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Mais si, c’est une crise démocratique!

Comment Emmanuel Macron peut-il prétendre qu'il n'y a pas de crise démocratique alors que le pays est pire qu'à l'arrêt dans ses tréfonds?


Mais si, c’est une crise démocratique!
Paris, 13 avril 2023 © Lewis Joly/AP/SIPA

Pour Emmanuel Macron, notre pays n’est pas bloqué. À l’étranger, la singularité de la France interroge, charme ou étonne. Le Conseil constitutionnel se prononce demain sur la réforme des retraites.


Faut-il que le président de la République en ait voulu à Laurent Berger pour avoir éprouvé le besoin, de Chine, de le contredire en affirmant qu’il n’y avait pas de crise démocratique en France ! Le secrétaire général de la CFDT avait souligné, suite à la rencontre avortée avec la Première ministre, « qu’après la crise sociale, il y avait une crise démocratique »… Quelle mouche a donc piqué Emmanuel Macron pour contester ce que la plupart des citoyens ressentent et qui est probablement à la source de ce malaise palpable et diffus à la fois, qui débilite les Français et leur fait perdre tout espoir en même temps qu’il rend notre nation incompréhensible pour les étrangers ? Comment le président peut-il seulement répondre, à cette évidence formulée par Laurent Berger, que notre pays « n’est pas bloqué » et tirer de cette matérialité à peu près exacte, même si la répétition des journées de manifestations a dérangé une pluralité d’activités essentielles, une sorte de contentement parce que la France, dans son esprit collectif et pour chacun, ne serait pas « en crise démocratique » ?

Propos déroutants d’un de Gaulle au tout petit pied

Ce propos aberrant, sur lequel on n’a pas assez insisté, est d’autant plus important qu’il me semble avoir précédé des séquences, notamment sur le plan international, qui, sans lui manquer de respect, ont fait apparaître des dérèglements tant dans ses analyses que dans son verbe. En particulier par sa complaisance, au pire moment, à l’égard de la Chine, concernant Taïwan et le rôle de l’Europe et des États-Unis. Il y a dans ce mimétisme pervers du de Gaulle au tout petit pied, ce qui est une contradiction dans les termes pour un authentique gaulliste.

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On peut admettre que la loi sur les retraites (on attend avec une vive impatience la décision du Conseil constitutionnel qui décevra sans doute tous les opposants à la réforme) participe évidemment – dans l’hostilité majoritaire qu’elle a suscitée, l’union sans faille et unique de l’intersyndicale et la perception populaire que ce n’était pas, sinon le bon projet équitable, en tout cas le bon moment – d’une crise sociale. Le report à 64 ans de l’âge de la retraite, la condition des classes d’âge, la pénibilité de certains métiers, le sort des femmes, s’ajoutant aux imprécisions, approximations et fluctuations gouvernementales, relèvent de thématiques d’égalité ou d’inégalité, d’espérance de vie, de pouvoir d’achat et de travail des seniors qui se rapportent au cœur des luttes syndicales. Mais une fois qu’on a énoncé la réalité de cette crise sociale, comment ne pas aller plus loin qu’elle, à partir d’éléments divers et signifiants, en évoquant une crise démocratique ?

Même si Laurent Berger, en affirmant l’existence de cette dernière, ne la faisait pas débuter avec la réélection légitime mais frustrante sur le plan républicain du président, avec les péripéties politiques qui ont suivi, la majorité relative qui a affaibli le pouvoir et l’étrange sentiment d’un Emmanuel Macron désorienté, déstabilisé, paraissant avoir perdu la main, on a le droit de ne pas la rapporter exclusivement à la problématique, au contentieux et aux fortes oppositions sur le projet de loi.

Comment qualifier autrement que de crise démocratique une vie parlementaire chahutée, éclatée, en discorde permanente, où LFI, par son comportement collectif et par contraste, donne un lustre formel au Rassemblement national, où les débats relèvent de la foire d’empoigne, où la rue donne parfois des exemples de tenue à l’Assemblée nationale, où des militants n’ont pas compris qu’ils étaient devenus députés, où LR se préfère dans un statut ambigu quoique inconfortable à celui d’opposant sans équivoque, où on dégaine des 49.3 à foison ?

Quand l’exceptionnel devient la règle

Comment nommer autrement cette période où les dérogations deviennent la règle, où les processus exceptionnels pour forcer le vote constituent l’ordinaire, où sans aucun scrupule la Première ministre, les ministres, arguant de la constitutionnalité des procédés, en détournent l’esprit et où un projet de loi jugé capital est traité avec une arrogance telle qu’il n’est qu’à prendre ou à laisser, où les oppositions non seulement se voient déniées dans le fond mais sont enjointes de s’opposer selon certaines modalités ?

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Comment définir autrement cette parenthèse où une intersyndicale n’est pas reçue puis, ayant démontré sa force, son union et son amplitude, n’est plus méprisée, avec un président prêt à l’accueillir sur le tard et avec une Première ministre faisant ce qu’elle peut pour « sauver les meubles », s’efforçant à de l’émancipation et désireuse de ne pas « humilier les syndicats » ? Comment user d’un autre terme que de crise démocratique quand la mise en œuvre finale d’un 49.3 a multiplié les manifestations, les résistances, parfois malheureusement violentes, à cause de la prise de conscience d’un déficit scandaleux sur le plan parlementaire ? Et du fait que le légal n’est pas toujours légitime quand il est tordu ?

Place de la Nation, Paris, 28 mars 2023 © J.E.E/SIPA

Invoquer le processus démocratique dans ces conditions agite plus un chiffon rouge qu’il n’apaise. La crise démocratique a en effet suivi la crise sociale et l’a étouffée en l’intégrant, tant la France est aujourd’hui dans un état où les citoyens doutent de ceux qui les dirigent, parfois les détestent, où on attend, on espère, on méprise, on éructe, où l’aspiration mortifère à la révolution revient, où la paix civile n’est même plus désirée, où le président n’est plus correctement accueilli nulle part, en France comme à l’étranger. Comment Emmanuel Macron peut-il prétendre qu’il n’y a pas de crise démocratique alors que le pays est pire qu’à l’arrêt dans ses tréfonds ?




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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