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Le désespoir est dans le pré


Le désespoir est dans le pré

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Le monde agricole n’en finit pas de mourir. Depuis trente ans, les publications des sociologues sont sans appel : le nombre des exploitations diminuent, les jeunes sont de moins en moins nombreux à reprendre le flambeau. Traditionnellement rurale, la France n’en finit plus de perdre ceux qui s’accrochent encore à leur terre. La perte du terroir apparaît inéluctable. C’est que faire vivre une exploitation est devenu un sacerdoce. Le récent rapport de l’Institut de Veille Sanitaire qui constate une surmortalité par suicide chez les agriculteurs ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà. Si un agriculteur se suicide tous les deux jours, le mal-être est d’abord économique mais pas seulement. Les éleveurs sont les plus touchés par le phénomène. Leur profession est tributaire des subventions européennes qui sont paradoxalement redistribuées aux céréaliers plus riches. L’agriculture n’est pas un secteur homogène, les grands exploitants de la Beauce ne sont pas les bergers du Vercors, ni les éleveurs de bovins des plateaux ardéchois.

Le 2 octobre dernier dans le Puy-de-Dôme, Hollande s’est présenté aux éleveurs plein de bonnes intentions. Il a promis un rééquilibrage dans la distribution des aides. « Confiance ! » n’a-t-il cessé de répéter. Pourtant, il s’est bien gardé de tracer des perspectives durables pour la filière en termes de débouchés et de maintien du revenu des agriculteurs face au grignotement incessant des marges des grands distributeurs. Même si la France est la première bénéficiaire des aides européennes, depuis 2007, l’Allemagne lui dame le pion dans plusieurs secteurs et la concurrence en tant que puissance agricole majeure en Europe. Ainsi, l’un des derniers secteurs économiques où la France prétendait jouer un rôle s’effondre lui aussi peu à peu. En effet, le double discours du partenaire économique privilégié est patent. Il s’agit de faire des produits de qualité. La France et ses exploitations de petites et de moyennes tailles excelle dans la qualité de ses produits du terroir. Pendant ce temps, l’Allemagne privilégie l’élevage industriel à grande échelle pouvant ainsi jouer sur des coûts moindres. Non seulement, le marché intérieur européen est ainsi inondé mais les produits meilleur marché volent la vedette à des produits français plus chers. Le discount tend à l’emporter.

Plus la paupérisation des populations augmente, plus il s’agit de jouer à la baisse sur tout. Comment les producteurs peuvent-ils faire face à la déréglementation européenne ? Comment peuvent-ils rivaliser avec des règles du marché du travail et une fiscalité qui varient d’un pays à l’autre ? Ils ne peuvent que sombrer.

On ne compte plus les faillites personnelles et les exploitations hypothéquées. Face à ces situations dramatiques, l’Etat a tout prévu. Invariablement, il s’agit de voiler son impuissance. Alors, il fait dans le simulacre. Pour preuve, pour lutter contre le suicide des agriculteurs, on a mis en place un numéro vert. La réponse est d’envergure face à la dévastation personnelle qui mène à la décision d’en finir. En outre, c’est méconnaître grandement la mentalité paysanne. Dans une société du spectacle où l’on vénère Nabilla et Yann Barthès, il est sûr que le fonctionnement du monde rural est devenu une étrangeté incompréhensible. On ne dit mot sur ses difficultés. On a honte. La dignité et la pudeur priment sur le fait d’aller pleurnicher chez une assistante sociale. Aller même chez un psy ne viendrait jamais à l’esprit. Il y a les traites du crédit des machines agricoles toujours plus coûteuses à rembourser. Comme dans les monastères où les journées sont rythmées entre tâches et prières, les journées à la ferme sont aussi cadencées par les tâches immuables à remplir aux mêmes heures. Pas de 35 heures pas de vacances, pas d’heures supplémentaires rémunérées. Qu’est-ce qui pousse encore les agriculteurs à continuer et parfois même à reprendre le flambeau ?

C’est la volonté de perpétuer ce que leur famille a mis tant de générations à édifier. C’est un désir de faire vivre et prospérer un patrimoine et de le transmettre ensuite. C’est un attachement viscéral à une terre, à une région, parce qu’ils sont de ceux qui savent qu’ils ne pourront être bien nulle part ailleurs. Aussi, malgré l’isolement, les trajets longs à faire entre deux villages, le célibat souvent et le vieillissement de la population, ne quittent-ils pas le navire pour les sirènes de la ville. Ce sont ceux qui sont restés après l’exode rural. Ce ne sont pas les néo-ruraux ou les soixante-huitards venus prendre l’air de la campagne, ce sont ceux les ruraux tout courts. Ce sont les laborieux qui s’endettent et qui coulent, ce sont les courageux qui mettent toute leur énergie à rendre pérenne ce qui l’est de moins en moins.

Pour avoir de la reconnaissance sociale ou vivre à son aise, on ne se lance pas dans l’agriculture. Dans ce domaine, les Français sont étrangement schizophrènes. En France, l’exode rural s’est effectué lentement. Ceux qui sont partis et qui sont devenus des urbains, ceux qui ont vendu leur terre et la ferme familiale, entretiennent la nostalgie de la campagne. Remplis de visions stéréotypées, ils ont oublié que la vie y est dure et austère. Dès lors, la France des pancartes qui vend des pêches, des abricots, des noix, du miel et d’autres produits au bord des routes, est regardée avec un mélange singulier de condescendance et d’empathie. Paradoxalement, la distance se mêle à l’intimité. Il y a un désir de retrouver la saveur des choses. En cette semaine du goût, que trouverons-nous dans nos assiettes dans quelques années si la production agricole française ne devient une cause nationale ?

Les agriculteurs n’ont pas l’habitude de manifester. Lorsqu’ils le font, c’est que la situation est tellement grave qu’ils se résignent à émettre des signaux de détresse que les flots de l’actualité ne laisseront qu’entrevoir au reste de leurs concitoyens. C’est aussi la filière agroalimentaire, pourvoyeuse importante d’emplois, qui sombre également avec le malaise persistant des exploitants. Et pourtant, ni voitures brûlées ni appels à l’émeute ne sont venus émailler la détresse des travailleurs de l’agroalimentaire et de l’abattoir GAD. Leurs modes d’action sont gentillets : une opération escargot et l’occupation du tarmac de l’aéroport de Brest. L’un d’entre eux aurait dû se percher en haut d’une grue. Aussi, comme ils ont la politesse de mourir en ne faisant pas trop de bruit, leur situation n’empêchera personne de dormir. Que feront Le Foll et Montebourg ? Continueront-ils à les payer de mots ? Les médias se détournent, déjà. Dans la solitude des campagnes, le glas précède la détonation qui brise à peine le silence.

*Photo : FAYOLLE PASCAL/SIPA. 00655811_000041.



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