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Avraham Yehoshua : un Etat binational serait un cauchemar


Avraham Yehoshua : un Etat binational serait un cauchemar

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Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

À maintes reprises, vous vous êtes exprimé sur le danger d’un État binational de facto si cette situation figée devait persister.

Ce serait un cauchemar.

Pourquoi ? De bons esprits pourraient vous rétorquer qu’à l’ère moderne, le monde tend, au contraire, au mélange, à la coexistence des diversités…

Parce que ce sont deux peuples fondamentalement différents. Du point de vue de la religion, de l’Histoire, de leurs rapports avec l’étranger, que sais-je ? Je veux bien que cette idée soit moderne, mais pourquoi aujourd’hui l’Écosse veut-elle se séparer du Royaume-Uni ? Moi, je veux que les Palestiniens possèdent leur État, leur passeport, et chacun chez soi…[access capability= »lire_inedits »]

En Europe, ce « chacun chez soi » sonne un peu étrange, en ces temps d’unification !

Ah bon ? Certes, la Communauté européenne existe, mais je constate que partout, on continue à se diviser : la Tchécoslovaquie, l’ex-Yougoslavie, voire la Belgique. Sans même parler de l’ex-URSS. Et nous, nous commencerions, nous, deux peuples en lutte inexpiable depuis des décennies, à nous unir ? Je ne dis pas qu’à un horizon plus ou moins éloigné, ce soit impossible. Si une confédération entre Israël, la Palestine et la Jordanie demeure, aujourd’hui, de l’ordre de l’utopie, rien ne dit que, demain, les passions retombées, ce soit irréalisable.

Revenons sur la récente semaine sanglante entre Gaza et Israël : vous avez manifesté beaucoup de colère, au point que certains de vos propos concernant le traitement de la population de Gaza parus dans la presse italienne[1. Voir interview dans La Repubblica, 15 novembre 2012.] ont prêté à controverse.

Je veux être précis : mon propos visait à rappeler que je suis avant tout contre les « assassinats ciblés ». Car la pensée sous-jacente à cette politique, c’est : d’un côté, il y a des gens bien et, ici ou là, des gars mauvais. Alors, on va les liquider. Non, désormais, Gaza est un État…

Mais Gaza subit un blocus…

D’accord, mais pourquoi l’Égypte lui impose-t-elle aussi un blocus ? Pourquoi ne lui a-t-elle pas ouvert les passages vers le Sinaï ? Quatre-vingt millions d’Égyptiens auraient peur d’1,5 million de Gazaouis ? Mais ce sont vos frères ! Maintenant, Gaza déclare : « Je suis l’ennemi absolu d’Israël, je hais Israël, Israël ne doit pas exister. » Et je devrais, moi, lui fournir sa nourriture, son essence, son électricité ? Ça, c’était la situation antérieure. Or j’en suis parti, les colonies de Goush Katif ont été démantelées, l’armée a disparu. Désormais, vous avez un gouvernement, une responsabilité, un territoire…

Qui dépend d’Israël pour son électricité, ses télécommunications, etc.

Je ne vois aucun problème à les leur fournir. Mais une question me taraude, taraude tous les Israéliens : « Pourquoi tirez-vous sur nous ? » Pourquoi ? C’est la question capitale. Et, pendant que vous tirez, vous croyez que nous allons rester les bras croisés ? Vous permettre d’introduire d’autres missiles ? En face de nous, nous avons un État ennemi et non des « terroristes ». Je le répète, je suis contre les « assassinats ciblés » de tel ou tel terroriste.
Mais je veux rendre au Hamas sa pleine responsabilité, y compris sur sa population. Et, dans ce cas, je suis disposé à négocier avec le Hamas[2. Voir la tribune d’A.B. Yehoshua, Libération, 28 novembre 2012.]. Parlons de tout : dites ce que vous voulez, je vous dirai ce que je peux concéder. De la même manière, nous avons conclu un accord d’armistice avec la Syrie, après la guerre de Kippour, et il a été respecté. Sans parler de l’Égypte ou de la Jordanie.

Je ne vous demande pas de reconnaître la légitimité d’Israël mais de conclure des accords sur des sujets particuliers. J’estime que c’est la population palestinienne qui souffre de cette situation, et non les extrémistes en son sein. Pour ne pas être captifs de cette situation absurde d’avoir à alimenter en vivres et en électricité un adversaire que je me refuse de traiter de « terroriste » et que je qualifie d’« ennemi », je souhaite, en même temps, que nous commencions à discuter avec lui. On ne discute pas avec un terroriste. Mais avec qui d’autre qu’un ennemi doit-on, peut-on, discuter ?

Au détriment de l’Autorité palestinienne ? Reconnaissez qu’Israël n’a pas fait grand-chose pour soutenir la  politique non-violente de Mahmoud Abbas…

Sans nul doute. Nous n’avons rien fait pour le légitimer.

Comment sortir de cette paralysie politique avec les Palestiniens, alors que tout laisse prévoir un triomphe de la droite aux prochaines élections israéliennes ?

Il faut comprendre que Gaza a contribué en grande partie à la droitisation de l’opinion israélienne. Encore une fois, que voulez-vous répondre à l’homme de rue qui s’étonne : « Nous avons quitté Gaza, et ils nous tirent dessus. » Je sais bien qu’il existe à Gaza, une rivalité entre les différents groupes qui jouent à qui se montrera le plus patriote contre Israël. Mais, moi, je devrais en payer le prix ?  C’est pourquoi nous devons mettre fin à cette situation malsaine. Aussi, si nous devons avoir un accord avec les Palestiniens, cela ne peut se faire avec une entité divisée en deux : le Hamas doit être partie prenante d’une décision nationale pour accepter un accord sur la base des anciennes lignes d’armistice qui ont prévalu jusqu’en 1967. Malgré sa récente reconnaissance internationale, Mahmoud Abbas ne pourra pas négocier seul  avec Israël et accepter les concessions indispensables à un compromis historique.[/access]

Rétrospective, A.B. Yehoshua (Grasset/Calmann-Lévy), 22 euros.

*Photo : mtkr.

Décembre 2012 . N°54

Article extrait du Magazine Causeur



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est ancien correspondant de Libération en Israël.

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