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Le dernier été


Le dernier été

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Baignade surveillée de Guillaume Guéraud est un roman noir comme on les aime. Pour commencer, il est court. Je ne sais pas ce qui se passe depuis quelques années mais beaucoup trop de romans noirs français deviennent aussi obèses que leurs confrères américains, bouffis par une mauvaise graisse documentaire mal métabolisée qui veut se faire passer pour du réalisme. On ne courra pas, de toute évidence, ce risque avec les 125 pages de Baignade surveillée où Guéraud nous rappelle cette évidence oubliée aujourd’hui dans à peu près tous les domaines, cuisine, sexe, religion ou littérature: la quantité est très souvent l’ennemie de la qualité.

Le roman se passe l’espace de quelques jours, en été, sur les plages du Cap-Ferret où les marseillais Arnaud et Estelle, vont passer leurs vacances depuis toujours en compagnie de leur fils Auguste, âgé de neuf ans. Détail intéressant, ce roman nous rappelle que l’on n’est jamais content de l’endroit où l’on vit sinon on ne partirait pas en vacances. Alors que le Nord de la Loire passe son temps à rêver de la Grande Bleue sans marées, les sudistes ne jurent que par les embruns et les rouleaux de l’Océan. Arnaud, responsable syndical CGT chez les dockers de Marseille[1. Un vrai cauchemar pour éditorialiste libéral…], qui est le narrateur, exprime assez joliment ce soulagement paradoxal : « Direction les fracas de l’Atlantique –Marseille et le marigot méditerranéen dans le rétroviseur. »

Le problème, c’est que le couple formé par Arnaud et Estelle ne va pas très bien. Il est même sur le point de mourir. Rien n’a été dit explicitement, comme il est de mise entre les hommes et les femmes qui se connaissent depuis trop longtemps et n’ont plus besoin de parler pour comprendre que c’est terminé. En fait, c’est Estelle qui veut partir. Elle devait en avoir assez du Cap Ferret, ou de son mari cégétiste, ou d’une vie qui allait vers sa fin dans une ligne trop droite. On aura beau dire, elles finissent toute par bovaryser un peu, les femmes, et préférer comme Estelle des joueurs de guitares d’intérêt local qui parlent d’elle dans des chansons.

Le second problème, c’est le frère d’Arnaud. Le cadet qui aura passé sa jeunesse à faire des bêtises, à fréquenter les truands et à faire de la zonzon entre deux casses minables. En même temps, ce frère, Max, il a le côté attachant de ceux qui ratent, de ceux qu’on se sent obligés de protéger toute leur vie parce qu’on en a pris l’habitude depuis qu’on rajustait leur cache-nez sur le chemin de l’école.

Alors qu’il contemple la fin inéluctable de son couple entre barbecues, baignades et souvenirs doux-amers, Arnaud voit arriver Max. Max n’a pas prévenu, évidemment, il se contente d’être là avec « sa petite tortue située au niveau de la carotide ». Max, animé d’une joie factice, qui refait les farces idiotes et attendrissantes de l’enfance, qui joue avec Auguste, qui organise des faux tournois de sumo dans le camping, qui fait comme si de rien n’était. On parle pourtant d’un braquage sur le port de Dunkerque, particulièrement meurtrier, avec une grue qui a laissé s’écraser un fourgon de transports de fonds quelques dizaines de mètres plus bas. Arnaud voudrait bien se tromper sur son frère, Arnaud voudrait bien se tromper sur Estelle mais le propre des personnages de romans noirs, qui partagent cette caractéristique avec les héros de la tragédie classique, c’est qu’ils sont affligés d’une lucidité impitoyable.

On aimera beaucoup de choses dans Baignade surveillée que l’on pourrait assez vite taxer de minimalisme tant Guéraud mesure ses effets et refuse le spectaculaire. Notamment un vrai talent pour restituer avec une belle économie de moyens la manière dont les phrases les plus simples d’un dialogue peuvent toutes avoir un double sens pour les cœurs inquiets et malheureux, ou encore nous rendre palpable et émouvante la lumière d’un dernier été atlantique qui marquera la fin définitive de l’innocence.

Baignade surveillée, Guillaume Guéraud, éditions du Rouergue.



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