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Le XV de France: seul consensus, lien ultime ?

En France, trop de repères se brouillent ou se brisent - sauf le rugby.


Le XV de France: seul consensus, lien ultime ?
Frane-Australie, le 05/11/22 / PHOTO: J.E.E/SIPA / 01093459_000025

Si le XV de France était le seul consensus d’un pays qui n’en connaît plus, le lien ultime d’une nation qui a perdu tous les autres, faudrait-il s’en étonner ?


Je me souviens – et je fais contrition – d’une période où je me désolais que la Marseillaise ne fût chantée que dans les stades et que les grands matchs de football et de rugby apparaissent comme les seules opportunités d’une communion nationale, d’une adhésion entière. 

J’avais tort puisque, sans paradoxe, aujourd’hui je ne vois pas d’autres occasions d’enthousiasme absolu, d’unité sans aigreur que l’extraordinaire emballement suscité par le XV de France qui a remporté sa onzième victoire d’affilée.

C’est sans doute navrant mais dans le climat actuel, dans l’ensemble des domaines susceptibles de rassembler une nation autour de son président de la République, de son gouvernement ou de ses oppositions, autour de ses services publics, autour de ses principes essentiels, autour des forces qui protègent la République, autour d’une quotidienneté à peu près acceptable, je ne perçois que rupture, dissentiment, clivage, affrontement, fureur, haine, absence d’écoute et de considération ; le délitement d’une France dont les repères se brouillent ou se brisent.

Plus rien qui rassemble sous l’égide d’un pouvoir irréprochable, en dépit des écumes partisanes.

Où pourrait-on aller chercher alors, citoyens de bonne foi, de quoi satisfaire un besoin d’union, le bonheur d’une entente durable, une fraternité qui ne soit pas illusoire, sinon dans ces moments magiques où un peuple de spectateurs et de téléspectateurs se sent dans les mêmes dispositions, investi par le même élan fier, admiratif et également partagé ?

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Est-il même nécessaire de tenter un inventaire pour rappeler tout ce qui ne va pas dans notre pays et donc nous sépare en mille clans irréductibles, nous laisse en état de saisissement et d’incompréhension face à l’évolution erratique d’une société, à des pratiques de transgression, voire d’ensauvagement, à la confrontation avec un présent si dur, entre un passé sans doute embelli et un futur qui s’annonce plus comme un risque de régression que tel un progrès assuré ?

Le président de la République, soutenu ou contesté sur le plan politique, en tout cas n’est plus une figure suffisamment respectable et respectée pour emporter une sorte d’estime de principe. Se mêlant de tout, il n’est plus un dénominateur commun.

Le gouvernement, à quelques exceptions près, est composé, malgré probablement l’énergie de tous, de ministres demeurés inconnus.

La vie parlementaire, dont on imaginait qu’elle pourrait être apaisée par une majorité relative imposant du pluralisme et moins de décrets d’autorité, s’est dégradée au contraire, pour ne pas évoquer un esprit partisan ayant tout mis cul par-dessus tête.

La délinquance et la criminalité s’accroissent, et on le perçoit comme une fatalité redoutable, indépendante des efforts politiques.

On tend des guet-apens à la police et quand elle est attaquée, elle est présumée coupable.

La Justice est en crise, comme d’habitude, et les peines qu’elle édicte sont mal exécutées.

De plus en plus, elle est concurrencée, voire niée par des citoyens qui, la jugeant inefficace, ou trop lente, ou trop indulgente, prennent leur destin de victimes ou de justiciables en main et privatisent ce qui devrait relever de la seule mission de l’Etat.

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Le droit de propriété laisse les squatteurs indifférents et ils occupent des lieux, persuadés de n’être pas délogés, dans le meilleur des cas, avant longtemps.

Les déboutés du droit d’asile restent sur le territoire, et les étrangers faisant l’objet d’une obligation de le quitter ne sont pas vraiment pressés d’obtempérer, c’est un euphémisme.

Les mineurs isolés – sans doute des majeurs mais ayant le droit de refuser qu’on le démontre – perpètrent ici ou là des infractions, préservés par une miséricorde de principe.

Une Fonction publique désertée par les vocations. Des services publics – justice encore, santé, éducation principalement – « défaillants » pour six Français sur dix.

Face à ces dysfonctionnements répétés, à cet appauvrissement de ce qui doit structurer le plus efficacement possible un pays pour servir les citoyens, le pouvoir use d’une méthode surprenante : il met en oeuvre des plans d’urgence pour répondre à des constats et à des maux connus de longue date (JDD).

Et comment oublier le rôle de la France sur le plan international, cette guerre de la Russie contre l’Ukraine qui a pris tragiquement un rythme de croisière et dont les conséquences vont peser de plus en plus lourdement sur notre pays ?

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Il serait facile de compléter cet inventaire. Où pourrait donc se trouver le moindre consensus, le plus petit lien dans cette France, dans ce monde de bruit et de fureur ?

Seule terrifiante éclaircie, la révolution iranienne : on a peur pour ces jeunes femmes, pour ce peuple, qui réduisent nos protestations parfois dérisoires de nation saturée de démocratie à des revendications d’enfants gâtés par rapport aux leurs si vitales, tellement existentielles!

Cette victoire du XV de France, dans la soirée du 5 novembre, durant deux heures, a mis un peu de baume sur un pays à vif, du lien dans une nation déchirée. De l’admiration alors que ceux qui devraient nous en inspirer, sur le plan politique et démocratique, nous laissent orphelins. De la fierté alors qu’on se plaît à ravaler l’orgueil national, pour complaire à la mode d’une repentance ne faisant du bien qu’aux pays qui en exigent toujours davantage.

Un temps suspendu où on rêvait que la France du rugby fût la France tout court.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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