Le premier homme était taoïste


Certaines rencontres déterminent à jamais votre destinée. Les professeurs de philosophie s’inscrivent dans cette lignée.
Psycho-sociologue, Serge Moscovici, à sa manière, rejoignait le clan des penseurs nomades. Joyeux de ses trouvailles, cueillies lors de ses lectures, il se promenait dans les allées voisines. Ses livres sans rien perdre de leur rigueur, relataient cette richesse itinérante.
Disciple de Koyré et Lagache, il se délectait avec Dostoïevski, Pascal, Singer, Novalis, Wittgenstein, Benjamin et autres mentors de la subjectivité . Populaire dans les années 70, il imposa avec Dumont, l’écologie comme éthique de survie. Avec Morin et Touraine, il inscrit les sciences humaines au rang du politique : les minorités actives l’inspiraient de par leur résistance .
Le phénomène de leader le préoccupa toute sa vie . Ces deux ouvrages L’âge des foules et La machine à faire des dieux témoignent amplement de sa recherche.

L’Amérique latine le gratifia d’une reconnaissance certaine. À New-York, la New school University , reconduisait ses invitations annuelles. Dans sa thèse de doctorat « La psychanalyse , son image et son public », il dénonça la vanité de cette discipline et ses faiblesses.
Les féministes se souviendront de ses analyses sur la lutte des sexes dans son ouvrage La société contre nature, de son engagement contre les discriminations et son affirmation d’un seul inceste vrai : celui de la mère.
Après 90, il se retira de la scène parisienne pour se recueillir sur son enfance et son identité de Juif, jamais déniée .Il en résulta un très beau livre d’auteur, Chronique des années égarées.
Par-delà le scientifique, on découvrit un homme pudique, malmené par l’exil, ami de Paul Celan et d’Isidore Isou. Dans cet ouvrage-clé, il résuma les péripéties d’un Juif Roumain. Arméniens et Tsiganes s’y reconnurent …
Apres cette autobiographie, chaque jour fut un étonnement, comme un sursis de vie après l’ultime écrit. Apprendre à mourir est une traversée érodante…
Je garde de lui l’image d’un taoïste faisant l’éloge de la lenteur. Paresseux contrarié, il écrivait des heures pleines, tel un ascète. Métèque indolent , il aimait s’allonger sur ses poufs, rue d’Aligre, au cœur d’un quartier méditerranéen, dressant un bilan pessimiste sur l’état des lieux de la France, piquée d’antisémitisme. Lucide , il savait déceler les racines du mal , mais l’a-t-on entendu de sa voix trop intime ?

Humain, soucieux d’enchantement, il trouvait refuge dans la poésie et la littérature .



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est psychanalyste

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