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Vers une société d’ennemis

Les arrestations récentes d’influenceurs algériens, à Brest, Échirolles et Montpellier, qui appellaient à commettre attentats et meurtres en France, sont inquiétantes. Mais elles étaient prévisibles. Les sinistres individus allient dans leurs messages rageurs un nationalisme algérien hystérique à l’islam identitaire. L’identité nationale et l’unité sociale, des sujets négligés pendant des décennies, ne se décrètent pas. La France est-elle en train de l’apprendre à ses dépens ? Analyse.


Deux influenceurs algériens ont récemment été interpellés en France pour des appels à la violence diffusés sur TikTok. Le premier, Youcef A., âgé de 25 ans, a été arrêté le 3 janvier à Brest. Il est accusé d’apologie publique d’un acte de terrorisme après avoir publié des vidéos appelant à commettre des attentats en France et des violences en Algérie. Le second influenceur, connu sous le pseudonyme Imad Tintin et âgé de 31 ans, a été interpellé le même jour à Échirolles, près de Grenoble. Il est accusé de provocation directe à un acte de terrorisme après avoir publié une vidéo appelant à brûler vif, tuer et violer sur le sol français. Ce qui est inquiétant ce n’est pas seulement la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux mais le nombre de « followers » de ces individus, en France-même – et les commentaires qui approuvent leurs propos incendiaires. 

Jeunesse non assimilée et violente

Depuis des décennies, la gauche a encouragé l’idée d’une société harmonieuse et inclusive, mais elle semble avoir ignoré une réalité essentielle : l’unité sociale ne se décrète pas. Elle repose sur une volonté commune, portée par des valeurs et des objectifs partagés. Or, une partie des jeunes issus de l’immigration maghrébine et subsaharienne rejette cette unité, exprimant ce refus par des comportements qui fracturent le tissu social. Cette opposition se traduit par des formes variées de violences : agressions gratuites, vols, trafics, braquages, agressions sexuelles et, dans les cas les plus extrêmes, actes terroristes.

Pendant trop longtemps, ces faits ont été minimisés, interprétés comme des manifestations isoléees ou justifiées par les conditions de vie difficiles dans des quartiers marginalisés. La gauche, notamment, a attribué ces comportements aux inégalités économiques et sociales. Mais cette lecture socio-économique, bien que partiellement fondée, ne suffit pas à expliquer l’ampleur du phénomène. Ces jeunes se retrouvent souvent dans une posture de défiance quasi systématique envers les institutions, qu’il s’agisse de la police, de l’école, des services publics ou même des voisins issus du groupe majoritaire.

Cinquième colonne idéologique

On peut décrire cette situation comme une préparation lente mais méthodique à des révoltes à venir, que pourraient instrumentaliser des courants islamistes. Ceux-ci exploitent les fractures sociales pour faire avancer leur idéologie, tout en attendant un contexte politique qui leur serait favorable. Pourtant, les mécanismes à l’origine de ces comportements dépassent largement la sphère religieuse.

A lire aussi, Céline Pina: Brest: y’a des Zazou dans mon quartier

L’islam, dans le contexte européen actuel, sert de catalyseur idéologique à ces tensions. Il offre une grille de lecture et une justification pour rejeter le modèle culturel occidental. Mais ce rejet s’inscrit dans un cadre plus large : celui de l’émergence de communautés séparées, où les caïds locaux et les prêcheurs radicaux imposent des modes de vie en rupture avec les normes occidentales.

Le défi des différences culturelles

Au cœur de cette fracture se trouve une question fondamentale : comment des groupes issus de civilisations aux valeurs profondément divergentes peuvent-ils coexister au sein d’un même espace ? L’histoire montre qu’une coexistence pacifique nécessite des concessions. Une civilisation doit accepter de renoncer à certaines de ses pratiques ou valeurs pour s’intégrer dans un ensemble commun. Ce processus, souvent appelé « assimilation », est aujourd’hui rejeté par certains comme une forme de domination culturelle. Mais refuser cette intégration revient à entretenir des sociétés parallèles, sources de tensions perpétuelles.

Les modèles de société occidentaux reposent sur des principes spécifiques : la primauté de l’individu sur le groupe, l’égalité des sexes, la liberté d’expression, et la séparation entre le religieux et le politique. Ces principes entrent parfois en conflit avec des systèmes culturels qui privilégient la communauté, la hiérarchie entre les sexes, ou l’autorité religieuse. Ces divergences profondes ne sont pas uniquement théoriques : elles se manifestent dans des comportements du quotidien qui alimentent le rejet mutuel.

Vers une unité culturelle ?

La diversité n’est pas en elle-même un obstacle. Une société peut accueillir une pluralité d’expressions culturelles, à condition que celles-ci respectent un cadre commun et ne cherchent pas à s’imposer par la force ou le rejet des autres. En revanche, la violence, qu’elle soit physique ou symbolique, devient rapidement un facteur de rupture.

Il est également essentiel de se demander si la coexistence entre civilisations est possible sans une forme de domination culturelle. Historiquement, les sociétés multiculturelles les plus stables ont été celles où une culture dominante établissait les règles communes. Cela peut être perçu comme une forme de violence symbolique, mais si cette domination est vécue positivement – comme un vecteur d’émancipation individuelle et collective –, elle peut garantir une coexistence plus pacifique.

Ce défi culturel est sans doute l’un des plus grands auxquels l’Europe est confrontée aujourd’hui. L’objectif ne peut être de nier les différences ou d’ignorer les tensions, mais de proposer un modèle clair où chaque individu, quelle que soit son origine, peut trouver sa place dans une société unie par des valeurs communes. Si cela s’avérait impossible, une société déjà divisée deviendrait une société d’ennemis. 


Elisabeth Lévy sur Sud Radio : il faut arrêter les balivernes sur le vivre-ensemble !

Comment Mélenchon rêve d’imposer sa République bolivarienne

Mélenchon veut passer à la 6e République comme on change un vieux canapé, mais sans se soucier du mode d’emploi constitutionnel.


La petite musique est soigneusement réglée depuis plusieurs semaines chez les Insoumis et les discours de ses dirigeants sont à l’unisson en matière institutionnelle : Emmanuel Macron doit être destitué ; à défaut il doit démissionner le plus vite possible, fût-ce sous la pression de la rue. Aussi Jean-Luc Mélenchon et son équipe ont-ils d’ores et déjà entamé la sélection des élus pour obtenir les 500 signatures qui lui permettront d’être candidat à l’élection présidentielle.

On ne pourra pas faire comme si on ne savait pas

Tant Mathilde Panot que Manuel Bompard ont parlé au début du mois de décembre d’un changement de Constitution, d’une modification de la loi électorale et par conséquent d’un déblocage de la situation de crise actuelle. Mais qu’ont en tête les Insoumis ? Les déclarations du meneur de La France Insoumise et de ses proches associées aux publications officielles de La France Insoumise en ligne depuis plusieurs années permettent de le savoir sans détour.

Ce qui est frappant chez eux, c’est que tout est annoncé, même si leurs objectifs sont inavouables. On ne pourra donc pas dire qu’on ne savait pas. Ainsi en est-il des cibles électorales, les jeunes, les femmes et les musulmans des villes et des banlieues, comme cela a été signifié par Jean-Luc Mélenchon lui-même. Quant à la question institutionnelle, elle a été présentée de manière adamantine dans une brochure lors de la campagne présidentielle de 2022 et intitulée sans fard « Comment nous allons passer à la 6e République ».

Voici donc ce qu’il va se passer selon les Insoumis : une fois élu, leur chef débloquera la situation pour la simple et bonne raison qu’il ne sera pas bridé par la Constitution actuelle qui interdit au chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale avant juillet 2025, donc qui en pratique interdit la tenue d’élections avant septembre prochain. Dès après son élection, Jean-Luc Mélenchon utilisera l’article 11 de la Constitution, un pouvoir personnel du chef de l’État. Non pas pour la réviser comme l’avait fait le général de Gaulle à plusieurs reprises au grand dam de l’ensemble des constitutionnalistes sérieux qui jugeaient que cet article ne pouvait concerner que des textes de valeur législative et que seul l’article 89 pouvait être utilisé pour modifier la Constitution, c’est-à-dire avec l’accord des deux chambres du Parlement. Mais pour carrément changer de Constitution.

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Le peuple en liesse votant au referendum en faveur du changement de Constitution, une Assemblée constituante, composée à la fois de personnes tirées au sort et d’élus à la représentation proportionnelle (pour assurer le succès de LFI), rédigerait un projet de Constitution qui serait soumis au peuple pour ratification. Un peuple éclairé par des médias aux ordres, cela va de soi…

Un horizon rouge-vert radieux !

Le processus ferait fi de la Constitution actuelle. Comment est-ce possible ? Les Insoumis se réfèrent à la Constitution de 1793, dite montagnarde, jamais appliquée mais rédigée par les ancêtres de nos gauchistes et donc mythique aux yeux de ces derniers. Une constitution révolutionnaire qui dispose notamment qu’« un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures » (sauf manifestement en leur laissant une dette abyssale…).

Mais il y a un auteur sulfureux qui a bien pensé le même type de mécanisme et qui doit être l’un des inspirateurs des Insoumis, à tout le moins des spécialistes qu’ils consultent. Juriste allemand, antisémite et antilibéral notoire avant de se perdre dans le nazisme, paradoxalement très goûté de l’extrême gauche depuis la fin du XXe siècle, Carl Schmitt estimait qu’une nouvelle Constitution n’avait en aucun cas à se conformer aux règles de celle qu’elle remplaçait, le fait effaçant le droit. En ce sens, la 6e République, chère au cœur de Jean-Luc Mélenchon, pourra être portée sur les fonts baptismaux sans aucun respect des dispositions de la Constitution de la Ve République à l’issue de l’élection présidentielle victorieuse.

Et que nous réservent nos futures institutions concoctées par cet admirateur de la République bolivarienne qu’est le meneur des Insoumis ? Une intervention populaire permanente (exeunt les garanties des droits et la justice constitutionnelle), une « règle verte » pour subvertir la liberté économique, une république des « biens communs », des « droits nouveaux », « de l’égalité réelle ». Bref, une dictature rouge-verte. Oui, LFI et Jean-Luc Mélenchon sont des dangers publics !

Maïté, Orwell et l’anti-France

Nous avons eu peur, à Causeur, en recevant le dernier article de notre chroniqueur mal embouché. « L’anti-France », cela sentait bon le complot judéo-maçonnique des années 1900, Charles Maurras, Léon Daudet et autres thuriféraires d’extrême-droite. Mais en le lisant, finalement…


Bien sûr, l’expression « anti-France » remonte aux grandes années de l’affaire Dreyfus. L’anti-France, c’étaient, pour la droite nationale, les dreyfusards, tous agents de l’étranger (en l’espèce, la Prusse), habités de sentiments anti-patriotiques — ce qui, quelques années avant la Grande Guerre, signifiait davantage qu’en nos temps de paix et de concorde universelle…

Mais notre contemporanéité se caractérise par l’inversion de toutes les valeurs. Nous vivons ce moment orwellien où « l’ignorance, c’est la force », « la liberté, c’est l’esclavage » et le Hamas est une organisation pacifiste. Ou pourquoi pas l’État islamique tant qu’on y est, que Jean-Luc Mélenchon donnait dernièrement le sentiment de défendre dans sa critique acerbe des frappes françaises sur la Syrie. Ce moment où les vieilles lubies antisémites de l’extrême-droite sont ramassées dans le caniveau par la gauche et le Camp du Bien.

À noter que le socialisme des origines n’était pas forcément dreyfusard. Jean-Numa Ducange, dans Marianne, a tout récemment expliqué que Jules Guesde et ses partisans, acharnés à combattre les bourgeois et les militaires, n’avaient aucune sympathie pour Dreyfus, officier qui jamais ne renia le corps qui l’avait formé. Quant à l’assimilation des Juifs et des bourgeois — et plus spécifiquement des banquiers —, il suffit de lire L’Argent pour connaître le sentiment de Zola sur la « race maudite », bien loin des opinions qu’on lui a forgées dans la légende républicaine après J’accuse. La gauche qui soutient mordicus le Hamas et accable Boualem Sansal parce qu’il déplaît aux Algériens manipulés par le régime, dont les immigrés sont les électeurs potentiels de Mélenchonet de ses épigones, est la même que celle qui méprisait Dreyfus.

L’anti-France, aujourd’hui, rassemble ceux qui luttent contre la République. Contre l’État. Contre la civilisation. Woke, blacks blocs, féministes de dernière dégénération, gauchistes professionnels en quête d’un nouveau prolétariat sur lequel marcher pour arriver au pouvoir, trotskistes d’hier et d’aujourd’hui, lambertistes de la première et de la dernière heure.

Et tant d’autres… 

Dans un grand mouvement à 180°, la gauche est passée de l’autre côté, et la droite en quête de respectabilité en serait presque à revendiquer des idées de gauche.

La mort de Maïté, icône des années 1970-1980, m’a amené à redéfinir l’anti-France culinaire. La France, c’est le bœuf en daube ou le bourguignon, ce n’est pas la salade de quinoa. La France, c’est le cassoulet, les pieds-paquets ou la marmite dieppoise, ce n’est pas le surimi pour menus anorexiques. La France, c’est la poule au pot, le lapin chasseur et le civet de lièvre. Pas le steak de soja. Dans Le Tour de France d’Astérix (1965 — soixante ans déjà), le petit Gaulois fait le tour de l’Hexagone pour récolter les spécialités bien de chez nous, bêtises de Cambrai, saucisson de Lyon (on ne disait pas encore « Jésus », à l’époque), bouillabaisse et autres spécialités. 

Ni couscous, ni kebab, ni pizza. 

A lire ensuite, Ivan Rioufol: 2025: la crise de la démocratie met Macron sur la sellette

Mais je suis un Moderne, et je ne crache pas sur un couscous mitonné au Fémina (1, rue du Musée, à Marseille) ni sur une pizza sortie du four de la Mère Buonavista (10, avenue du Prado, Marseille aussi). Nous avons au cours de notre histoire cousu au tissu français des mœurs exotiques arrivées d’Espagne, d’Italie ou du Maghreb — tant que les immigrés de ces pays se fondaient dans la culture nationale. Mes appétits ne sont pas forcément franco-français. 

Mais ils ne sont pas anti-Français. La France est omnivore, elle n’est pas végane. Elle aime les barbecues, elle n’aime pas Sardine Ruisseau. Elle a inventé jadis les banquets républicains, où, comme le souligne Pierre Birnbaum dans La République et le cochon (2013), les Juifs en quête d’intégration savaient manger les cochonnailles offertes à l’appétit national. Parce qu’ils distinguaient, eux, ce qu’ils devaient à la nation et ce qu’ils devaient à leur dieu.

La France a des racines paysannes, elle est puissamment périphérique, comme dit Christophe Guilluy, elle existe surtout au-delà des boulevards des Maréchaux. L’anti-France vote en deçà du périphérique : seuls des agents de l’internationalisme prolétarien et de la boboïtude, escroqueries majeures, auraient l’idée d’élire Aymeric Caron, Sofia Chikirou, Rodrigo Arenas, ou Danièle Obono. 

Mais nous savons depuis lurette qu’elle est bien finie, l’époque où l’on prétendait qu’« il n’est bon bec que de Paris ». La vraie France est ailleurs, dans ces campagnes dont les panneaux de signalisation ont été rendus illisibles par ceux qui refusent le Mercosur et leur mort programmée.

Il est urgent de rétablir la vérité sur les valeurs que défendent les uns et les autres. D’un côté la vérité, de l’autre les illusions d’optique. Je me suis attelé à la tâche immense de rendre la vue aux aveugles et des neurones aux décervelés. Je leur souhaite une bonne année, pourvu qu’ils consentent à chausser des lunettes.

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J’aime la galette, savez-vous comment ?

La « tradition » de la galette n’est-elle pas, avec ou sans fève, dans les mots même, une atteinte à la loi de 1905 ?


On le voit, pelle à gâteau à la main, devant une immense galette à la frangipane. Le mot en bouche, il lance à ses invités : « Je rappelle qu’il n’y a pas de fève ici ! » Rien que de l’amande. C’était en 2024, à l’Élysée, pour la traditionnelle galette de l’Épiphanie. Le président était prudent : il se souvenait que le 30 décembre 1792, quelques mois après la prise des Tuileries, avant que Louis XVI soit guillotiné, un député conventionnel avait proposé un décret abolissant la fête des Rois. On avait eu beau proposer de la débaptiser en « fête de bon voisinage », « fête des philosophes, » « fête des sans-culottes », fête de l’Égalité, rien n’y avait fait. Galette des Rois, il y avait, galette des Rois, il y a encore. Même quand on dit « la galette », le mot a une charge liberticide terrible. A moins que Mélenchon ne s’en mêle. Que des plaintes soient déposées si des mairies s’avisent de faire une galette des Rois. Avant d’en arriver là, réfléchissons aux « enjeux » : ils  sont de taille.

La galette des Rois est une tradition gastronomique. Mais pas que. Ou plutôt, cette tradition gastronomique s’ancre dans « le cultuel » via « le culturel ». Et là, ce n’est pas une égalité factuelle qui est en danger mais la laïcité. Et c’est du costaud pour la gauche, les écolos, les ultras /ultras. La « tradition » de la galette n’est-elle pas, avec ou sans fève, dans les mots même, une atteinte à la loi de 1905 ? N’est-elle pas, également, discriminante ? Pour les gros, les maigres et les pauvres ? On sait ce que veut dire « être plat comme une galette ». Et « avoir de la galette. »

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La galette des Rois s’enracine dans notre passé puisque elle n’est rien d’autre que la christianisation d’une tradition païenne fêtant l’allongement des jours. Au moment de la fête du Sol invictus, (le Soleil invaincu), on faisait une galette : occasion de réjouissances dans les familles. On désignait un roi d’un jour. Royauté éphémère : une espèce de Saturnale bon enfant. Cette galette de l’égalité devint ensuite un symbole de partage puis de charité. Au Moyen Âge, la tradition en demeure jusqu’à nos jours.

Les esprits éveillés ont bien vu que ce « culturel » était un symbole royaliste et cultuel. L’Épiphanie raconte la visite des Rois Mages, venus d’Orient, sur leurs chameaux chargés de trésors, adorer l’enfant Jésus dont ils ont vu se lever l’étoile. Ces mages, que l’on connaît bien, Gaspard, Melchior et Balthazar, ce sont des hommes riches de science et de biens. Ouvrant leurs coffres, ils offrent à l’enfant de la crèche, comme à un roi, de l’or, de la myrrhe et de l’encens.

L’Épiphanie signifie « Dieu rendu visible » à tous sous la forme la plus humble qui soit. On comprend que tous les Césars du monde en aient peur. Mais il n’y a pas que la galette à être inquiétante, il y a « la marche des Rois ». Quel bonheur d’entendre, en ce dimanche de l’Épiphanie, chantée martialement, après cinq ans de silence, dans une cathédrale ravagée par le feu, la traditionnelle et très provençale Marche dei Rèis, reprise par Bizet dans son Arlésienne ! Quant à la galette, elle se décline en version d’oc et en version d’oïl : au Sud, c’est à la fleur d’oranger. Au Nord, c’est à la frangipane. Pour moi, c’est la fleur d’oranger.

2025: la crise de la démocratie met Macron sur la sellette

Tous les choix du chef de l’État se sont soldés par des impasses. Emmanuel Macron ne peut survivre jusqu’en 2027 qu’au prix de l’immobilité et compte sur son sixième Premier ministre pour dynamiser l’inertie. C’est pourquoi une démission serait l’issue la plus souhaitable.


Emmanuel Macron passera-t-il 2025 ? La question se pose, même s’il la récuse. La raison en est simple : un pouvoir contesté ne peut congédier durablement toute une partie d’un peuple pour s’en protéger. Seuls les régimes totalitaires procèdent ainsi. C’est pourtant ce choix despotique qu’a fait Emmanuel Macron, dès le 5 décembre, en dénonçant un « front antirépublicain » (le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national) jugé coupable d’avoir osé voter la censure du gouvernement de Michel Barnier. La crise de la démocratie, qui défigure la Ve République épuisée, ne peut se guérir en excluant les « extrêmes », c’est-à-dire ceux qui ne pensent pas comme le pouvoir. Comment se prétendre président de tous les Français en effaçant de la vie politique près de la moitié d’entre eux ? Comment ces pestiférés peuvent-ils se faire entendre autrement qu’en élevant toujours plus la voix ? Le coup de semonce du 3 décembre de Marine Le Pen, qui a conduit à la démission du Premier ministre, se reproduira si le chef de l’État, accroché à sa fonction, persiste dans son ostracisme. Dans sa fuite en avant, Emmanuel Macron est l’obstacle à la concorde promise par François Bayrou, nommé à Matignon un vendredi 13.

La radicalité présidentielle ne peut susciter en réponse que la radicalité des indésirables. Le centrisme réconciliateur, dont se réclame le biographe d’Henri IV, est d’ailleurs un trompe-l’œil. Bayrou est un adepte du barrage républicain. Il a voté contre Nicolas Sarkozy en 2012, à cause de ses « obsessions » sur l’immigration à réduire et les frontières à rétablir. Il fait partie des mandarins reclus dans leur Cité interdite. Tandis que les parias tambourinent aux portes de l’enclos, le ministre démissionnaire de la fonction publique Guillaume Kasbarian dévoile sa vie intime en se faisant photographier (Paris Match, 5 décembre), allongé sur son Chesterfield, la tête sur le torse de son compagnon, sous le titre : « L’amour malgré les turbulences ». Cette légèreté résume un monde évanescent et nombriliste. Même les cérémonies de réouverture de Notre-Dame, les 7 et 8 décembre, ont reproduit, dans la parade du clergé, le réflexe élitiste qui écarte le peuple de la caste des puissants. Non seulement les fidèles auront été tenus à distance de la cathédrale renaissante mais les prêtres, relookés par Jean-Charles de Castelbajac, n’auront pas eu l’idée d’aller à la rencontre de la foule catholique pour lui offrir la communion, réservée aux invités de marque. Le pape François a eu raison de préférer se mêler, le 15 décembre, à la piété du peuple corse plutôt qu’à ces mondanités parisiennes.

Rien ne va dans cette haute France à la tête vide. Ses dirigeants ne s’inquiètent que de leur sort. Les « politiciens et technocrates » (David Lisnard) sont des boulets qui empêchent le pays d’avancer. La « machinerie des partis » (Marc Bloch) oblige à penser petit. Les idéologues de l’universalisme vaporeux tétanisent la fierté collective. Certes, Notre-Dame incendiée a pu être reconstruite en cinq ans grâce à l’implication du président. Mais son mérite aura consisté à libérer des entraves étatiques une somme de savoir-faire et d’initiatives privées. Or il s’est gardé d’appliquer cette méthode à la société empoissée par les règlements, les interdits, la déresponsabilisation généralisée. Au lieu de cela, le chef de l’État aura donné le spectacle d’un monarque esseulé cherchant sa survie dans l’effacement du peuple réfractaire. La rencontre à l’Élysée, le 10 décembre, des acteurs politiques, hormis LFI et le RN, restera comme le témoignage d’un régime à bout de souffle. Bayrou était de ce conciliabule de la honte. Macron ne peut survivre jusqu’en 2027 qu’au prix de l’immobilité. Il compte sur son sixième Premier ministre pour dynamiser l’inertie. C’est pourquoi une démission serait l’issue la plus souhaitable.

La voie libérale se profile comme l’alternative pour en finir avec la France suradministrée et sous-gouvernée. L’étatisme acharné est devenu incontrôlable. La dépense publique représente 57 % du PIB ; un travailleur sur cinq est fonctionnaire ; le pays supporte deux à trois millions de normes ; pour la seule année 2023, 8 000 lois, décrets, arrêtés ou circulaires ont été publiés ; il existe 313 commissions consultatives, 1 200 agences d’État souvent inutiles, dont le haut-commissariat au plan où pantouflait Bayrou. Elon Musk, dont la présence à Notre-Dame attira les regards d’une classe politique impuissante, ouvre la voie aux coupes claires quand il propose, pour les États-Unis, de réduire le budget fédéral (7 000 milliards de dollars) de 2 000 milliards d’ici 2026 ! L’Argentin Javier Milei, élu il y a un an (10 décembre 2023) avec une tronçonneuse comme symbole de sa promesse d’élaguer les interventions publiques, peut déjà se targuer d’avancées économiques, dont une inflation en baisse. Quand le RN et son allié républicain expliquent, à propos de la défiance votée contre Barnier, avoir sanctionné « un budget socialiste » (Marine Le Pen) et « anti-entreprise » (Éric Ciotti), il est loisible de voir dans ce souverainisme, qui dénonce aussi les « dépenses toxiques », une mue vers un libéralisme.

Tous les choix du chef de l’État se sont soldés par des impasses. Sa dialectique voulait opposer les progressistes aux populistes, les déracinés aux enracinés, les méritants à ceux qui ne sont rien, les mondialistes aux souverainistes, etc. En allant au bout de ces affrontements, Macron n’a contribué qu’à accentuer la fracture entre ceux d’en haut et les citoyens qui, pour certains, lui vouent une véritable haine. La perte de la souveraineté nationale au profit d’une souveraineté européenne a été le prétexte pour Ursula von der Leyen d’imposer, le 6 décembre, l’accord de libre-échange avec des pays d’Amérique du Sud (Mercosur), en dépit de l’opposition française. L’arrestation à Alger, le 16 novembre, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, coupable d’avoir exprimé librement ses opinions, a illustré la faiblesse de l’État, incapable de se faire respecter d’une dictature et de ses maîtres chanteurs. La France peut renaître malgré tout. Mais elle ne peut rien attendre de ceux qui l’ont saccagée, Bayrou y compris.

La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendras. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Le 9 mars 1990, sur le plateau d’ « Apostrophes », Bernard Pivot reçoit Boris Eltsine et le philosophe et sociologue Alexandre Zinoviev, expulsé de Russie en 1978, à la suite de la parution des Hauteurs béantes, livre satirique sur la société soviétique. Ce soir-là, il est question de ses deux derniers ouvrages – Les Confessions d’un homme en trop et Katastroïka – livres interdits en URSS malgré la glasnost encouragée par Mikhaïl Gorbatchev depuis 1986. L’action de Katastroïka se déroule à Partgrad, ville imaginaire d’une province typique de la Russie soviétique, avec ses usines, ses écoles militaires et ses « maisons misérables, magasins vides, longues files d’attente et autres attributs de la vie de province russe ». Pour mieux faire apprécier la perestroïka, le Comité central du PC décide de faire de Partgrad une ville modèle où les Occidentaux seront autorisés à venir découvrir les tares soviétiques, mais aussi les premiers progrès dus aux réformes initiées par Gorbatchev. Une commission spéciale est créée par un apparatchik de la région, Souslikov, lequel rêve surtout de voir son buste de bronze sur la place principale de la ville qu’il espère pouvoir un jour rebaptiser Souslikovgrad. Pour Zinoviev, la Russie pérestroïkaïsée demeure intrinsèquement communiste et souffre des mêmes maux que celle de Staline. Partgrad est une façade. Au fond rien ne change : la production industrielle et les rendements agricoles restent erratiques ; la vodka, trop chère, est remplacée par la « gorbibine », alcool frelaté « dont une seule goutte aurait suffi à empoisonner une ville européenne moyenne » ; les oligarques locaux sont tous corrompus ; etc. La perestroïka, écrit Zinoviev, n’est pas un progrès mais « une crise, une maladie de la société communiste » – et l’écrivain satiriste de décrire des scènes hilarantes où se côtoient, encore et toujours, l’absurdité bureaucratique, la bêtise brutale, la cupidité des carriéristes du Parti, et l’ingénieuse débrouillardise des Russes imbibés de « gorbibine ».

Antistalinien dès son adolescence, Zinoviev avouera pourtant avoir connu une « crise morale » dépressive après la mort de Staline, crise accentuée par son exil en Europe où il ne se sentit jamais à sa place. « Si j’étais né ici, je serais entré en opposition avec le système », écrit-il en critiquant la « gorbimania » occidentale et en considérant que « nous assistons aujourd’hui à l’instauration du totalitarisme démocratique ou, si vous préférez, de la démocratie totalitaire ». En Allemagne, où il vit à l’époque, la parution de Katastroïka est boycottée par le milieu médiatico-culturel qui lui reproche, affirme-t-il, « de ne pas vouloir lécher le derrière de Gorbatchev ». Rares sont les intellectuels occidentaux faisant aujourd’hui référence à cet auteur original, paradoxal, virulent et, pour certains, visionnaire – ses propos sur la manipulation des masses en Occident, entre autres « le mensonge médiatique qui, ayant monopolisé les appréciations morales, prend la forme du bien tandis que les tentatives de le dévoiler prennent la forme du mal », résonnent cruellement aux oreilles des nationalistes européens qui subissent, avec la complicité des médias, les oukases de l’impériale Commission européenne. Comme la plupart des livres de Zinoviev, Katastroïka n’a jamais été réédité.

Ces géants de pierre, de papier et de télé

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À défaut d’une liste de bonnes résolutions, Monsieur Nostalgie place l’année 2025 sous le signe du mystère magnétique, de la ballade italienne et de la farce policière française. En ce premier dimanche de janvier, il nous invite à partir sur l’île de Pâques, à écouter Lucio Battisti et à revoir le faux couple Car(r)el dans le poste !


La nostalgie guide notre monde intime. Sans elle, nous serions amputés de notre ration de survie. De notre dernière réserve d’humanités. Comment supporter la déchéance des temps nouveaux sans s’accouder au zinc des temps anciens ? Pour les Hommes de cœur, c’est une question d’équilibre mental, de stabilité éthique. À trop s’adonner au robinet de l’actualité, on finit par imbiber son corps et son esprit, d’un poison délétère, la détestation de soi-même. Sans la curatelle du passé, notre présent n’aurait aucune matérialité, aucun écho, il se déroberait sous nos pieds, nous marcherions comme les ivrognes d’un pas mal assuré. Le passé fantasmé ou pas, idolâtré ou pas est la seule clé pour entrouvrir les vies verrouillées.

L’île mystérieuse

Alors, je continuerai cette année encore à diffuser mes vieilleries, à partager avec vous, mes dérivations sentimentales et à plonger dans la naphtaline. Dans cette période incertaine où le dégoût de la politique et la surveillance morale nous empêchent de penser sereinement, où aucun horizon plausible ne semble se dessiner, il est bon de puiser une force tellurique dans les civilisations les plus lointaines. Un peu de mystère ne nuit pas aux rationnels, aux besogneux et autres convoyeurs de malheur qui tentent de nous gouverner. On peut s’étonner, mais la mémoire médiatique est plus que parcellaire, que le nom de Francis Mazière (1924 -1994) ait disparu des cadres. Cet archéologue et ethnologue à la voix radiophonique, dissident par nature, explorateurs des peuples primitifs, aurait eu 100 ans. Comme je l’écris souvent dans ces colonnes, la littérature emprunte des chemins de traverse. Je me suis intéressé à ce scientifique, conférencier génial, qui fut très médiatisé dans les années 1960-1970 par une anecdote familiale. Mon beau-frère, collectionneur de Citroën GS et CX, grand ordonnateur de la fin tragique des Trente Glorieuses, par l’entremise d’un antiquaire, a acheté, un meuble de salon ayant appartenu à cette figure inclassable. Pour se rendre compte de l’impact qu’a eu Mazière sur les jeunes générations, il faut le voir, en mouvement, raconter ses aventures et ses découvertes. Il crève l’écran. Le bourlingueur passionné et passionnant tance les tenants de la science pure en les renvoyant à leurs études. Lui, contrairement aux bureaucrates de l’expédition, il a vu de ses yeux les fils indiens d’Amazonie, l’archipel du Tiki, le désert du Sinaï et les statues géantes de l’île de Pâques. Son best-seller Fantastique île de Pâques paru chez Robert Laffont en 1965 a figuré dans la collection « Le Livre de Poche exploration » aux côtés des stars de l’aventure qu’étaient Alain Bombard, le Commandant Cousteau, Maurice Herzog, Haroun Tazieff et Paul-Emile Victor. Ce livre de poche était même offert dans les stations Elf. Mazière se fait un extraordinaire pédagogue, charmeur et convaincant, dans le documentaire « Cap sur l’aventure » (disponible gratuitement sur le site de la RTS). Il possède l’aplomb et le charisme des gens pénétrés par une autre vérité. En 1975, dans Apostrophes, il nous met en garde contre les conclusions hâtives d’un progressisme répondant à tout et nous demande d’être modestes face « aux mondes que l’on ne connaît pas ». Déjà dans un numéro des Dossiers de l’écran intitulé « Les Anciens possédaient-ils des secrets que nous avons oubliés », il emballe le téléspectateur moyen par sa façon abrupte et vivante, antiacadémique et baroudeuse de raconter ses voyages, notamment celui vers le nombril du monde, qui est parti de France le 22 novembre 1962 sur un ketch de 16 mètres à la flottaison pour cent soixante jours de mer. Et le mystère des géants continue de hanter ses lecteurs. Comment des blocs pesant des dizaines de tonnes purent-ils se déplacer sur une terre volcanique, sur une île où le bois était rare. Y aurait-il d’autres raisons ? « Et si certains hommes, à une certaine époque, avaient pu utiliser des forces électro-magnétiques ou la force d’anti-gravitation ? C’est affolant, mais moins stupide que l’histoire des patates écrasées (certains auteurs affirmaient que l’on mettait sous la statue un véritable manteau de patates douces et d’ignames, une sorte de purée glissante), écrit-il.

Variété italienne ensorceleuse

Il y a aussi un mystère Lucio Battisti (1943 – 1998), l’auteur-compositeur-interprète italien le plus énigmatique de l’après-guerre, guitariste surdoué et détenteur d’un secret avec son parolier Mogol, celui d’une variété ensorceleuse, à la fois populaire et métaphysique, d’une finesse sémantique et d’une profondeur apnéique qui nous donnent un peu de courage en ce début d’année. Lucio était une énigme du show-business. Il refusait les interviews et il n’existe de lui aucune biographie traduite en français. Ses tubes « Ancora tu » ou « Prendila così » agissent comme les napperons de mon enfance sous une faïence de Gien, ils ouvrent les vannes d’une émotion trop longtemps contenue. Au lieu d’écouter Bayrou, je vous propose de faire une cure de Battisti durant tout le mois de janvier, il lave l’âme de toutes les scories.

Et mon ultime conseil est de regarder « Les enquêtes Caméléon » (INA Madelen) avec le couple composé de Dany Carrel et de Roger Carel, leurs enfants Sabine Paturel et David Brécourt ainsi que le commissaire Jean Rougerie. Cette mini-série est désuète, donc essentielle. Ça se passait au siècle dernier, en 1987, sur Antenne 2. Bonne année 2025 !

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Alain Delon brille par son absence

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Une grande biographie revient sur le destin de la plus grande star du cinéma français, disparue l’année dernière


Il y a les billets qu’on écrit quand la mort vient quasiment de frapper. Alain Delon nous a quittés le 18 août 2024 et le lendemain j’ai publié : « Alain Delon n’était pas que beau« .

Plus de quatre mois ont passé depuis. Sortis de l’immédiateté, la nostalgie s’approfondit, le portrait s’affine et la réflexion se complexifie.

J’ai lu une remarquable et très détaillée biographie d’Alain Delon, Alain Delon – Un destin français, par Philippe Durant. C’est elle qui m’a donné envie de revenir sur la destinée de Delon, tant elle est riche et éclairante sur l’homme et l’immense acteur. Un parcours avec ses ombres et ses lumières, surtout avec sa singularité, qui en a fait le dernier monstre sacré du cinéma français.

Qu’on l’ait aimé au-delà de toute mesure ou qu’on l’ait détesté, sa marque fondamentale était qu’il ne laissait personne indifférent. Il traversait l’histoire des gens, hommes et femmes, qu’il croisait, connaissait, appréciait, soutenait ou admirait, en apposant sur eux, pour le pire comme pour le meilleur, une trace indélébile. Peu d’êtres jouissent d’un tel sombre et magnifique privilège.

Jamais guéri d’une enfance chaotique, blessé par le sentiment de n’avoir pas été assez aimé, formé et durci par son expérience militaire en Indochine, impétueux, transgressif et peu discipliné dans ses jeunes années, il a découvert le cinéma par hasard, sans véritable vocation, en y étant conduit par son incroyable beauté qui lui ouvrait toutes les portes, séduisant tous ceux qui rencontraient son chemin et avaient, très vite, l’intuition qu’il serait un acteur hors du commun. Je songe notamment, à Edwige Feuillère et Bernard Blier qui ont aussitôt compris.

Il aurait pu s’engager sur cette voie royale et confortable, comptant sur son apparence unique et se laissant aller dans des œuvres loin d’être impérissables. Mais il a su, par volonté et grâce à la conscience de mériter mieux et de devoir aller plus haut, au firmament de l’art, s’arracher à cette facilité. Usant de certaines personnalités comme de maîtres ou de pères – notamment René Clément, Luchino Visconti et Jean-Pierre Melville -, il a tout appris d’elles, s’est cultivé, s’est formé le goût, a, sous leur égide, offert dans des créations de très haut niveau, des prestations inoubliables. Plein Soleil, Rocco et ses frères, le Guépard, Monsieur Klein, la Piscine où il a retrouvé Romy Schneider, la femme mythique, passionnément aimée, jamais oubliée, et redonné un élan décisif à cette actrice à la fois superbe et fragile.

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Producteur, il a été le maître d’œuvre exclusif de Borsalino, avec Jean-Paul Belmondo, son très amical rival à l’époque dans le panthéon du cinéma français.

Il serait absurde de dépouiller Alain Delon de tout ce que sa destinée a aussi charrié de trouble. Il n’a jamais transigé sur ses amitiés et délétères ou non, il leur est demeuré fidèle, dans les bons comme dans les mauvais jours. À cause de cette propension à ne jamais lâcher personne, il a dû assumer un incroyable chemin de croix judiciaire – l’affaire Markovic dont on a appris plus tard que ses instigateurs n’avaient eu pour but que d’empêcher la candidature présidentielle de Georges Pompidou.

Mais quel caractère, quel tempérament, quelles dispositions contrastées !

Charmeur, sensible, susceptible, autoritaire, délicat, généreux, entier, reconnaissant, exigeant, perfectionniste, obsessionnel, orgueilleux, modeste face aux rares qu’il respecte et admire, patriote et gaulliste, sans concession sur ses valeurs et sur la conscience professionnelle, impitoyable à l’égard de ceux qui l’ont déçu, fidèle en amitié mais jamais en amour, dur avec sa progéniture, misanthrope au fil des années, solitaire, sarcastique sur le présent, magnifiant le passé dont il était le centre, un homme qui a vieilli diminué mais gardant son apparence fière et altière. Sa mort fut un choc pour tous.

132 jours après, son absence brille autant que sa présence éblouissait hier.

884 pages.

Daniel Grardel, le peintre qui aime les écrivains

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La province, elle non plus, ne manque pas d’idées. Le peintre, dessinateur et bédéiste amiénois Daniel Grardel a exposé ses œuvres du 7 au 15 décembre derniers, à la galerie La Dodane, au cœur du quartier Saint-Leu, à Amiens. Il possède ce qu’il est convenu d’appeler une patte. Il évolue loin, si loin, de la peinture abstraite qui, il faut l’avouer, par ses excès abscons, commence à nous gaver grave comme disent les jeunes. Il ne s’adonne pas non plus au réalisme ou au naturalisme pictural. Non, Grardel (instituteur retraité, sosie des regrettés Ricet Barrier et de Pierre Vassiliu) est ailleurs. Il pratique une manière de peinture foraine très colorée, rock’ n’roll, sensuelle et érotique, provocatrice parfois ; il prend plaisir à décrire des scènes nocturnes issues des bistrots de la capitale picarde. Des scènes pour la plupart échappées de son imagination ; il truffe celles-ci de personnages amiénois (artistes, élus – dont Fred Thorel, ancien adjoint à la culture, qui ne sort jamais sans son inénarrable nœud papillon en bois !) mais aussi de chanteurs, comédiens, peintres connus et reconnus qu’il affectionne (Gainsbourg, Chris Evans, Lucky Blondo, Annie Philippe, Christophe, etc.). Ces toiles pourraient faire penser à celles de Clovis Trouille, autre picard de grand talent né à La Fère, dans l’Aisne. Les filles, très peu vêtues, arborent de soyeux porte-jarretelles ; les hommes y boivent plus que de raison et fument avec volupté. Bref : nous sommes à mille yeux du nauséeux wokisme ambiant et de la police de la bien-pensance. (Au cours de cette même exposition, une ultra féministe locale s’est déplacée jusqu’à la galerie pour s’en prendre à Daniel qu’elle a sermonné, lui reprochant de peindre des femmes-objets à la vertu contestable. On est en droit d’éclater de rire devant tant d’imbécillité.)

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Notre homme n’aime pas seulement la peinture et le rock’n’roll ; il adore également la littérature. Ainsi a-t-il a eu l’idée d’inviter chaque jour quelques-uns de ses amis écrivains à dédicacer leurs livres ; Isabelle Marsay, le comédien et réalisateur Jean-Michel Noirey, Elisabeth Grardel, Patrick Poitevin (auteur de percutants polars dont le dernier, L’être de cachets, paru aux éditions des Petits Ruisseaux), Patrick Kaczmarek (médecins de famille et militant), Claude Tillier, Jean-Louis Crimon, Hervé Jovelin (qui vient de sortir Evangile de l’Imbécile, chez L’Harmattan), etc. Vedette yé-yé des sixties, Annie Philippe se déplaça de Paris à la galerie de la Dodane pour rendre visite à son ami Grardel ; elle était accompagnée du réalisateur Nicolas Engel qui a adapté des comédies musicales à Mogador et monte actuellement le spectacle Tootsie, à Montréal. Il tourne également un documentaire sur l’ex-fiancée de Claude François. Ce jour-là, les fans des années soixante se déplacèrent nombreux. L’ambiance était chaude et le Chinon d’excellente qualité. Christophe et Gainsbourg prirent la peine de sortir des toiles de Daniel pour saluer Annie, ravie. La soirée se prolongea fort tard dans les bistrots du quartier Saint-Leu. Mais ceci est une autre histoire…

Paris n’est plus

Les photographes Yves Marchand et Romain Meffre immortalisent partout dans le monde les édifices abandonnés et les quartiers fantômes. Dans Les Ruines de Paris, aidés par l’IA, ils fixent l’avenir d’une capitale désertée en proie à la nature sauvage. Une poésie singulière soulignée par la plume de Nathan Devers.


L’imaginaire de la ruine est confronté, en 2024, à l’épouvantable réalité des apocalypses urbaines. Difficile de poétiser, dans le sillage du peintre Hubert Robert, quand s’offre quotidiennement à nous l’image térébrante de cités réduites à l’état de squelette. Le duo de photographes formé par Yves Marchand et Romain Meffre explore depuis plus de vingt ans la mélancolie de ces désastres sans frontières. Ils se sont fait connaître par leur travail à la chambre, illustrant, dans la tradition technique des grands maîtres, la déréliction de Detroit, cette ancienne capitale étasunienne de l’automobile dont la crise économique de 2008 a signé l’arrêt de mort. Par la suite, passant de l’île fantôme japonaise de Gunkan-Jima à Budapest, Marchand et Meffre ont patiemment documenté nombre de sites désertés ou promis à la démolition, ou encore ces édifices remarquables que certains programmes de rénovation ont voué à une improbable dénaturation, tels l’Hôtel-Dieu de Lyon ou la Samaritaine à Paris.

Paris en ruine ? On n’y est pas encore, malgré les offensives en vert-de-gris de la maire Hidalgo, si impatiente de transformer la capitale en forêt vierge. En prolongement de l’exposition de nos photographes, « Les Ruines de Paris », les éditions Albin Michel publient un beau livre au titre homonyme, lequel reproduit, en doubles pages, les quelque soixante tirages accrochés aux cimaises de la galerie Polka.

Non point « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! » mais, assisté de l’intelligence artificielle (ChatGPT et Midjourney), un Paris dystopique, spectral, pétrifié, veuf de toute présence humaine, rendu à la vie végétative et silencieuse d’un cimetière. Les images spectaculaires d’Yves Marchand et Romain Meffre renvoient moins à la science-fiction qu’à la rêverie picturale qui sourdait de la peinture académique quand elle s’avisait de hanter les vestiges de l’Antiquité.

Figé dans la mort telle une autre Pompéi, leur Paris virtuel ne doit pas son anéantissement à quelque catastrophe naturelle : son esseulement lépreux, buissonneux, fracturé, semble venir de plus loin – du funeste écoulement des siècles, peut-être. Une végétation invasive s’est insinuée dans la pierre de taille, le fleuve sorti de son lit nappe l’asphalte envahi de joncs ou d’herbes folles… Et plus âme qui vive ! Mais rien dans ces aires à l’abandon, dans ces jachères qui s’éternisent ne paraît suggérer la survenue d’un fléau récent, d’un siège ou d’une mise à sac qui auraient mis en fuite ou décimé les habitants de la défunte Ville lumière.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » L’oracle valéryen résonne sur Les Ruines de Paris. Tour Montparnasse éventrée ; pont Alexandre III pris dans la touffeur d’une jungle verdâtre ; arche de La Défense maculée de coulures érugineuses ; vestiges d’une tour Eiffel entaillée dans le no man’s land d’un Champ-de-Mars où – trait d’ironie raillant la saga de la piétonnisation de Paris ? – gît un essaim d’épaves automobiles ; musée d’Orsay déshabillé de ses chefs-d’œuvre et dont le sol est constellé de paperasse ; pyramide de Pei brisée comme une coupe de cristal ; obélisque de Louxor assailli de plantes grimpantes sur une place de la Concorde dévorée par la sève sylvestre – encore un vœu municipal exaucé ? – ; lavomatiques, clubs de gym, boutiques, brasseries, terrasses de café, tous laissés dans leur ultime état de service ; quartiers haussmanniens vacants, comme atteints d’agoraphobie ; Notre-Dame sous l’emprise de la flore telle un nouvel Angkor Vat… L’image la plus saisissante d’entre toutes est la place de l’Étoile changée en plaine embroussaillée, cernée de grands arbres, et au centre de laquelle l’Arc de triomphe, comme absorbé par la terre, se hérisse de pousses sauvages !

Une singulière poésie émane de ces sites dévastés par l’uchronie. Elle est saluée par le talent de plume du jeune écrivain Nathan Devers, dans le texte critique qui accompagne cet album : « Désormais, écrit-il, le photographe n’est plus sommé d’éterniser l’instant, d’archiver ce qui est déjà là, d’enregistrer ce qui défile derrière son objectif. À condition d’étendre ses outils, de solliciter cette nouvelle technique [l’IA], il peut figurer les possibles qui se cachent dans chaque chose. Et sa palette s’étend. Elle embrasse un deuxième horizon, plus puissant que celui de la mer : la perspective de la futurition. Avec cette émancipation, la photographie cesse d’être l’art de l’effectif. Elle embrasse le point de vue de la ruine, de l’absence qui restera de nous. »

Comme un Paris fantôme surgi de nos songes.

À lire

Les Ruines de Paris, photographies de Yves Marchand et Romain Meffre, texte de Nathan Devers, Albin-Michel, 2024.

À voir

 « Les Ruines de Paris », Galerie Polka, 14, rue des Jardins-Saint-Paul, 75004 Paris. Jusqu’au 18 janvier 2025.

Vers une société d’ennemis

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Capture BFMTV.

Les arrestations récentes d’influenceurs algériens, à Brest, Échirolles et Montpellier, qui appellaient à commettre attentats et meurtres en France, sont inquiétantes. Mais elles étaient prévisibles. Les sinistres individus allient dans leurs messages rageurs un nationalisme algérien hystérique à l’islam identitaire. L’identité nationale et l’unité sociale, des sujets négligés pendant des décennies, ne se décrètent pas. La France est-elle en train de l’apprendre à ses dépens ? Analyse.


Deux influenceurs algériens ont récemment été interpellés en France pour des appels à la violence diffusés sur TikTok. Le premier, Youcef A., âgé de 25 ans, a été arrêté le 3 janvier à Brest. Il est accusé d’apologie publique d’un acte de terrorisme après avoir publié des vidéos appelant à commettre des attentats en France et des violences en Algérie. Le second influenceur, connu sous le pseudonyme Imad Tintin et âgé de 31 ans, a été interpellé le même jour à Échirolles, près de Grenoble. Il est accusé de provocation directe à un acte de terrorisme après avoir publié une vidéo appelant à brûler vif, tuer et violer sur le sol français. Ce qui est inquiétant ce n’est pas seulement la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux mais le nombre de « followers » de ces individus, en France-même – et les commentaires qui approuvent leurs propos incendiaires. 

Jeunesse non assimilée et violente

Depuis des décennies, la gauche a encouragé l’idée d’une société harmonieuse et inclusive, mais elle semble avoir ignoré une réalité essentielle : l’unité sociale ne se décrète pas. Elle repose sur une volonté commune, portée par des valeurs et des objectifs partagés. Or, une partie des jeunes issus de l’immigration maghrébine et subsaharienne rejette cette unité, exprimant ce refus par des comportements qui fracturent le tissu social. Cette opposition se traduit par des formes variées de violences : agressions gratuites, vols, trafics, braquages, agressions sexuelles et, dans les cas les plus extrêmes, actes terroristes.

Pendant trop longtemps, ces faits ont été minimisés, interprétés comme des manifestations isoléees ou justifiées par les conditions de vie difficiles dans des quartiers marginalisés. La gauche, notamment, a attribué ces comportements aux inégalités économiques et sociales. Mais cette lecture socio-économique, bien que partiellement fondée, ne suffit pas à expliquer l’ampleur du phénomène. Ces jeunes se retrouvent souvent dans une posture de défiance quasi systématique envers les institutions, qu’il s’agisse de la police, de l’école, des services publics ou même des voisins issus du groupe majoritaire.

Cinquième colonne idéologique

On peut décrire cette situation comme une préparation lente mais méthodique à des révoltes à venir, que pourraient instrumentaliser des courants islamistes. Ceux-ci exploitent les fractures sociales pour faire avancer leur idéologie, tout en attendant un contexte politique qui leur serait favorable. Pourtant, les mécanismes à l’origine de ces comportements dépassent largement la sphère religieuse.

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L’islam, dans le contexte européen actuel, sert de catalyseur idéologique à ces tensions. Il offre une grille de lecture et une justification pour rejeter le modèle culturel occidental. Mais ce rejet s’inscrit dans un cadre plus large : celui de l’émergence de communautés séparées, où les caïds locaux et les prêcheurs radicaux imposent des modes de vie en rupture avec les normes occidentales.

Le défi des différences culturelles

Au cœur de cette fracture se trouve une question fondamentale : comment des groupes issus de civilisations aux valeurs profondément divergentes peuvent-ils coexister au sein d’un même espace ? L’histoire montre qu’une coexistence pacifique nécessite des concessions. Une civilisation doit accepter de renoncer à certaines de ses pratiques ou valeurs pour s’intégrer dans un ensemble commun. Ce processus, souvent appelé « assimilation », est aujourd’hui rejeté par certains comme une forme de domination culturelle. Mais refuser cette intégration revient à entretenir des sociétés parallèles, sources de tensions perpétuelles.

Les modèles de société occidentaux reposent sur des principes spécifiques : la primauté de l’individu sur le groupe, l’égalité des sexes, la liberté d’expression, et la séparation entre le religieux et le politique. Ces principes entrent parfois en conflit avec des systèmes culturels qui privilégient la communauté, la hiérarchie entre les sexes, ou l’autorité religieuse. Ces divergences profondes ne sont pas uniquement théoriques : elles se manifestent dans des comportements du quotidien qui alimentent le rejet mutuel.

Vers une unité culturelle ?

La diversité n’est pas en elle-même un obstacle. Une société peut accueillir une pluralité d’expressions culturelles, à condition que celles-ci respectent un cadre commun et ne cherchent pas à s’imposer par la force ou le rejet des autres. En revanche, la violence, qu’elle soit physique ou symbolique, devient rapidement un facteur de rupture.

Il est également essentiel de se demander si la coexistence entre civilisations est possible sans une forme de domination culturelle. Historiquement, les sociétés multiculturelles les plus stables ont été celles où une culture dominante établissait les règles communes. Cela peut être perçu comme une forme de violence symbolique, mais si cette domination est vécue positivement – comme un vecteur d’émancipation individuelle et collective –, elle peut garantir une coexistence plus pacifique.

Ce défi culturel est sans doute l’un des plus grands auxquels l’Europe est confrontée aujourd’hui. L’objectif ne peut être de nier les différences ou d’ignorer les tensions, mais de proposer un modèle clair où chaque individu, quelle que soit son origine, peut trouver sa place dans une société unie par des valeurs communes. Si cela s’avérait impossible, une société déjà divisée deviendrait une société d’ennemis. 


Elisabeth Lévy sur Sud Radio : il faut arrêter les balivernes sur le vivre-ensemble !

Comment Mélenchon rêve d’imposer sa République bolivarienne

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Jean-Luc Mélenchon sur TF1 le 5 décembre 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Mélenchon veut passer à la 6e République comme on change un vieux canapé, mais sans se soucier du mode d’emploi constitutionnel.


La petite musique est soigneusement réglée depuis plusieurs semaines chez les Insoumis et les discours de ses dirigeants sont à l’unisson en matière institutionnelle : Emmanuel Macron doit être destitué ; à défaut il doit démissionner le plus vite possible, fût-ce sous la pression de la rue. Aussi Jean-Luc Mélenchon et son équipe ont-ils d’ores et déjà entamé la sélection des élus pour obtenir les 500 signatures qui lui permettront d’être candidat à l’élection présidentielle.

On ne pourra pas faire comme si on ne savait pas

Tant Mathilde Panot que Manuel Bompard ont parlé au début du mois de décembre d’un changement de Constitution, d’une modification de la loi électorale et par conséquent d’un déblocage de la situation de crise actuelle. Mais qu’ont en tête les Insoumis ? Les déclarations du meneur de La France Insoumise et de ses proches associées aux publications officielles de La France Insoumise en ligne depuis plusieurs années permettent de le savoir sans détour.

Ce qui est frappant chez eux, c’est que tout est annoncé, même si leurs objectifs sont inavouables. On ne pourra donc pas dire qu’on ne savait pas. Ainsi en est-il des cibles électorales, les jeunes, les femmes et les musulmans des villes et des banlieues, comme cela a été signifié par Jean-Luc Mélenchon lui-même. Quant à la question institutionnelle, elle a été présentée de manière adamantine dans une brochure lors de la campagne présidentielle de 2022 et intitulée sans fard « Comment nous allons passer à la 6e République ».

Voici donc ce qu’il va se passer selon les Insoumis : une fois élu, leur chef débloquera la situation pour la simple et bonne raison qu’il ne sera pas bridé par la Constitution actuelle qui interdit au chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale avant juillet 2025, donc qui en pratique interdit la tenue d’élections avant septembre prochain. Dès après son élection, Jean-Luc Mélenchon utilisera l’article 11 de la Constitution, un pouvoir personnel du chef de l’État. Non pas pour la réviser comme l’avait fait le général de Gaulle à plusieurs reprises au grand dam de l’ensemble des constitutionnalistes sérieux qui jugeaient que cet article ne pouvait concerner que des textes de valeur législative et que seul l’article 89 pouvait être utilisé pour modifier la Constitution, c’est-à-dire avec l’accord des deux chambres du Parlement. Mais pour carrément changer de Constitution.

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Le peuple en liesse votant au referendum en faveur du changement de Constitution, une Assemblée constituante, composée à la fois de personnes tirées au sort et d’élus à la représentation proportionnelle (pour assurer le succès de LFI), rédigerait un projet de Constitution qui serait soumis au peuple pour ratification. Un peuple éclairé par des médias aux ordres, cela va de soi…

Un horizon rouge-vert radieux !

Le processus ferait fi de la Constitution actuelle. Comment est-ce possible ? Les Insoumis se réfèrent à la Constitution de 1793, dite montagnarde, jamais appliquée mais rédigée par les ancêtres de nos gauchistes et donc mythique aux yeux de ces derniers. Une constitution révolutionnaire qui dispose notamment qu’« un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures » (sauf manifestement en leur laissant une dette abyssale…).

Mais il y a un auteur sulfureux qui a bien pensé le même type de mécanisme et qui doit être l’un des inspirateurs des Insoumis, à tout le moins des spécialistes qu’ils consultent. Juriste allemand, antisémite et antilibéral notoire avant de se perdre dans le nazisme, paradoxalement très goûté de l’extrême gauche depuis la fin du XXe siècle, Carl Schmitt estimait qu’une nouvelle Constitution n’avait en aucun cas à se conformer aux règles de celle qu’elle remplaçait, le fait effaçant le droit. En ce sens, la 6e République, chère au cœur de Jean-Luc Mélenchon, pourra être portée sur les fonts baptismaux sans aucun respect des dispositions de la Constitution de la Ve République à l’issue de l’élection présidentielle victorieuse.

Et que nous réservent nos futures institutions concoctées par cet admirateur de la République bolivarienne qu’est le meneur des Insoumis ? Une intervention populaire permanente (exeunt les garanties des droits et la justice constitutionnelle), une « règle verte » pour subvertir la liberté économique, une république des « biens communs », des « droits nouveaux », « de l’égalité réelle ». Bref, une dictature rouge-verte. Oui, LFI et Jean-Luc Mélenchon sont des dangers publics !

Maïté, Orwell et l’anti-France

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La cuisinière vedette Maïté, Bordeaux, 1998 © SAURA PASCAL/SIPA

Nous avons eu peur, à Causeur, en recevant le dernier article de notre chroniqueur mal embouché. « L’anti-France », cela sentait bon le complot judéo-maçonnique des années 1900, Charles Maurras, Léon Daudet et autres thuriféraires d’extrême-droite. Mais en le lisant, finalement…


Bien sûr, l’expression « anti-France » remonte aux grandes années de l’affaire Dreyfus. L’anti-France, c’étaient, pour la droite nationale, les dreyfusards, tous agents de l’étranger (en l’espèce, la Prusse), habités de sentiments anti-patriotiques — ce qui, quelques années avant la Grande Guerre, signifiait davantage qu’en nos temps de paix et de concorde universelle…

Mais notre contemporanéité se caractérise par l’inversion de toutes les valeurs. Nous vivons ce moment orwellien où « l’ignorance, c’est la force », « la liberté, c’est l’esclavage » et le Hamas est une organisation pacifiste. Ou pourquoi pas l’État islamique tant qu’on y est, que Jean-Luc Mélenchon donnait dernièrement le sentiment de défendre dans sa critique acerbe des frappes françaises sur la Syrie. Ce moment où les vieilles lubies antisémites de l’extrême-droite sont ramassées dans le caniveau par la gauche et le Camp du Bien.

À noter que le socialisme des origines n’était pas forcément dreyfusard. Jean-Numa Ducange, dans Marianne, a tout récemment expliqué que Jules Guesde et ses partisans, acharnés à combattre les bourgeois et les militaires, n’avaient aucune sympathie pour Dreyfus, officier qui jamais ne renia le corps qui l’avait formé. Quant à l’assimilation des Juifs et des bourgeois — et plus spécifiquement des banquiers —, il suffit de lire L’Argent pour connaître le sentiment de Zola sur la « race maudite », bien loin des opinions qu’on lui a forgées dans la légende républicaine après J’accuse. La gauche qui soutient mordicus le Hamas et accable Boualem Sansal parce qu’il déplaît aux Algériens manipulés par le régime, dont les immigrés sont les électeurs potentiels de Mélenchonet de ses épigones, est la même que celle qui méprisait Dreyfus.

L’anti-France, aujourd’hui, rassemble ceux qui luttent contre la République. Contre l’État. Contre la civilisation. Woke, blacks blocs, féministes de dernière dégénération, gauchistes professionnels en quête d’un nouveau prolétariat sur lequel marcher pour arriver au pouvoir, trotskistes d’hier et d’aujourd’hui, lambertistes de la première et de la dernière heure.

Et tant d’autres… 

Dans un grand mouvement à 180°, la gauche est passée de l’autre côté, et la droite en quête de respectabilité en serait presque à revendiquer des idées de gauche.

La mort de Maïté, icône des années 1970-1980, m’a amené à redéfinir l’anti-France culinaire. La France, c’est le bœuf en daube ou le bourguignon, ce n’est pas la salade de quinoa. La France, c’est le cassoulet, les pieds-paquets ou la marmite dieppoise, ce n’est pas le surimi pour menus anorexiques. La France, c’est la poule au pot, le lapin chasseur et le civet de lièvre. Pas le steak de soja. Dans Le Tour de France d’Astérix (1965 — soixante ans déjà), le petit Gaulois fait le tour de l’Hexagone pour récolter les spécialités bien de chez nous, bêtises de Cambrai, saucisson de Lyon (on ne disait pas encore « Jésus », à l’époque), bouillabaisse et autres spécialités. 

Ni couscous, ni kebab, ni pizza. 

A lire ensuite, Ivan Rioufol: 2025: la crise de la démocratie met Macron sur la sellette

Mais je suis un Moderne, et je ne crache pas sur un couscous mitonné au Fémina (1, rue du Musée, à Marseille) ni sur une pizza sortie du four de la Mère Buonavista (10, avenue du Prado, Marseille aussi). Nous avons au cours de notre histoire cousu au tissu français des mœurs exotiques arrivées d’Espagne, d’Italie ou du Maghreb — tant que les immigrés de ces pays se fondaient dans la culture nationale. Mes appétits ne sont pas forcément franco-français. 

Mais ils ne sont pas anti-Français. La France est omnivore, elle n’est pas végane. Elle aime les barbecues, elle n’aime pas Sardine Ruisseau. Elle a inventé jadis les banquets républicains, où, comme le souligne Pierre Birnbaum dans La République et le cochon (2013), les Juifs en quête d’intégration savaient manger les cochonnailles offertes à l’appétit national. Parce qu’ils distinguaient, eux, ce qu’ils devaient à la nation et ce qu’ils devaient à leur dieu.

La France a des racines paysannes, elle est puissamment périphérique, comme dit Christophe Guilluy, elle existe surtout au-delà des boulevards des Maréchaux. L’anti-France vote en deçà du périphérique : seuls des agents de l’internationalisme prolétarien et de la boboïtude, escroqueries majeures, auraient l’idée d’élire Aymeric Caron, Sofia Chikirou, Rodrigo Arenas, ou Danièle Obono. 

Mais nous savons depuis lurette qu’elle est bien finie, l’époque où l’on prétendait qu’« il n’est bon bec que de Paris ». La vraie France est ailleurs, dans ces campagnes dont les panneaux de signalisation ont été rendus illisibles par ceux qui refusent le Mercosur et leur mort programmée.

Il est urgent de rétablir la vérité sur les valeurs que défendent les uns et les autres. D’un côté la vérité, de l’autre les illusions d’optique. Je me suis attelé à la tâche immense de rendre la vue aux aveugles et des neurones aux décervelés. Je leur souhaite une bonne année, pourvu qu’ils consentent à chausser des lunettes.

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J’aime la galette, savez-vous comment ?

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DR.

La « tradition » de la galette n’est-elle pas, avec ou sans fève, dans les mots même, une atteinte à la loi de 1905 ?


On le voit, pelle à gâteau à la main, devant une immense galette à la frangipane. Le mot en bouche, il lance à ses invités : « Je rappelle qu’il n’y a pas de fève ici ! » Rien que de l’amande. C’était en 2024, à l’Élysée, pour la traditionnelle galette de l’Épiphanie. Le président était prudent : il se souvenait que le 30 décembre 1792, quelques mois après la prise des Tuileries, avant que Louis XVI soit guillotiné, un député conventionnel avait proposé un décret abolissant la fête des Rois. On avait eu beau proposer de la débaptiser en « fête de bon voisinage », « fête des philosophes, » « fête des sans-culottes », fête de l’Égalité, rien n’y avait fait. Galette des Rois, il y avait, galette des Rois, il y a encore. Même quand on dit « la galette », le mot a une charge liberticide terrible. A moins que Mélenchon ne s’en mêle. Que des plaintes soient déposées si des mairies s’avisent de faire une galette des Rois. Avant d’en arriver là, réfléchissons aux « enjeux » : ils  sont de taille.

La galette des Rois est une tradition gastronomique. Mais pas que. Ou plutôt, cette tradition gastronomique s’ancre dans « le cultuel » via « le culturel ». Et là, ce n’est pas une égalité factuelle qui est en danger mais la laïcité. Et c’est du costaud pour la gauche, les écolos, les ultras /ultras. La « tradition » de la galette n’est-elle pas, avec ou sans fève, dans les mots même, une atteinte à la loi de 1905 ? N’est-elle pas, également, discriminante ? Pour les gros, les maigres et les pauvres ? On sait ce que veut dire « être plat comme une galette ». Et « avoir de la galette. »

A lire aussi: La boîte du bouquiniste

La galette des Rois s’enracine dans notre passé puisque elle n’est rien d’autre que la christianisation d’une tradition païenne fêtant l’allongement des jours. Au moment de la fête du Sol invictus, (le Soleil invaincu), on faisait une galette : occasion de réjouissances dans les familles. On désignait un roi d’un jour. Royauté éphémère : une espèce de Saturnale bon enfant. Cette galette de l’égalité devint ensuite un symbole de partage puis de charité. Au Moyen Âge, la tradition en demeure jusqu’à nos jours.

Les esprits éveillés ont bien vu que ce « culturel » était un symbole royaliste et cultuel. L’Épiphanie raconte la visite des Rois Mages, venus d’Orient, sur leurs chameaux chargés de trésors, adorer l’enfant Jésus dont ils ont vu se lever l’étoile. Ces mages, que l’on connaît bien, Gaspard, Melchior et Balthazar, ce sont des hommes riches de science et de biens. Ouvrant leurs coffres, ils offrent à l’enfant de la crèche, comme à un roi, de l’or, de la myrrhe et de l’encens.

L’Épiphanie signifie « Dieu rendu visible » à tous sous la forme la plus humble qui soit. On comprend que tous les Césars du monde en aient peur. Mais il n’y a pas que la galette à être inquiétante, il y a « la marche des Rois ». Quel bonheur d’entendre, en ce dimanche de l’Épiphanie, chantée martialement, après cinq ans de silence, dans une cathédrale ravagée par le feu, la traditionnelle et très provençale Marche dei Rèis, reprise par Bizet dans son Arlésienne ! Quant à la galette, elle se décline en version d’oc et en version d’oïl : au Sud, c’est à la fleur d’oranger. Au Nord, c’est à la frangipane. Pour moi, c’est la fleur d’oranger.

2025: la crise de la démocratie met Macron sur la sellette

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© Fernand Fourcade/SIPA

Tous les choix du chef de l’État se sont soldés par des impasses. Emmanuel Macron ne peut survivre jusqu’en 2027 qu’au prix de l’immobilité et compte sur son sixième Premier ministre pour dynamiser l’inertie. C’est pourquoi une démission serait l’issue la plus souhaitable.


Emmanuel Macron passera-t-il 2025 ? La question se pose, même s’il la récuse. La raison en est simple : un pouvoir contesté ne peut congédier durablement toute une partie d’un peuple pour s’en protéger. Seuls les régimes totalitaires procèdent ainsi. C’est pourtant ce choix despotique qu’a fait Emmanuel Macron, dès le 5 décembre, en dénonçant un « front antirépublicain » (le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national) jugé coupable d’avoir osé voter la censure du gouvernement de Michel Barnier. La crise de la démocratie, qui défigure la Ve République épuisée, ne peut se guérir en excluant les « extrêmes », c’est-à-dire ceux qui ne pensent pas comme le pouvoir. Comment se prétendre président de tous les Français en effaçant de la vie politique près de la moitié d’entre eux ? Comment ces pestiférés peuvent-ils se faire entendre autrement qu’en élevant toujours plus la voix ? Le coup de semonce du 3 décembre de Marine Le Pen, qui a conduit à la démission du Premier ministre, se reproduira si le chef de l’État, accroché à sa fonction, persiste dans son ostracisme. Dans sa fuite en avant, Emmanuel Macron est l’obstacle à la concorde promise par François Bayrou, nommé à Matignon un vendredi 13.

La radicalité présidentielle ne peut susciter en réponse que la radicalité des indésirables. Le centrisme réconciliateur, dont se réclame le biographe d’Henri IV, est d’ailleurs un trompe-l’œil. Bayrou est un adepte du barrage républicain. Il a voté contre Nicolas Sarkozy en 2012, à cause de ses « obsessions » sur l’immigration à réduire et les frontières à rétablir. Il fait partie des mandarins reclus dans leur Cité interdite. Tandis que les parias tambourinent aux portes de l’enclos, le ministre démissionnaire de la fonction publique Guillaume Kasbarian dévoile sa vie intime en se faisant photographier (Paris Match, 5 décembre), allongé sur son Chesterfield, la tête sur le torse de son compagnon, sous le titre : « L’amour malgré les turbulences ». Cette légèreté résume un monde évanescent et nombriliste. Même les cérémonies de réouverture de Notre-Dame, les 7 et 8 décembre, ont reproduit, dans la parade du clergé, le réflexe élitiste qui écarte le peuple de la caste des puissants. Non seulement les fidèles auront été tenus à distance de la cathédrale renaissante mais les prêtres, relookés par Jean-Charles de Castelbajac, n’auront pas eu l’idée d’aller à la rencontre de la foule catholique pour lui offrir la communion, réservée aux invités de marque. Le pape François a eu raison de préférer se mêler, le 15 décembre, à la piété du peuple corse plutôt qu’à ces mondanités parisiennes.

Rien ne va dans cette haute France à la tête vide. Ses dirigeants ne s’inquiètent que de leur sort. Les « politiciens et technocrates » (David Lisnard) sont des boulets qui empêchent le pays d’avancer. La « machinerie des partis » (Marc Bloch) oblige à penser petit. Les idéologues de l’universalisme vaporeux tétanisent la fierté collective. Certes, Notre-Dame incendiée a pu être reconstruite en cinq ans grâce à l’implication du président. Mais son mérite aura consisté à libérer des entraves étatiques une somme de savoir-faire et d’initiatives privées. Or il s’est gardé d’appliquer cette méthode à la société empoissée par les règlements, les interdits, la déresponsabilisation généralisée. Au lieu de cela, le chef de l’État aura donné le spectacle d’un monarque esseulé cherchant sa survie dans l’effacement du peuple réfractaire. La rencontre à l’Élysée, le 10 décembre, des acteurs politiques, hormis LFI et le RN, restera comme le témoignage d’un régime à bout de souffle. Bayrou était de ce conciliabule de la honte. Macron ne peut survivre jusqu’en 2027 qu’au prix de l’immobilité. Il compte sur son sixième Premier ministre pour dynamiser l’inertie. C’est pourquoi une démission serait l’issue la plus souhaitable.

La voie libérale se profile comme l’alternative pour en finir avec la France suradministrée et sous-gouvernée. L’étatisme acharné est devenu incontrôlable. La dépense publique représente 57 % du PIB ; un travailleur sur cinq est fonctionnaire ; le pays supporte deux à trois millions de normes ; pour la seule année 2023, 8 000 lois, décrets, arrêtés ou circulaires ont été publiés ; il existe 313 commissions consultatives, 1 200 agences d’État souvent inutiles, dont le haut-commissariat au plan où pantouflait Bayrou. Elon Musk, dont la présence à Notre-Dame attira les regards d’une classe politique impuissante, ouvre la voie aux coupes claires quand il propose, pour les États-Unis, de réduire le budget fédéral (7 000 milliards de dollars) de 2 000 milliards d’ici 2026 ! L’Argentin Javier Milei, élu il y a un an (10 décembre 2023) avec une tronçonneuse comme symbole de sa promesse d’élaguer les interventions publiques, peut déjà se targuer d’avancées économiques, dont une inflation en baisse. Quand le RN et son allié républicain expliquent, à propos de la défiance votée contre Barnier, avoir sanctionné « un budget socialiste » (Marine Le Pen) et « anti-entreprise » (Éric Ciotti), il est loisible de voir dans ce souverainisme, qui dénonce aussi les « dépenses toxiques », une mue vers un libéralisme.

Tous les choix du chef de l’État se sont soldés par des impasses. Sa dialectique voulait opposer les progressistes aux populistes, les déracinés aux enracinés, les méritants à ceux qui ne sont rien, les mondialistes aux souverainistes, etc. En allant au bout de ces affrontements, Macron n’a contribué qu’à accentuer la fracture entre ceux d’en haut et les citoyens qui, pour certains, lui vouent une véritable haine. La perte de la souveraineté nationale au profit d’une souveraineté européenne a été le prétexte pour Ursula von der Leyen d’imposer, le 6 décembre, l’accord de libre-échange avec des pays d’Amérique du Sud (Mercosur), en dépit de l’opposition française. L’arrestation à Alger, le 16 novembre, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, coupable d’avoir exprimé librement ses opinions, a illustré la faiblesse de l’État, incapable de se faire respecter d’une dictature et de ses maîtres chanteurs. La France peut renaître malgré tout. Mais elle ne peut rien attendre de ceux qui l’ont saccagée, Bayrou y compris.

La boîte du bouquiniste

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Alexandre Zinoviev. DR.

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendras. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Le 9 mars 1990, sur le plateau d’ « Apostrophes », Bernard Pivot reçoit Boris Eltsine et le philosophe et sociologue Alexandre Zinoviev, expulsé de Russie en 1978, à la suite de la parution des Hauteurs béantes, livre satirique sur la société soviétique. Ce soir-là, il est question de ses deux derniers ouvrages – Les Confessions d’un homme en trop et Katastroïka – livres interdits en URSS malgré la glasnost encouragée par Mikhaïl Gorbatchev depuis 1986. L’action de Katastroïka se déroule à Partgrad, ville imaginaire d’une province typique de la Russie soviétique, avec ses usines, ses écoles militaires et ses « maisons misérables, magasins vides, longues files d’attente et autres attributs de la vie de province russe ». Pour mieux faire apprécier la perestroïka, le Comité central du PC décide de faire de Partgrad une ville modèle où les Occidentaux seront autorisés à venir découvrir les tares soviétiques, mais aussi les premiers progrès dus aux réformes initiées par Gorbatchev. Une commission spéciale est créée par un apparatchik de la région, Souslikov, lequel rêve surtout de voir son buste de bronze sur la place principale de la ville qu’il espère pouvoir un jour rebaptiser Souslikovgrad. Pour Zinoviev, la Russie pérestroïkaïsée demeure intrinsèquement communiste et souffre des mêmes maux que celle de Staline. Partgrad est une façade. Au fond rien ne change : la production industrielle et les rendements agricoles restent erratiques ; la vodka, trop chère, est remplacée par la « gorbibine », alcool frelaté « dont une seule goutte aurait suffi à empoisonner une ville européenne moyenne » ; les oligarques locaux sont tous corrompus ; etc. La perestroïka, écrit Zinoviev, n’est pas un progrès mais « une crise, une maladie de la société communiste » – et l’écrivain satiriste de décrire des scènes hilarantes où se côtoient, encore et toujours, l’absurdité bureaucratique, la bêtise brutale, la cupidité des carriéristes du Parti, et l’ingénieuse débrouillardise des Russes imbibés de « gorbibine ».

Antistalinien dès son adolescence, Zinoviev avouera pourtant avoir connu une « crise morale » dépressive après la mort de Staline, crise accentuée par son exil en Europe où il ne se sentit jamais à sa place. « Si j’étais né ici, je serais entré en opposition avec le système », écrit-il en critiquant la « gorbimania » occidentale et en considérant que « nous assistons aujourd’hui à l’instauration du totalitarisme démocratique ou, si vous préférez, de la démocratie totalitaire ». En Allemagne, où il vit à l’époque, la parution de Katastroïka est boycottée par le milieu médiatico-culturel qui lui reproche, affirme-t-il, « de ne pas vouloir lécher le derrière de Gorbatchev ». Rares sont les intellectuels occidentaux faisant aujourd’hui référence à cet auteur original, paradoxal, virulent et, pour certains, visionnaire – ses propos sur la manipulation des masses en Occident, entre autres « le mensonge médiatique qui, ayant monopolisé les appréciations morales, prend la forme du bien tandis que les tentatives de le dévoiler prennent la forme du mal », résonnent cruellement aux oreilles des nationalistes européens qui subissent, avec la complicité des médias, les oukases de l’impériale Commission européenne. Comme la plupart des livres de Zinoviev, Katastroïka n’a jamais été réédité.

Ces géants de pierre, de papier et de télé

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DR.

À défaut d’une liste de bonnes résolutions, Monsieur Nostalgie place l’année 2025 sous le signe du mystère magnétique, de la ballade italienne et de la farce policière française. En ce premier dimanche de janvier, il nous invite à partir sur l’île de Pâques, à écouter Lucio Battisti et à revoir le faux couple Car(r)el dans le poste !


La nostalgie guide notre monde intime. Sans elle, nous serions amputés de notre ration de survie. De notre dernière réserve d’humanités. Comment supporter la déchéance des temps nouveaux sans s’accouder au zinc des temps anciens ? Pour les Hommes de cœur, c’est une question d’équilibre mental, de stabilité éthique. À trop s’adonner au robinet de l’actualité, on finit par imbiber son corps et son esprit, d’un poison délétère, la détestation de soi-même. Sans la curatelle du passé, notre présent n’aurait aucune matérialité, aucun écho, il se déroberait sous nos pieds, nous marcherions comme les ivrognes d’un pas mal assuré. Le passé fantasmé ou pas, idolâtré ou pas est la seule clé pour entrouvrir les vies verrouillées.

L’île mystérieuse

Alors, je continuerai cette année encore à diffuser mes vieilleries, à partager avec vous, mes dérivations sentimentales et à plonger dans la naphtaline. Dans cette période incertaine où le dégoût de la politique et la surveillance morale nous empêchent de penser sereinement, où aucun horizon plausible ne semble se dessiner, il est bon de puiser une force tellurique dans les civilisations les plus lointaines. Un peu de mystère ne nuit pas aux rationnels, aux besogneux et autres convoyeurs de malheur qui tentent de nous gouverner. On peut s’étonner, mais la mémoire médiatique est plus que parcellaire, que le nom de Francis Mazière (1924 -1994) ait disparu des cadres. Cet archéologue et ethnologue à la voix radiophonique, dissident par nature, explorateurs des peuples primitifs, aurait eu 100 ans. Comme je l’écris souvent dans ces colonnes, la littérature emprunte des chemins de traverse. Je me suis intéressé à ce scientifique, conférencier génial, qui fut très médiatisé dans les années 1960-1970 par une anecdote familiale. Mon beau-frère, collectionneur de Citroën GS et CX, grand ordonnateur de la fin tragique des Trente Glorieuses, par l’entremise d’un antiquaire, a acheté, un meuble de salon ayant appartenu à cette figure inclassable. Pour se rendre compte de l’impact qu’a eu Mazière sur les jeunes générations, il faut le voir, en mouvement, raconter ses aventures et ses découvertes. Il crève l’écran. Le bourlingueur passionné et passionnant tance les tenants de la science pure en les renvoyant à leurs études. Lui, contrairement aux bureaucrates de l’expédition, il a vu de ses yeux les fils indiens d’Amazonie, l’archipel du Tiki, le désert du Sinaï et les statues géantes de l’île de Pâques. Son best-seller Fantastique île de Pâques paru chez Robert Laffont en 1965 a figuré dans la collection « Le Livre de Poche exploration » aux côtés des stars de l’aventure qu’étaient Alain Bombard, le Commandant Cousteau, Maurice Herzog, Haroun Tazieff et Paul-Emile Victor. Ce livre de poche était même offert dans les stations Elf. Mazière se fait un extraordinaire pédagogue, charmeur et convaincant, dans le documentaire « Cap sur l’aventure » (disponible gratuitement sur le site de la RTS). Il possède l’aplomb et le charisme des gens pénétrés par une autre vérité. En 1975, dans Apostrophes, il nous met en garde contre les conclusions hâtives d’un progressisme répondant à tout et nous demande d’être modestes face « aux mondes que l’on ne connaît pas ». Déjà dans un numéro des Dossiers de l’écran intitulé « Les Anciens possédaient-ils des secrets que nous avons oubliés », il emballe le téléspectateur moyen par sa façon abrupte et vivante, antiacadémique et baroudeuse de raconter ses voyages, notamment celui vers le nombril du monde, qui est parti de France le 22 novembre 1962 sur un ketch de 16 mètres à la flottaison pour cent soixante jours de mer. Et le mystère des géants continue de hanter ses lecteurs. Comment des blocs pesant des dizaines de tonnes purent-ils se déplacer sur une terre volcanique, sur une île où le bois était rare. Y aurait-il d’autres raisons ? « Et si certains hommes, à une certaine époque, avaient pu utiliser des forces électro-magnétiques ou la force d’anti-gravitation ? C’est affolant, mais moins stupide que l’histoire des patates écrasées (certains auteurs affirmaient que l’on mettait sous la statue un véritable manteau de patates douces et d’ignames, une sorte de purée glissante), écrit-il.

Variété italienne ensorceleuse

Il y a aussi un mystère Lucio Battisti (1943 – 1998), l’auteur-compositeur-interprète italien le plus énigmatique de l’après-guerre, guitariste surdoué et détenteur d’un secret avec son parolier Mogol, celui d’une variété ensorceleuse, à la fois populaire et métaphysique, d’une finesse sémantique et d’une profondeur apnéique qui nous donnent un peu de courage en ce début d’année. Lucio était une énigme du show-business. Il refusait les interviews et il n’existe de lui aucune biographie traduite en français. Ses tubes « Ancora tu » ou « Prendila così » agissent comme les napperons de mon enfance sous une faïence de Gien, ils ouvrent les vannes d’une émotion trop longtemps contenue. Au lieu d’écouter Bayrou, je vous propose de faire une cure de Battisti durant tout le mois de janvier, il lave l’âme de toutes les scories.

Et mon ultime conseil est de regarder « Les enquêtes Caméléon » (INA Madelen) avec le couple composé de Dany Carrel et de Roger Carel, leurs enfants Sabine Paturel et David Brécourt ainsi que le commissaire Jean Rougerie. Cette mini-série est désuète, donc essentielle. Ça se passait au siècle dernier, en 1987, sur Antenne 2. Bonne année 2025 !

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Alain Delon brille par son absence

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Alain Delon avec Romy Schneider, France, 1959 © DALMAS/SIPA

Une grande biographie revient sur le destin de la plus grande star du cinéma français, disparue l’année dernière


Il y a les billets qu’on écrit quand la mort vient quasiment de frapper. Alain Delon nous a quittés le 18 août 2024 et le lendemain j’ai publié : « Alain Delon n’était pas que beau« .

Plus de quatre mois ont passé depuis. Sortis de l’immédiateté, la nostalgie s’approfondit, le portrait s’affine et la réflexion se complexifie.

J’ai lu une remarquable et très détaillée biographie d’Alain Delon, Alain Delon – Un destin français, par Philippe Durant. C’est elle qui m’a donné envie de revenir sur la destinée de Delon, tant elle est riche et éclairante sur l’homme et l’immense acteur. Un parcours avec ses ombres et ses lumières, surtout avec sa singularité, qui en a fait le dernier monstre sacré du cinéma français.

Qu’on l’ait aimé au-delà de toute mesure ou qu’on l’ait détesté, sa marque fondamentale était qu’il ne laissait personne indifférent. Il traversait l’histoire des gens, hommes et femmes, qu’il croisait, connaissait, appréciait, soutenait ou admirait, en apposant sur eux, pour le pire comme pour le meilleur, une trace indélébile. Peu d’êtres jouissent d’un tel sombre et magnifique privilège.

Jamais guéri d’une enfance chaotique, blessé par le sentiment de n’avoir pas été assez aimé, formé et durci par son expérience militaire en Indochine, impétueux, transgressif et peu discipliné dans ses jeunes années, il a découvert le cinéma par hasard, sans véritable vocation, en y étant conduit par son incroyable beauté qui lui ouvrait toutes les portes, séduisant tous ceux qui rencontraient son chemin et avaient, très vite, l’intuition qu’il serait un acteur hors du commun. Je songe notamment, à Edwige Feuillère et Bernard Blier qui ont aussitôt compris.

Il aurait pu s’engager sur cette voie royale et confortable, comptant sur son apparence unique et se laissant aller dans des œuvres loin d’être impérissables. Mais il a su, par volonté et grâce à la conscience de mériter mieux et de devoir aller plus haut, au firmament de l’art, s’arracher à cette facilité. Usant de certaines personnalités comme de maîtres ou de pères – notamment René Clément, Luchino Visconti et Jean-Pierre Melville -, il a tout appris d’elles, s’est cultivé, s’est formé le goût, a, sous leur égide, offert dans des créations de très haut niveau, des prestations inoubliables. Plein Soleil, Rocco et ses frères, le Guépard, Monsieur Klein, la Piscine où il a retrouvé Romy Schneider, la femme mythique, passionnément aimée, jamais oubliée, et redonné un élan décisif à cette actrice à la fois superbe et fragile.

A lire aussi: Delon / Jagger, y’a pas photo !

Producteur, il a été le maître d’œuvre exclusif de Borsalino, avec Jean-Paul Belmondo, son très amical rival à l’époque dans le panthéon du cinéma français.

Il serait absurde de dépouiller Alain Delon de tout ce que sa destinée a aussi charrié de trouble. Il n’a jamais transigé sur ses amitiés et délétères ou non, il leur est demeuré fidèle, dans les bons comme dans les mauvais jours. À cause de cette propension à ne jamais lâcher personne, il a dû assumer un incroyable chemin de croix judiciaire – l’affaire Markovic dont on a appris plus tard que ses instigateurs n’avaient eu pour but que d’empêcher la candidature présidentielle de Georges Pompidou.

Mais quel caractère, quel tempérament, quelles dispositions contrastées !

Charmeur, sensible, susceptible, autoritaire, délicat, généreux, entier, reconnaissant, exigeant, perfectionniste, obsessionnel, orgueilleux, modeste face aux rares qu’il respecte et admire, patriote et gaulliste, sans concession sur ses valeurs et sur la conscience professionnelle, impitoyable à l’égard de ceux qui l’ont déçu, fidèle en amitié mais jamais en amour, dur avec sa progéniture, misanthrope au fil des années, solitaire, sarcastique sur le présent, magnifiant le passé dont il était le centre, un homme qui a vieilli diminué mais gardant son apparence fière et altière. Sa mort fut un choc pour tous.

132 jours après, son absence brille autant que sa présence éblouissait hier.

884 pages.

Daniel Grardel, le peintre qui aime les écrivains

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© Photo : Philippe Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La province, elle non plus, ne manque pas d’idées. Le peintre, dessinateur et bédéiste amiénois Daniel Grardel a exposé ses œuvres du 7 au 15 décembre derniers, à la galerie La Dodane, au cœur du quartier Saint-Leu, à Amiens. Il possède ce qu’il est convenu d’appeler une patte. Il évolue loin, si loin, de la peinture abstraite qui, il faut l’avouer, par ses excès abscons, commence à nous gaver grave comme disent les jeunes. Il ne s’adonne pas non plus au réalisme ou au naturalisme pictural. Non, Grardel (instituteur retraité, sosie des regrettés Ricet Barrier et de Pierre Vassiliu) est ailleurs. Il pratique une manière de peinture foraine très colorée, rock’ n’roll, sensuelle et érotique, provocatrice parfois ; il prend plaisir à décrire des scènes nocturnes issues des bistrots de la capitale picarde. Des scènes pour la plupart échappées de son imagination ; il truffe celles-ci de personnages amiénois (artistes, élus – dont Fred Thorel, ancien adjoint à la culture, qui ne sort jamais sans son inénarrable nœud papillon en bois !) mais aussi de chanteurs, comédiens, peintres connus et reconnus qu’il affectionne (Gainsbourg, Chris Evans, Lucky Blondo, Annie Philippe, Christophe, etc.). Ces toiles pourraient faire penser à celles de Clovis Trouille, autre picard de grand talent né à La Fère, dans l’Aisne. Les filles, très peu vêtues, arborent de soyeux porte-jarretelles ; les hommes y boivent plus que de raison et fument avec volupté. Bref : nous sommes à mille yeux du nauséeux wokisme ambiant et de la police de la bien-pensance. (Au cours de cette même exposition, une ultra féministe locale s’est déplacée jusqu’à la galerie pour s’en prendre à Daniel qu’elle a sermonné, lui reprochant de peindre des femmes-objets à la vertu contestable. On est en droit d’éclater de rire devant tant d’imbécillité.)

A lire aussi: Notre-Dame, des vitraux vitreux

Notre homme n’aime pas seulement la peinture et le rock’n’roll ; il adore également la littérature. Ainsi a-t-il a eu l’idée d’inviter chaque jour quelques-uns de ses amis écrivains à dédicacer leurs livres ; Isabelle Marsay, le comédien et réalisateur Jean-Michel Noirey, Elisabeth Grardel, Patrick Poitevin (auteur de percutants polars dont le dernier, L’être de cachets, paru aux éditions des Petits Ruisseaux), Patrick Kaczmarek (médecins de famille et militant), Claude Tillier, Jean-Louis Crimon, Hervé Jovelin (qui vient de sortir Evangile de l’Imbécile, chez L’Harmattan), etc. Vedette yé-yé des sixties, Annie Philippe se déplaça de Paris à la galerie de la Dodane pour rendre visite à son ami Grardel ; elle était accompagnée du réalisateur Nicolas Engel qui a adapté des comédies musicales à Mogador et monte actuellement le spectacle Tootsie, à Montréal. Il tourne également un documentaire sur l’ex-fiancée de Claude François. Ce jour-là, les fans des années soixante se déplacèrent nombreux. L’ambiance était chaude et le Chinon d’excellente qualité. Christophe et Gainsbourg prirent la peine de sortir des toiles de Daniel pour saluer Annie, ravie. La soirée se prolongea fort tard dans les bistrots du quartier Saint-Leu. Mais ceci est une autre histoire…

Paris n’est plus

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Création de Yves Marchand et Romain Meffre, conçue avec l’aide du logiciel Midjourney © Yves Marchand, Romain Meffre/Polka

Les photographes Yves Marchand et Romain Meffre immortalisent partout dans le monde les édifices abandonnés et les quartiers fantômes. Dans Les Ruines de Paris, aidés par l’IA, ils fixent l’avenir d’une capitale désertée en proie à la nature sauvage. Une poésie singulière soulignée par la plume de Nathan Devers.


L’imaginaire de la ruine est confronté, en 2024, à l’épouvantable réalité des apocalypses urbaines. Difficile de poétiser, dans le sillage du peintre Hubert Robert, quand s’offre quotidiennement à nous l’image térébrante de cités réduites à l’état de squelette. Le duo de photographes formé par Yves Marchand et Romain Meffre explore depuis plus de vingt ans la mélancolie de ces désastres sans frontières. Ils se sont fait connaître par leur travail à la chambre, illustrant, dans la tradition technique des grands maîtres, la déréliction de Detroit, cette ancienne capitale étasunienne de l’automobile dont la crise économique de 2008 a signé l’arrêt de mort. Par la suite, passant de l’île fantôme japonaise de Gunkan-Jima à Budapest, Marchand et Meffre ont patiemment documenté nombre de sites désertés ou promis à la démolition, ou encore ces édifices remarquables que certains programmes de rénovation ont voué à une improbable dénaturation, tels l’Hôtel-Dieu de Lyon ou la Samaritaine à Paris.

Paris en ruine ? On n’y est pas encore, malgré les offensives en vert-de-gris de la maire Hidalgo, si impatiente de transformer la capitale en forêt vierge. En prolongement de l’exposition de nos photographes, « Les Ruines de Paris », les éditions Albin Michel publient un beau livre au titre homonyme, lequel reproduit, en doubles pages, les quelque soixante tirages accrochés aux cimaises de la galerie Polka.

Non point « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! » mais, assisté de l’intelligence artificielle (ChatGPT et Midjourney), un Paris dystopique, spectral, pétrifié, veuf de toute présence humaine, rendu à la vie végétative et silencieuse d’un cimetière. Les images spectaculaires d’Yves Marchand et Romain Meffre renvoient moins à la science-fiction qu’à la rêverie picturale qui sourdait de la peinture académique quand elle s’avisait de hanter les vestiges de l’Antiquité.

Figé dans la mort telle une autre Pompéi, leur Paris virtuel ne doit pas son anéantissement à quelque catastrophe naturelle : son esseulement lépreux, buissonneux, fracturé, semble venir de plus loin – du funeste écoulement des siècles, peut-être. Une végétation invasive s’est insinuée dans la pierre de taille, le fleuve sorti de son lit nappe l’asphalte envahi de joncs ou d’herbes folles… Et plus âme qui vive ! Mais rien dans ces aires à l’abandon, dans ces jachères qui s’éternisent ne paraît suggérer la survenue d’un fléau récent, d’un siège ou d’une mise à sac qui auraient mis en fuite ou décimé les habitants de la défunte Ville lumière.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » L’oracle valéryen résonne sur Les Ruines de Paris. Tour Montparnasse éventrée ; pont Alexandre III pris dans la touffeur d’une jungle verdâtre ; arche de La Défense maculée de coulures érugineuses ; vestiges d’une tour Eiffel entaillée dans le no man’s land d’un Champ-de-Mars où – trait d’ironie raillant la saga de la piétonnisation de Paris ? – gît un essaim d’épaves automobiles ; musée d’Orsay déshabillé de ses chefs-d’œuvre et dont le sol est constellé de paperasse ; pyramide de Pei brisée comme une coupe de cristal ; obélisque de Louxor assailli de plantes grimpantes sur une place de la Concorde dévorée par la sève sylvestre – encore un vœu municipal exaucé ? – ; lavomatiques, clubs de gym, boutiques, brasseries, terrasses de café, tous laissés dans leur ultime état de service ; quartiers haussmanniens vacants, comme atteints d’agoraphobie ; Notre-Dame sous l’emprise de la flore telle un nouvel Angkor Vat… L’image la plus saisissante d’entre toutes est la place de l’Étoile changée en plaine embroussaillée, cernée de grands arbres, et au centre de laquelle l’Arc de triomphe, comme absorbé par la terre, se hérisse de pousses sauvages !

Une singulière poésie émane de ces sites dévastés par l’uchronie. Elle est saluée par le talent de plume du jeune écrivain Nathan Devers, dans le texte critique qui accompagne cet album : « Désormais, écrit-il, le photographe n’est plus sommé d’éterniser l’instant, d’archiver ce qui est déjà là, d’enregistrer ce qui défile derrière son objectif. À condition d’étendre ses outils, de solliciter cette nouvelle technique [l’IA], il peut figurer les possibles qui se cachent dans chaque chose. Et sa palette s’étend. Elle embrasse un deuxième horizon, plus puissant que celui de la mer : la perspective de la futurition. Avec cette émancipation, la photographie cesse d’être l’art de l’effectif. Elle embrasse le point de vue de la ruine, de l’absence qui restera de nous. »

Comme un Paris fantôme surgi de nos songes.

À lire

Les Ruines de Paris, photographies de Yves Marchand et Romain Meffre, texte de Nathan Devers, Albin-Michel, 2024.

À voir

 « Les Ruines de Paris », Galerie Polka, 14, rue des Jardins-Saint-Paul, 75004 Paris. Jusqu’au 18 janvier 2025.