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Lettre d’un inquiet au président Hollande


Monsieur le président, cher François,

Ne craignez rien : si je m’adresse à vous en vous parant d’un titre auquel vous n’êtes encore qu’aspirant, je ne cherche pas à provoquer l’ire de dame Fortune qui n’aime pas être bousculée. D’abord, président, vous l’êtes déjà : le Conseil général de la Corrèze vous a choisi pour conduire les affaires de ce sympathique département. Le mauvais sort est donc prié de se tenir à carreau.

Au risque d’être, dans quelques semaines ou quelques mois, la risée de confrères aussi peu charitables avec moi que je le suis avec eux, j’affirme aujourd’hui que, pour vous, c’est plié. Vous gagnerez haut la main la primaire socialiste, et personne, même pas vous-même, ne sera en mesure de vous barrer le chemin de l’Elysée au mois de mai prochain.

Ma conviction ne doit pas grand chose à la consultation quotidienne des sondages, qui, au moins pour la primaire, relèvent de la basse charlatanerie. En plusieurs décennies d’observation attentive de la vie politique française, je me suis bricolé une station météo ad hoc, un peu à la manière des Inuits d’antan qui pouvaient prédire le temps avec une précision diabolique sans l’aide des satellites ni de modèles informatiques.

Quelques signes à peine perceptibles dans une conversation de voisinage, l’observation minutieuse des mouvements browniens du microcosme, l’analyse du métalangage des éditorialistes des journaux de province permettent de formuler sans trop de risques que la cause est entendue.

La primaire ? Elle s’est imposée comme une évidence dans un contexte social et politique où l’on pouvait craindre qu’elle fût rejetée comme une forme de coming out étranger à une tradition nationale où le secret de l’isoloir semblait aussi inviolable que celui de la confession. Même dans ma très droitière Haute-Savoie les gens de gauche non encartés n’éprouvent aucune gêne à aller se montrer en tant que tels dans les bourgs où tout le monde se connaît. Le seul vrai danger que court ce scrutin inédit, c’est d’être débordé par un afflux de votants que les organisateurs ne parviendraient pas à gérer.

De cette campagne, vous êtes sorti vainqueur, non pas par KO, mais largement aux points. Au cours des débats télévisés vous avez choisi de suivre le conseil d’Adrien Hébrard aux jeunes journalistes du Temps, l’ancêtre du Monde : « Faites emmerdant ! »[1. Cette formule est trop souvent attribuée à tort à Hubert Beuve-Méry, premier directeur du Monde]. La grisaille de vos costumes, l’aridité choisie du discours prononcé, le refus du lyrisme de sous-préfecture ont montré que vous aviez tout compris de l’exercice. Ce que l’on dit à la télé n’a aucune importance. Ce qui reste, c’est l’impression générale laissée sur le spectateur par le débatteur : sincère, pas sincère, sérieux, pas sérieux, sympa, pas sympa. Vous n’avez pas suscité une adhésion passionnelle à votre personne ou à votre projet, mais vous avez ancré dans le public la conviction qu’il n’était pas urgent de se lever pour faire barrage à François Hollande. Et c’est bien cela qui va être décisif au mois de mai : la passion sera anti-sarkozyste et la raison sera hollandaise. Vous ne serez pas le héros des « indignés », mais le bon choix des « modérés », au sens que Milan Kundera a donné à ce mot dans le contexte des révoltes d’Europe centrale et orientale de 1989.

Vous gagnerez cette primaire parce que vos concurrents ont la faveur de tous ceux qui peuvent vous faire perdre une élection nationale à coup sûr : les ex-trotskistes rassemblés en rangs serrés derrière Martine Aubry[2. A la notable exception de Julien Dray, qui est sorti du trotskisme par l’horlogerie], les sociologues mondains, les bobos de la mairie de Paris, les hesseliens, Mediapart et Laurent Fabius. Je reconnais toutefois que le ralliement tardif et opportuniste à votre personne de Jacques et Jack (Attali et Lang) n’est pas un cadeau, mais je fais confiance à votre habilité pour tenir en lisière ces personnages insupportables. Votre principale faiblesse, votre inexpérience gouvernementale perfidement ressassée par Martine Aubry, s’est même muée en un argument en votre faveur : on vous prête, à tort, une virginité vous exonérant d’avoir conduit le pays là où il en est aujourd’hui.

Vous serez président de la République, car vos adversaires de droite sont démoralisés. Quand un vieux grognard du gaullisme provincial comme Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, estime devant un petit comité de « pays » haut-savoyards que « ça sent le roussi », c’est qu’il y a le feu au chalet. Dans le peuple de droite qui m’entoure, certains ont pris très au sérieux le trait d’humour corrézien de Jacques Chirac annonçant qu’il allait voter pour vous…

Si vous tenez vraiment à perdre, il va falloir mouiller votre chemise ou commettre une strausskahnerie dont vous êtes bien incapable. Enfin, comme dirait Copé au lendemain de la déroute sénatoriale de la droite : c’est ma-thé-ma-tique ! A moins d’un miracle, aucun président sortant ne peut être réélu quand le chômage explose, les impôts augmentent et le pouvoir d’achat baisse. Cette règle ne souffre aucune exception, hormis en temps de guerre.

Ne croyez pas, cher François, que la perspective de vous voir conquérir la magistrature suprême me comble d’allégresse. Pour dire vrai, j’ai un peu peur. Peur de vous voir nommer Eva Joly garde des Sceaux, que vous rappeliez Hubert Védrine au Quai d’Orsay, ou Jean-Luc Mélenchon dans un grand ministère. Que vous oubliiez, une fois élu, tous ces modérés qui vous auront permis de franchir la barre fatidique des 50% au deuxième tour de l’élection présidentielle. Peur que vous ayiez peur de frapper du poing sur la table et vous conduisiez comme votre illustre prédécesseur corrézien Henri Queuille pour qui « tout problème devait trouver une solution si l’on évite de le poser ». Restez nucléaire comme vous l’êtes, soyez résolument OGM et nanotechnologies, évitez-nous le care ! Rassurez-moi, François.



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