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Macron, faux-ami du patrimoine

Entretien avec Didier Rykner, rédacteur en chef de "La Tribune de l'Art"


Macron, faux-ami du patrimoine
Le critique d'art Didier Rykner dans son bureau © Hannah ASSOULINE

Le président sait les Français attachés à leur patrimoine. Pourtant, en même temps qu’il missionne Stéphane Bern pour choisir les monuments à sauver, il détricote la loi censée les protéger. Pour Didier Rykner, rédacteur en chef de La Tribune de l’Art, cette dérive est aussi alimenté par une administration sclérosée. Il y a péril en la demeure.


Causeur. La « mission patrimoine » pilotée par Stéphane Bern est-elle un nouveau coup de com de l’Élysée ou une politique volontariste pour sauver notre patrimoine ?
Didier Rykner.
J’ai beaucoup de doutes sur la volonté d’Emmanuel Macron de sauver le patrimoine, mais je n’en ai aucun sur celle de Stéphane Bern. Il a été beaucoup critiqué, à tort, car il a prouvé la sincérité de son engagement en sauvant avec ses propres deniers le Collège royal et militaire de Thiron-Gardais. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Et grâce à son succès médiatique, la sauvegarde du patrimoine mobilise aujourd’hui l’opinion publique.

Il ne suffit pas de parler…

Dire qu’il y a des problèmes est en soi positif. Mais sa nomination prouve surtout l’échec de ce gouvernement, comme des précédents, à instaurer une politique patrimoniale. Hormis André Malraux et Jack Lang, aucun ministre de la Culture n’a réussi à le faire, par ignorance ou désintérêt. Quant à Françoise Nyssen, sa méconnaissance dépasse celle de ses prédécesseurs. C’est un exploit dramatique. Récemment, elle a restitué un tableau spolié à une famille juive pendant l’Occupation. Ces tableaux sont nommés MNR (Musées nationaux récupération), mais elle a découvert cette appellation en prononçant son discours. Elle ne savait pas ce que ça voulait dire. Manifestement, la ministre ne travaille pas.

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Cela met-il en cause la légitimité du ministère de la Culture ?

Non. Cela questionne la clairvoyance de celui qui choisit le ministre, car heureusement, il y a quelques personnes qui peuvent prétendre à ce portefeuille. Elles possèdent les compétences nécessaires, s’intéressent au patrimoine et connaissent l’administration. Or que voit-on sous Françoise Nyssen ? Une ministre supplantée par une administration désorganisée qui mène à un chaos inédit. La DGPAT (Direction générale des patrimoines) n’a plus personne à sa tête. Le directeur du patrimoine, Vincent Berjot, est un comptable toujours en poste, mais invisible, et, depuis quatre mois, on cherche à le remplacer. Cinq mois aussi qu’il n’y a plus de directeur des Musées de France, mais Marie-Christine Labourdette n’est pas regrettée. Quant aux Archives, Hervé Lemoine, qui était compétent, n’est plus en responsabilité. Il y a plus encore. Avec l’association Sites & Monuments, nous avons voulu consulter la liste des « trésors nationaux » ayant obtenu leur certificat de sortie du territoire, car nous savons que dans ce domaine l’État est défaillant. Cette liste est dressée par une seule personne qui n’a de compte à rendre qu’à elle-même et elle refuse de nous la montrer. La CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) et le tribunal administratif nous ont donné leur accord, mais le ministère, qui nous interdit toujours cette consultation, a fait appel ! Nous irons donc devant le Conseil d’État. Cette administration déliquescente cache des insuffisances coupables. Triste constat quand on connaît les excellents fonctionnaires qui travaillent Rue de Valois.

L’un des volets emblématiques de la « mission Bern » est le loto du patrimoine. Les quelques millions qu’il est censé rapporter seront-ils suffisants ?

Ce que Stéphane Bern va créer, les Britanniques le connaissent depuis longtemps et François de Mazières, le maire de Versailles, plaide en vain pour qu’on le fasse depuis des années. Ce jeu de grattage, qui devrait rapporter 15 à 20 millions, fait office de « gadget » quand les budgets du ministère continuent d’être rognés et que le gouvernement fait passer la loi ÉLAN, qui supprime la nécessité de l’« avis conforme » des architectes des Bâtiments de France pour les édifices en zone protégée en état de péril. Or ils sont très nombreux ! À Perpignan, par exemple, le maire veut raser des îlots entiers dans le quartier Saint-Jacques, qui se trouve précisément dans ce cas (protection et péril). Il peut déjà le faire en partie avec la législation actuelle, mais cette loi lui donnera demain une totale liberté de pelleteuse. Ce texte aurait permis de faire disparaître le Marais à Paris. La deuxième disposition problématique est la limitation du droit de recours des associations. Il sera beaucoup plus difficile de s’opposer aux maires et aux promoteurs, même pour faire respecter cette loi minimaliste. Je pense qu’on veut revenir aux années 1970, quand on détruisait en toute impunité des quartiers entiers. À cela s’ajoute le « réaménagement » irréversible de bâtiments existants. Le palais des Consuls, à Rouen, et la Maison du peuple, à Clichy-la-Garenne, en sont de tristes exemples et prouvent que le patrimoine du XXe siècle est autant menacé que le patrimoine plus ancien.

Faut-il en conclure que lorsqu’un bâtiment est protégé – c’est-à-dire classé –, cela ne le protège pas ? 

Rien n’est à l’abri. Il y a moins de trois ans, au cœur du château de Versailles, site protégé par excellence, l’intérieur d’une aile a été entièrement démoli pour construire un nouveau hall d’accueil digne d’un hôtel d’Abu Dhabi. Pour ce faire, on a cassé des pièces des XVIIIe et XIXe siècles, des murs de refend, des boiseries, les volumes… L’endroit le plus protégé du monde a été défiguré et personne n’a rien dit. Il y a donc un problème !

La multiplication des appels au mécénat privé pour l’acquisition d’œuvres ou la restauration de monuments est-elle l’expression d’un désengagement de l’État dans la préservation du patrimoine ?

C’est ambigu, car le mécénat coûte de l’argent à l’État. La part de déduction fiscale est en général de 66 % pour les particuliers et de 60 % pour les entreprises. Ce chiffre monte à 90 % lorsqu’il s’agit d’un trésor national. Dans ce cas-là, l’État dépense pratiquement autant que s’il achetait. En même temps, il peut faire preuve d’une certaine désinvolture budgétaire, notamment sur le plan de l’allocation des ressources. Sur dix milliards d’euros par an, 9 % sont consacrés à ce qu’on appelle le patrimoine (musées, archéologie, archives), dont 3 %, soit 300 millions, pour les monuments historiques. Une somme qui semble encore plus dérisoire quand on sait que 50 % du budget global de la « Culture » vont à l’audiovisuel public. Est-ce sa mission ? Quand le ministère récupère moins de 1 % du budget de l’État, rogner sur le patrimoine équivaut à se priver de café le matin lorsqu’on est en faillite personnelle. Ce n’est pas là qu’on fait des économies ! Tout prouve, en plus, que le patrimoine est économiquement vertueux. Un euro investi dans ce secteur rapporte plus d’un euro au PIB. Ce sont des économies de bouts de chandelle.

Dans ce domaine, Anne Hidalgo est une « bonne cliente » de La Tribune de l’Art, pourquoi ?

Parce qu’Anne Hidalgo est en train de détruire Paris. Le patrimoine n’est pas entretenu, les musées de la Ville ont des moyens insuffisants, le mobilier urbain est progressivement remplacé par un autre d’une laideur évidente, de pseudo-jardins sont plantés n’importe où. C’est un vandalisme effréné qui détruit l’image de la capitale. Et certaines réalisations seraient difficilement réversibles, comme la place de la République. C’était une place avec deux squares XIXe, des fontaines, des lampadaires, des pelouses, des arbres et de belles grilles. On les a laissés pourrir deux ou trois ans pour justifier leur destruction afin de construire l’esplanade « minérale » où l’on fait désormais du roller. Cet aménagement vieillit très vite et coûte très cher. Ce lieu « festif » a aussi accueilli début juin une ferme géante avec des rouleaux de pelouse, du foin, des vaches et des milliers de fleurs en pot. On a végétalisé ce qu’on avait dévégétalisé ! On pourrait aussi évoquer les quelque 200 fontaines dont près de 60 % ne fonctionnent pas, les églises et leurs peintures murales qui tombent littéralement en morceaux. Et je ne parle pas de la saleté, avec ces poubelles en plastique – qui ressemblent à des préservatifs géants – dévorées par les rats et les corbeaux.

On dénonce aussi les publicités géantes sur les échafaudages. Sont-elles une atteinte au patrimoine ? Elles permettent de financer les travaux de restauration des grands monuments.

C’est officiellement temporaire, mais c’est faux. C’est du temporaire qui se déplace tout le temps, si bien qu’il est partout. Il y en a tout le temps le long de la Seine, par exemple. Et ce type de publicité est laissé plus longtemps que nécessaire pour rapporter plus d’argent aux entrepreneurs. Peut-on tout faire pour de l’argent ? C’est la vraie question. Mettrait-on une bâche monogrammée sur le porte-avions Charles-de-Gaulle lors de sa révision ? Non, ça ne serait pas correct, dirait-on. Alors, pourquoi cela le serait-il sur le palais de Justice de l’île de la Cité ? Le président de la République porterait-il un tee-shirt vantant une marque qui financerait les restaurations de l’Élysée ?

Vous l’en pensez capable ?

Je ne sais pas quoi penser d’Emmanuel Macron. Il est évidemment plus cultivé que ses deux prédécesseurs. Il réunit des directeurs de musées pour parler des musées et il fait le loto du patrimoine. Fort bien. Sauf qu’en même temps, il fait voter une loi qui risque de détruire le patrimoine. D’un côté il semble s’y intéresser et de l’autre pas. Reste à savoir de quel côté penche le « en même temps » sur ce sujet essentiel. Pour le moment, du mauvais.

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Ete 2018 - Causeur #59

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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