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José Benazeraf est mort

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jose benazeraf

« Les films de Benazeraf charrient des pierres et des diamants » disait Henri Langlois.

C’est peu dire que la disparition il y a une dizaine de jours du cinéaste José Benazeraf est passée à peu près inaperçue. Difficile d’imaginer, on en conviendra, les chaînes de télévision diffuser en guise d’hommage La veuve lubrique ou Le majordome est bien monté, mais quelques papiers rappelant la singularité de sa carrière et la puissance des premières œuvres du cinéaste auraient été bienvenus. Car voyez-vous, ma bonne dame, Benazeraf ne fut pas seulement un « vulgaire » pornocrate (ce qui, après tout, n’est pas plus méprisable que publicitaire ou chef d’un quelconque parti politique) mais un auteur inspiré et bouillonnant, exprimant à travers l’érotisme une volonté révolutionnaire de briser tous les freins sociaux et de faire voler en éclats tout ce qui mutile la liberté de l’individu.

Né en 1922 à Casablanca, Benazeraf sort diplômé de Sciences Po, débarque dans le milieu du cinéma grâce à sa fortune familiale et par le biais de la production (Les lavandières du Portugal de Pierre Gaspard-Huit), fait une apparition dans À bout de souffle de Godard et débute derrière la caméra au début des années 60 avec L’éternité pour nous (aussi connu sous le titre du Cri de la chair).
Dans la lignée des films de la Nouvelle Vague, Benazeraf enchaîne les tournages rapides pour de petits budgets (son cinéma s’inscrit dans une économie de séries B) et pimente ses polars violents ou ses mélos existentialistes de scènes de plus en plus osées à mesure que les mœurs se relâchent.
À ce titre, certains associent systématiquement son nom à celui de Max Pécas : débuts à la même époque, évolution progressive d’un cinéma dit « sexy » (dont ils furent, en quelque sorte, les pionniers) vers un érotisme plus explicite et qui finira par le passage au porno hard.
La comparaison s’arrête là : autant Pécas est un cinéaste sans envergure et plutôt moralisateur, manifestant peu de goût pour les plaisirs de la chair (il abandonnera très vite le X pour revenir aux comédies de plage franchouillardes qui ont fait sa renommée), autant Benazeraf est incontrôlable et flamboyant, transformant les conventions du cinéma de genre en authentiques diamants bruts. Avec des films comme Le concerto de la peur (1962), La nuit la plus longue (1964) ou encore L’enfer est sur la plage (1965), Don José fait voler en éclat les stéréotypes du film noir et leste ses œuvres d’un existentialisme poisseux (les petits gangsters qui enlèvent et séquestrent une jolie pépée dans La nuit la plus longue en attendant un homme qui, tel le Godot de Beckett, ne viendra jamais).

Son sens inouï du montage et du découpage transforme des récits de séries B dignes de la littérature de gare en véritables cérémonies érotiques et extatiques. En jouant sur la disjonction entre l’image et le son (la musique a une importance considérable dans l’œuvre de Benazeraf et on n’oubliera pas celle de Chet Baker dans Le concerto de la peur ou La nuit la plus longue), en travaillant la couleur (voir la « messe en rouge et noir » dixit Bory que constitue Le désirable et le sublime) ou la voix off; il transcende la pauvreté de ses scénarios par des mises en scène flamboyantes et étourdissantes.
En 1966, Benazeraf se heurte brutalement à la censure qui réclame une interdiction totale du film Joë Caligula, superbement interprété par l’immense Gérard Blain. Il ne sortira qu’en 1969, après quelques coupes. Plus que la violence de ce polar ou l’érotisme qui imprègne de plus en plus durablement les œuvres du Condottiere, c’est sans doute son anarchisme qui dérange et cette manière de toujours mêler à ses fictions des références à l’actualité politique et sociale du moment. Cet « intellectualisme » (comme Godard, Benazeraf use et abuse de la citation) qui s’exprime de plus en plus dans des œuvres comme Frustration (où l’on retrouve Elizabeh Teissier avant qu’elle ne devienne l’astrologue favorite d’un ancien président de la République, sans doute plus séduit par ses formes plantureuses que par ses prévisions ; du moins, on l’espère !) ou l’hallucinant Le désirable et le sublime où Don José crache rageusement sur tout le cinéma du moment (Godard excepté), sur le pouvoir de Pompidou en citant allègrement Camus, Hegel et Trotsky ; va lui valoir le surnom d’ « Antonioni de Pigalle », l’adulation des habitués du Midi-Minuit et l’opprobre consternée des critiques « officiels ».

À mesure que les mœurs se libéralisent, le cinéma de Benazeraf se fait de plus en plus leste et se met à flirter avec le pornographie (les actes sexuels ne sont plus simulés) au début des années 70. Il est même le premier, avec Black love ou Adolescence pervertie (où Don José mêle aux étreintes les plus torrides des images du congrès de la CGT et de Georges Séguy!) à tourner des séquences hard qui seront ensuite retirées pour l’exploitation, sauf à l’export.
Pornographique ou pas, son cinéma au début des années 70 se distingue par son caractère lyrique, bouillonnant, subversif et volontairement provocateur. Le cinéaste franchit allègrement le pas du hard avec des œuvres comme La veuve lubrique, la soubrette perverse ou un excellent « pot-pourri » de ses films intitulé Anthologie des scènes interdites qui se termine par un quart d’heure de scènes hard issues de La planque 1 et La planque 2.

Sur le même modèle anthologique, le cinéaste concocte JB 1 en 1975 et obtient le prix Extasy remis par un jury de journalistes pour « son caractère délibérément pornographique, subversif, lyrique et en raison des exceptionnelles qualités (…) qui en font le premier chef-d’œuvre authentique d’un genre que les pouvoirs publics voudraient cantonner dans un ghetto ». Il faut dire qu’entre temps, le classement X a été instauré en France, pénalisant de manière très lourde le cinéma porno en le condamnant à la morne routine des salles spécialisées et des budgets de misère.
Vomissant comme toujours les décisions stupides de la censure, Don José renvoie rageusement sa carte de réalisateur au CNC et deviendra dès lors l’un des grands stakhanovistes du hard français, que ce soit en 35mm ou en vidéo.

Je confesse humblement à cet instant mon ignorance de ce vaste continent qu’est la carrière X du cinéaste. Toujours est-il que même les spécialistes (Jean-Pierre Bouyxou, par exemple) semblent sceptiques quant à ces œuvres tournées à la va-vite, par lots de 3 ou 4, dans les mêmes décors, avec les mêmes interprètes et aux titres aussi peu réjouissants que La madone des pipes ou Du foutre plein le cul ! Néanmoins, avec l’aide de l’indispensable Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques de l’excellent Christophe Bier, on pourra s’aventurer dans cette filmographie pour tenter d’y déceler quelques pépites, Benazeraf gardant la réputation de « rallier les colères prolétariennes » en faisant « fréquemment gémir sur le sort des masses exploitées ses actrices-objets » (Noël Godin)!

Toujours actif dans les années 90 où il fit la conversation à la hardeuse batave Zara Whites (Portraits regards de Zara Whites en 1999), José Benazeraf apparaît aujourd’hui comme l’exemple le plus symptomatique du basculement d’un monde à l’autre. S’il représenta un temps ce que la « révolution sexuelle » pouvait avoir de transgressif, d’authentiquement anarchique (la souveraineté des désirs contre l’oppression et les conventions sociales) et de libérateur ; il fut vite récupéré par le marché et l’horreur économique qui firent de l’industrie pornographique une manne financière sinistre, routinière, aseptisée, vidée de tout contenu subversif et parfaitement conforme à l’ordre social en vigueur (on ne s’encanaille désormais plus que dans les limites érigées par le marché).

Avec la disparition de Benazeraf (après celle de Sylvia Kristel et, dans un genre un peu différent, celle de Wakamatsu), c’est un peu de cette utopie des années 60-70 qui semble s’éloigner encore plus.
Retrouvera-t-on, un jour, des cinéastes audacieux et libertins capables de faire rimer érotisme avec transgression et qui sauront réinventer le sexe pour le rendre joyeux, passionné et tout simplement beau ?

De Mahomet à l’Algérie, Zaoui Saada saint patron des causes désespérées

Marc Cohen avait flairé le gros poisson, voire le champion du monde, comme on dit dans La Vérité si je mens, lorsque Zaoui Saada avait réclamé 200 000 euros à Charlie Hebdo pour chacune de ses associations et 20 000 euros à titre personnel pour « préjudice moral » après la publication des caricatures de Mahomet.
Patatras, voilà que le président du Rassemblement démocratique algérien pour la paix et le progrès et de l’Organisation arabe unie – deux dénominations qui fleurent bon le tiers-mondisme des années 1970, lorsque Boumediene et Honecker faisaient la pluie et le beau temps de la « cause » arabe – s’est trouvé un nouveau cheval de bataille. Que voulez-vous, la sacralité du Prophète ne suffit pas à la taille de son âme.

Les bras d’honneur de Gérard Longuet et Gilbert Collard aux demandes de repentance d’Alger a été la goutte d’eau submergeant le vase d’indignation de Zaoui Saada. Insulter l’Etat FLN, refuser de battre sa coulpe au nom des heures les plus noires de la guerre sans nom, voilà qui mérite au moins 50 000 euros pour chaque association et 20 000 euros pour le traumatisme personnel infligé au philanthrope Saada. Un tarif syndical que Marc Cohen pourra toujours railler, sans que le panache et le désintéressement de Zaoui Saada n’en soient affectés : baser ses locaux associatifs avenue du 8 mai 1945 à Sét… , pardon Sarcelles, c’est-y pas une preuve de vertu ?

D’ailleurs, pourquoi s’arrêter là ? Le Rassemblement démocratique algérien pour la paix et le progrès et l’Organisation arabe unie étant sans doute chichement dotées en subventions publiques, trouvons un nouvelle croisade à Zaoui Saada, ce rebelle jamais en mal de causes.
Puisque tel le Christ, Saada porte tous les péchés du monde sur ses frêles épaules, ne soyons pas avares d’injures : le dodo est un salaud ! Et pas question de nous excuser au nom de l’espèce humaine pour son génocide, non mais !

On attend impatiemment la réaction outrée de Zaoui Saada, prêt à dégainer notre carnet de chèques pour indemniser ce chevalier sans peur et sans reproche…

Le tonton flingueur du gastronomiquement correct

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perico legasse gastronomie

Imaginons un lecteur qui n’ait jamais ouvert Marianne de sa vie ou qui n’ait jamais eu la curiosité de lire les pages « Savoir-vivre » de cet hebdomadaire fondé par Jean-François Kahn. En terminant le Dictionnaire impertinent de la gastronomie, il penserait certainement que passer ses vacances avec Périco Légasse doit relever de l’exercice ennuyeux : « Ne mange pas ça, c’est de la merde! » ; « Mais tu as acheté ça où ? » ; « Ce n’est pas du camembert, ça, c’est du pneu ! » ; « Irresponsable ! Tu encourages le productivisme… » etc. Ce lecteur se fourvoierait, car l’habitué de la chronique de Légasse sait, depuis quinze ans, que celui-ci quitte la plupart du temps les habits du proc’ pour se muer en avocat des bonnes adresses.[access capability= »lire_inedits »] Celui qui a vu les émissions de télévision où intervient le journaliste basque sait aussi qu’il lui arrive d’être extrêmement positif dans ses jugements.

Ce n’est pas la caractéristique de ce livre où l’auteur lâche ses coups à la manière de Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs. La FNSEA, le Guide Michelin, la cuisine moléculaire, Gault et Millau, Carrefour, Lactalis, « Topchef » et bien d’autres sont ainsi dispersés façon puzzle. Certes, le genre dictionnaire (celui-ci compte plus de 250 entrées) dont Jean-François Kahn, le maître de Périco Légasse, s’est fait une spécialité, vire souvent au jeu de massacre. Mais à travers les nombreux coups de gueule qui jalonnent l’ouvrage, ce qui apparaît en filigrane, c’est la politique. À vrai dire, je n’ai pas lu livre plus politique depuis des mois − voire des années − que cet ouvrage où Périco Légasse ne propose à son lecteur rien de moins qu’une conception de l’homme et de la société. « on est ce qu’on mange », répète t-il à plusieurs reprises, expliquant que nous votons en faisant nos courses, en nous mettant aux fourneaux ou en réchauffant un plat au micro-ondes.

Et ce suffrage, pour Périco Légasse, change plus nos existences que celui que nous exprimons dans l’isoloir. Pas seulement lorsque, à titre individuel, nous évitons de nous empoisonner ou de devenir dépendant au sucre avec les produits de l’industrie agro-alimentaire, mais aussi lorsque que nous défendons collectivement les richesses d’une civilisation. Qu’on se le dise ! Pour Périco Légasse, l’identité nationale n’est pas un débat illégitime, au contraire ; mais pour lui, son avenir se joue davantage à la cuisine qu’en préfecture.[/access]

Dictionnaire impertinent de la gastronomie, Périco Légasse (éditions Bourin), 22 euros.

Marisol Touraine, c’est Ubu médecin

marisol touraine medecine

Paul souhaite se mettre à son compte pour exercer le noble et utile métier de médecin généraliste. Paul est jeune, plein d’enthousiasme et, comme la plupart des gens de son âge, il souhaite croquer la vie à pleines dents, se marier, avoir des enfants, une vie sociale, gagner correctement sa croûte et, dans le même temps, préserver sa vie personnelle. Bref, rien de très original. Paul a deux options.

La première consiste à s’installer à Nice. À Nice, il vivra dans une grande ville avec – outre le climat, la Méditerranée et les Alpes du sud – toutes les commodités que cela implique : commerces à portée de main, loisirs, jolies filles à draguer et, éventuellement, écoles pour les enfants à venir. Paul sait qu’il aura accès à un confortable gisement de clients – notamment des retraités de la région parisienne – qui disposent de revenus relativement élevés. Il sait que ses clients viendront faire la queue dans son futur cabinet ou, dans le pire des cas, lui demanderont une visite à domicile à moins de 5 minutes de chez lui. Il sait aussi qu’il pourra partir en vacances tranquillement : des collègues pour le remplacer, à Nice, ça ne manque pas.

Paul a aussi la possibilité de s’installer à Bélesta, jolie petite bourgade ariégeoise à deux pas de Montségur, un de ces fameux déserts médicaux dont on nous parle depuis quelques temps. Bélesta, c’est la nature, le calme, la forêt de basse montagne, les Pyrénées et la Méditerranée pas trop loin… Bref, que du bonheur mais à quelques petits détails près. Primo, pour ce qui est des dépassements d’honoraires, ça ne va être possible : les clients du cru n’ont pas trop les moyens. Deuxio, pour ce qui est des activités culturelles, des loisirs, des rencontres et des écoles, Paul devra réduire quelque peu ses exigences. Tertio, les clients, il va falloir aller les chercher sur les petites routes de la montagne ariégeoise qui sont très jolies en été mais pas toujours praticables. Enfin, si Paul s’installe à Bélesta, il devra s’habituer à une contrainte un peu particulière, il n’y aura qu’un seul médecin : lui-même, et ne pourra donc être remplacé pour pouvoir partir en vacances.
Alors évidemment, pour Paul comme pour tant d’autres jeunes médecins, le choix est assez vite fait : ce sera Nice et tant pis pour les châteaux cathares, les forêts pyrénéennes et les ariégeoises. Que voulez-vous : on a beau être médecin, on n’en est pas moins un être humain.

De ce constat, nos politiciens ont déduit qu’il fallait soit forcer les jeunes médecins à s’installer à Bélesta – on imagine d’ici l’effet d’une telle mesure sur les vocations et la motivation de nos praticiens – soit les subventionner à coups d’argent public pour les inciter à combler les trous. C’est manifestement cette dernière option qui a été retenue par l’actuel gouvernement qui, comme ces prédécesseurs, ignore – ou feint d’ignorer – la véritable raison qui fait qu’il y a, dans notre beau pays, des déserts médicaux, à la différence de l’Allemagne.
Les raisons qui poussent Paul à s’installer à Nice plutôt qu’à Bélesta sont évidentes – nous venons d’en énumérer quelques unes. Les connaissant, comment se fait-il que le marché niçois ne soit pas saturé depuis longtemps ? Après tout, les conditions de vie en général et les conditions d’exercice de la médecine généraliste en particulier étant ce qu’elles sont, on devrait observer une concurrence féroce entre médecins sur toute la Cote d’Azur. À l’exception de quelques stars, les tarifs des uns et des autres devraient être écrasés par l’effet de cette concurrence, rendant ainsi beaucoup plus attractive une installation dans le village ariégeois, où la concurrence est inexistante. C’est un mécanisme classique du marché : la concurrence fait baisser les marges des producteurs rendant ainsi plus attractives les zones où il n’y a pas de concurrent.

Mais nos politiciens, au début des années 1970, ont eu l’idée géniale d’instaurer un numerus clausus qui limite administrativement le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine et donc, le nombre de diplômés et, in fine, le nombre de praticiens sur le marché. En 1971-72, ce quota était de 8 588 étudiants, il a baissé jusqu’à 3 500 en 1992-93 avant de remonter à 7 500 pour l’année universitaire en cours. C’est-à-dire que, alors que la population française a augmenté de 23% et a vieilli entre temps, le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine chaque année a baissé de pratiquement 13%. C’est donc très clairement une politique de raréfaction volontaire de l’offre qui a été mise en œuvre depuis quatre décennies.

Les effets d’une telle politique relèvent de l’évidence : primo, en réduisant la concurrence, on a soutenu artificiellement le niveau de vie des médecins (via, notamment, les fameux dépassements d’honoraires) ; deuxio, quelques milliers d’étudiants qui auraient sans doute pu faire d’excellents médecins se sont fait éjecter du cursus ; tertio, nous avons créé des déserts médicaux. Carton plein !

La situation est d’autant plus ridicule qu’avec l’obligation qu’a l’Etat de reconnaître les autres diplômes européens – et notamment les diplômes roumains – on assiste à deux phénomènes parfaitement ubuesques. D’un coté, nous trouvons des maires de villages qui, pour faire face aux départs en retraite et à la pénurie de remplaçants, cherchent désespérément à recruter des médecins roumains. De l’autre, un nombre croissant d’étudiants recalés au concours français vont s’inscrire dans une des excellentes facs de médecines roumaines… avant de revenir s’installer en France (à Nice). Au total, 27% des médecins qui se sont inscrits au tableau de l’ordre en 2012 avaient un diplôme étranger.

Et pendant ce temps, Marisol Touraine combat les « dérives du laisser-faire de ces dernières années » (on croit rêver…) en enchaînant les « pactes territoire santé » et les négociations sur les dépassements d’honoraires. Pour le ministère comme pour le conseil de l’ordre, il est en revanche tout à fait exclu de revenir sur le numerus clausus. Circulez, il n’y a rien à voir !

*Photo : Parti socialiste.

C’est la crise (suite) : Comme un pont sur l’eau trouble d’une rivière bosnienne

Policier n’est pas un métier facile. Il faut subir la guerre des polices, les estafettes vieillissantes qui ne font pas rêver les femmes, et l’alcoolisme chronique de son commissaire divisionnaire. Il faut aussi subir la population. Ainsi, nous apprennent nos confrères du Populaire du Centre« Dimanche vers 4 h 30 du matin, de passage place Blanqui à Limoges, les policiers ont interpellé un homme de 38 ans qui commençait à débiter à la hache un poteau en bois d’éclairage public. Il a expliqué avoir voulu récupérer du bois pour se chauffer. » Fortement alcoolisé, l’aventurier a été placé en dégrisement. Il sera convoqué ultérieurement. Les services de la mairie de Limoges ont déposé une plainte. C’est la crise.

Hors des frontières de l’hexagone, la situation n’est pas plus brillante, loin de là. En Croatie on savait depuis longtemps que « qui vole un œuf vole un bœuf ». On sait désormais que « qui vole un bœuf vole un pont ». En effet, l’AFP nous apprenait il y a quelques semaines le cas du vol pur et simple d’un… pont : « Après des plaques d’égout et des gouttières, un trafiquant de ferraille bosnien de Brcko (nord-est) a volé un pont de fer pour revendre le métal sur le marché illégal. » Un pont qui, d’ailleurs, avait été construit par des habitants de la localité, avec d’anciens rails de chemin de fer mis au rebut…

Et comme on ne cesse de nous rabâcher qu’en période de crise, le bon citoyen aura à cœur de recycler…

Avraham Yehoshua : un Etat binational serait un cauchemar

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yeoshua israel gaza

Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

À maintes reprises, vous vous êtes exprimé sur le danger d’un État binational de facto si cette situation figée devait persister.

Ce serait un cauchemar.

Pourquoi ? De bons esprits pourraient vous rétorquer qu’à l’ère moderne, le monde tend, au contraire, au mélange, à la coexistence des diversités…

Parce que ce sont deux peuples fondamentalement différents. Du point de vue de la religion, de l’Histoire, de leurs rapports avec l’étranger, que sais-je ? Je veux bien que cette idée soit moderne, mais pourquoi aujourd’hui l’Écosse veut-elle se séparer du Royaume-Uni ? Moi, je veux que les Palestiniens possèdent leur État, leur passeport, et chacun chez soi…[access capability= »lire_inedits »]

En Europe, ce « chacun chez soi » sonne un peu étrange, en ces temps d’unification !

Ah bon ? Certes, la Communauté européenne existe, mais je constate que partout, on continue à se diviser : la Tchécoslovaquie, l’ex-Yougoslavie, voire la Belgique. Sans même parler de l’ex-URSS. Et nous, nous commencerions, nous, deux peuples en lutte inexpiable depuis des décennies, à nous unir ? Je ne dis pas qu’à un horizon plus ou moins éloigné, ce soit impossible. Si une confédération entre Israël, la Palestine et la Jordanie demeure, aujourd’hui, de l’ordre de l’utopie, rien ne dit que, demain, les passions retombées, ce soit irréalisable.

Revenons sur la récente semaine sanglante entre Gaza et Israël : vous avez manifesté beaucoup de colère, au point que certains de vos propos concernant le traitement de la population de Gaza parus dans la presse italienne[1. Voir interview dans La Repubblica, 15 novembre 2012.] ont prêté à controverse.

Je veux être précis : mon propos visait à rappeler que je suis avant tout contre les « assassinats ciblés ». Car la pensée sous-jacente à cette politique, c’est : d’un côté, il y a des gens bien et, ici ou là, des gars mauvais. Alors, on va les liquider. Non, désormais, Gaza est un État…

Mais Gaza subit un blocus…

D’accord, mais pourquoi l’Égypte lui impose-t-elle aussi un blocus ? Pourquoi ne lui a-t-elle pas ouvert les passages vers le Sinaï ? Quatre-vingt millions d’Égyptiens auraient peur d’1,5 million de Gazaouis ? Mais ce sont vos frères ! Maintenant, Gaza déclare : « Je suis l’ennemi absolu d’Israël, je hais Israël, Israël ne doit pas exister. » Et je devrais, moi, lui fournir sa nourriture, son essence, son électricité ? Ça, c’était la situation antérieure. Or j’en suis parti, les colonies de Goush Katif ont été démantelées, l’armée a disparu. Désormais, vous avez un gouvernement, une responsabilité, un territoire…

Qui dépend d’Israël pour son électricité, ses télécommunications, etc.

Je ne vois aucun problème à les leur fournir. Mais une question me taraude, taraude tous les Israéliens : « Pourquoi tirez-vous sur nous ? » Pourquoi ? C’est la question capitale. Et, pendant que vous tirez, vous croyez que nous allons rester les bras croisés ? Vous permettre d’introduire d’autres missiles ? En face de nous, nous avons un État ennemi et non des « terroristes ». Je le répète, je suis contre les « assassinats ciblés » de tel ou tel terroriste.
Mais je veux rendre au Hamas sa pleine responsabilité, y compris sur sa population. Et, dans ce cas, je suis disposé à négocier avec le Hamas[2. Voir la tribune d’A.B. Yehoshua, Libération, 28 novembre 2012.]. Parlons de tout : dites ce que vous voulez, je vous dirai ce que je peux concéder. De la même manière, nous avons conclu un accord d’armistice avec la Syrie, après la guerre de Kippour, et il a été respecté. Sans parler de l’Égypte ou de la Jordanie.

Je ne vous demande pas de reconnaître la légitimité d’Israël mais de conclure des accords sur des sujets particuliers. J’estime que c’est la population palestinienne qui souffre de cette situation, et non les extrémistes en son sein. Pour ne pas être captifs de cette situation absurde d’avoir à alimenter en vivres et en électricité un adversaire que je me refuse de traiter de « terroriste » et que je qualifie d’« ennemi », je souhaite, en même temps, que nous commencions à discuter avec lui. On ne discute pas avec un terroriste. Mais avec qui d’autre qu’un ennemi doit-on, peut-on, discuter ?

Au détriment de l’Autorité palestinienne ? Reconnaissez qu’Israël n’a pas fait grand-chose pour soutenir la  politique non-violente de Mahmoud Abbas…

Sans nul doute. Nous n’avons rien fait pour le légitimer.

Comment sortir de cette paralysie politique avec les Palestiniens, alors que tout laisse prévoir un triomphe de la droite aux prochaines élections israéliennes ?

Il faut comprendre que Gaza a contribué en grande partie à la droitisation de l’opinion israélienne. Encore une fois, que voulez-vous répondre à l’homme de rue qui s’étonne : « Nous avons quitté Gaza, et ils nous tirent dessus. » Je sais bien qu’il existe à Gaza, une rivalité entre les différents groupes qui jouent à qui se montrera le plus patriote contre Israël. Mais, moi, je devrais en payer le prix ?  C’est pourquoi nous devons mettre fin à cette situation malsaine. Aussi, si nous devons avoir un accord avec les Palestiniens, cela ne peut se faire avec une entité divisée en deux : le Hamas doit être partie prenante d’une décision nationale pour accepter un accord sur la base des anciennes lignes d’armistice qui ont prévalu jusqu’en 1967. Malgré sa récente reconnaissance internationale, Mahmoud Abbas ne pourra pas négocier seul  avec Israël et accepter les concessions indispensables à un compromis historique.[/access]

Rétrospective, A.B. Yehoshua (Grasset/Calmann-Lévy), 22 euros.

*Photo : mtkr.

Najat Vallaud-Belkacem : un flic à la maternelle

Il est quelquefois des moments magiques ou l’absurdité devient un spectacle grandiose et où la connerie rayonne comme un soleil, dissipant la grisaille et chassant la dépression hivernale. Du lointain s’élève l’appel ancestral, la mélopée sacrée, celle du chant des andouilles ! Alors, émerveillés, le cœur tremblant et les bras ouverts, nous accueillons avec bonheur la jactance nouvelle, celle qui nous tire des larmes de rire et de reconnaissance. Ô grandeur des imbéciles ! Ô miracle toujours renouvelé ! Najat Vallaud-Belkacem a parlé !

Mais de quoi s’agit-il ?

De la création du comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité professionnelle, rien de moins. Et dans ce cadre, du lancement par Najat Vallaud-Belkacem de l’initiative « ABCD »[1. Qui s’inspire de l’initiative « 1234 » initiée il y a quelques années par les Ramones.], en collaboration étroite avec Vincent Peillon. S’agit-il du retour à la méthode syllabique et de la lutte contre l’illettrisme ? Pas du tout, c’est complètement dépassé tout ça ! Le combat à mener ici est beaucoup plus essentiel. Il s’agit de faire comprendre aux enfants, dès la grande section de maternelle, les différences de genres entre les individus et de les sensibiliser aux stéréotypes sexistes aux violences faites aux femmes et à l’égalité professionnelle. Très motivé par le projet, Vincent Peillon a déjà décrété que l’année 2013 sera l’année de l’égalité à l’école. Il faut dire qu’entre la dépénalisation du cannabis et la résurrection du « Comité Economie Emploi », en état de mort clinique depuis l’ère Jospin, Peillon est de tous les dossiers d’outre-tombe. Je ne sais pas s’il aura assez de casseroles pour réchauffer tous les plats mais je propose déjà qu’on rende hommage à son action en le baptisant « Reanimator ». En tout cas par les temps qui courent, ce sont les morveux qui doivent faire la tronche. Entre le Nutella taxé à 300% et le gouvernement qui vient leur expliquer dès 4 ans qu’ils sont des porcs sexistes en puissance, ce n’est pas la fête tous les jours en grande section maternelle !

Et comme un malheur ne vient jamais seul, voilà que la directrice d’une école maternelle de Montargis dans le Loiret a décidé d’interdire l’accès de son école au Père Noël sous prétexte de respecter le principe de laïcité et les croyances de chacun. Quelqu’un aura-t-il la bonté d’expliquer à cette passionaria laïque que le Père Noël nous vient de Scandinavie et s’inspire plus de la mythologie nordique que des Pères de l’Eglise ? (non, Saint Augustin n’a jamais porté de hotte, et il vivait sous des latitudes un peu trop chaudes pour la combinaison rouge et blanche doublée en poil de renne). Je prends la liberté de lui indiquer au moins la page wikipedia qui évitera qu’elle ne confonde l’an prochain le Coca-Cola avec l’eau bénite et les ours blanc avec des évêques et n’interdise dans son école les images de plantigrades susceptibles de heurter la sensibilité des familles musulmanes.

Et en parlant de Noël, la cerise sur le gâteau, ou plutôt l’étoile sur le sapin, ce sont nos amis belges qui la plantent et nous aident à nous sentir moins cons seuls en Europe. Cette année à Bruxelles, Noël ne s’appellent plus Noël mais la fête des « Plaisirs d’Hiver » (ça sonne un peu comme un titre de film de Marc Dorcel non ?). Et la municipalité a confié à un cabinet créatif dont je ne veux même plus me rappeler le nom de concevoir un arbre de Noël électronique, une espèce d’assemblage de cubes blancs luminescents, désigné sous le nom de « Xmas Tree », tout ceci dans le but de « dépoussiérer Noël ». En voyant les photos de ce sapin futuriste, qui semble échappé de THX1138[2. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, THX1138 est un film de science-fiction réalisé par Georges Lucas en 1971 avant la guerre des étoiles. C’est pas mal du tout mais l’esthétique générale du film a mal résisté aux outrages du temps.], on se demande s’ils n’ont pas plutôt eu l’intention de congeler Noël une bonne fois pour toutes. L’initiative a en tout cas suscité de vives protestations qui ont été interprétées immédiatement comme des réactions islamophobes et une preuve supplémentaire de la résurgence du fondamentalisme chrétien arc-bouté sur la défense des traditions chrétiennes. En même temps, les fondamentalistes qui défendent le Père Noël et les sapins, c’est quand même plus sympa que ceux qui assassinent les ambassadeurs non ?

C’est ça aussi la magie de Noël…

Israël-Palestine : le statu quo plutôt que le chaos

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Lorsqu’un commentateur de politique internationale se trouve en panne d’inspiration devant une actualité morne et paresseuse, il lui reste toujours le loisir de cogner sur le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Il est maintenant établi, à l’Elysée, au Quai d’Orsay et dans les rédactions en chef des principaux médias français qu’il est le principal, sinon l’unique responsable du blocage du processus de paix entre Israël et les Palestiniens.

Ces dernières semaines, il vient de prendre quelques initiatives justifiant largement que nos vaillants éditorialistes lui rentrent dans le lard sans états d’âme. Ainsi, au lieu d’encaisser sans broncher le vote de l’Assemblée Générale de l’ONU élevant l’Autorité palestinienne au statut d’Etat non membre des Nations Unies, il réplique par l’annonce de la construction de 3500 logements à Jérusalem est et, comble d’horreur, la planification d’une éventuelle urbanisation de la zone dite E1, un morceau de désert de 12km2 reliant Jérusalem à l’implantation de Maale Adoumim.
Il s’est également rendu coupable de faire couche commune avec le diable en fusionnant les listes de son parti, le Likoud avec celle d’Israël Beitenou, la formation dirigée par le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman. L’affaire nous est présentée comme une version israélienne d’une alliance qui unirait, en France, l’UMP et le Front National.

Enfin, si les mêmes analystes futés et pertinents n’ont pas osé trop cogner sur l’opération « Pilier de défense » qui a mis un terme (provisoire ?) au tir de roquettes et fusées sur Israël à partir de Gaza, on ne manque pas de souligner que le Hamas est sorti renforcé de cette affaire. Et on dénonce, dans la foulée, le  calcul machiavélique de la doublette Netanyahou-Lieberman, consistant à favoriser le Hamas au détriment de Mahmoud Abbas. Ce dernier, en revanche, est constamment présenté avec un rameau d’olivier à la main, essuyant rebuffade sur rebuffade de la part des Israéliens.
Les plus indulgents à l’égard d’Israël, comme l’éditorialiste du Monde Alain Frachon, en concluent (comme Elie Barnavi, historien et ancien ambassadeur d’Israël à Paris) que le face à face israélo-palestinien ne mènera nulle part, et que l’on ne sortira de cette impasse que par une solution imposée aux deux protagonistes par la seule puissance qui en est capable, les Etats-Unis.

À l’appui de cette prise de position, Frachon et Barnavi affirment que tous les éléments d’une solution de compromis, aboutissant à la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza sont déjà sur la table (« paramètres Clinton » de Camp David,  « initiative arabe » de 2002, « Feuille de route » du  quartet de 2003 etc.). Il suffirait donc que Barack Obama, qui n’a plus à craindre pour sa réélection, dessine une carte avec des frontières, élabore des propositions à prendre ou à laisser concernant les questions litigieuses : Jérusalem, réfugiés palestiniens, garanties de sécurité pour Israël, et on verrait la fin d’un conflit qui empoisonne la vie internationale depuis ??? Même sur cette date la réponse n’est pas neutre car les plus radicaux des Israéliens se réfèrent au refus arabe de la déclaration Balfour de 1917 comme origine du conflit actuel, alors que les Palestiniens ramènent tout à « l’occupation » des Territoires après juin 1967.
Il ne tiendrait donc qu’à nous, Occidentaux, de montrer un minimum de fermeté, principalement envers le plus fort, Israël, pour que la Terre Sainte retrouve la paix et la sérénité. Au passage, on se lamentera sur le fait que l’Europe ne soit pas capable, en raison de ses divisions, d’exercer une influence à la mesure de son investissement financier en faveur des Palestiniens.
Tout cela ne manque pas de bon sens, et Netanyahou, au lieu de se bunkeriser comme un vulgaire Jean-François Copé, ferait donc bien d’écouter les conseilleurs qui phosphorent à Paris ou Bruxelles, sinon il conduira son pays vers l’abîme.

Toutes ces paroles, apparemment sensées, ne tiennent pas compte d’une loi historique implacable : tous les plans, si ingénieux soient-ils, ont une date de péremption. Quelques semaines avant la chute du mur de Berlin, Mikhaïl Gorbatchev avait lancé à son « camarade » est- Allemand Erich Honecker, rétif à la perestroïka « Ceux qui sont en retard sur l’Histoire seront punis par elle ! ». Ce qui s’est révélé parfaitement exact, pour Honecker d’abord, pour Gorbatchev ensuite. Le processus dit d’Oslo s’est fracassé ne n’avoir pas été mené tambour battant, et peut importe aujourd’hui d’en faire porter la responsabilité à l’une ou l’autre partie. Il se fondait sur le postulat que les Israéliens comme les Palestiniens finiraient chacun par trouver leur intérêt dans une solution de compromis. L’accord israélo-palestinien se serait alors inscrit dans la lignée de ceux qui avaient mis un terme aux hostilités armées entre Israël et l’Egypte en 1978 et la Jordanie en 1994. Cela ne s’est pas produit et entre temps l’Histoire s’est rappelée à notre bon souvenir : entre 1994 et 2012, Israël est devenu plus riche, plus fort et sans doute plus uni qu’il ne l’a jamais été. La mondialisation l’a délivré de l’absolue nécessité d’un ancrage régional. En face, le monde arabo-musulman est entré dans une période de chaos politique se traduisant par une montée en puissance de l’islamisme radical et de l’affrontement entre les Sunnites conduits par l’Egypte et les monarchies pétrolières d’un côté, et les Chiites dans l’orbite de Téhéran de l’autre. Ce qui est en question aujourd’hui, ce n’est pas l’avancée du processus de paix, mais l’avenir incertain des traités antérieurs, sous la pression des opinions publiques arabes chauffées à blanc sur cette question et ayant désormais voix au chapitre.

C’est ce qui fait tout le tragique, aujourd’hui, du face à face Benjamin Netanyahou-Mahmoud Abbas. Ce dernier ne doit son maintien au pouvoir qu’à la présence, en Cisjordanie, de forces armées israéliennes qui empêchent le Hamas de le renverser. Il sait bien que le succès de son entreprise proclamée, la création d’un Etat palestinien de plein droit et le retrait de Tsahal entraînerait sa chute. Khaled Mechaal, le chef du Hamas en résidence au Qatar, étiqueté comme « modéré » par un grand quotidien du soir a fait un triomphe à Gaza en appelant à l’expulsion des « sionistes » de la méditerranée au Jourdain et de la frontière libanaise jusqu’à la mer Rouge. Il n’est pas certain, dans ces conditions, que ni Netanyahou ni Abbas n’aient vraiment envie de sortir d’une impasse pour s’aventurer sur un boulevard où l’on risque de se faire égorger à chaque coin de rue. Alors on y reste, et on amuse la galerie avec des moulinets pour se donner une contenance.

Sombre fête des lumières à Lyon

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Qu’on se le dise, la fête des Lumières, le 8 décembre, à Lyon, n’en déplaise aux curés et aux artistes, ne célèbre ni la Vierge ni la lumière ! Par amour de l’art et de Marie, j’ai pourtant tenté l’expérience, accompagné de mes deux grands garçons, Gabriel, 6 ans, Octave, 4 ans et demi, dont je me dois, dès ces premières lignes, de saluer le courage presque sans faille, éprouvé à l’occasion de cette épouvantable soirée.

Tout commençait pourtant pour le mieux. 18h30. Une messe courte et belle, le recueillement de mes deux acolytes, d’ordinaire si fébriles, scrutant avec attention la ressemblance entre les gestes du prêtre et les dessins de leur missel simplifié. Le métro pour Fourvière rompit ce début d’harmonie. Peu de casse pourtant au regard de ce que nous aurions à subir, une fois sortis, entre Bellecour et Saint-Jean. Une foule compacte couronnée par cette grande roue d’infortune plantée sur la place et dont le blason mercantile, à la gloire du Grand Lyon, aurait dû nous alerter. Aux pieds de Louis XIV, un cube dont la magie autoproclamée n’effleura pas l’esprit de mes enfants ; ils lui préférèrent les tubes de Jedi et les cornes clignotantes, fluorescents s’entend, vendues à la sauvette et qui fleurissaient sur la tête des néophytes de la lumière, jeunes et vieux confondus.

L’art, prisonnier de la foule et de ses désirs contradictoires, partagée entre le vin chaud, la pacotille chinoise, et les chorégraphies évidemment magiques ranimant confusément les façades de cette vieille ville bourgeoise, l’art, il faut bien l’avouer, compromis par ce dérèglement de tous les sens, renonçait à ce qu’il a toujours été, un exercice du regard.

Le drame nous attendait pourtant au coin de la place Saint Jean. Impossible d’atteindre le funiculaire, momentanément fermé, impossible encore de se frayer un chemin dans l’organisme étrangement coincé entre les immeubles de cette petite ruelle. Nous n’en étions que les membres inertes, réduits à l’immobilité dans cette absurde ruelle sans intérêt, prête à éclater sous le poids de la foule. Au cœur de cette marée humaine, une autre procession pourtant, dispersée avant même d’avoir pu engager ses premiers pas, un filet de lumière, celle des bougies cartonnées de prières mariales pour l’occasion, et de chants à la Vierge dont la ferveur finit par susciter quelques mécontentements dans la foule hagarde. C’est au compte-goutte, que nous avons pu sortir de la tranchée, rejoignant, mètre par mètre, ces pèlerins d’un soir qui auraient bien voulu que les pouvoirs publics leur manifestent davantage de considération.

Quelques dizaines de mètres plus loin, un ou deux cantiques d’apocalypse joyeuse dans les poumons, car au fond c’est bien de cela qu’il s’agissait, j’ai dû considérer que l’épuisement de mes garçons nous dispensait de poursuivre jusqu’au sanctuaire.

« Merci Marie ». Quel écho ces lettres lumineuses accrochées à la colline auront-elles trouvé dans ce brouhaha touristique ? Quels états d’âme ces églises ouvertes auront-elle su provoquer chez ces consommateurs de féerie ? Jean-Baptiste criait dans le désert. Comment croire que la Lumière puisse se satisfaire de ces lumières intempérantes ?

Grover Norquist : à quoi ressemble un libertarien américain?

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Pour un Français, il ne ressemble à rien. Il est à proprement parler inconcevable. Et il serait sans doute l’homme à abattre s’il se présentait à une élection. Marine Le Pen, à côté de lui, ferait figure de sainte. Pour les démocrates américains, et notamment pour Obama, il est l’incarnation du mal. Pourquoi ? Car il s’oppose à toute hausse d’impôt et à toute extension du domaine de l’État. D’ailleurs, si le gouvernement venait à disparaître, il ne verserait pas une larme.

Prenons l’exemple d’un libertarien qui exerce aujourd’hui son influence délétère (toujours selon Obama) sur la politique américaine. Il se nomme Grover Norquist. Diplômé de Harvard, il est un disciple d’Ayn Rand. Il est à la tête de la puissante National Riffle Association, le lobby des armes à feu. Il est, bien entendu, favorable à la peine de mort.

Par ailleurs, il se bat pour les droits des homosexuels, ainsi que pour une politique d’immigration beaucoup plus ouverte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il a choisi d’habiter dans les quartiers les plus pauvres de Washington et n’a jamais ménagé ses critiques contre les guerres d’Irak et d’Afghanistan. Il est invité sur tous les plateaux de télévision, non seulement parce qu’il est un bon client pour les shows, mais parce qu’il a fait signer à 238 députés républicains et à 41 sénateurs un serment par lequel ils s’engagent à ne jamais approuver une hausse d’impôt, le fameux Taxpayer Protection Pledge. Notons aussi qu’il a épousé une princesse koweïtienne.

Le Washington Post affirme que Grover Norquist « a changé la politique américaine », ce qui est sans doute excessif. En revanche, s’il se trouvait un Grover Norquist en France, on pourrait se dire qu’enfin quelque chose se passe dans ce pays voué à l’immobilisme. Nous réclamons des libertariens….peut-être pourrions-nous en importer quelques-uns des États-Unis.

José Benazeraf est mort

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jose benazeraf

jose benazeraf

« Les films de Benazeraf charrient des pierres et des diamants » disait Henri Langlois.

C’est peu dire que la disparition il y a une dizaine de jours du cinéaste José Benazeraf est passée à peu près inaperçue. Difficile d’imaginer, on en conviendra, les chaînes de télévision diffuser en guise d’hommage La veuve lubrique ou Le majordome est bien monté, mais quelques papiers rappelant la singularité de sa carrière et la puissance des premières œuvres du cinéaste auraient été bienvenus. Car voyez-vous, ma bonne dame, Benazeraf ne fut pas seulement un « vulgaire » pornocrate (ce qui, après tout, n’est pas plus méprisable que publicitaire ou chef d’un quelconque parti politique) mais un auteur inspiré et bouillonnant, exprimant à travers l’érotisme une volonté révolutionnaire de briser tous les freins sociaux et de faire voler en éclats tout ce qui mutile la liberté de l’individu.

Né en 1922 à Casablanca, Benazeraf sort diplômé de Sciences Po, débarque dans le milieu du cinéma grâce à sa fortune familiale et par le biais de la production (Les lavandières du Portugal de Pierre Gaspard-Huit), fait une apparition dans À bout de souffle de Godard et débute derrière la caméra au début des années 60 avec L’éternité pour nous (aussi connu sous le titre du Cri de la chair).
Dans la lignée des films de la Nouvelle Vague, Benazeraf enchaîne les tournages rapides pour de petits budgets (son cinéma s’inscrit dans une économie de séries B) et pimente ses polars violents ou ses mélos existentialistes de scènes de plus en plus osées à mesure que les mœurs se relâchent.
À ce titre, certains associent systématiquement son nom à celui de Max Pécas : débuts à la même époque, évolution progressive d’un cinéma dit « sexy » (dont ils furent, en quelque sorte, les pionniers) vers un érotisme plus explicite et qui finira par le passage au porno hard.
La comparaison s’arrête là : autant Pécas est un cinéaste sans envergure et plutôt moralisateur, manifestant peu de goût pour les plaisirs de la chair (il abandonnera très vite le X pour revenir aux comédies de plage franchouillardes qui ont fait sa renommée), autant Benazeraf est incontrôlable et flamboyant, transformant les conventions du cinéma de genre en authentiques diamants bruts. Avec des films comme Le concerto de la peur (1962), La nuit la plus longue (1964) ou encore L’enfer est sur la plage (1965), Don José fait voler en éclat les stéréotypes du film noir et leste ses œuvres d’un existentialisme poisseux (les petits gangsters qui enlèvent et séquestrent une jolie pépée dans La nuit la plus longue en attendant un homme qui, tel le Godot de Beckett, ne viendra jamais).

Son sens inouï du montage et du découpage transforme des récits de séries B dignes de la littérature de gare en véritables cérémonies érotiques et extatiques. En jouant sur la disjonction entre l’image et le son (la musique a une importance considérable dans l’œuvre de Benazeraf et on n’oubliera pas celle de Chet Baker dans Le concerto de la peur ou La nuit la plus longue), en travaillant la couleur (voir la « messe en rouge et noir » dixit Bory que constitue Le désirable et le sublime) ou la voix off; il transcende la pauvreté de ses scénarios par des mises en scène flamboyantes et étourdissantes.
En 1966, Benazeraf se heurte brutalement à la censure qui réclame une interdiction totale du film Joë Caligula, superbement interprété par l’immense Gérard Blain. Il ne sortira qu’en 1969, après quelques coupes. Plus que la violence de ce polar ou l’érotisme qui imprègne de plus en plus durablement les œuvres du Condottiere, c’est sans doute son anarchisme qui dérange et cette manière de toujours mêler à ses fictions des références à l’actualité politique et sociale du moment. Cet « intellectualisme » (comme Godard, Benazeraf use et abuse de la citation) qui s’exprime de plus en plus dans des œuvres comme Frustration (où l’on retrouve Elizabeh Teissier avant qu’elle ne devienne l’astrologue favorite d’un ancien président de la République, sans doute plus séduit par ses formes plantureuses que par ses prévisions ; du moins, on l’espère !) ou l’hallucinant Le désirable et le sublime où Don José crache rageusement sur tout le cinéma du moment (Godard excepté), sur le pouvoir de Pompidou en citant allègrement Camus, Hegel et Trotsky ; va lui valoir le surnom d’ « Antonioni de Pigalle », l’adulation des habitués du Midi-Minuit et l’opprobre consternée des critiques « officiels ».

À mesure que les mœurs se libéralisent, le cinéma de Benazeraf se fait de plus en plus leste et se met à flirter avec le pornographie (les actes sexuels ne sont plus simulés) au début des années 70. Il est même le premier, avec Black love ou Adolescence pervertie (où Don José mêle aux étreintes les plus torrides des images du congrès de la CGT et de Georges Séguy!) à tourner des séquences hard qui seront ensuite retirées pour l’exploitation, sauf à l’export.
Pornographique ou pas, son cinéma au début des années 70 se distingue par son caractère lyrique, bouillonnant, subversif et volontairement provocateur. Le cinéaste franchit allègrement le pas du hard avec des œuvres comme La veuve lubrique, la soubrette perverse ou un excellent « pot-pourri » de ses films intitulé Anthologie des scènes interdites qui se termine par un quart d’heure de scènes hard issues de La planque 1 et La planque 2.

Sur le même modèle anthologique, le cinéaste concocte JB 1 en 1975 et obtient le prix Extasy remis par un jury de journalistes pour « son caractère délibérément pornographique, subversif, lyrique et en raison des exceptionnelles qualités (…) qui en font le premier chef-d’œuvre authentique d’un genre que les pouvoirs publics voudraient cantonner dans un ghetto ». Il faut dire qu’entre temps, le classement X a été instauré en France, pénalisant de manière très lourde le cinéma porno en le condamnant à la morne routine des salles spécialisées et des budgets de misère.
Vomissant comme toujours les décisions stupides de la censure, Don José renvoie rageusement sa carte de réalisateur au CNC et deviendra dès lors l’un des grands stakhanovistes du hard français, que ce soit en 35mm ou en vidéo.

Je confesse humblement à cet instant mon ignorance de ce vaste continent qu’est la carrière X du cinéaste. Toujours est-il que même les spécialistes (Jean-Pierre Bouyxou, par exemple) semblent sceptiques quant à ces œuvres tournées à la va-vite, par lots de 3 ou 4, dans les mêmes décors, avec les mêmes interprètes et aux titres aussi peu réjouissants que La madone des pipes ou Du foutre plein le cul ! Néanmoins, avec l’aide de l’indispensable Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques de l’excellent Christophe Bier, on pourra s’aventurer dans cette filmographie pour tenter d’y déceler quelques pépites, Benazeraf gardant la réputation de « rallier les colères prolétariennes » en faisant « fréquemment gémir sur le sort des masses exploitées ses actrices-objets » (Noël Godin)!

Toujours actif dans les années 90 où il fit la conversation à la hardeuse batave Zara Whites (Portraits regards de Zara Whites en 1999), José Benazeraf apparaît aujourd’hui comme l’exemple le plus symptomatique du basculement d’un monde à l’autre. S’il représenta un temps ce que la « révolution sexuelle » pouvait avoir de transgressif, d’authentiquement anarchique (la souveraineté des désirs contre l’oppression et les conventions sociales) et de libérateur ; il fut vite récupéré par le marché et l’horreur économique qui firent de l’industrie pornographique une manne financière sinistre, routinière, aseptisée, vidée de tout contenu subversif et parfaitement conforme à l’ordre social en vigueur (on ne s’encanaille désormais plus que dans les limites érigées par le marché).

Avec la disparition de Benazeraf (après celle de Sylvia Kristel et, dans un genre un peu différent, celle de Wakamatsu), c’est un peu de cette utopie des années 60-70 qui semble s’éloigner encore plus.
Retrouvera-t-on, un jour, des cinéastes audacieux et libertins capables de faire rimer érotisme avec transgression et qui sauront réinventer le sexe pour le rendre joyeux, passionné et tout simplement beau ?

De Mahomet à l’Algérie, Zaoui Saada saint patron des causes désespérées

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Marc Cohen avait flairé le gros poisson, voire le champion du monde, comme on dit dans La Vérité si je mens, lorsque Zaoui Saada avait réclamé 200 000 euros à Charlie Hebdo pour chacune de ses associations et 20 000 euros à titre personnel pour « préjudice moral » après la publication des caricatures de Mahomet.
Patatras, voilà que le président du Rassemblement démocratique algérien pour la paix et le progrès et de l’Organisation arabe unie – deux dénominations qui fleurent bon le tiers-mondisme des années 1970, lorsque Boumediene et Honecker faisaient la pluie et le beau temps de la « cause » arabe – s’est trouvé un nouveau cheval de bataille. Que voulez-vous, la sacralité du Prophète ne suffit pas à la taille de son âme.

Les bras d’honneur de Gérard Longuet et Gilbert Collard aux demandes de repentance d’Alger a été la goutte d’eau submergeant le vase d’indignation de Zaoui Saada. Insulter l’Etat FLN, refuser de battre sa coulpe au nom des heures les plus noires de la guerre sans nom, voilà qui mérite au moins 50 000 euros pour chaque association et 20 000 euros pour le traumatisme personnel infligé au philanthrope Saada. Un tarif syndical que Marc Cohen pourra toujours railler, sans que le panache et le désintéressement de Zaoui Saada n’en soient affectés : baser ses locaux associatifs avenue du 8 mai 1945 à Sét… , pardon Sarcelles, c’est-y pas une preuve de vertu ?

D’ailleurs, pourquoi s’arrêter là ? Le Rassemblement démocratique algérien pour la paix et le progrès et l’Organisation arabe unie étant sans doute chichement dotées en subventions publiques, trouvons un nouvelle croisade à Zaoui Saada, ce rebelle jamais en mal de causes.
Puisque tel le Christ, Saada porte tous les péchés du monde sur ses frêles épaules, ne soyons pas avares d’injures : le dodo est un salaud ! Et pas question de nous excuser au nom de l’espèce humaine pour son génocide, non mais !

On attend impatiemment la réaction outrée de Zaoui Saada, prêt à dégainer notre carnet de chèques pour indemniser ce chevalier sans peur et sans reproche…

Le tonton flingueur du gastronomiquement correct

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perico legasse gastronomie

perico legasse gastronomie

Imaginons un lecteur qui n’ait jamais ouvert Marianne de sa vie ou qui n’ait jamais eu la curiosité de lire les pages « Savoir-vivre » de cet hebdomadaire fondé par Jean-François Kahn. En terminant le Dictionnaire impertinent de la gastronomie, il penserait certainement que passer ses vacances avec Périco Légasse doit relever de l’exercice ennuyeux : « Ne mange pas ça, c’est de la merde! » ; « Mais tu as acheté ça où ? » ; « Ce n’est pas du camembert, ça, c’est du pneu ! » ; « Irresponsable ! Tu encourages le productivisme… » etc. Ce lecteur se fourvoierait, car l’habitué de la chronique de Légasse sait, depuis quinze ans, que celui-ci quitte la plupart du temps les habits du proc’ pour se muer en avocat des bonnes adresses.[access capability= »lire_inedits »] Celui qui a vu les émissions de télévision où intervient le journaliste basque sait aussi qu’il lui arrive d’être extrêmement positif dans ses jugements.

Ce n’est pas la caractéristique de ce livre où l’auteur lâche ses coups à la manière de Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs. La FNSEA, le Guide Michelin, la cuisine moléculaire, Gault et Millau, Carrefour, Lactalis, « Topchef » et bien d’autres sont ainsi dispersés façon puzzle. Certes, le genre dictionnaire (celui-ci compte plus de 250 entrées) dont Jean-François Kahn, le maître de Périco Légasse, s’est fait une spécialité, vire souvent au jeu de massacre. Mais à travers les nombreux coups de gueule qui jalonnent l’ouvrage, ce qui apparaît en filigrane, c’est la politique. À vrai dire, je n’ai pas lu livre plus politique depuis des mois − voire des années − que cet ouvrage où Périco Légasse ne propose à son lecteur rien de moins qu’une conception de l’homme et de la société. « on est ce qu’on mange », répète t-il à plusieurs reprises, expliquant que nous votons en faisant nos courses, en nous mettant aux fourneaux ou en réchauffant un plat au micro-ondes.

Et ce suffrage, pour Périco Légasse, change plus nos existences que celui que nous exprimons dans l’isoloir. Pas seulement lorsque, à titre individuel, nous évitons de nous empoisonner ou de devenir dépendant au sucre avec les produits de l’industrie agro-alimentaire, mais aussi lorsque que nous défendons collectivement les richesses d’une civilisation. Qu’on se le dise ! Pour Périco Légasse, l’identité nationale n’est pas un débat illégitime, au contraire ; mais pour lui, son avenir se joue davantage à la cuisine qu’en préfecture.[/access]

Dictionnaire impertinent de la gastronomie, Périco Légasse (éditions Bourin), 22 euros.

Marisol Touraine, c’est Ubu médecin

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marisol touraine medecine

marisol touraine medecine

Paul souhaite se mettre à son compte pour exercer le noble et utile métier de médecin généraliste. Paul est jeune, plein d’enthousiasme et, comme la plupart des gens de son âge, il souhaite croquer la vie à pleines dents, se marier, avoir des enfants, une vie sociale, gagner correctement sa croûte et, dans le même temps, préserver sa vie personnelle. Bref, rien de très original. Paul a deux options.

La première consiste à s’installer à Nice. À Nice, il vivra dans une grande ville avec – outre le climat, la Méditerranée et les Alpes du sud – toutes les commodités que cela implique : commerces à portée de main, loisirs, jolies filles à draguer et, éventuellement, écoles pour les enfants à venir. Paul sait qu’il aura accès à un confortable gisement de clients – notamment des retraités de la région parisienne – qui disposent de revenus relativement élevés. Il sait que ses clients viendront faire la queue dans son futur cabinet ou, dans le pire des cas, lui demanderont une visite à domicile à moins de 5 minutes de chez lui. Il sait aussi qu’il pourra partir en vacances tranquillement : des collègues pour le remplacer, à Nice, ça ne manque pas.

Paul a aussi la possibilité de s’installer à Bélesta, jolie petite bourgade ariégeoise à deux pas de Montségur, un de ces fameux déserts médicaux dont on nous parle depuis quelques temps. Bélesta, c’est la nature, le calme, la forêt de basse montagne, les Pyrénées et la Méditerranée pas trop loin… Bref, que du bonheur mais à quelques petits détails près. Primo, pour ce qui est des dépassements d’honoraires, ça ne va être possible : les clients du cru n’ont pas trop les moyens. Deuxio, pour ce qui est des activités culturelles, des loisirs, des rencontres et des écoles, Paul devra réduire quelque peu ses exigences. Tertio, les clients, il va falloir aller les chercher sur les petites routes de la montagne ariégeoise qui sont très jolies en été mais pas toujours praticables. Enfin, si Paul s’installe à Bélesta, il devra s’habituer à une contrainte un peu particulière, il n’y aura qu’un seul médecin : lui-même, et ne pourra donc être remplacé pour pouvoir partir en vacances.
Alors évidemment, pour Paul comme pour tant d’autres jeunes médecins, le choix est assez vite fait : ce sera Nice et tant pis pour les châteaux cathares, les forêts pyrénéennes et les ariégeoises. Que voulez-vous : on a beau être médecin, on n’en est pas moins un être humain.

De ce constat, nos politiciens ont déduit qu’il fallait soit forcer les jeunes médecins à s’installer à Bélesta – on imagine d’ici l’effet d’une telle mesure sur les vocations et la motivation de nos praticiens – soit les subventionner à coups d’argent public pour les inciter à combler les trous. C’est manifestement cette dernière option qui a été retenue par l’actuel gouvernement qui, comme ces prédécesseurs, ignore – ou feint d’ignorer – la véritable raison qui fait qu’il y a, dans notre beau pays, des déserts médicaux, à la différence de l’Allemagne.
Les raisons qui poussent Paul à s’installer à Nice plutôt qu’à Bélesta sont évidentes – nous venons d’en énumérer quelques unes. Les connaissant, comment se fait-il que le marché niçois ne soit pas saturé depuis longtemps ? Après tout, les conditions de vie en général et les conditions d’exercice de la médecine généraliste en particulier étant ce qu’elles sont, on devrait observer une concurrence féroce entre médecins sur toute la Cote d’Azur. À l’exception de quelques stars, les tarifs des uns et des autres devraient être écrasés par l’effet de cette concurrence, rendant ainsi beaucoup plus attractive une installation dans le village ariégeois, où la concurrence est inexistante. C’est un mécanisme classique du marché : la concurrence fait baisser les marges des producteurs rendant ainsi plus attractives les zones où il n’y a pas de concurrent.

Mais nos politiciens, au début des années 1970, ont eu l’idée géniale d’instaurer un numerus clausus qui limite administrativement le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine et donc, le nombre de diplômés et, in fine, le nombre de praticiens sur le marché. En 1971-72, ce quota était de 8 588 étudiants, il a baissé jusqu’à 3 500 en 1992-93 avant de remonter à 7 500 pour l’année universitaire en cours. C’est-à-dire que, alors que la population française a augmenté de 23% et a vieilli entre temps, le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine chaque année a baissé de pratiquement 13%. C’est donc très clairement une politique de raréfaction volontaire de l’offre qui a été mise en œuvre depuis quatre décennies.

Les effets d’une telle politique relèvent de l’évidence : primo, en réduisant la concurrence, on a soutenu artificiellement le niveau de vie des médecins (via, notamment, les fameux dépassements d’honoraires) ; deuxio, quelques milliers d’étudiants qui auraient sans doute pu faire d’excellents médecins se sont fait éjecter du cursus ; tertio, nous avons créé des déserts médicaux. Carton plein !

La situation est d’autant plus ridicule qu’avec l’obligation qu’a l’Etat de reconnaître les autres diplômes européens – et notamment les diplômes roumains – on assiste à deux phénomènes parfaitement ubuesques. D’un coté, nous trouvons des maires de villages qui, pour faire face aux départs en retraite et à la pénurie de remplaçants, cherchent désespérément à recruter des médecins roumains. De l’autre, un nombre croissant d’étudiants recalés au concours français vont s’inscrire dans une des excellentes facs de médecines roumaines… avant de revenir s’installer en France (à Nice). Au total, 27% des médecins qui se sont inscrits au tableau de l’ordre en 2012 avaient un diplôme étranger.

Et pendant ce temps, Marisol Touraine combat les « dérives du laisser-faire de ces dernières années » (on croit rêver…) en enchaînant les « pactes territoire santé » et les négociations sur les dépassements d’honoraires. Pour le ministère comme pour le conseil de l’ordre, il est en revanche tout à fait exclu de revenir sur le numerus clausus. Circulez, il n’y a rien à voir !

*Photo : Parti socialiste.

C’est la crise (suite) : Comme un pont sur l’eau trouble d’une rivière bosnienne

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Policier n’est pas un métier facile. Il faut subir la guerre des polices, les estafettes vieillissantes qui ne font pas rêver les femmes, et l’alcoolisme chronique de son commissaire divisionnaire. Il faut aussi subir la population. Ainsi, nous apprennent nos confrères du Populaire du Centre« Dimanche vers 4 h 30 du matin, de passage place Blanqui à Limoges, les policiers ont interpellé un homme de 38 ans qui commençait à débiter à la hache un poteau en bois d’éclairage public. Il a expliqué avoir voulu récupérer du bois pour se chauffer. » Fortement alcoolisé, l’aventurier a été placé en dégrisement. Il sera convoqué ultérieurement. Les services de la mairie de Limoges ont déposé une plainte. C’est la crise.

Hors des frontières de l’hexagone, la situation n’est pas plus brillante, loin de là. En Croatie on savait depuis longtemps que « qui vole un œuf vole un bœuf ». On sait désormais que « qui vole un bœuf vole un pont ». En effet, l’AFP nous apprenait il y a quelques semaines le cas du vol pur et simple d’un… pont : « Après des plaques d’égout et des gouttières, un trafiquant de ferraille bosnien de Brcko (nord-est) a volé un pont de fer pour revendre le métal sur le marché illégal. » Un pont qui, d’ailleurs, avait été construit par des habitants de la localité, avec d’anciens rails de chemin de fer mis au rebut…

Et comme on ne cesse de nous rabâcher qu’en période de crise, le bon citoyen aura à cœur de recycler…

Avraham Yehoshua : un Etat binational serait un cauchemar

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yeoshua israel gaza

yeoshua israel gaza

Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

À maintes reprises, vous vous êtes exprimé sur le danger d’un État binational de facto si cette situation figée devait persister.

Ce serait un cauchemar.

Pourquoi ? De bons esprits pourraient vous rétorquer qu’à l’ère moderne, le monde tend, au contraire, au mélange, à la coexistence des diversités…

Parce que ce sont deux peuples fondamentalement différents. Du point de vue de la religion, de l’Histoire, de leurs rapports avec l’étranger, que sais-je ? Je veux bien que cette idée soit moderne, mais pourquoi aujourd’hui l’Écosse veut-elle se séparer du Royaume-Uni ? Moi, je veux que les Palestiniens possèdent leur État, leur passeport, et chacun chez soi…[access capability= »lire_inedits »]

En Europe, ce « chacun chez soi » sonne un peu étrange, en ces temps d’unification !

Ah bon ? Certes, la Communauté européenne existe, mais je constate que partout, on continue à se diviser : la Tchécoslovaquie, l’ex-Yougoslavie, voire la Belgique. Sans même parler de l’ex-URSS. Et nous, nous commencerions, nous, deux peuples en lutte inexpiable depuis des décennies, à nous unir ? Je ne dis pas qu’à un horizon plus ou moins éloigné, ce soit impossible. Si une confédération entre Israël, la Palestine et la Jordanie demeure, aujourd’hui, de l’ordre de l’utopie, rien ne dit que, demain, les passions retombées, ce soit irréalisable.

Revenons sur la récente semaine sanglante entre Gaza et Israël : vous avez manifesté beaucoup de colère, au point que certains de vos propos concernant le traitement de la population de Gaza parus dans la presse italienne[1. Voir interview dans La Repubblica, 15 novembre 2012.] ont prêté à controverse.

Je veux être précis : mon propos visait à rappeler que je suis avant tout contre les « assassinats ciblés ». Car la pensée sous-jacente à cette politique, c’est : d’un côté, il y a des gens bien et, ici ou là, des gars mauvais. Alors, on va les liquider. Non, désormais, Gaza est un État…

Mais Gaza subit un blocus…

D’accord, mais pourquoi l’Égypte lui impose-t-elle aussi un blocus ? Pourquoi ne lui a-t-elle pas ouvert les passages vers le Sinaï ? Quatre-vingt millions d’Égyptiens auraient peur d’1,5 million de Gazaouis ? Mais ce sont vos frères ! Maintenant, Gaza déclare : « Je suis l’ennemi absolu d’Israël, je hais Israël, Israël ne doit pas exister. » Et je devrais, moi, lui fournir sa nourriture, son essence, son électricité ? Ça, c’était la situation antérieure. Or j’en suis parti, les colonies de Goush Katif ont été démantelées, l’armée a disparu. Désormais, vous avez un gouvernement, une responsabilité, un territoire…

Qui dépend d’Israël pour son électricité, ses télécommunications, etc.

Je ne vois aucun problème à les leur fournir. Mais une question me taraude, taraude tous les Israéliens : « Pourquoi tirez-vous sur nous ? » Pourquoi ? C’est la question capitale. Et, pendant que vous tirez, vous croyez que nous allons rester les bras croisés ? Vous permettre d’introduire d’autres missiles ? En face de nous, nous avons un État ennemi et non des « terroristes ». Je le répète, je suis contre les « assassinats ciblés » de tel ou tel terroriste.
Mais je veux rendre au Hamas sa pleine responsabilité, y compris sur sa population. Et, dans ce cas, je suis disposé à négocier avec le Hamas[2. Voir la tribune d’A.B. Yehoshua, Libération, 28 novembre 2012.]. Parlons de tout : dites ce que vous voulez, je vous dirai ce que je peux concéder. De la même manière, nous avons conclu un accord d’armistice avec la Syrie, après la guerre de Kippour, et il a été respecté. Sans parler de l’Égypte ou de la Jordanie.

Je ne vous demande pas de reconnaître la légitimité d’Israël mais de conclure des accords sur des sujets particuliers. J’estime que c’est la population palestinienne qui souffre de cette situation, et non les extrémistes en son sein. Pour ne pas être captifs de cette situation absurde d’avoir à alimenter en vivres et en électricité un adversaire que je me refuse de traiter de « terroriste » et que je qualifie d’« ennemi », je souhaite, en même temps, que nous commencions à discuter avec lui. On ne discute pas avec un terroriste. Mais avec qui d’autre qu’un ennemi doit-on, peut-on, discuter ?

Au détriment de l’Autorité palestinienne ? Reconnaissez qu’Israël n’a pas fait grand-chose pour soutenir la  politique non-violente de Mahmoud Abbas…

Sans nul doute. Nous n’avons rien fait pour le légitimer.

Comment sortir de cette paralysie politique avec les Palestiniens, alors que tout laisse prévoir un triomphe de la droite aux prochaines élections israéliennes ?

Il faut comprendre que Gaza a contribué en grande partie à la droitisation de l’opinion israélienne. Encore une fois, que voulez-vous répondre à l’homme de rue qui s’étonne : « Nous avons quitté Gaza, et ils nous tirent dessus. » Je sais bien qu’il existe à Gaza, une rivalité entre les différents groupes qui jouent à qui se montrera le plus patriote contre Israël. Mais, moi, je devrais en payer le prix ?  C’est pourquoi nous devons mettre fin à cette situation malsaine. Aussi, si nous devons avoir un accord avec les Palestiniens, cela ne peut se faire avec une entité divisée en deux : le Hamas doit être partie prenante d’une décision nationale pour accepter un accord sur la base des anciennes lignes d’armistice qui ont prévalu jusqu’en 1967. Malgré sa récente reconnaissance internationale, Mahmoud Abbas ne pourra pas négocier seul  avec Israël et accepter les concessions indispensables à un compromis historique.[/access]

Rétrospective, A.B. Yehoshua (Grasset/Calmann-Lévy), 22 euros.

*Photo : mtkr.

Najat Vallaud-Belkacem : un flic à la maternelle

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Il est quelquefois des moments magiques ou l’absurdité devient un spectacle grandiose et où la connerie rayonne comme un soleil, dissipant la grisaille et chassant la dépression hivernale. Du lointain s’élève l’appel ancestral, la mélopée sacrée, celle du chant des andouilles ! Alors, émerveillés, le cœur tremblant et les bras ouverts, nous accueillons avec bonheur la jactance nouvelle, celle qui nous tire des larmes de rire et de reconnaissance. Ô grandeur des imbéciles ! Ô miracle toujours renouvelé ! Najat Vallaud-Belkacem a parlé !

Mais de quoi s’agit-il ?

De la création du comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité professionnelle, rien de moins. Et dans ce cadre, du lancement par Najat Vallaud-Belkacem de l’initiative « ABCD »[1. Qui s’inspire de l’initiative « 1234 » initiée il y a quelques années par les Ramones.], en collaboration étroite avec Vincent Peillon. S’agit-il du retour à la méthode syllabique et de la lutte contre l’illettrisme ? Pas du tout, c’est complètement dépassé tout ça ! Le combat à mener ici est beaucoup plus essentiel. Il s’agit de faire comprendre aux enfants, dès la grande section de maternelle, les différences de genres entre les individus et de les sensibiliser aux stéréotypes sexistes aux violences faites aux femmes et à l’égalité professionnelle. Très motivé par le projet, Vincent Peillon a déjà décrété que l’année 2013 sera l’année de l’égalité à l’école. Il faut dire qu’entre la dépénalisation du cannabis et la résurrection du « Comité Economie Emploi », en état de mort clinique depuis l’ère Jospin, Peillon est de tous les dossiers d’outre-tombe. Je ne sais pas s’il aura assez de casseroles pour réchauffer tous les plats mais je propose déjà qu’on rende hommage à son action en le baptisant « Reanimator ». En tout cas par les temps qui courent, ce sont les morveux qui doivent faire la tronche. Entre le Nutella taxé à 300% et le gouvernement qui vient leur expliquer dès 4 ans qu’ils sont des porcs sexistes en puissance, ce n’est pas la fête tous les jours en grande section maternelle !

Et comme un malheur ne vient jamais seul, voilà que la directrice d’une école maternelle de Montargis dans le Loiret a décidé d’interdire l’accès de son école au Père Noël sous prétexte de respecter le principe de laïcité et les croyances de chacun. Quelqu’un aura-t-il la bonté d’expliquer à cette passionaria laïque que le Père Noël nous vient de Scandinavie et s’inspire plus de la mythologie nordique que des Pères de l’Eglise ? (non, Saint Augustin n’a jamais porté de hotte, et il vivait sous des latitudes un peu trop chaudes pour la combinaison rouge et blanche doublée en poil de renne). Je prends la liberté de lui indiquer au moins la page wikipedia qui évitera qu’elle ne confonde l’an prochain le Coca-Cola avec l’eau bénite et les ours blanc avec des évêques et n’interdise dans son école les images de plantigrades susceptibles de heurter la sensibilité des familles musulmanes.

Et en parlant de Noël, la cerise sur le gâteau, ou plutôt l’étoile sur le sapin, ce sont nos amis belges qui la plantent et nous aident à nous sentir moins cons seuls en Europe. Cette année à Bruxelles, Noël ne s’appellent plus Noël mais la fête des « Plaisirs d’Hiver » (ça sonne un peu comme un titre de film de Marc Dorcel non ?). Et la municipalité a confié à un cabinet créatif dont je ne veux même plus me rappeler le nom de concevoir un arbre de Noël électronique, une espèce d’assemblage de cubes blancs luminescents, désigné sous le nom de « Xmas Tree », tout ceci dans le but de « dépoussiérer Noël ». En voyant les photos de ce sapin futuriste, qui semble échappé de THX1138[2. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, THX1138 est un film de science-fiction réalisé par Georges Lucas en 1971 avant la guerre des étoiles. C’est pas mal du tout mais l’esthétique générale du film a mal résisté aux outrages du temps.], on se demande s’ils n’ont pas plutôt eu l’intention de congeler Noël une bonne fois pour toutes. L’initiative a en tout cas suscité de vives protestations qui ont été interprétées immédiatement comme des réactions islamophobes et une preuve supplémentaire de la résurgence du fondamentalisme chrétien arc-bouté sur la défense des traditions chrétiennes. En même temps, les fondamentalistes qui défendent le Père Noël et les sapins, c’est quand même plus sympa que ceux qui assassinent les ambassadeurs non ?

C’est ça aussi la magie de Noël…

Israël-Palestine : le statu quo plutôt que le chaos

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Lorsqu’un commentateur de politique internationale se trouve en panne d’inspiration devant une actualité morne et paresseuse, il lui reste toujours le loisir de cogner sur le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Il est maintenant établi, à l’Elysée, au Quai d’Orsay et dans les rédactions en chef des principaux médias français qu’il est le principal, sinon l’unique responsable du blocage du processus de paix entre Israël et les Palestiniens.

Ces dernières semaines, il vient de prendre quelques initiatives justifiant largement que nos vaillants éditorialistes lui rentrent dans le lard sans états d’âme. Ainsi, au lieu d’encaisser sans broncher le vote de l’Assemblée Générale de l’ONU élevant l’Autorité palestinienne au statut d’Etat non membre des Nations Unies, il réplique par l’annonce de la construction de 3500 logements à Jérusalem est et, comble d’horreur, la planification d’une éventuelle urbanisation de la zone dite E1, un morceau de désert de 12km2 reliant Jérusalem à l’implantation de Maale Adoumim.
Il s’est également rendu coupable de faire couche commune avec le diable en fusionnant les listes de son parti, le Likoud avec celle d’Israël Beitenou, la formation dirigée par le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman. L’affaire nous est présentée comme une version israélienne d’une alliance qui unirait, en France, l’UMP et le Front National.

Enfin, si les mêmes analystes futés et pertinents n’ont pas osé trop cogner sur l’opération « Pilier de défense » qui a mis un terme (provisoire ?) au tir de roquettes et fusées sur Israël à partir de Gaza, on ne manque pas de souligner que le Hamas est sorti renforcé de cette affaire. Et on dénonce, dans la foulée, le  calcul machiavélique de la doublette Netanyahou-Lieberman, consistant à favoriser le Hamas au détriment de Mahmoud Abbas. Ce dernier, en revanche, est constamment présenté avec un rameau d’olivier à la main, essuyant rebuffade sur rebuffade de la part des Israéliens.
Les plus indulgents à l’égard d’Israël, comme l’éditorialiste du Monde Alain Frachon, en concluent (comme Elie Barnavi, historien et ancien ambassadeur d’Israël à Paris) que le face à face israélo-palestinien ne mènera nulle part, et que l’on ne sortira de cette impasse que par une solution imposée aux deux protagonistes par la seule puissance qui en est capable, les Etats-Unis.

À l’appui de cette prise de position, Frachon et Barnavi affirment que tous les éléments d’une solution de compromis, aboutissant à la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza sont déjà sur la table (« paramètres Clinton » de Camp David,  « initiative arabe » de 2002, « Feuille de route » du  quartet de 2003 etc.). Il suffirait donc que Barack Obama, qui n’a plus à craindre pour sa réélection, dessine une carte avec des frontières, élabore des propositions à prendre ou à laisser concernant les questions litigieuses : Jérusalem, réfugiés palestiniens, garanties de sécurité pour Israël, et on verrait la fin d’un conflit qui empoisonne la vie internationale depuis ??? Même sur cette date la réponse n’est pas neutre car les plus radicaux des Israéliens se réfèrent au refus arabe de la déclaration Balfour de 1917 comme origine du conflit actuel, alors que les Palestiniens ramènent tout à « l’occupation » des Territoires après juin 1967.
Il ne tiendrait donc qu’à nous, Occidentaux, de montrer un minimum de fermeté, principalement envers le plus fort, Israël, pour que la Terre Sainte retrouve la paix et la sérénité. Au passage, on se lamentera sur le fait que l’Europe ne soit pas capable, en raison de ses divisions, d’exercer une influence à la mesure de son investissement financier en faveur des Palestiniens.
Tout cela ne manque pas de bon sens, et Netanyahou, au lieu de se bunkeriser comme un vulgaire Jean-François Copé, ferait donc bien d’écouter les conseilleurs qui phosphorent à Paris ou Bruxelles, sinon il conduira son pays vers l’abîme.

Toutes ces paroles, apparemment sensées, ne tiennent pas compte d’une loi historique implacable : tous les plans, si ingénieux soient-ils, ont une date de péremption. Quelques semaines avant la chute du mur de Berlin, Mikhaïl Gorbatchev avait lancé à son « camarade » est- Allemand Erich Honecker, rétif à la perestroïka « Ceux qui sont en retard sur l’Histoire seront punis par elle ! ». Ce qui s’est révélé parfaitement exact, pour Honecker d’abord, pour Gorbatchev ensuite. Le processus dit d’Oslo s’est fracassé ne n’avoir pas été mené tambour battant, et peut importe aujourd’hui d’en faire porter la responsabilité à l’une ou l’autre partie. Il se fondait sur le postulat que les Israéliens comme les Palestiniens finiraient chacun par trouver leur intérêt dans une solution de compromis. L’accord israélo-palestinien se serait alors inscrit dans la lignée de ceux qui avaient mis un terme aux hostilités armées entre Israël et l’Egypte en 1978 et la Jordanie en 1994. Cela ne s’est pas produit et entre temps l’Histoire s’est rappelée à notre bon souvenir : entre 1994 et 2012, Israël est devenu plus riche, plus fort et sans doute plus uni qu’il ne l’a jamais été. La mondialisation l’a délivré de l’absolue nécessité d’un ancrage régional. En face, le monde arabo-musulman est entré dans une période de chaos politique se traduisant par une montée en puissance de l’islamisme radical et de l’affrontement entre les Sunnites conduits par l’Egypte et les monarchies pétrolières d’un côté, et les Chiites dans l’orbite de Téhéran de l’autre. Ce qui est en question aujourd’hui, ce n’est pas l’avancée du processus de paix, mais l’avenir incertain des traités antérieurs, sous la pression des opinions publiques arabes chauffées à blanc sur cette question et ayant désormais voix au chapitre.

C’est ce qui fait tout le tragique, aujourd’hui, du face à face Benjamin Netanyahou-Mahmoud Abbas. Ce dernier ne doit son maintien au pouvoir qu’à la présence, en Cisjordanie, de forces armées israéliennes qui empêchent le Hamas de le renverser. Il sait bien que le succès de son entreprise proclamée, la création d’un Etat palestinien de plein droit et le retrait de Tsahal entraînerait sa chute. Khaled Mechaal, le chef du Hamas en résidence au Qatar, étiqueté comme « modéré » par un grand quotidien du soir a fait un triomphe à Gaza en appelant à l’expulsion des « sionistes » de la méditerranée au Jourdain et de la frontière libanaise jusqu’à la mer Rouge. Il n’est pas certain, dans ces conditions, que ni Netanyahou ni Abbas n’aient vraiment envie de sortir d’une impasse pour s’aventurer sur un boulevard où l’on risque de se faire égorger à chaque coin de rue. Alors on y reste, et on amuse la galerie avec des moulinets pour se donner une contenance.

Sombre fête des lumières à Lyon

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lyon fete lumieres

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Qu’on se le dise, la fête des Lumières, le 8 décembre, à Lyon, n’en déplaise aux curés et aux artistes, ne célèbre ni la Vierge ni la lumière ! Par amour de l’art et de Marie, j’ai pourtant tenté l’expérience, accompagné de mes deux grands garçons, Gabriel, 6 ans, Octave, 4 ans et demi, dont je me dois, dès ces premières lignes, de saluer le courage presque sans faille, éprouvé à l’occasion de cette épouvantable soirée.

Tout commençait pourtant pour le mieux. 18h30. Une messe courte et belle, le recueillement de mes deux acolytes, d’ordinaire si fébriles, scrutant avec attention la ressemblance entre les gestes du prêtre et les dessins de leur missel simplifié. Le métro pour Fourvière rompit ce début d’harmonie. Peu de casse pourtant au regard de ce que nous aurions à subir, une fois sortis, entre Bellecour et Saint-Jean. Une foule compacte couronnée par cette grande roue d’infortune plantée sur la place et dont le blason mercantile, à la gloire du Grand Lyon, aurait dû nous alerter. Aux pieds de Louis XIV, un cube dont la magie autoproclamée n’effleura pas l’esprit de mes enfants ; ils lui préférèrent les tubes de Jedi et les cornes clignotantes, fluorescents s’entend, vendues à la sauvette et qui fleurissaient sur la tête des néophytes de la lumière, jeunes et vieux confondus.

L’art, prisonnier de la foule et de ses désirs contradictoires, partagée entre le vin chaud, la pacotille chinoise, et les chorégraphies évidemment magiques ranimant confusément les façades de cette vieille ville bourgeoise, l’art, il faut bien l’avouer, compromis par ce dérèglement de tous les sens, renonçait à ce qu’il a toujours été, un exercice du regard.

Le drame nous attendait pourtant au coin de la place Saint Jean. Impossible d’atteindre le funiculaire, momentanément fermé, impossible encore de se frayer un chemin dans l’organisme étrangement coincé entre les immeubles de cette petite ruelle. Nous n’en étions que les membres inertes, réduits à l’immobilité dans cette absurde ruelle sans intérêt, prête à éclater sous le poids de la foule. Au cœur de cette marée humaine, une autre procession pourtant, dispersée avant même d’avoir pu engager ses premiers pas, un filet de lumière, celle des bougies cartonnées de prières mariales pour l’occasion, et de chants à la Vierge dont la ferveur finit par susciter quelques mécontentements dans la foule hagarde. C’est au compte-goutte, que nous avons pu sortir de la tranchée, rejoignant, mètre par mètre, ces pèlerins d’un soir qui auraient bien voulu que les pouvoirs publics leur manifestent davantage de considération.

Quelques dizaines de mètres plus loin, un ou deux cantiques d’apocalypse joyeuse dans les poumons, car au fond c’est bien de cela qu’il s’agissait, j’ai dû considérer que l’épuisement de mes garçons nous dispensait de poursuivre jusqu’au sanctuaire.

« Merci Marie ». Quel écho ces lettres lumineuses accrochées à la colline auront-elles trouvé dans ce brouhaha touristique ? Quels états d’âme ces églises ouvertes auront-elle su provoquer chez ces consommateurs de féerie ? Jean-Baptiste criait dans le désert. Comment croire que la Lumière puisse se satisfaire de ces lumières intempérantes ?

Grover Norquist : à quoi ressemble un libertarien américain?

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Pour un Français, il ne ressemble à rien. Il est à proprement parler inconcevable. Et il serait sans doute l’homme à abattre s’il se présentait à une élection. Marine Le Pen, à côté de lui, ferait figure de sainte. Pour les démocrates américains, et notamment pour Obama, il est l’incarnation du mal. Pourquoi ? Car il s’oppose à toute hausse d’impôt et à toute extension du domaine de l’État. D’ailleurs, si le gouvernement venait à disparaître, il ne verserait pas une larme.

Prenons l’exemple d’un libertarien qui exerce aujourd’hui son influence délétère (toujours selon Obama) sur la politique américaine. Il se nomme Grover Norquist. Diplômé de Harvard, il est un disciple d’Ayn Rand. Il est à la tête de la puissante National Riffle Association, le lobby des armes à feu. Il est, bien entendu, favorable à la peine de mort.

Par ailleurs, il se bat pour les droits des homosexuels, ainsi que pour une politique d’immigration beaucoup plus ouverte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il a choisi d’habiter dans les quartiers les plus pauvres de Washington et n’a jamais ménagé ses critiques contre les guerres d’Irak et d’Afghanistan. Il est invité sur tous les plateaux de télévision, non seulement parce qu’il est un bon client pour les shows, mais parce qu’il a fait signer à 238 députés républicains et à 41 sénateurs un serment par lequel ils s’engagent à ne jamais approuver une hausse d’impôt, le fameux Taxpayer Protection Pledge. Notons aussi qu’il a épousé une princesse koweïtienne.

Le Washington Post affirme que Grover Norquist « a changé la politique américaine », ce qui est sans doute excessif. En revanche, s’il se trouvait un Grover Norquist en France, on pourrait se dire qu’enfin quelque chose se passe dans ce pays voué à l’immobilisme. Nous réclamons des libertariens….peut-être pourrions-nous en importer quelques-uns des États-Unis.