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Macron élu, les difficultés de l’école continuent


Macron élu, les difficultés de l’école continuent
Emmanuel Macron dans une école d'Avallon, mars 2017. SIPA. 00799468_000019
Emmanuel Macron dans une école d'Avallon, mars 2017. SIPA. 00799468_000019

Voilà, c’est fait. Emmanuel Macron vient d’être élu président de la République et la campagne électorale ou presque, s’est achevée. Elle me laisse, à moi prof, un sentiment d’inachevé…  J’attendais en effet que l’école, ses résultats, ses objectifs, son fonctionnement et ses dysfonctionnements apparaissent comme un thème incontournable des discours politiques. Mauvaise pioche. Une minute trente le soir du « grand débat »… Et si l’école était présente, peu ou prou, dans les programmes de tous les candidats, nous ne pouvons pas dire qu’elle fut, pour les uns et les autres, un sujet phare.

L’école accusée puis ignorée

Ceci ne laisse de me surprendre, notamment parce que j’ai en mémoire combien l’école a été interrogée, pointée du doigt, voire mise en accusation après les attentats de janvier 2015 ; mais aussi parce que régulièrement depuis, par les voix du ministère, de politiques de tous bords ou d’intervenants venus de tous horizons, l’école n’a cessé d’être présentée comme un outil essentiel de la lutte contre la radicalisation et, au-delà, de la défense du socle qui fonde notre République. Soit dit en passant, les réactions diverses de l’entre-deux tours me laissent penser que l’école doit quand même faillir quelque part… Que beaucoup doivent dormir en cours d’histoire ou bien que l’histoire enseignée doit être questionnée…

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De fait, quelle meilleure matière, pour mettre en perspective les événements, faire réfléchir sur le présent, que l’histoire ? Quel meilleur outil encore, pour historiciser l’émergence et l’affirmation des valeurs de la République, pour en comparer la réalité effective, ici et ailleurs, dans le temps et l’espace, que l’enseignement de l’histoire ?

Prenons l’exemple des idéologies mortifères et des violences extrêmes : la volonté destructrice des djihadistes, leur vision obsidionale et eschatologique n’a effectivement rien de neuf du simple point de vue de l’historien. Les guerres de religion en France, au XVIème siècle, nous donnent à voir une violence rédemptrice qui répond aux mêmes schèmes que celle des barbus de l’Etat islamique. Les études des idéologies panturques, nazies ou du Hutupower avec, bien sûr, leur aboutissement, dans un cadre guerrier, à la mise en œuvre de politiques génocidaires, nous donnent à aborder les ressorts psychologiques, intellectuels et politiques qui sont à l’œuvre dans les processus de violences de masse mais aussi dans les passages à l’acte des assassins. Autant d’épisodes historiques évidemment négateurs de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Les mots pour le dire n’arrivent pas aisément

Eh bien, il n’y a qu’à les enseigner, me direz-vous ? Vous avez raison. Néanmoins, il faut reconnaître que ce sont des événements complexes qui ne peuvent être abordés en classe, au collège ou au lycée, sans en démêler les fils, sans en comprendre les contingences, sans parler des acteurs et des victimes, sans offrir à nos élèves des grilles de lecture et d’analyse leur permettant d’accéder à la réflexion historique et politique. Bref, pour résumer, il faut du temps, et ce temps si précieux manque au professeur. Les programmes sont lourds, trop lourds si l’ambition de l’Éducation nationale est de donner à nos élèves matière à analyser, à penser, à comprendre et à produire. Dans certains établissements, en classe de 3ème, des adolescents rencontrent de terribles difficultés pour exprimer, à l’oral comme à l’écrit, ce qu’ils ont envie de dire sur des sujets qui les passionnent. Faudrait-il alors renoncer à ce qu’ils puissent énoncer, à ce qu’ils puissent écrire, à ce qu’ils construisent une pensée articulée ? Or, énoncer, écrire, c’est donner la possibilité aux élèves de répéter et de réécrire, de revenir, avec eux, sur leurs productions, de les critiquer pour mieux les faire progresser. C’est aussi leur apprendre ce qu’est un document historique, à le lire, à croiser les sources, à mettre sur pied, donc, un « savoir-faire » de la mise en récit des événements historiques, de l’administration de la preuve en histoire. C’est leur permettre de réfléchir sur la construction de l’information tant les méthodes sont proches. N’est-ce pas essentiel dans un temps où nous sommes abreuvés d’informations et qu’il devient de plus en plus difficile de trier, de classer, de hiérarchiser ? Ne serait-ce pas une question de salut public tant prolifèrent les thèses conspirationnistes sur tout et n’importe quoi partagées sur les réseaux sociaux de tous les milieux ? Tant les confusions sémantiques et historiques laissent pantois ?

Boulimie de programmes

Il faut, nous disent les programmes, absolument tout aborder, ou presque (les guerres de religion ont pratiquement totalement disparu des programmes scolaires…)!  Devant cet impératif catégorique, combien de professeurs ne lèvent plus les yeux de leurs « progressions annuelles » pour « être dans les temps » ? Pour combien de professeurs, l’objectif premier est-il de simplement finir les programmes ? Nous courons sans cesse après le temps… Il faut donner à nos élèves les armes intellectuelles pour affronter notre présent, pour décrypter le monde si complexe. Mais cela nécessite de faire des choix, et des choix politiques. Il n’est pas question non plus d’augmenter le temps d’enseignement de l’histoire, il s’agit de réfléchir au regard du contexte et de fixer des priorités, c’est-à-dire de ne pas accorder la même importance, en termes d’investissement, aux différents événements et chapitres.

Je vois d’ici les objections qui peuvent émerger : « Mais allons donc, c’est déjà le cas, nous pouvons adapter notre enseignement en passant plus de temps sur tel ou tel point, à la condition, bien sûr, de terminer le programme ». C’est ainsi qu’un site internet officiel à destination des enseignants met en ligne une séquence dédiée à l’enseignement du nazisme en classe de 3ème en… 55 minutes ! Quand nous savons qu’il nous faut passer une bonne poignée d’heures sur les « espaces de faibles densité en France » en géographie ou encore près d’un tiers du temps annuel consacré à l’histoire sur la Ve République, on se dit que nous n’avons pas le même sens des priorités. Autre objection évidente : « mais rien ne vous empêche de traiter de ces questions essentielles dans le cadre des Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI)! ». Ben si en fait… Je n’ai pas le temps de discuter avec mes collègues pour construire quelque chose de valable scientifiquement et pédagogiquement, ni, surtout, le temps de l’inscrire dans ma progression de cours…

La banlieue malade de l’égalitarisme

En fait, plus j’enseigne dans ma banlieue, plus je me dis qu’il est totalement injuste de donner la même chose à tous les enfants de France. Non pas que des élèves mériteraient moins que d’autres, mais mes élèves méritent d’accéder, comme les autres, à la compréhension et à la lecture du monde. Ils méritent d’apprendre à aimer l’histoire comme la littérature. Mais pour cela, il faut leur en donner le temps car souvent, leur capital social et culturel n’est pas le même que celui des élèves des collèges de centre-ville. Il leur faut plus de travail, plus d’efforts. A cette condition, ces élèves sont capables d’excellence. J’en veux pour preuve leurs devoirs. Ils ont passé des heures sur l’étude des génocides du XXème siècle (choix de leur professeur qui use et abuse de sa liberté pédagogique…), ils ont écouté, lu, étudié, réfléchi, construit, énoncé et écrit. Cela les a passionnés.

Si j’entendais, dans le même établissement, il y a quinze ans, des propos antisémites quand je courrais après le temps, que je voyais le nazisme en deux heures et la Shoah en une, je n’ai non seulement plus droit à une seule remarque, mais je récupère des travaux de haute volée emprunts d’un réel intérêt pour le sujet. Le choix de la pédagogie utilisée et la philosophie d’enseignement expliquent aussi sûrement cela, mais le temps consacré au génocide des Arméniens, à celui des juifs et à celui des Tutsi au Rwanda leur ont permis de progresser dans leur construction intellectuelle et citoyenne. Ils ont aimé venir en classe faire de l’histoire; or, l’important n’est-il pas que les élèves aiment être en classe pour ce qu’ils y font et y apprennent ?

>> À lire aussi : Enseigner l’histoire, c’est combattre l’antisémitisme

L’école, quasiment absente des discussions de campagne, reviendra bien vite sur le devant de la scène car le chantier est là. Les bouleversements à venir devront être à la taille des enjeux. Autant dire que pour ceux qui arrivent maintenant aux responsabilités, rien ne sera simple…



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Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie, enseigne depuis 2000 en Seine-Saint-Denis.

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