique par le fait que la renommée de ce Chicagoan excède largement le seul domaine du jazz. Son talent, qui lui valut quelque quatre-vingt nominations dont vingt-huit victoires aux Grammy Awards, sans compter un Grammy Legend Award en 1992, était assez étendu pour rallier les suffrages les plus divers. Ancien élève du fameux Berklee College of Music de Boston, il se révèlera un trompettiste des plus honorables. C’est, toutefois, outre sa capacité d’adaptation aux courants novateurs du jazz, tels la bossa nova, ses dons d’arrangeur et de compositeur qui le propulseront vers les sommets. Sa collaboration, dans les années 80, avec l’ingénieur du son Bruce Swedien et Michaël Jackson déboucha sur des albums qui restent dans toutes les mémoires.

Sans retracer dans le détail une carrière entamée comme trompettiste dans l’orchestre de Lionel Hampton, poursuivie comme arrangeur auprès de musiciens les plus divers, de Sarah Vaughan à Dizzy Gillespie en passant par Count Basie ou Miles Davis, on retiendra, outre ses tournées dans le monde entier au sein de diverses formations, son séjour à Paris, à la fin des années 50. Il y poursuivra des études auprès de Nadia Boulanger, alors directrice du conservatoire américain de Fontainebleau. Il sera ainsi conduit à travailler avec Jacques Brel, Henri Salvador et Charles Aznavour, tandis que Les Double Six enregistreront un album consacré à ses compositions. Depuis cette période, il gardera toujours une certaine affection pour notre pays.

Son sens des affaires conduisit enfin Quincy Jones à fonder plusieurs sociétés productrices de films de cinéma et de télévision, de pièces de théâtre, tout cela aboutissant à la création de son propre label, Qwest records, en 2017.

Une activité à donner le tournis

La première leçon à tirer d’une telle carrière, c’est que l’art ignore les frontières et se joue des tabous. Si la société des Etats-Unis, voire l’Occident tout entier, avaient été, au XXe siècle, aussi ségrégationnistes, aussi racistes que le prétendent leurs actuels dénonciateurs, jamais un tel parcours, une telle réussite n’eussent été envisageables.

Le second enseignement, et là réside sans doute une clé essentielle, c’est l’ouverture d’esprit qui a permis à Quincy Jones de franchir toutes les barrières de genre et de style. Mieux encore, d’anticiper les évolutions d’une musique qu’il aura largement contribué à enrichir. Son génie des affaires a fait le reste. Qui pourrait le lui reprocher ?

À Valence, la crise politique aggrave la catastrophe climatique

La catastrophe naturelle valencienne met à nu pour la énième fois la jungle institutionnelle et administrative espagnole, où le système des communautés autonomes (issu d’un processus de décentralisation débuté à la fin des années 70) est tellement flou que plus personne ne sait très bien ce qui est du ressort des uns et des autres.


Les images du dimanche 3 novembre 2024 à Paiporta, bourgade de 27 000 habitants située dans la banlieue de Valence (Est de l’Espagne), ont fait le tour des médias internationaux. Dévastée par les pluies torrentielles qui sont tombées sur la région quelques jours auparavant, la commune accueille ce jour-là une délégation composée du président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, et du président régional valencien, le conservateur Carlos Mazón. Ils accompagnent tous deux le couple royal, Philippe vi et Letizia, qui se rend pour la première fois sur les lieux. Cette ville est un des épicentres de la « goutte froide » qui a aussi ravagé Picaña, Sedaví, Alfafar, Benetúser, Masanasa et Catarroja, dans la comarque de la Huerta Sur.

Un cortège pris à partie

À son arrivée, le cortège est la cible d’insultes ainsi que de jets de boue et d’objets divers de la part des habitants. Excédés, épuisés, s’estimant abandonnés par les autorités, pleurant leurs morts, cherchant désespérément les disparus, déblayant les rues avec l’aide de dizaines de bénévoles, les locaux voient rouge. La tension monte à Paiporta et Pedro Sánchez prend le large, craignant pour son intégrité physique. Pour leur part, le roi et la reine décident de rompre le cordon policier et de se rendre au contact des paiportinos, qui vident leur sac, s’énervent, supplient, exigent la démission de Sánchez et Mazón, expliquent qu’ils ont tout perdu (logement, véhicule, entreprise ou commerce). Letizia, qui a reçu de la boue sur le visage, serre des femmes dans ses bras et s’effondre en larmes avec elles. Plusieurs habitants s’excusent : « Ce n’était pas pour vous, ce n’était pas pour vous ! ». La plupart des gens présents, indignés et à bout de nerfs, ont voulu manifester leur profonde colère alors que plus de 200 morts et des centaines (voire des milliers) de personnes manquant à l’appel nourrissent leur chagrin.

Contrairement à ce que les journaux télévisés et quotidiens de nombreux pays ont laissé entendre, ni Philippe vi, ni Letizia n’étaient réellement la cible des manifestants. Ces derniers ont pu perdre leur calme face au couple royal mais ils avaient avant tout besoin d’être écoutés. Ils ont vécu une journée d’enfer, puis des heures d’incertitude et de travail harassant pour nettoyer maisons, appartements et rues. Le chef d’État et son épouse restent un certain temps sur place et, bien qu’ils doivent remettre à plus tard leur visite à Chiva, ils repartent grandis de ce douloureux épisode. C’est bien davantage le monde politique espagnol qui est dans le collimateur des paiportinos.

L’AEMET dans la tourmente

Même si elle est localisée, la tragédie de la Huerta Sur a une résonance nationale en raison du nombre de victimes et des discussions qu’elle entraîne. D’un côté, le réchauffement climatique a très certainement joué un rôle car la chaleur toujours plus élevée de la mer Méditerranée déclenche des gouttes froides d’une rare violence. De l’autre, le phénomène n’est pas nouveau, loin de là. La ville même de Valence, épargnée en octobre 2024, avait été submergée sensiblement à la même période en 1957, lorsque le Turia avait débordé de son lit.

Cette fois-ci, cependant, les autorités sont en cause. Beaucoup accusent Carlos Mazón et le gouvernement régional d’avoir réagi tardivement et d’avoir transmis les avertissements automatiques par SMS alors même que l’eau engloutissait déjà les villes. Bien d’autres pointent du doigt l’AEMET (équivalent espagnol de Météo France), qui avait annoncé l’événement pluvieux tout en n’anticipant pas suffisamment sa gravité. Nombreux sont aussi ceux qui reprochent à Pedro Sánchez d’avoir laissé les dirigeants valenciens se débrouiller seuls pendant plusieurs jours avant d’envoyer des effectifs militaires… un peu tard. Au milieu, les habitants de la Huerta Sur ont été privés d’électricité et d’eau pendant plusieurs jours, constatant le chaos qui s’était emparé de leurs communes.

Pendant une semaine au moins, droite et gauche espagnoles confondues ont rejeté la faute l’une sur l’autre. Chaque échelon administratif a juré qu’il ne pouvait agir qu’avec l’aide ou l’accord d’autres responsables, que ce soit à Madrid ou à Valence. Si la scène est bien connue dans d’autres pays (dont la France), elle prend une tournure particulièrement dramatique au vu des conséquences. Plus encore, elle met à nu pour la énième fois la jungle institutionnelle et administrative espagnole, où le système des communautés autonomes (issu d’un processus de décentralisation débuté à la fin des années 70) est tellement flou que plus personne ne sait très bien ce qui est du ressort des uns et des autres. Le dôme froid de l’automne 2024 (qui a aussi touché une partie de la Castille, de la Catalogne, des Baléares et de l’Andalousie) n’est qu’un exemple supplémentaire d’une situation tantôt ubuesque, tantôt alarmante.

La crise séparatiste catalane avait déjà porté un énorme coup à la crédibilité de l’organisation institutionnelle espagnole. Dans un autre registre, la catastrophe valencienne de cette année enfonce le clou, alors que la polarisation idéologique est à son comble.

La détestation que suscite Pedro Sánchez dans une large frange de la société est renforcée par ses manières, que certains trouvent méprisantes et autoritaires. Ses alliances controversées avec les sécessionnistes catalans et basques achèvent de dresser le portrait d’un homme qui semble n’avoir aucune limite à partir du moment où sa survie politique est en jeu. Il a pourtant ses partisans, qui voient en lui le seul rempart contre une droite qu’ils jugent fascisante (pour ce qui est de Vox, troisième formation du pays) ou vendue aux forces réactionnaires (dans le cas du Parti populaire, présidé par le très compassé Alberto Núñez Feijóo, chef de l’opposition).

Ainsi donc, si la reprise économique post-pandémie semble vigoureuse et place notre voisin ibérique dans le peloton de tête des puissances dynamiques de l’UE, le débat public s’avère éminemment crispé.

La politique écologique en ligne de mire

La goutte froide de Paiporta, Chiva et autres communes adjacentes relance aussi les débats sur les mesures qu’il conviendrait de prendre face au réchauffement planétaire. Socialistes et gauche « radicale » se positionnent en pionniers dans le domaine. Ils défendent ainsi davantage de taxes sur les grandes entreprises (notamment celles du secteur de l’énergie) ou encore la mise en place des zones à faibles émissions dans toutes les communes de plus de 50 000 habitants.

Ils promeuvent également la destruction de bon nombre de retenues d’eau, souvent modestes en taille mais que les milieux ruraux estiment indispensables à leur approvisionnement et leur production agricole. Pour cette partie du spectre idéologique espagnol, il faut rompre avec les politiques hydriques du passé, menées à bien tant par la Restauration (1874-1931) que par la Seconde République (1931-1939) et la dictature franquiste (1939-1975). En d’autres termes, les représentants de la gauche veulent réduire la consommation d’eau du pays (notamment dans le secteur primaire et le monde du tourisme), laisser les cours d’eau vaquer à leur « vie naturelle » et cesser les transferts d’« or bleu » entre régions. Ils critiquent dans le même mouvement la politique d’urbanisme pratiquée depuis des décennies outre-Pyrénées, alors que 700 000 citoyens vivent dans des zones menacées par les crues.

La droite, de son côté, s’insurge contre un programme qu’elle estime mortel pour les intérêts du pays et pour sa souveraineté alimentaire. Elle cite en exemple le Plan Sud (1958-1973), organisé par le franquisme après la gran riada de 1957 à Valence. Entre Cuart de Poblet et la mer Méditerranée, le cours du Turia prend un détour artificiel afin de protéger la troisième ville la plus peuplée d’Espagne. Parti populaire et Vox rappellent dans la foulée que le barrage de Forata, inauguré en 1969 sur le Magro (affluent du fleuve Júcar, qui passe au sud de l’agglomération valencienne), a évité des dégâts plus massifs au mois d’octobre en retenant 37 millions de litres d’eau tombée du ciel. Les deux grands partis de droite exigent enfin que la loi interdisant le nettoyage des sous-bois et des vallées, soutenue par la gauche, soit abrogée. Les troncs, branches et débris accumulés dans le sillage de plusieurs cours d’eau et charriés par la crue ont effectivement constitué autant de pièges mortels pour la Huerta Sur.

Alors que la polémique fait rage, la Cour des Comptes espagnole semble aller dans le sens d’Alberto Núñez Feijóo et Santiago Abascal (président de Vox). De fait, elle n’a cessé de rappeler ces dernières années que les investissements manquaient pour entretenir les infrastructures gérées par la Confédération hydrographique du Júcar (mais aussi par celle du Guadalquivir, en Andalousie, et celle du Segura, dans la Région de Murcie et le sud de la Communauté de Valence).

Alors que les secours s’attaquent désormais aux recherches dans les garages privés et les parkings publics de l’agglomération de Valence (en particulier celui de Bonaire, dont on craint qu’il ne soit plus qu’un immense cimetière sous l’eau), la controverse n’est pas près de s’éteindre.

Nicolas Baverez et l’improbable «Sursaut»

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DR.

L’essayiste Nicolas Baverez est persuadé que les Français, prêts à sauver leur pays du déclassement, peuvent accepter une purge libérale. C’est oublier les intérêts particuliers de nos millions de fonctionnaires, leurs puissants syndicats, notre goût prononcé pour le corporatisme. Et tous ces nouveaux citoyens qui détestent leur pays…


Nicolas Baverez vient de publier Sursaut, un essai qui prolonge son travail de vigie du déclin français, entamé avec La France qui tombe en 2003. Soupçonné par les ricaneurs d’avoir inventé la « déclinologie », qui serait à l’économie ce que l’astrologie serait à l’astronomie, il semblerait pourtant qu’il ait eu à peu près raison sur tout. Déficits, éducation, insécurité, innovation, immigration : le modèle social gaulois à crédit comate en phase terminale. Le village Potemkine de la radiotélévision publique a beau nous vanter l’attractivité de la France, la start-up nation se bat désormais, non pour conserver un quelconque savoir-faire dans le numérique, mais pour que la production du Doliprane reste en France. Si l’on ajoute à cela le fait que nous sommes devenus l’un des plus gros exportateurs mondiaux de pommes de terre, cela donne une idée de nos ambitions. France Inter ne nous alerte cependant pas sur la chute du PIB par tête – nous sommes désormais talonnés… par la République tchèque ! Ceux qui se souviennent de l’image de dénuement de la Tchécoslovaquie avant la chute du mur de Berlin expliqueront aux ravis de la crèche l’effarement que cela devrait susciter. Baverez tente de rejouer le match Aron-Sartre, avec à ma droite, lui-même, et à ma gauche, tous les tenants de la sacro-sainte « dépense publique » (soit du NFP au RN en passant par les LR !). Pour faire admettre aux Français la purge libérale qu’ils méritent depuis une trentaine d’années, l’essayiste en appelle au sursaut des Français, au nom de l’intérêt général. Hélas, ce concept paraît aussi mort que feu Raymond. La France archipellisée décrite par Jérôme Fourquet n’a que des intérêts particuliers à défendre, à commencer par les deux millions de fonctionnaires surnuméraires, défendus par de puissants syndicats. Ces corporations considèrent désormais le déclin comme un avantage acquis et s’y accrocheront quoi qu’il en coûte (aux autres). Il ne faudra pas trop compter non plus sur cette nouvelle catégorie de Français qui détestent leur pays. C’est l’angle mort de ce brillant décliniste.

Éditions de l’Observatoire, octobre 2024. 192 pages.

Sursaut

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Sur France Culture, le journaliste Sylvain Bourmeau dénonce… la domination blanche

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L'intellectuel Sylvain Bourmeau photographié en 2006 © BALTEL/SIPA

La radio publique plus woke que jamais.


Sylvain Bourmeau est journaliste. Son parcours professionnel exemplaire – journaliste à Libé, directeur-adjoint des Inrocks, bref passage à Mediapart au moment de son lancement, retour à Libé en tant que directeur-adjoint, producteur et animateur de l’émission “La Suite dans les idées” sur France Culture – lui a permis d’afficher à maintes occasions des engagements qu’il qualifie lui-même d’humanistes.

Mur du son progressiste

Mitterrandien, bourdieusien, plenelien, bourmalien (car il s’estime beaucoup), ses thèmes de prédilection sont, c’est original, le fascisme et le racisme. Ses bêtes noires s’appellent Renaud Camus, Jean-Claude Michéa, Richard Millet, Alain Finkielkraut et Pierre Jourde. En 2013, ce dernier raillait « le camarade Bourmov, commissaire politique aux affaires culturelles de Libé », pour sa conception simpliste du monde : il y aurait d’un côté les progressistes, de l’autre les réacs. Depuis, le camarade Bourmov a affiné sa pensée. Il considère aujourd’hui que le monde est composé de deux catégories d’individus distinctes : les gentils progressistes et les méchants fascistes.

Progressistes, les émissions hebdomadaires de M. Bourmeau sur France Culture le sont indéniablement. On y prend régulièrement la défense des « minorités ». On y promeut l’éco-féminisme, les thèses décolonialistes ou celles du GIEC sur le climat. On y aborde la question de l’immigration avec un discours qui ne laisse aucun doute sur ce qu’il faut en penser : « Si, pour le climat, les travaux du GIEC ont joué un rôle fondamental dans la marginalisation du climatoscepticisme (sic), il n’en va hélas pas de même à propos du GIEM (Groupe international d’experts sur les migrations) et des migrations, et ce, en dépit d’un large consensus scientifique (resic). Il n’est qu’à regarder l’inanité du débat autour de l’ignominieuse énième loi adoptée en fin d’année au parlement français pour s’en rendre compte (et sic de der). » Plusieurs épisodes, consacrés au Rassemblement national, ont donné la parole aux plus éminents castors universitaires ou médiatiques. Tous sont d’accord pour dire que « le racisme se trouve au fondement du vote des électeurs lepénistes » et que ces derniers sont des « fachos ».

Le jeudi 24 octobre, M. Bourmeau a passé le mur du son progressiste pour atteindre la stratosphère wokiste et se positionner sur l’orbite racialiste – Dieu seul sait quand il aura fini de tourner. Ce jour-là, le journaliste a en effet reçu dans son émission une docteure en sociologie du CNRS (1) et une sociologue de l’Université de Lausanne pour leur essai intitulé… La domination blanche (2) et une question lui brûle les lèvres : « Comment comprendre qu’en France, en 2024, les Blancs sont mieux traités que les Noirs ? » L’introduction qui suit relève du délire ; si des enseignants l’ont écoutée, leur sang a dû bouillir : « En France, en 2024, un élève dont la peau est noire ne fait pas de l’école la même expérience qu’un camarade dont la peau est blanche », affirme M. Bourmeau avant d’affabuler en racontant l’histoire d’un « élève à la peau noire » qui « peut s’entendre dire par un enseignant lorsqu’il a oublié son manuel qu’il est en quelque sorte un sans-papier – allez, c’est une boutade, un clin d’œil à la leçon sur l’immigration au programme ce jour-là… – ; et, un autre jour, il peut s’entendre dire, parce qu’il ne travaille pas assez, qu’il aurait besoin d’être fouetté ». Le journaliste a oublié les menaces de marquage au fer rouge ou de déportation dans les lointaines colonies. Plaisanterie mise à part, voilà le genre d’insanités qu’est capable d’inventer ce commissaire politique de la radio publique pour illustrer ce que lui et ses acolytes appellent le « racisme systémique ». Espérons que, parmi les enseignants ayant entendu cette infamie, nombreux sont ceux qui auront envoyé un message à la présidente de Radio France pour réclamer des explications et les excuses du journaliste qui les a diffamés.

France Culture, le privilège woke

Le reste de l’émission sera sans surprise. Résumé : il existe un racisme systémique en France et « on ne peut pas nier que les Blancs ont des privilèges » ; le racisme de la police a éclaté au grand jour lors de l’affaire Adama Traoré ; Virginie Despentes a magnifiquement mis en évidence les privilèges des Blanches pendant le confinement dans une lettre lue par Augustin Trapenard sur France Inter ; malheureusement, en France, la dénégation de la domination blanche est grande ; etc. Déterminées, semble-t-il, à rejoindre leur hôte sur orbite, les deux sociologues pensent par ailleurs qu’il y a des privilèges qui devraient « être complètement abolis, par exemple plus personne ne devrait prendre un jet privé pour faire un trajet Paris-Bordeaux ». Où il est confirmé que l’écolo-wokisme existe et qu’il est un totalitarisme.

A lire aussi, Renaud Camus: « Une vérité n’est plus tout à fait une vérité s’il est interdit de la contester »

Sylvain Bourmeau ne rate jamais une occasion d’accabler les intellectuels ou les écrivains « d’extrême droite » qui réfutent les bienfaits d’une immigration illimitée. Tous les moyens, même les plus grossiers et mensongers, sont bons. « Cette domination blanche peut prendre des formes extraordinairement violentes qui conduisent à des attentats qui ont eu lieu en Norvège, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne, aux États-Unis. […] On a trouvé parmi les livres que lisaient les auteurs de ces attentats, des textes de théoriciens français », explique-t-il sournoisement en tendant le micro à la « chercheuse » du CNRS qui embraie : « Oui, en effet, on trouve régulièrement des références à Renaud Camus, cet auteur d’extrême droite qui théorise le premier la thèse du Grand remplacement […] thèse qui postule qu’il y aurait une espèce de forme de complot général où des populations non-blanches vont émigrer par vagues extrêmement importantes et submerger les populations occidentales. » Évidemment, le camarade Bourmov et ses invitées n’ont pas lu une seule ligne des écrits de Renaud Camus et se contentent de répéter les assertions très orientées de l’encyclopédie Wikipédia ou de Mediapart à son sujet.   

Passons rapidement sur l’accusation ridicule d’incitation à la violence concernant un homme qui, confronté, comme nous tous, à la réalité de la nocence – les nuisances sous toutes leurs formes, de la délinquance au terrorisme, du bruit des voisins aux tirs à la Kalachnikov, des éoliennes à la plastification des océans, des rodéos urbains au crime organisé en passant par toutes les “incivilités” quotidiennes – ne lui oppose pour toute arme que l’in-nocence, c’est-à-dire l’essence même de la civilisation.  « La civilisation n’est pas la source de tous les maux mais, au contraire, la suite désespérée et tâtonnante, parfois victorieuse un moment mais perpétuellement remise en cause, des efforts des sociétés diverses pour endiguer et tenir sous contrôle la nocence, que celle-ci s’exerce contre les hommes, contre les femmes, contre les enfants, contre la nature, contre les biens, contre les races, contre les espèces, contre la biodiversité, contre l’air, contre l’eau, contre l’humanité de l’homme et la beauté du monde », écrit-il sur son compte Facebook (9 février 2020) avant de conclure : « La nocence est une réalité irrévocable du monde. Il ne s’agit pas de la nier mais de la combattre et de la circonscrire, et cela d’abord en soi, pour chacun de nous. »

Renaud Camus contre la matière humaine indifférenciée

Renaud Camus n’évoque jamais l’idée d’un « complot général » quand il analyse le grand remplacement, qu’il définit comme la substitution visible d’un peuple par un autre historiquement, culturellement et religieusement radicalement différent, avec les conséquences qu’on sait sur la vie des autochtones. Par ailleurs, ce grand remplacement, qui n’est pas une théorie mais un fait observable, n’est plus, selon lui, qu’une petite part d’une nouvelle forme de totalitarisme qu’il nomme le « remplacisme global ». La dépossession (de la langue, des sexes, des races, de l’histoire singulière des pays et des civilisations), la déculturation (l’effondrement de la transmission, l’enseignement de l’oubli, la cancel culture) et la production industrielle de l’homme remplaçable aboutissent inéluctablement à la transformation de l’humanité en ce qu’il appelle la MHI (Matière Humaine Indifférenciée), un agrégat d’êtres déracinés, anhistoriques, interchangeables, utilisables, déplaçables au gré des besoins et des intérêts d’une oligarchie mondialisée, davosienne et globale, dans un monde effrayant combinant les visions prédictives d’Orwell et de Huxley.

Tout va bien se passer …

Curieusement, M. Bourmeau et ses invitées ont oublié de citer quelques autres personnalités soutenant les « thèses conspirationnistes » de Renaud Camus et adhérant allègrement à l’idée d’un grand remplacement des peuples français et européens. Sur Al-Jazeera, le 13 mai 2017, Rokhaya Diallo affirme que les Français doivent s’habituer au fait que « la France n’est plus un pays chrétien et blanc ». Quelque temps auparavant, sur le plateau de Ce soir ou jamais, la romancière franco-camerounaise Léonora Miano prophétisait déjà la « disparition du monde connu » et prêchait la bonne parole remplaciste : « N’ayez pas peur d’être minoritaire culturellement. N’ayez pas peur de quelque chose qui va se passer. Parce que ça va se passer. Ça s’appelle une mutation. L’Europe va muter. […] Ils [les Subsahariens] vont venir, et ils vont venir avec leur bagage identitaire. […] C’est ça qui va se passer, et c’est déjà en train de se passer. N’ayez pas peur. » Pour son dernier livre, L’opposé de la blancheur, réflexions sur le problème blanc (sic), Mme Miano a été conviée sur France Culture où elle a pu déblatérer pendant plus d’une demi-heure sur une supposée « blanchité dominante et toxique » sans rencontrer de résistance, devant deux journalistes wokisés jusqu’aux oreilles exprimant leurs propres difficultés à se « déconstruire » en tant que « personnes blanches » (Les Midis de Culture, 5 octobre 2023). Le 3 mai 2016, toujours sur France Culture, un homme décrivait très exactement ce qui était en cours et ce qui allait advenir. Après que la journaliste Amélie Perrier eut décrit « des migrations qui deviennent énormes et incontournables », cet homme entérina l’idée d’un phénomène irrépressible : « Oui, disons qu’on assiste à un processus de longue durée, un processus de repeuplement du monde qui va s’intensifier dans les années qui viennent. […] Les pays du Nord vont continuer d’accuser une tendance au vieillissement. Dans 50 ans à peu près, une grande partie des habitants de la planète viendra de l’Afrique et de l’Asie. Tout cela va provoquer des recompositions majeures avec lesquelles il faudra vivre. » Cet homme, qui évoquait un « processus de repeuplement du monde » présentant de fortes similitudes avec les remplacements de populations décrits par Renaud Camus, n’était pas Renaud Camus mais… l’historien camerounais préféré des décolonialistes et des mélenchonistes, Achille Mbembe (3). Jean-Luc Mélenchon, dans un tweet du 21 septembre 2021, implorera les Français d’accepter joyeusement ce bouleversement incontestable et, pour certains, désirable : « Vous ne vous baladez pas dans la rue ? Vous ne voyez pas ce qu’est le peuple français ? Le peuple français a commencé une créolisation. Il ne faut pas en avoir peur. Il faut s’en réjouir. » Depuis, le mouvement mélenchoniste a clarifié ses objectifs en accueillant en son sein Rima Hassan : il n’est plus seulement question d’offrir l’hospitalité à de nouveaux arrivants dans le but de « métisser » ou de « créoliser » la population mais bien de modifier en profondeur les mœurs de la société française en lui imposant celles d’une imposante immigration musulmane n’ayant nullement l’intention d’abandonner ou d’adoucir les préceptes coraniques les plus rétrogrades, la charia en premier.  

Sylvain Bourmeau, confit dans les certitudes gauchisantes et wokes d’une petite mais très influente caste politico-médiatico-universitaire, est dévoré comme elle par la haine de soi et une répugnance pour son propre pays, son histoire et son peuple. Le voici prêt à discuter de sa couleur de peau, pour la renier, au prétexte qu’elle serait la marque du démon. Depuis plus de quarante ans, cette belle âme se ripoline la conscience à grands coups de pinceaux antiracistes. Il ne pouvait pas ne pas prendre en marche le train des thèses racialistes. Présenté comme une « théorie critique de la race », un nouvel antiracisme a vu le jour, un antiracisme raciste encourageant le ressentiment, la haine, les relations conflictuelles. Dans un pays comme la France où le racisme était devenu résiduel, le racialisme, après avoir ravivé d’anciennes rancœurs, en a créé de nouvelles et tente de tuer tout espoir d’apaisement. Une société multiethnique, communautariste, « racialisée » et victimaire est vouée à la violence. Mais M. Bourmeau n’en a cure. M. Bourmeau arbore virtuellement et à tout jamais une petite main jaune sur le revers de son veston. Il se croit encore en 1984, date de la création de SOS Racisme. Date des débuts de M. Bourmeau sur la scène du petit théâtre de l’antiracisme. Second rôle médiatique au jeu très limité, il n’en sortira plus. La mise en scène est immuable ; le texte s’est vu gratifié au fil des ans d’ajouts racialistes et décolonialistes ; la voix aigre-douce du comédien s’est acidifiée. Mais, au fond, rien n’a changé. M. Bourmeau, alias la Castafiore de l’antiracisme, entonne toujours le même air – « Ah ! Je ris de me voir si vertueux en ce miroir » – et n’imagine pas un seul instant qu’il est en vérité le chantre du désastre…   


(1) Judith Waintraub consacre, dans Le Figaro du 26 octobre, un article à cette institution, ce « paradis des sciences “molles” [qui nous] coûte cher, très cher ». « En sociologie, le militantisme a vite fait de remplacer la rigueur scientifique, surtout quand la répartition des postes, l’évaluation et les circuits de financement des projets sont régis selon un système volontairement opaque où règne l’entre-soi », écrit-elle avant de rapporter les propos édifiants de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler : « Le champ de la recherche dans ce domaine est dominé par le courant décolonialiste. Quand on ne s’en réclame pas, on n’avance pas en matière de carrière, trouver des financements est très difficile. » Et on n’est pas invité dans l’émission du camarade Bourmov.

(2) Solène Brun et Claire Cosquer, La domination blanche, 2024, Éditions Textuel. Dispensable, au même titre que les ouvrages de Lilian Thuram, Rokhaya Diallo, Miano Léonora et autres Robin Di Angelo.

(3) André Perrin rappelle cet entretien dans son excellent Journal d’un indigné (Éditions de L’Artilleur). Il note ironiquement que « personne [n’ayant] dénoncé le caractère “nauséabond” des propos d’Amélie Perrier et d’Achille Mbembe, on peut donc en conclure qu’ils n’ont rien à voir avec la sinistre théorie du “Grand Remplacement” ».

P.S : Bruno Lafourcade brosse de Sylvain Bourmeau un portrait réjouissant et saisissant de vérité dans Les nouveaux vertueux, éditions Jean-Dézert. Nous en conseillons très vivement la lecture.

Vol à l’étalage: double peine pour les commerces!

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© Dinendra Haria/LNP/Shutterstock/SIPA

Ras le vol, clament de nombreux commerçants, qui ne prennent parfois même plus la peine d’aller porter plainte! Un député propose d’autoriser en France la pratique du « name and shame » pour éloigner les voleurs des boutiques. 


Quand il est question de « vol à l’étalage », la plupart d’entre nous pensent « chapardage ». S’impose alors la vision de petits voleurs, davantage opportunistes que réels délinquants. Parfois même aurons-nous, consciemment ou non, une vision misérabiliste et victimaire du voleur, poussé à l’acte par la faim ou le besoin. Un vol, certes, mais pas très grave, bien loin du vol avec violence ou du braquage. Pour un peu, on entendrait la voix, fort heureusement lointaine, de Sandrine Rousseau déclarer, comme lors des émeutes de juillet 2022 : « Et si le pillage avait à voir avec la pauvreté ? ».

Tu as volé l’orange du marchand…

C’est malheureusement à cause de biais de ce genre que les commerçants français vivent actuellement un véritable enfer, entre laxisme des institutions et indifférence voire mépris de l’opinion publique. La réalité est bien différente : le vol à l’étalage en France est majoritairement pratiqué par des professionnels de ce délit, souvent en bande, selon des schémas bien rodés, les amenant à changer régulièrement de villes. Le butin de ces vols, qui s’apparentent parfois à de véritables razzias, alimentent des réseaux de vente parallèles en France ou à l’étranger. Nous sommes bien loin de l’image d’Épinal du petit voleur de pommes. Ce fléau concerne l’ensemble des commerces, de la plus grande enseigne au petit commerce indépendant de quartier.

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Mi-octobre, une vidéo montrant des tablettes de chocolat sous blister antivol dans un Monoprix de Marseille a fait le buzz, mais si beaucoup ont souligné le cocasse de la situation, peu de gens se sont émus de la justification de l’enseigne qui a alors indiqué se faire actuellement voler pour plus de 500€ par mois dans ce seul rayon ! Les derniers chiffres fournis par le Ministère de l’Intérieur remontent à 2022 et montrent une augmentation des vols à l’étalage de 14 % cette seule année, un chiffre identique dans les grandes villes et les zones plus rurales. Hélas, le Ministère de l’Intérieur n’a, pour le moment, pas divulgué de statistiques plus récentes malgré les demandes récurrentes de M. Jérôme Jean, ancien commerçant et président du collectif « Ras Le Vol », association qui œuvre depuis début 2023 pour défendre les intérêts des commerçants victimes de vols. Ce dernier relativise cependant la représentativité de ces chiffres qui seraient vraisemblablement très en dessous de la réalité puisque beaucoup de commerçants, dépités,  ne prennent même plus la peine de porter plainte. 

Sentiment d’humiliation et d’impuissance

Pourquoi un tel découragement face à des actes qui, par leur ampleur ou leur récurrence, peuvent  pourtant mettre en péril une entreprise et le projet d’une vie ? Selon Jérôme Jean, « on a d’un côté une police qui manque de moyens, et, de l’autre, une justice qui ne condamne pas, ou si peu. » En effet, les commerçants se sentent réellement abandonnés par les pouvoirs publics. Les rares passages au tribunal se soldent souvent par de simples « rappels à la loi ». Au-delà du préjudice financier, ces vols à l’étalage et l’impunité de leurs auteurs ont un réel impact sur le fonctionnement de l’entreprise (tensions dans les équipes de vente, difficultés d’organisation) ainsi que sur la santé mentale des commerçants qui affirment ressentir au quotidien un fort sentiment d’insécurité, d’humiliation et d’impuissance.

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En janvier 2024, le député de l’Ain Romain Daubié a déposé une proposition de loi relative à la sécurité des commerçants dans l’exercice de leurs activités. Il demande une modification de l’article L.226-1 du Code pénal pour que « le consentement des personnes pénétrant dans des commerces […] ayant recours à la vidéo protection soit présumé ». En effet, de nombreux commerces sont désormais équipés de matériel de vidéosurveillance mais cela se retourne parfois contre eux lorsqu’ils sont tentés de diffuser sur les réseaux sociaux ou d’afficher à l’entrée de leur magasin les images des voleurs. Cette pratique, surnommée le « name and shame » dans les pays anglo-saxons, est déjà légale dans beaucoup de pays et semble porter ses fruits, notamment en Angleterre, mais force est de constater qu’en France le droit à l’image semble primer sur celui de la propriété. Jérôme Jean se souvient notamment de cette commerçante récemment condamnée à verser à ses voleurs plus de 1000€ de dommages et intérêts alors que ceux-ci n’avaient écopé pour leur délit que d’un simple rappel à la loi. Une autre commerçante, dans l’Allier, a eu, quant à elle, la mauvaise surprise de recevoir un courrier d’avocat défendant le droit à l’image de ses deux voleuses et exigeant le retrait des images qu’elle avait publiées sur les réseaux sociaux. Ces cas sont loin d’être anecdotiques et isolés. Il semblerait bien que nous assistions en France à une aberrante inversion des valeurs. La proposition de loi n’a pas encore été débattue mais nul doute que certains députés feront leur cheval de bataille de défendre le sacro-saint droit à l’image, défendront et plaindront les voleurs. Il ne faudrait quand même pas que ces petits anges ressentent une quelconque honte ou gêne, suite à la diffusion des accablantes images ! Cela risquerait de leur donner envie de revenir dans le droit chemin !

Des solutions de lutte contre le vol à l’étalage sont pourtant bel et bien présentes dans la loi. Depuis un an et demi, les policiers ont le droit, devant un flagrant délit de vol pour un préjudice inférieur à 300€, d’appliquer immédiatement une AFD (Amende Forfaitaire Délictuelle) d’un montant de 300€ sans poursuites judiciaires. L’usage de l’AFD permet de désengorger les tribunaux, de faciliter le travail des policiers mais également de sanctionner immédiatement les auteurs et limiter ainsi le risque de récidive. À part dans quelques villes telles que Lille, les AFD semblent malheureusement peu utilisées. Preuve là encore que la France ne manque pas d’outils judiciaires mais d’une réelle volonté politique de les appliquer. En 2024, les voleurs ne sont plus des chapardeurs de pommes. Ils agissent en toute impunité et s’offrent les services des meilleurs avocats. À ce rythme-là, ils se payeront bientôt le culot, après leur passage, de mettre des mauvais avis sur Google. Commerçants, n’oubliez pas de sourire !

Une soirée avec les partisans français de Donald Trump

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© Sue Dorfman/ZUMA Press Wire/Shut/SIPA

L’association Republican Overseas se réunissait hier soir à Paris, dans l’attente du résultat de l’élection présidentielle américaine.


Une internationale trumpiste. Qui l’eut cru ? Mardi d’élection, à l’étage d’un restaurant italien du quartier de Saint-Germain-des-Près, ils sont quelques dizaines réunis par l’association Republican Overseas qui regroupe les citoyens américains membres du parti républicain expatriés. Le président de la section française, Randy M. Yaloz, nous accueille avec le sourire des grands jours. Il est 22h. Les premiers résultats arriveront vers 1h du matin. Est-il confiant ? « Je n’aurais pas organisé cette fête, si ce n’était pas le cas. Beaucoup m’ont demandé d’organiser un évènement. En 2020, nous étions plus pessimistes. La situation post-Covid était chaotique et plusieurs erreurs avaient été commises pendant notre campagne… »  


Pas de place au pessimisme

« Nous les Américains, on a une tendance pro-active : on agit d’abord, on réfléchit ensuite. Alors non, aucun pessimisme ! » assume David, rédacteur franco-américain. Les expatriés américains sont-ils un cœur de cible pour le parti républicain ? Profitant de la mondialisation, beaucoup résident en métropole et occupent des emplois qualifiés dans les services dans la capitale française…

Mais, on pourrait aussi voir en eux des électeurs type du… parti démocrate. « Beaucoup étaient encore hésitants en 2016 et 2020, mais ils viennent maintenant vers nous » assure Randy Yaloz. Comment l’expliquer ? « On subit la double taxation : l’impôt sur la citoyenneté américaine et l’impôt du pays résident ! Trump a promis de changer cela pour que nous ne soyons pas obligés de payer deux fois. Et son message a été entendu par beaucoup d’Américains vivant à l’étranger »

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Nostalgique Amérique

Cet enthousiasme, on le retrouve chez d’autres convives de la soirée. Des Américaines enjouées arborant les casquettes MAGA affichent ainsi toute leur confiance. Aimée, chef d’entreprise vivant en France depuis 1985, voit en « Donald », un des premiers politiques « qui ne fait pas carrière pour l’argent, mais par amour du peuple américain ». On entend souvent que la politique américaine fracture la société, oppose des voisins, brise même les familles. Qu’en est-il réellement ? « Je viens d’une grande famille. Ma sœur est républicaine comme moi, mais le reste est démocrate pur et dur… Mais, on s’aime quand même. » Camala (avec un C, précision importante ce soir) est violoniste, et voit en Trump « le protecteur du peuple américain ». Elle dit venir d’une famille conservatrice… « Religieuse ? » demande-t-on naïvement. « Je suis choquée que l’on puisse considérer la pratique religieuse comme un marqueur politique… Autrefois, tout le monde allait à l’église ! Démocrates comme républicains ». Lors de cette petite sauterie parisienne, la présence de nombreuses femmes quinquagénaires contredit le fameux « gender gap » dont parlaient les médias et que semblaient mesurer les sondages annonçant une mobilisation féminine exceptionnelle en faveur des démocrates… Du côté des bi-nationaux, on trouve Lorenzo, consultant dans le tertiaire: « Encore techniquement inscrit au parti démocrate », il nous dit être «  en phase de transition ». L’homme a vécu à New-York, « avec une espèce d’interdit autour de la politique… il fallait être du bon côté. Cette omerta était pesante et m’a fait finalement évoluer. Je ne sais pas si je suis parfaitement républicain aujourd’hui, peut-être libertarien… Il y a en tout cas un terreau de valeurs communes entre nous, des conservateurs modérés jusqu’à certains démocrates libéraux classiques, même ». Un peu comme dans un roman de Philip Roth, les Américains présents ici sont avant tout des nostalgiques. Ils regrettent cette vieille pastorale américaine qui rassemblait les enfants d’Uncle Sam par-delà leurs différences politiques. Cette Amérique que décrivait Tocqueville organisée autour de la sainte trinité du dollar, de la Bible et de la Constitution – et dont les wokes déboulonnent les statues et brûlent les symboles. Le président des Republicans Overseas France s’autorise à formuler un message assez tendre pour ses compatriotes démocrates expatriés : « C’est une chose tout à fait nouvelle de considérer les chrétiens comme conservateurs. Cela n’a rien d’automatique. Auparavant, la plupart des Américains allaient à l’église, peu importe leurs idées politiques ». Nos trumpistes parisiens sont finalement assez loin du cliché de l’Américain haineux, armé, impatient d’en découdre avec l’adversaire démocrate dans une nouvelle guerre de sécession.

La famille d’Aimée est très démocrate, mais elle maintient ses positions trumpistes. 

En France comme aux Etats-Unis, ces expatriés doivent aussi assumer la diabolisation : « Je suis d’une famille juive : il y a comme un conditionnement à voter à gauche quand on est juif new-yorkais… mais les actes anti-israéliens et antisémites des campus ont changé les choses. Voir Anne Sinclair, que je respecte par ailleurs, traiter l’élection américaine de manière aussi caricaturale à la télévision est désolant… »  raconte Lorenzo.

Ces Français qui admirent Donald Trump

À l’étage, on trouve aussi les admirateurs français de Donald Trump. Des assistants parlementaires, quelques journalistes et aussi des gens ordinaires. Jenny, une Française quinqua,  qui « travaille dans le wokistan » – entendez par-là « le monde de la culture et des médias » – soutient Trump car « elle en a marre » de devoir suivre dans un cadre professionnel « des ateliers sur la journée des pronoms où l’on se concerte pour savoir s’il faut mettre he ou him pour créer des safe space ».


Vers 23h30, ce sont des invités plus inattendus qui arrivent. Le leader souverainiste Nicolas Dupont-Aignan vient saluer les convives : « Le soutien de Robert F. Kennedy Jr (le fils de robert Kennedy et éphémère candidat indépendant à l’élection, NDLR) à Donald Trump a beaucoup compté. J’ai admiré son courage pendant la pandémie Covid ». Comment pourrait évoluer la relation franco-américaine, en cas de victoire de Trump ? « Je reste gaulliste… Les Français devront de toute façon défendre leurs intérêts ». L’ancien député de l’Essonne aurait pu croiser son alter ego souverainiste et opposant au passe sanitaire, Florian Philippot, qui est passé un peu plus tard. « Je reste tout à fait anti-américain », nous rassure le chef des « Patriotes » derrière une bannière Trump 2024. Son soutien est toutefois enthousiaste : « Je soutiens Trump. Il incarne la paix, la liberté d’expression, la rupture franche avec le système qu’incarne Kamala Harris et la domination impériale ». Et il se trouve des convergences politiques avec l’Américain : « Une élection de Trump permettrait d’assouplir la domination américaine. Il n’est pas attaché à l’OTAN ou l’UE. Cela tombe bien ; je veux sortir et de l’OTAN et de l’UE! »

Des expatriés, des indépendants, des anciens démocrates, des gaullistes, des bi-nationaux, des Français du quotidien : les effectifs sont encore modestes, mais cette internationale trumpiste pourrait étonner…

La sombre nuit du wokisme

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A Palm Beach, Donald Trump célèbre sa victoire aux élections présidentielles américaines, Floride, 6 novembre 2024. A ses côtés, sa femme Melania et son fils Barron © Julia Demaree Nikhinson/AP/SIPA

Aux États-Unis d’Amérique, Donald Trump revendique sa victoire. Emmanuel Macron le félicite, et écrit « être prêt à travailler ensemble comme nous avons su le faire durant quatre années. Avec vos convictions et avec les miennes. Avec respect et ambition. Pour plus de paix et de prospérité. » Cet événement planétaire est un camouflet terrible pour le progressisme. Et le wokisme, son appendice débile.


La victoire de Trump est avant tout la défaite, la déroute du wokisme, ce fatras de fausse science, de moraline frelatée, de haine de soi, de mépris du vrai. Le populisme s’est exprimé. Ce populisme qui n’est autre, en vérité, que l’affirmation de la voix et de la raison du peuple. Tout l’opposé de la caricature que nos intelligentsias sacralisées veulent en dessiner et nous imposer.

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Pas un caprice des urnes

Cette victoire dépasse de beaucoup la victoire électorale d’un homme. Elle est bien davantage encore la marque magistrale du réveil des légions du bon sens et de la culture du réel. Cette élection, devrait marquer pour l’Occident dans son entier, ici et là, chez nous et à Bruxelles, l’an Un de ce qui pourrait être une reconquête. Ou en tout cas l’émergence d’un souffle nouveau. Elle sonne, pour paraphraser qui vous savez, « le crépuscule des idoles ». Les idoles artificiellement fabriquées contre ce même bon sens, contre, surtout, les populations. Contre l’immense masse des gens de la vraie vie. Aussi, le président élu Donald Trump dit vrai – ô combien – lorsqu’il clame « Nous avons écrit l’histoire ». Il y a bien de cela, en effet. Et personne ne pourra faire comme s’il ne s’agissait que d’une « regrettable » péripétie électorale, un caprice des urnes, un coup du diable, un malentendu déplorable. C’est bien sûr ce que, sans vergogne, tenteront de nous faire avaler les beaux esprits d’ici.

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La gueule de bois du mondialisme, encore béat hier

Or, la question pour nous, aujourd’hui, le nez devant le résultat hors norme, est de savoir ce que nous allons en faire. Quelle lecture nos médias, le pouvoir, nos cabinets ministériels, les instances européennes confinées en mondialisme béat vont en proposer ? On attend les repentirs. On attend les analyses refondatrices. On guette avec gourmandise les réactions universitaires. On espère une salutaire humilité intellectuelle à travers le pays, chez nos chers sachants notamment, cette humilité tellement nécessaire, particulièrement dans les médias distingués qui nous ont bombardé ces dernières semaines de ce que le résultat du jour relègue, qu’ils le veuillent ou non, dans le registre des fake news. C’est ainsi. 

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On peut et doit espérer un jour nouveau chez nous, de ce côté-là au moins. Ne serait-ce qu’en raison de la claque phénoménale qui vient d’être administrée au pitoyable barrage dit républicain du second tour des élections législatives de ce printemps. Barrage hors sol, manipulation indigne, en fait, contre les attentes véritables du peuple. La démonstration par la voix de l’Oncle Sam vient de nous en être administrée. Cette aube du 6 novembre, le jour, pour nous, s’est levé à l’Ouest.

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Elon Musk, Deus ex machina

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Elon Musk au meeting de campagne de Donald Trump à Butler, Pennsylvanie, 5 octobre 2024 © Jasper Colt-USA TODAY NETWORK/Sipa USA

Déjà engagé dans la conquête spatiale, le développement des voitures électriques et l’IA, Elon Musk relève un nouveau défi : recaser à la Maison Blanche son super-héros Donald Trump. Comme dans les affaires, le militant le plus riche du monde bouscule tous les codes.


Le 5 octobre, Donald Trump tient meeting à Butler, en Pennsylvanie, là où en juillet il avait été blessé dans une tentative d’assassinat. Soudainement, un homme habillé comme un geek typique, la casquette de base-ball vissée sur la tête, saute sur scène, fait quelques bonds disgracieux avec les bras en l’air en signe de victoire, et vient se positionner devant le micro que Trump lui cède. C’est Elon Musk, l’homme le plus riche de la planète, qui vient apporter son soutien total à la candidature de l’ancien président. Il lance à la foule les paroles de défi scandées par Trump en juillet : « Fight, fight, fight! » (« Luttez, luttez, luttez ! ») avant d’annoncer, alarmiste, que cette élection pourrait être la dernière : « Le président Trump doit gagner pour préserver la Constitution, pour préserver la démocratie en Amérique. » À la différence d’autres milliardaires, Musk ne s’est pas contenté de donner plus de 118 millions de dollars à Donald Trump, il a personnellement fait campagne pour lui en organisant ses propres meetings dans l’État pivot de Pennsylvanie. Il a même inventé une astuce originale pour influencer les électeurs, en lançant une pétition pour soutenir les deux premiers amendements de la Constitution – sur la liberté d’expression et le droit de porter des armes – qui, selon Musk, sont menacés par le Parti démocrate. Chaque jour jusqu’au vote du 5 novembre, une loterie a été organisée parmi les citoyens signataires résidant dans un État pivot, le gagnant empochant un chèque d’un million de dollars. Le département de la Justice a écrit à Musk pour l’avertir que ce procédé pourrait être contraire à la loi électorale, mais plus rien ne semble arrêter le milliardaire que ses critiques accusent de se croire au-dessus des lois.

Dark MAGA

À Butler, Musk, pointant sa casquette frappée du slogan « Make America Great Again », qui n’était pas rouge mais noire, a proclamé : « Je ne suis pas seulement MAGA, je suis Dark MAGA ». « Dark MAGA » est un mème partagé depuis 2022 par des internautes ultra-trumpistes souhaitant le retour au pouvoir d’un Donald plus fort que jamais. Certains commentateurs n’ont pas manqué de flairer des relents d’extrême droite dans son esthétique visuelle – tirée des films Terminator. Mais Musk ne craint pas de flirter avec le complotisme, et « Dark Maga » marque surtout la force de son engagement pour Trump. Il représente aussi le côté sombre de son personnage, le double énigmatique qui, même aux pays des utopies capitalistes, sort de tous les cadres conventionnels.

Tout, chez Musk, est surdimensionné. Cinq jours après son intervention à Butler, il présentait les dernières inventions de Tesla : un taxi autonome, sans conducteur, et un robot polyvalent destiné à servir dans la maison, presque un sosie du C-3PO de la Guerre des étoiles, qui – à en croire le milliardaire – pourrait être commercialisé fin 2025 à un prix d’environ 20 000 dollars. Trois jours après, Musk a bluffé le monde entier quand la nouvelle fusée de SpaceX, Starship, est redescendue sur son pas de tir pour être attrapée par deux bras mécaniques – une étape importante dans le développement de son projet martien. Bien que né en Afrique du Sud en 1971, cet homme-orchestre de la technologie et des affaires est devenu un héros américain que Trump compare à Thomas Edison. Il a commencé sa carrière d’homme d’affaires, comme tant d’autres, dans la Silicon Valley, mais il a rapidement dépassé ce milieu par la diversité et l’ambition de ses projets. S’établissant aux États-Unis en 1992 (il devient citoyen américain en 2002), il abandonne un doctorat en physique à Stanford pour cofonder avec son frère une société qui développe des logiciels de guide touristique. L’entreprise est rachetée en 1999, lui permettant de créer une banque en ligne, X.com, qui fusionne avec une autre pour créer PayPal. Quand cette dernière est rachetée en 2002, Musk investit ses gains dans la création de SpaceX dont le but ultime est de coloniser Mars. L’entreprise se met à fabriquer des fusées partiellement réutilisables – la série des Falcon –, qui aujourd’hui ont permis de diviser par dix les coûts de l’accès à l’espace. À partir de 2006, SpaceX décroche des contrats avec la NASA pour desservir la station spatiale internationale et préparer de futures missions lunaires. Accomplissant ce dont l’État est incapable, écrasant la concurrence, SpaceX commence en 2019 à développer le fameux Starship, un lanceur entièrement réutilisable, capable de porter huit fois plus de poids que les Falcon et destiné à révolutionner encore les voyages spatiaux. Musk compte envoyer cinq vaisseaux sans équipage sur Mars en 2026 et des humains quatre ans plus tard. Pour l’instant, la vraie profitabilité de SpaceX vient de Starlink, l’immense réseau de satellites que ses fusées ont mis en orbite pour fournir un accès internet à des endroits isolés.

SpaceX teste son lanceur Starship depuis le site de lancement de Boca Chica au Texas, 7 juin 2024. Une nouvelle étape a été franchie le 13 octobre avec la capture inédite du booster par les bras mécaniques de la tour. SpaceX/UPI Photo via Newscom/SIPA

Tesla concurrencée par la concurrence chinoise de BYD

Son autre entreprise phare, Tesla, a été créée en 2003 pour produire des voitures électriques. L’année suivante, Musk, qui prend au sérieux le changement climatique, y investit et en devient l’actionnaire principal, avant de prendre la tête de la société en 2008. En 2021, la capitalisation boursière de Tesla atteint 1 000 milliards de dollars. Lancé en 2020, le crossover Model Y est devenu le véhicule électrique le plus vendu dans le monde. Néanmoins, Tesla est concurrencée par la marque chinoise BYD. Pour faire face, elle parie sur sa capacité à produire des véhicules autonomes moins chers, comme son cybertaxi. Les investisseurs restent confiants : en octobre, les actions Tesla ont augmenté de 22 %. Mais les ambitions de Musk ne s’arrêtent pas là. En 2016, il crée la Boring Company pour creuser des tunnels destinés à de nouveaux moyens de transports collectifs. Bien qu’il décrive le développement d’une intelligence artificielle superpuissante comme « la plus grande menace existentielle pour l’humanité » en 2014, il investit dans l’IA. En 2015, il cofonde OpenAI qui commercialise aujourd’hui des programmes comme ChatGPT. Il quitte le conseil d’administration en 2018, mais crée sa propre société xAI en 2023 pour concurrencer OpenAI et Google. Entretemps, il a lancé Neuralink en 2016 dont l’objectif est de développer des interfaces entre le cerveau humain et des ordinateurs grâce à des implants cérébraux. Il s’agit dans un premier temps de combattre des maladies neurodégénératives comme celle d’Alzheimer, mais dans un deuxième d’augmenter les capacités mentales de l’homme. Pourquoi cet intérêt pour l’IA dont il dit redouter le développement ? D’abord, ses voitures – surtout les autonomes – et ses fusées dépendent de systèmes IA. Ensuite il y a la FOMO (fear of missing out) – la peur de rater un coche technologique et commercial. Il croit aussi que, grâce à Neuralink, un être humain augmenté sera capable de tenir tête à une super-IA. Musk n’est pas un transhumaniste, comme l’affirment la plupart des médias français : il ne partage pas cette croyance répandue dans la Silicon Valley que le destin de l’homme est de devenir immortel en téléchargeant son esprit dans une machine. Du cerveau à l’espace, cet entrepreneur en série sous stéroïdes incarne plutôt un retour à l’imaginaire futuriste des années 1960, fondé sur l’ingénierie lourde plutôt que l’informatique. Pour devenir enfin une réalité, cet imaginaire avait besoin de la révolution numérique, mais aujourd’hui cette réalité la transcende.

Pourquoi un tel futuriste a-t-il jeté son dévolu sur Trump qui n’est pas un grand technophile et émet des doutes sur l’utilité des véhicules électriques ? Dans le passé, Musk s’est montré plutôt centriste. Il dit avoir voté pour Hillary Clinton en 2016 et Biden en 2020. Ses relations avec Trump ont connu des hauts et des bas, et les deux hommes ont parfois eu des prises de bec acrimonieuses. Après l’élection de Trump, Musk a participé à deux organes conseillant le président, mais en a démissionné en 2017 quand ce dernier a quitté l’accord de Paris sur le climat. Ce n’est qu’après la tentative d’assassinat en juillet dernier qu’il s’est pleinement engagé pour Trump.

La grande mue de Musk commence à l’époque du Covid, quand les autorités démocrates en Californie lui ordonnent de fermer les usines Tesla. Cette ingérence de l’État dans ses affaires le révolte. Musk n’est pas antivax, mais dénonce les confinements. En 2022, il annonce laisser tomber les démocrates qui sont le parti « de la division et de la haine », et soutiennent trop les syndicats. Comme l’indique cette dernière référence, Musk a des raisons économiques d’être trumpiste. Il accuse les syndicats de brider l’efficacité de ses entreprises. Ces dernières dépendent en partie de l’État qui leur a accordé des milliards de contrats et octroyé des crédits d’impôt au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, Musk rechigne contre tout ce qu’il considère comme une réglementation excessive. Actuellement, ses sociétés font l’objet de plus de vingt enquêtes de la part de régulateurs gouvernementaux. Si Tesla mise sur ses véhicules autonomes moins chers, leurs systèmes de contrôle risquent d’avoir du mal à obtenir l’agrément du régulateur pour des questions de sécurité routière. Il serait donc très utile pour Musk d’avoir un ami ultralibéral à la Maison-Blanche. Trump et lui ont même parlé de sa nomination possible à la tête d’une commission sur l’efficacité gouvernementale. Les deux hommes partagent le même enthousiasme pour les cryptomonnaies qui, en contournant les banques centrales, représentent l’outil antiétatique par excellence.

Musk a aussi des raisons personnelles d’être pro-Trump. En 2022, il rachète Twitter, sa sixième entreprise, qu’il fusionne avec une nouvelle société pour créer X. Il l’a payée 44 milliards et elle n’en vaut aujourd’hui que 19, à la grande joie de ses ennemis de gauche. Mais cette acquisition est plus une manœuvre politique qu’un investissement économique. En effet, Musk se déclare le champion de la liberté d’expression et accuse la plateforme dans son avatar précédent d’avoir censuré les opinions et les internautes de droite. Il condamne comme « une faute morale » la décision de bannir Trump de Twitter en 2021 et il lève l’interdit. Il livre à des journalistes les « Twitter Papers », une sélection de documents censés prouver les tropismes politiques de l’ancienne direction. Le réseau, qui compte 202 millions d’abonnés, sert aujourd’hui de mégaphone personnel à Musk qui l’a rebaptisé de sa marque fétiche, « X ». Pour prouver que sa liberté d’expression passe avant tout, il envoie balader tous ceux qui voudraient le faire chanter en lui refusant des contrats de publicité : « Allez vous faire foutre ! » Il utilise X pour interpeller directement des politiques. Il a croisé le fer avec Thierry Breton cet été, quand ce dernier était encore commissaire au Marché intérieur de l’UE, et plus récemment avec Véra Jourovà, une vice-présidente sortante. Elle l’a qualifié de « promoteur du mal » et il l’a accusée d’incarner « le mal banal, bureaucratique ». Il s’est attaqué cet été au Premier ministre britannique Keir Starmer et à l’ancien leader écossais Humza Yousaf, qu’il accuse de racisme anti-Blancs. Il dénonce aussi l’immigration aux États-Unis qui, selon lui, est instrumentalisée par les démocrates, soucieux de se garantir de futurs électeurs. Sans surprise, la gauche traite Musk de raciste et l’accuse même de manier des tropes antisémites dans ses dénonciations de Justin Trudeau et George Soros. En réponse, il s’est dit « plutôt philosémite » et en novembre 2023, il a banni de X les termes « décolonisation » et « de la rivière à la mer ». Il est surtout contre le wokisme sous toutes ses formes, en partie pour des raisons très personnelles. En effet, un de ses fils, Xavier, né en 2004, a décidé en 2020 de devenir une femme transgenre. Elle est allée jusqu’à adopter officiellement le nom de sa mère, devenant Vivian Jenna Wilson en 2022, pour mettre le plus de distance entre elle et son père, qu’elle accuse d’avoir été absent et d’être un « fornicateur en série ». Musk prétend que s’il a autorisé le changement de genre, c’est qu’il avait été piégé par le « virus mental woke » et considère désormais comme « mort » ce fils qui « pense que tous les riches sont malfaisants ».

En devenant Dark Maga, Musk semble assumer d’être associé au Mal, peut-être parce qu’il affectionne les films de super-héros qu’il affectionne – il a même fait une apparition-éclair dans Iron Man 2 en 2010. Comme un super-vilain qui travaillerait pour le bien, il ne cherche rien de moins qu’à recréer l’État, le monde et l’humanité à sa propre image.

Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

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© Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro de novembre


Les relations franco-algériennes n’en finissent pas de ressembler à un concours de mauvaise foi, de mauvaise conscience et de mauvaise grâce. Plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps qu’Alger et Paris fassent enfin (et vraiment) la paix. Afin de normaliser leurs relations, il faut que la France mette fin à sa propension à l’autoflagellation au sujet de la colonisation, tandis que, comme le disent Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques dans leur introduction à notre dossier, « il est temps que notre ancienne colonie devienne indépendante. Pour elle comme pour nous ». Mais « comment ne plus être l’otage d’Alger ? » C’est la question que pose Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020). Il propose des solutions pour que les deux pays établissent enfin une relation adulte, sans chantage affectif ni délire de persécution, afin de normaliser, voire banaliser, des rapports bilatéraux. Jusqu’ici, la politique de la repentance a coûté cher à la France. Malgré la tentative d’intimidation du gouvernement algérien, l’eurodéputée Sarah Knafo a décidé de révéler à combien s’élève l’addition. Se confiant à Élisabeth Lévy, elle affirme que, plus de soixante ans après l’indépendance, il est temps de divorcer pour de bon. Selon Driss Ghali, le pouvoir algérien n’a jamais cessé de cultiver le même ressentiment envers la France. Une intoxication mémorielle très utile pour faire oublier les errements de sa politique sociale et économique ; et pour culpabiliser les bonnes âmes françaises qui ne demandent qu’à faire repentance. 

Le numéro de novembre est disponible aujourd’hui dans le kiosque numérique, et demain chez votre marchand de journaux.

Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy nous parle de cette « Maison des mondes africains » que, « dans un esprit de réparation coloniale » (nous dit Libération), Emmanuel Macron a accepté de loger dans une aile de l’hôtel de la Monnaie à Paris, la plus vieille institution française encore en activité. Conclusion ? « Pour se faire pardonner son passé criminel, la vieille France raciste et colonialiste doit cesser d’exister et même faire oublier qu’elle a existé pour se vouer tout entière à l’Autre ». Faut-il canoniser Charles de Gaulle ?  Voilà la question que se pose Paul Thibaud. Le Général incarne la témérité mais n’a pas accompli de miracles. Comme Jeanne d’Arc, qui a pourtant été canonisée. L’Église pouvant faire des exceptions, elle pourrait ouvrir le « procès » en béatification de l’homme du 18-Juin, moins pour célébrer un exploit que pour défendre un modèle d’exigence.

MeToo, ça suffit ! Élisabeth Lévy déplore que ce mouvement ait libéré la furie des lyncheurs en ligne et des délateurs à carte de presse. La lourde condamnation de Nicolas Bedos en première instance prouve qu’un féminisme révolutionnaire, assoiffé de morts sociales et de bannissements, a désormais investi les palais de justice. Se confiant à Yannis Ezziadi et Élisabeth Lévy, Cyrille Eldin raconte l’histoire terrifiante qu’il a vécue avec son ex-compagne. Condamné pour « violences psychologiques » sur elle, l’ancien animateur-vedette de Canal+ est aujourd’hui séparé du fils qu’ils ont eu ensemble, au chômage et sans possibilité de travailler. En attendant l’appel de cette condamnation, il veut rétablir la vérité. Après la condamnation de Nicolas Bedos à un an de prison pour agression sexuelle (avec sursis probatoire de six mois), sa compagne Pauline Desmonts a dénoncé sur Instagram l’« injustice » d’une décision « tyrannique ». L’avocat pénaliste Randall Schwerdorffer, qui officie sur BFMTV, lui répond dans une lettre ouverte. Sa conclusion est alarmante : « Aujourd’hui, tous les hommes sont en danger face à ce lynchage permanent, à la violence des médias et parfois de la justice ». Caroline Fourest vient de publier Le Vertige MeToo aux éditions Grasset. Elle continue à approuver MeToo mais pointe la dérive fanatique de certains de ses zélateurs. Selon Yannis Ezziadi, c’est une nuance inadmissible pour les défenseurs de la cause : les néo-féministes et la presse comme-il-faut lui tombent dessus. Alerte : Caroline a viré à droite.  

En politique étrangère, constance et fermeté sont indispensables pour être respectés. Emmanuel Macron a enfreint cette règle élémentaire tout en démantelant la diplomatie française. Selon le journaliste Vincent Hervouët, s’entretenant avec Gil Mihaely, la « voix de la France » est devenue inaudible du Liban à l’Ukraine en passant par Bruxelles. Il affirme que « depuis qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée, le Quai d’Orsay a perdu toute autorité au sein de l’administration ». Hillel Neuer, le directeur d’UN Watch, dont j’ai recueilli les propos, nous livre son témoignage d’expert sur les dérives de l’Organisation des nations unies. Israël vient d’interdire à l’UNRWA d’exercer ses activités sur son territoire. L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, notoirement corrompue par le Hamas, œuvre depuis sa création à délégitimer l’État hébreu, quand elle n’aide pas à le combattre. Selon Neuer, « chaque euro versé à l’UNRWA est un euro contre la paix ».

Nos pages culture s’ouvrent sur un entretien avec l’écrivain Abel Quentin qui s’est confié à Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques. Dans son nouveau roman, Cabane, le prix de Flore 2021 brosse le portrait de quatre universitaires des années 1970 qui, grâce à l’informatique naissante, parviennent à mesurer les dangers écologiques de la croissance, et alertent sur la catastrophe à venir. Un récit passionnant et troublant, dont même les lecteurs climato-sceptiques ne sortiront pas indemnes. Georgia Ray s’est rendue à l’exposition Caillebotte au musée d’Orsay qui se révèle être une succession de chefs-d’œuvre. C’est aussi un concentré de bêtise. Le peintre de la vie bourgeoise au XIXe siècle est présenté comme le chantre de la déconstruction, venu « bousculer les stéréotypes de genre » en tentant d’« échapper à sa condition de riche rentier ». On s’émerveille et on rigole.

Au fil de ses livres et de ses articles dans Causeur, Thomas Morales célèbre la France d’hier, celle de sa jeunesse et des Trente glorieuses. Ses deux nouveaux recueils de chroniques, Les Bouquinistes et Tendre est la province, qu’a lus Philippe Lacoche, font la part belle aux souvenirs personnels et aux portraits littéraires. Emmanuel de Waresquiel, lui, dynamite les mythes. Selon le grand historien du XVIIIe siècle, se confiant à Vincent Roy, la Révolution française est encore bien vivante. Il suffit de voir comment ses « mythes noirs » sont instrumentalisés, de LFI aux JO de Paris. Son nouvel ouvrage (Il nous fallait des mythes, aux éditions Tallendier) remet les pendules à l’heure et démontre que la Terreur de 1793 est contenue dans les discours et les principes posés dès 1789.

Emmanuel Tresmontant nous recommande le Bistrot du Maquis à Montmartre. André Le Letty est passé par les meilleures maisons, de Bretagne et de Paris, avant de devenir citoyen de Montmartre et d’y ouvrir son propre restaurant où il mijote une cuisine traditionnelle tout en délicatesse et pleine de fraîcheur. Priorité est donnée aux produits de qualité, et aux prix bistrot ! De son côté, Jean Chauvet nous recommande pour le mois de novembre un film d’animation digne de ce nom et trois films du grand Ophüls en version restaurée.

Pour Ivan Rioufol, « la fin de règne des incapables a sonné ». Non contents de subir une libanisation accélérée de leur pays, les Français vont devoir payer pour les flambeurs qui ont endetté la nation pour acheter la paix sociale. Les faillis doivent partir. Et avec eux les idéologues de la post-nation. Enfin, Gilles-William Goldnadel lance un grand concours : il s’agit de célébrer le membre du Nouveau Front populaire qui se sera le plus distingué pour sa sottise, sa bassesse, son ignorance ou sa turpitude. La compétition s’annonce très serrée !

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L’âge de l’insulte

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© Patrick Sison/AP/SIPA

La campagne américaine a été marquée par les insultes. La démocratie américaine est-elle en danger ? La France est-elle, elle aussi, menacée par ce que les éditocrates nomment au choix « trumpisation » ou « polarisation » de la vie politique ? Pire, est-elle déjà gravement atteinte ?


À en croire la majorité des médias français, la campagne présidentielle américaine aurait opposé un Donald Trump déchaîné dans l’outrance et l’insulte à une gentille Kamala Harris respectueuse des usages… En langage d’éditorialiste, on parle de polarisation extrême dont M. Trump serait le seul responsable. Quant aux rares journalistes pro-Trump, ils nous servent un récit symétrique où le pauvre Trump est systématiquement attaqué et diffamé.
Soyons honnêtes : durant la période récente, c’est certainement M. Trump qui a normalisé l’insulte et l’affabulation en politique. Rappelez-vous de tous ses tweets (c’est au point que l’on parle désormais de « trumpisme »).  Mais, cette fois, ça a volé haut des deux côtés. Kamala Harris a traité Trump de « fasciste », d’ »inapte », de « dérangé ». Lui a répliqué par « communiste », « idiote », « attardée » ou « bête comme une pierre ». Donald Trump a aussi traité ses opposants d’ennemis de l’intérieur, et Porto-Rico a été comparé à une poubelle flottante lors de son meeting de New-York. Réponse de Biden à cette dernière outrance : les seules ordures que je voie, ce sont les électeurs de Trump. Bref : c’était l’école maternelle, et pas la mieux fréquentée.
Résultat des courses, selon 75% des Américains, leur démocratie est menacée. Ils ont raison. La démocratie, ce n’est pas seulement des procédures et des règles à respecter, mais aussi un état d’esprit ; le désaccord civilisé veut que l’autre soit légitime et appartienne à la même communauté politique que moi, et que j’accepte éventuellement sa victoire et son existence dans le même champ que moi. Quand des magasins se barricadent avant une élection, cet accord minimal pour le désaccord n’existe pas.

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On nous dit que nous n’en sommes pas encore là en France. Croyez-vous vraiment ? La veille du 2ème tour des législatives, c’était pourtant pareil à Paris. Des magasins étaient barricadés, car on attendait des troubles voire des émeutes en cas de victoire du Rassemblement national.
La « trumpisation », c’est-à-dire la montée aux extrêmes, a gagné la vie publique et l’Assemblée nationale. Les LFIstes traitent leurs adversaires de fascistes ou de racistes quotidiennement. Au-delà de l’insulte, le bobard, le mensonge conscient et l’affabulation sont frappants. Le Nouveau Front populaire raconte qu’on lui a volé l’élection, et donc que le gouvernement actuel n’est pas légitime. Lucie Castets a prétendu pendant des semaines être le choix du « groupe majoritaire » à l’Assemblée – un mensonge éhonté. Par ailleurs, même le discours sur le fameux front républicain durant l’entre deux tours relevait aussi du mensonge en bande organisée. Qui croyait vraiment à la menace fasciste ? Personne.
Comment expliquer cette montée aux extrêmes ? Tout d’abord, il faut rappeler la baisse générale du niveau d’éducation. Qu’attendre franchement d’un Louis Boyard ou d’une Ersilia Soudais ? C’est ce que j’appellerais la trumpisation par le haut.
Ensuite, le rôle des réseaux sociaux est immense. C’est la trumpisation par le bas. Nous sommes face à une force ravageuse de désocialisation. Les réseaux sociaux lèvent les inhibitions. Il n’y a plus de surmoi, c’est-à-dire plus de civilisation : on ne dit pas tout ce qui nous passe en permanence par la tête normalement. Eh bien derrière son clavier, si. La menace de mort est banale, presque naturelle ; l’adversaire devient un ennemi, donc tout est permis, y compris bien sûr la calomnie.
Ce climat dégoûtant navre beaucoup de Français. Il explique sûrement pour bonne partie le capital-sympathie de Michel Barnier, l’homme qui dit à Mathilde Panot qu’il la respecte malgré la grande agressivité de cette dernière.
N’en déplaise aux rebelles d’opérette, aujourd’hui, la bonne éducation est d’avant-garde et la courtoisie, révolutionnaire.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Quincy Jones, touche-à-tout de génie

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Quincy Jones au Radio City Music Hall à New York, 20 février 1991 © Susan Ragan/AP/SIPA

La disparition d’un géant du jazz


Trompettiste américain, compositeur, producteur de jazz, Quincy Jones vient de mourir le 3 novembre, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Cette disparition a suscité une émotion dans le monde entier et un hommage unanime, par-delà les styles et les tendances – fait assez rare pour être souligné. Chez nous, une chaîne de radio comme France-Musique a bouleversé ses programmes pour lui rendre un hommage mérité. Semblable réflexe à la télévision où la chaîne C8 a ressorti des documents inédits, parmi lesquels une rencontre historique avec Charles Aznavour.

28 Grammy Awards !

Une telle mobilisation médiatique s’explique par le fait que la renommée de ce Chicagoan excède largement le seul domaine du jazz. Son talent, qui lui valut quelque quatre-vingt nominations dont vingt-huit victoires aux Grammy Awards, sans compter un Grammy Legend Award en 1992, était assez étendu pour rallier les suffrages les plus divers. Ancien élève du fameux Berklee College of Music de Boston, il se révèlera un trompettiste des plus honorables. C’est, toutefois, outre sa capacité d’adaptation aux courants novateurs du jazz, tels la bossa nova, ses dons d’arrangeur et de compositeur qui le propulseront vers les sommets. Sa collaboration, dans les années 80, avec l’ingénieur du son Bruce Swedien et Michaël Jackson déboucha sur des albums qui restent dans toutes les mémoires.

Sans retracer dans le détail une carrière entamée comme trompettiste dans l’orchestre de Lionel Hampton, poursuivie comme arrangeur auprès de musiciens les plus divers, de Sarah Vaughan à Dizzy Gillespie en passant par Count Basie ou Miles Davis, on retiendra, outre ses tournées dans le monde entier au sein de diverses formations, son séjour à Paris, à la fin des années 50. Il y poursuivra des études auprès de Nadia Boulanger, alors directrice du conservatoire américain de Fontainebleau. Il sera ainsi conduit à travailler avec Jacques Brel, Henri Salvador et Charles Aznavour, tandis que Les Double Six enregistreront un album consacré à ses compositions. Depuis cette période, il gardera toujours une certaine affection pour notre pays.

Son sens des affaires conduisit enfin Quincy Jones à fonder plusieurs sociétés productrices de films de cinéma et de télévision, de pièces de théâtre, tout cela aboutissant à la création de son propre label, Qwest records, en 2017.

Une activité à donner le tournis

La première leçon à tirer d’une telle carrière, c’est que l’art ignore les frontières et se joue des tabous. Si la société des Etats-Unis, voire l’Occident tout entier, avaient été, au XXe siècle, aussi ségrégationnistes, aussi racistes que le prétendent leurs actuels dénonciateurs, jamais un tel parcours, une telle réussite n’eussent été envisageables.

Le second enseignement, et là réside sans doute une clé essentielle, c’est l’ouverture d’esprit qui a permis à Quincy Jones de franchir toutes les barrières de genre et de style. Mieux encore, d’anticiper les évolutions d’une musique qu’il aura largement contribué à enrichir. Son génie des affaires a fait le reste. Qui pourrait le lui reprocher ?

À Valence, la crise politique aggrave la catastrophe climatique

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Catarroja (sud de Valence), Espagne, lundi 4 novembre 2024 © Manu Fernandez/AP/SIPA

La catastrophe naturelle valencienne met à nu pour la énième fois la jungle institutionnelle et administrative espagnole, où le système des communautés autonomes (issu d’un processus de décentralisation débuté à la fin des années 70) est tellement flou que plus personne ne sait très bien ce qui est du ressort des uns et des autres.


Les images du dimanche 3 novembre 2024 à Paiporta, bourgade de 27 000 habitants située dans la banlieue de Valence (Est de l’Espagne), ont fait le tour des médias internationaux. Dévastée par les pluies torrentielles qui sont tombées sur la région quelques jours auparavant, la commune accueille ce jour-là une délégation composée du président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, et du président régional valencien, le conservateur Carlos Mazón. Ils accompagnent tous deux le couple royal, Philippe vi et Letizia, qui se rend pour la première fois sur les lieux. Cette ville est un des épicentres de la « goutte froide » qui a aussi ravagé Picaña, Sedaví, Alfafar, Benetúser, Masanasa et Catarroja, dans la comarque de la Huerta Sur.

Un cortège pris à partie

À son arrivée, le cortège est la cible d’insultes ainsi que de jets de boue et d’objets divers de la part des habitants. Excédés, épuisés, s’estimant abandonnés par les autorités, pleurant leurs morts, cherchant désespérément les disparus, déblayant les rues avec l’aide de dizaines de bénévoles, les locaux voient rouge. La tension monte à Paiporta et Pedro Sánchez prend le large, craignant pour son intégrité physique. Pour leur part, le roi et la reine décident de rompre le cordon policier et de se rendre au contact des paiportinos, qui vident leur sac, s’énervent, supplient, exigent la démission de Sánchez et Mazón, expliquent qu’ils ont tout perdu (logement, véhicule, entreprise ou commerce). Letizia, qui a reçu de la boue sur le visage, serre des femmes dans ses bras et s’effondre en larmes avec elles. Plusieurs habitants s’excusent : « Ce n’était pas pour vous, ce n’était pas pour vous ! ». La plupart des gens présents, indignés et à bout de nerfs, ont voulu manifester leur profonde colère alors que plus de 200 morts et des centaines (voire des milliers) de personnes manquant à l’appel nourrissent leur chagrin.

Contrairement à ce que les journaux télévisés et quotidiens de nombreux pays ont laissé entendre, ni Philippe vi, ni Letizia n’étaient réellement la cible des manifestants. Ces derniers ont pu perdre leur calme face au couple royal mais ils avaient avant tout besoin d’être écoutés. Ils ont vécu une journée d’enfer, puis des heures d’incertitude et de travail harassant pour nettoyer maisons, appartements et rues. Le chef d’État et son épouse restent un certain temps sur place et, bien qu’ils doivent remettre à plus tard leur visite à Chiva, ils repartent grandis de ce douloureux épisode. C’est bien davantage le monde politique espagnol qui est dans le collimateur des paiportinos.

L’AEMET dans la tourmente

Même si elle est localisée, la tragédie de la Huerta Sur a une résonance nationale en raison du nombre de victimes et des discussions qu’elle entraîne. D’un côté, le réchauffement climatique a très certainement joué un rôle car la chaleur toujours plus élevée de la mer Méditerranée déclenche des gouttes froides d’une rare violence. De l’autre, le phénomène n’est pas nouveau, loin de là. La ville même de Valence, épargnée en octobre 2024, avait été submergée sensiblement à la même période en 1957, lorsque le Turia avait débordé de son lit.

Cette fois-ci, cependant, les autorités sont en cause. Beaucoup accusent Carlos Mazón et le gouvernement régional d’avoir réagi tardivement et d’avoir transmis les avertissements automatiques par SMS alors même que l’eau engloutissait déjà les villes. Bien d’autres pointent du doigt l’AEMET (équivalent espagnol de Météo France), qui avait annoncé l’événement pluvieux tout en n’anticipant pas suffisamment sa gravité. Nombreux sont aussi ceux qui reprochent à Pedro Sánchez d’avoir laissé les dirigeants valenciens se débrouiller seuls pendant plusieurs jours avant d’envoyer des effectifs militaires… un peu tard. Au milieu, les habitants de la Huerta Sur ont été privés d’électricité et d’eau pendant plusieurs jours, constatant le chaos qui s’était emparé de leurs communes.

Pendant une semaine au moins, droite et gauche espagnoles confondues ont rejeté la faute l’une sur l’autre. Chaque échelon administratif a juré qu’il ne pouvait agir qu’avec l’aide ou l’accord d’autres responsables, que ce soit à Madrid ou à Valence. Si la scène est bien connue dans d’autres pays (dont la France), elle prend une tournure particulièrement dramatique au vu des conséquences. Plus encore, elle met à nu pour la énième fois la jungle institutionnelle et administrative espagnole, où le système des communautés autonomes (issu d’un processus de décentralisation débuté à la fin des années 70) est tellement flou que plus personne ne sait très bien ce qui est du ressort des uns et des autres. Le dôme froid de l’automne 2024 (qui a aussi touché une partie de la Castille, de la Catalogne, des Baléares et de l’Andalousie) n’est qu’un exemple supplémentaire d’une situation tantôt ubuesque, tantôt alarmante.

La crise séparatiste catalane avait déjà porté un énorme coup à la crédibilité de l’organisation institutionnelle espagnole. Dans un autre registre, la catastrophe valencienne de cette année enfonce le clou, alors que la polarisation idéologique est à son comble.

La détestation que suscite Pedro Sánchez dans une large frange de la société est renforcée par ses manières, que certains trouvent méprisantes et autoritaires. Ses alliances controversées avec les sécessionnistes catalans et basques achèvent de dresser le portrait d’un homme qui semble n’avoir aucune limite à partir du moment où sa survie politique est en jeu. Il a pourtant ses partisans, qui voient en lui le seul rempart contre une droite qu’ils jugent fascisante (pour ce qui est de Vox, troisième formation du pays) ou vendue aux forces réactionnaires (dans le cas du Parti populaire, présidé par le très compassé Alberto Núñez Feijóo, chef de l’opposition).

Ainsi donc, si la reprise économique post-pandémie semble vigoureuse et place notre voisin ibérique dans le peloton de tête des puissances dynamiques de l’UE, le débat public s’avère éminemment crispé.

La politique écologique en ligne de mire

La goutte froide de Paiporta, Chiva et autres communes adjacentes relance aussi les débats sur les mesures qu’il conviendrait de prendre face au réchauffement planétaire. Socialistes et gauche « radicale » se positionnent en pionniers dans le domaine. Ils défendent ainsi davantage de taxes sur les grandes entreprises (notamment celles du secteur de l’énergie) ou encore la mise en place des zones à faibles émissions dans toutes les communes de plus de 50 000 habitants.

Ils promeuvent également la destruction de bon nombre de retenues d’eau, souvent modestes en taille mais que les milieux ruraux estiment indispensables à leur approvisionnement et leur production agricole. Pour cette partie du spectre idéologique espagnol, il faut rompre avec les politiques hydriques du passé, menées à bien tant par la Restauration (1874-1931) que par la Seconde République (1931-1939) et la dictature franquiste (1939-1975). En d’autres termes, les représentants de la gauche veulent réduire la consommation d’eau du pays (notamment dans le secteur primaire et le monde du tourisme), laisser les cours d’eau vaquer à leur « vie naturelle » et cesser les transferts d’« or bleu » entre régions. Ils critiquent dans le même mouvement la politique d’urbanisme pratiquée depuis des décennies outre-Pyrénées, alors que 700 000 citoyens vivent dans des zones menacées par les crues.

La droite, de son côté, s’insurge contre un programme qu’elle estime mortel pour les intérêts du pays et pour sa souveraineté alimentaire. Elle cite en exemple le Plan Sud (1958-1973), organisé par le franquisme après la gran riada de 1957 à Valence. Entre Cuart de Poblet et la mer Méditerranée, le cours du Turia prend un détour artificiel afin de protéger la troisième ville la plus peuplée d’Espagne. Parti populaire et Vox rappellent dans la foulée que le barrage de Forata, inauguré en 1969 sur le Magro (affluent du fleuve Júcar, qui passe au sud de l’agglomération valencienne), a évité des dégâts plus massifs au mois d’octobre en retenant 37 millions de litres d’eau tombée du ciel. Les deux grands partis de droite exigent enfin que la loi interdisant le nettoyage des sous-bois et des vallées, soutenue par la gauche, soit abrogée. Les troncs, branches et débris accumulés dans le sillage de plusieurs cours d’eau et charriés par la crue ont effectivement constitué autant de pièges mortels pour la Huerta Sur.

Alors que la polémique fait rage, la Cour des Comptes espagnole semble aller dans le sens d’Alberto Núñez Feijóo et Santiago Abascal (président de Vox). De fait, elle n’a cessé de rappeler ces dernières années que les investissements manquaient pour entretenir les infrastructures gérées par la Confédération hydrographique du Júcar (mais aussi par celle du Guadalquivir, en Andalousie, et celle du Segura, dans la Région de Murcie et le sud de la Communauté de Valence).

Alors que les secours s’attaquent désormais aux recherches dans les garages privés et les parkings publics de l’agglomération de Valence (en particulier celui de Bonaire, dont on craint qu’il ne soit plus qu’un immense cimetière sous l’eau), la controverse n’est pas près de s’éteindre.