Notre politique de l’éloignement est de longue date déficiente, rappelle notre contributeur. La loi proposant d’étendre la durée de rétention des étrangers jugés dangereux de 90 jours à 210 jours a été censurée par les Sages du Conseil Constitutionnel pendant l’été. L’exécutif n’est vraiment pas aidé par les juges…
Une récente décision du Conseil Constitutionnel a « facilité » la vie des OQTF. En effet, il s’agit de la décision n° 2025-895 DC du 7 août 2025 sur la loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.
Les Sages (présidés de façon déjà très militante par Richard Ferrand) ont censuré les dispositions permettant de prolonger à 180, voire 210 jours la rétention de certains étrangers ayant déjà purgé leur peine ou non condamnés pénalement pour des infractions graves, ainsi que les dispositions permettant de maintenir systématiquement en rétention l’étranger remis en liberté par le juge le temps de l’appel du ministère public ou de l’administration. Or on constate journellement que des OQTF commettent des délits et des crimes. C’est aussi le système des centres de rétention administrative (CRA) qui est à revoir.
La « carcéralisation » des clandestins dénoncée par la Défenseuse des droits
A la suite de décisions de la CEDH et de la Cour de Cassation dans les années 2010 décidant de l’impossibilité de placer en garde à vue un étranger du seul fait de sa situation irrégulière, la loi Valls de 2012 a donc supprimé le délit de séjour irrégulier et prévu un placement dans un CRA. L’objectif de ces centres est d’accueillir les personnes en situation irrégulière dans l’attente de leur expulsion. Ils constituent aussi un maillon essentiel de la chaîne de l’éloignement. En 2023, la France comptait 25 centres de rétention administrative, soit 1 936 places[1].
Or en 2022, plus de 43 500 personnes ont été placées dans ce type de structure et plus de 55 % ont été remises en liberté, selon un rapport publié par les associations présentes dans les CRA, qui dénoncent une banalisation de l’enfermement des étrangers et une politique du chiffre inefficace. Cette loi a été par la suite modifiée trois fois (en 2016, 2018 et 2024). Locaux insalubres, manque d’intimité, violences… Dans des recommandations publiées au Journal officiel le 22 juin 2023, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) constatait les conditions de vie indignes des personnes retenues[2]. On ne voudrait pas non plus leur proposer des hôtels cinq étoiles ?…
La Défenseuse des droits a relevé, de son côté, une « carcéralisation » de ces centres. Vu l’explosion de la délinquance chez les OQTF, il peut difficilement en être autrement. Le CRA est aussi, qu’on le veuille ou non, un système pour enfermer, même temporairement, des individus plus ou moins dangereux. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, adoptée en décembre 2022, prévoyait d’atteindre 3 000 places de CRA en 2027. Mais la dissolution et la crise budgétaire ont neutralisé ce programme. Précisons que les CRA ne sont nullement sous tutelle du ministère de la Justice, mais sous celle de l’Intérieur.
Selon un rapport parlementaire de juin 2025, en France, environ une OQTF sur dix est exécutée, soit de l’ordre de 15 000 sur les 130 000 prononcées en 2024. Même si ce chiffre ne rend pas compte de la complexité de la situation, la politique de l’éloignement est de longue date déficiente. Avant tout par manque de moyens. L’obligation de quitter le territoire français est une mesure administrative, délivrée par la préfecture, qui a pour objectif d’expulser une personne en séjour irrégulier (dénuée de papiers) sur le territoire français. Il s’agit donc d’une mesure d’éloignement des étrangers prévue par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La décision d’éloignement ou d’obligation de quitter le territoire français est prise par le préfet, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier en France. La décision oblige la personne visée à quitter la France par ses propres moyens dans un délai de 30 jours. Dans des situations limitées, elle peut aussi être contrainte à quitter la France sans délai. Un recours est possible, que les associations humanitaires habilitées ne se privent jamais d’activer.
Laissez passer !
Ce traitement trop souvent erratique des OQTF engendre un affaiblissement de l’autorité de l’État, dont les décisions pourtant exécutoires restent sans effet, tandis que l’objectif de maîtrise des flux migratoires est compromis. Environ 500 000 étrangers se trouveraient aujourd’hui en situation irrégulière en France, le plus souvent dans une grande précarité, soulevant de lourds enjeux de santé publique, de dignité mais aussi de sécurité, comme l’actualité l’a tragiquement montré à plusieurs reprises. Le Conseil Constitutionnel ne semble absolument pas se soucier de ce dernier enjeu. Le rapport parlementaire cité plus haut, souligne que si la loi Darmanin du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, a permis quelques progrès, les rapporteurs appellent à de nouvelles réformes ambitieuses, notamment en matière de rétention, de moyens matériels, de laissez-passer consulaires et de retours aidés.
Le problème le plus compliqué avec certains pays est le fameux laissez-passer consulaire. Le meurtre de la petite Philippine a remis sous les feux des projecteurs la question de ce titre complexe, que certains pays refusent de délivrer à la France. Il faut préciser ici que cette dernière, terre des droits de l’homme s’il en est, n’expulse pas ses migrants clandestins n’importe où. Ces derniers doivent retourner dans leur pays d’origine s’il est sécure. L’État demande alors un laissez-passer consulaire au pays d’où provient le migrant. Une fois le laissez-passer consulaire émis et transmis à la France, il est confié à l’individu en situation irrégulière, qui s’en servira comme passeport pour retourner chez lui. C’est là souvent que se dresse un parcours du combattant. Il faut alors que la France réussisse à convaincre le pays d’origine de l’individu, ce qui nécessite parfois de longues enquêtes (beaucoup de migrants perdent ou détruisent leurs papiers). Ensuite, le pays étranger d’où est originaire le clandestin présent sur le sol français refuse bien souvent de délivrer ce fameux laissez-passer. Ce pour deux raisons. La première est que ce pays ne souhaite pas récupérer un individu potentiellement violent, que les autorités françaises auraient expulsé en raison de crimes ou délits. La deuxième est politique. En effet les relations entre la France et certains pays d’où proviennent de nombreux clandestins sont parfois tendues. Ces pays vont alors se servir des laissez-passer consulaires comme moyen de pression et de chantage à l’encontre de la France.
L’Algérie, en particulier, use de ce levier. Ainsi début août 2024, Le Canard enchaîné révélait que pour faire payer à Paris son soutien au Maroc sur la question du Sahara occidental, les autorités algériennes refusaient à ses ressortissants expulsés par la France de débarquer sur son sol. Des dizaines de clandestins algériens effectuent ainsi de simples allers-retours en avion entre les deux pays, revenant dans l’Hexagone aux frais du contribuable français bien entendu.
Le lien entre l’immigration clandestine et la délinquance voire la criminalité, est désormais devenu assez incontestable. Les récentes données issues des statistiques des services de l’État montrent une surreprésentation des étrangers dans certaines formes de délinquance. Un premier chiffre est connu : 24,5 % des détenus des prisons françaises sont étrangers, soit une représentation trois fois supérieure à leur poids démographique. En voici quelques autres : en 2021, 18% des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie étaient étrangères (représentation 2,3 fois supérieure). Les statistiques révèlent également une forte implication des étrangers dans les cambriolages (38%) et les vols violents sans arme (31%) sur l’ensemble du territoire. Les agressions sexuelles avoisinent les 30%. Ces chiffres, bien qu’incomplets, constituent un faisceau d’indices probants[3]. Les crimes et les délits impliquant des clandestins sous OQTF ont augmenté ces derniers mois. La simple écoute des informations le démontre. Plus qu’un « sentiment », il est désormais permis d’y voir un fait de société. Un fait de société qui s’ancre dans l’espèce d’impuissance des pouvoirs publics à améliorer sensiblement l’exécution des OQTF.
Il faudrait peut-être être plus sélectif, et se concentrer sur les OQTF prononcées pour menace à l’ordre public et à la suite d’une condamnation pénale (soit environ 10% des OQTF totales). Une note de l’Institut Thomas More précise, positivement selon nous, que « cela nécessiterait une augmentation des capacités des CRA, un allongement de la durée maximale de rétention à 18 mois et une suppression de l’assignation à résidence comme alternative à la rétention. Enfin, nous proposons d’assortir ces OQTF d’une interdiction de territoire français (ITF) de cinq à 10 ans. Ces mesures visent à améliorer l’exécution des OQTF pour les individus les plus dangereux pour la sécurité des Français, à renforcer effectivement la sécurité des citoyens et à envoyer un message de fermeté aux immigrés illégaux et aux réseaux de passeurs ».
Il apparait que la majorité des pays de l’UE ont dans leur arsenal pénal le délit de séjour irrégulier. En France il aurait pu être réintroduit (sans peine de prison, mais sous forme de simple amende de 3200 euros), dans le cadre de la loi immigration adoptée en décembre 2023. Mais, il a bien fait partie des quelques 32 articles (sur 86) annulés par le Conseil Constitutionnel (Décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024). La loi Darmanin est venue, en partie, rétablir la situation. Mais il n’est toujours pas délictuel de venir sur notre territoire sans les papiers adéquats. On ne peut plus se contenter d’un traitement administratif, souvent erratique selon les préfets, du sujet.
Sentiment de submersion
En janvier 2025, François Bayrou a dénoncé ce « sentiment de submersion » qui gagnait notre pays. Cette phrase a fait grand bruit. A la place qui est la sienne et avec l’expérience qu’il a, les mots ne sont pas choisis au hasard. M. Bayrou est de plus aussi agrégé de Lettres. Il apparait que dans certains endroits de France, cette submersion a bien dépassé le stade du sentiment. Un peu comme ce « sentiment d’insécurité » décrit jadis par Éric Dupond-Moretti alors Garde des Sceaux. Avec ces affaires générées par un certain nombre d’OQTF, on bascule progressivement aussi dans un fait de société. Il est clair que cette « submersion » est vécue de façon quotidienne par des milliers de français dans la plupart des villes hexagonales. Et, comme le constatent les forces de l’ordre présentes sur le terrain, les OQTF nourrissent de plus en plus cette « submersion ».
Même si personne n’envie le sort des migrants, il faut se rendre à l’évidence que, comme le souligne Jordan Bardella, « la France est ce pays si généreux qui a permis à des générations d’immigrés, reconnaissantes, d’accéder à un confort matériel, à la protection sociale, à un patrimoine culturel, à des libertés qu’elles n’auraient jamais connues ailleurs. »
Bien entendu tous les migrants qui viennent chez nous ne se transforment pas en délinquants et c’est heureux.
Pour conclure, il parait vital que le juge constitutionnel fasse sa révolution en matière d’ordre public. Et avec lui le juge administratif voire les tribunaux judiciaires. Car comme le souligne Jean-Éric Schoettl, conseiller d’Etat et ancien secrétaire général dudit Conseil Constituionnel, la démocratie est exposée à un danger et est en passe de passer de l’État de droit au gouvernement des juges (La démocratie au péril des prétoires, Gallimard, 2022). Le doyen Georges Vedel, que nous avons bien connu, aurait sans doute rétorqué, « il vaut mieux un gouvernement des juges qu’un gouvernement sans juges » !
Il est aussi impérieux de renouveler structurellement notre politique d’immigration. Relisons ce que disait Michel Rocard le 3 décembre 1989: « C’est pourquoi je pense que nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde, que la France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique (…), mais pas plus ».
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[1] https://gncra.fr/les-chiffres-cles-des-cra
[2] viepublique.fr, 30 juin 2023
[3] https://institut-thomas-more.org, juillet 2025





