L’Occident et la nouvelle donne syrienne


L’Occident et la nouvelle donne syrienne

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Voilà trois mois que la guerre contre l’Etat islamique a commencé. Comme toutes les guerres qui commencent, nous ne savons pas quand elle finira. Une seule certitude, la victoire sera longue à obtenir. La barbarie djihadiste a fait l’unanimité contre elle dans la région, mais l’endoctrinement de ses combattants est tel qu’il sera très difficile d’y éradiquer complétement le djihadisme.

Après le tardif ralliement turc, une fois de plus à contretemps, Barack Obama a fini d’encercler l’Etat islamique. Le siège de Daech est en place mais le blocus connaît quelques trouées. De l’avis même de Joe Biden, toujours aussi spontané, la responsabilité de la Turquie et des pétromonarchies dans l’émergence de l’EI a compliqué la donne : « Notre plus gros problème était nos alliés dans la région, les Turcs sont de grands amis, ainsi que les Saoudiens et les résidents des Emirats arabe unis (EAU) et autres. Mais leur seul intérêt était de renverser le président syrien Bachar Al-Assad et pour cela ils ont mené une guerre par procuration entre les sunnites et les chiites et ils ont fourni des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes à tous ceux qui acceptent de lutter contre Al-Assad ». Ankara et Abou Dhabi ont moyennement apprécié.

Pour le vice-président des Etats-Unis, la lutte contre Assad a aveuglé les opposants au régime, jusqu’à soutenir l’insoutenable. Les amateurs de complotisme, selon lesquels le despote syrien se cacherait derrière les djihadistes, devront revoir leur argumentaire à l’aune de cette décoiffante déclaration à l’université de Harvard.

Pour autant, si l’offensive américaine marque le pas, les responsabilités ne sont pas uniquement à rechercher chez ses alliés, aussi peu fiables soient-ils. La stratégie aérienne du Pentagone montre ses limites. L’US Air Force appuie des peshmergas kurdes dont l’agenda militaire est strictement défensif. La destruction des centres logistiques et pétroliers oblige l’EI à se réorganiser mais guère plus. Les chiites cherchent à se défendre, mais à quoi bon libérer des sunnites qu’ils haïssent. Les Turcs sont immobiles et laissent les kurdes en première ligne. Seules les clans sunnites pourront reconquérir pied à pied le terrain perdu.

Mais il n’y aura pas de succès durable en Irak si la stratégie de la coalition n’évolue pas en Syrie, où se concentre désormais la majorité des combats. Laurent Fabius ne veut pas intervenir en Syrie parce que cela pourrait aider la dictature baathiste. Il est vrai que nos Rafales décollent de la démocratie émiratie…

Soyons sérieux, soit les Américains mettent des troupes au sol (ou au moins des hélicoptères) pour repousser définitivement les troupes d’Al-Baghdadi, soit ils laissent Bachar Al-Assad le faire à leur place. Ils ne pourront pas, et vaincre les djihadistes, et renverser Assad, sans risquer la peau des GI’s. C’est l’un ou l’autre, il faut choisir.  “La difficulté de gouverner ce n’est pas d’avoir à choisir entre une bonne  et une mauvaise solution, mais d’avoir à choisir entre deux mauvaises”, observait Richelieu. Le chaos libyen nous interpelle chaque jour; que fait-on le jour d’après? La population syrienne est fatiguée par la guerre et la révolution, elle aspire au retour et à la paix. Elle refuse de subir la théocratie islamiste. Aucune issue ne peut être écartée pour parvenir à cet objectif.

Si l’Amérique souhaite réellement l’emporter dans sa guerre contre l’EI, il faudra donc qu’elle cesse, avec la France, d’appuyer l’Armée syrienne libre qui n’existe que dans les salons des ambassades et les colonnes des journaux parisiens. Sur le terrain, l’opposition à Assad se résume à une kyrielle de milices djihadistes. Joe Biden a beau jeu d’accuser les turcs et les pays du Golfe, c’est dans des mains djihadistes que finissent les armes livrées à l’opposition dite modérée.

Après trois ans de conflit, il est temps de renouer un dialogue, aujourd’hui au point mort, avec le régime syrien. Dominique de Villepin peut agacer avec sa grandiloquence mais il est vrai qu’une solution purement militaire en Syrie ne suffira pas. Comme en Irak, il faut accompagner l’effort de guerre d’une solution politique pragmatique. Or, qu’on le veuille ou non, le parti laïc Baath est incontournable. En échange de la promesse d’un agenda démocratique à Damas, la réouverture des ambassades occidentales pourrait être un nouveau départ pour la Syrie. Il sera plus simple d’imaginer un avenir politique par la suite; la victoire contre Daech passera par Damas, c’est inévitable. Reste à convaincre ladite opposition en exil de renoncer au départ sans condition d’Assad, sous peine de traiter exclusivement avec l’opposition officielle.

Le chemin de Damas est long, gageons qu’un rayon de lumière finira par éclairer les diplomaties occidentales. Car il n’y aura pas d’avenir démocratique en Syrie sans réconciliation ou du moins sans oubli, de part et d’autre.

*Photo : Uncredited/AP/SIPA. AP21629245_000006.



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est responsable des questions internationales à la fondation du Pont neuf.

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