La sexualité pour les petits nuls


La sexualité pour les petits nuls

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Michel Sardou se posait déjà la question : comment fait-on l’amour ? – d’autant que la fille « [n’avait] pas quinze ans ». À l’époque baba, on baisait tôt mais on ne savait rien. Aujourd’hui, on baise tard mais on sait tout. Le Suisse Zep, l’auteur à succès de la bande dessinée « Titeuf », qui plante son décor dans les cours d’école, n’est pas pour rien dans la verbalisation juvénile des sentiments et des choses un peu crades mais néanmoins vitales qui les accompagnent. L’exposition « Zizi sexuel, enfin le retour ! » à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, à l’affiche jusqu’au 15 août 2015, est inspirée du « Guide du zizi sexuel » (éditions Glénat), dont l’Helvète prolifique est l’auteur. Elle participe de cette approche théorique du corps érotique. En deux langues ici, les notices explicatives étant rédigées en français et en anglais.

L’exposition, lors de sa première programmation, au même endroit, en 2007, avait attiré 340 000 visiteurs. Cette nouvelle édition se tient dans un climat sociétal sans doute plus tendu qu’il y a sept ans, le progressisme en termes de mœurs ayant favorisé la propagation de son double et contraire, le puritanisme, comme en atteste l’action récente menée contre le « Plug anal », Place Vendôme, quel que soit l’avis de chacun sur la pertinence de cette « provoc » qui aura tenu quelques jours. De fait, l’association conservatrice SOS Education s’élève contre « Zizi sexuel », hébergé qui plus est à la Villette, un cadre scientifique susceptible d’apporter caution et légitimité à une telle manifestation, s’insurge un représentant de l’association, Jean-Paul Mongin, interrogé par Europe 1. La pétition « Non au Zizi sexuel ! », fruit militant de cette indignation, a recueilli jusqu’ici environ 40 000 signatures.

Le pire service qu’on puisse rendre à l’exposition et à sa commissaire, Maud Gouy, serait de ne pas dire ce qu’on voit ou ce qu’on « ressent » face aux choses montrées et explicitées, de crainte de susciter l’opprobre. Oui, c’est assez cru et c’est évidemment voulu. La médiation est dans le « ludique », qui met l’objet à distance non de son usage concret mais de sa représentation réelle, potentiellement pornographique. Ici, le désir est freiné et même, d’une certaine manière, refréné. La fonction tue le fantasme. Autrement dit, les fantasmes de l’enfant et les éventuelles interrogations afférentes, sont censés trouver un sens et une réponse. Cette exposition, c’est la transposition d’un sex-shop associée à la pédagogie de « C’est pas sorcier », l’émission périscolaire diffusée le samedi matin sur France 3, avec « Jamy les bons tuyaux » en vedette.

On y va ? C’est parti. Des adultes – papa, maman, mamie, éducateur ou éducatrice – accompagnent les enfants dans leur parcours-découverte. Première étape : le baiser sur la bouche, sur le mode « t’es pas cap’ ». Filles et garçons sont invités à donner des bisous à des personnages animés, que sont soit Nadia, l’amoureuse de Titeuf, soit ce dernier, l’image de ces baisers étant reproduite sur écran, tel un dessin animé. En apparence, point de confusion des genres : les filles miment des baisers à Titeuf, les garçons, à Nadia. L’adulte présent aiguillera l’enfant emprunté vers le sexe opposé. Des moments de rigolade.

Après la technique, le sentiment, heureux ou blessé – il n’y pas d’âge pour se prendre un « râteau » : « Pourquoi l’amour c’est difficile ? » est-il écrit, d’une écriture d’enfant, sur l’un des panneaux du « parcours ». « Parce que, répond la notice, c’est plein de surprises et qu’il n’y a aucune loi en amour. Quelquefois, on peut arrêter d’être amoureux parce qu’on n’en a plus envie. C’est la vie. Et d’autres fois, on aime quelqu’un qui ne nous aime pas. C’est ce qu’on appelle un chagrin d’amour. On croit toujours qu’on ne s’en remettra jamais, mais un jour ça passe. Il n’y a qu’à laisser faire le temps. (…) » Sur une musique en rapport, une vidéo que les enfants regardent la tête tournée vers le ciel, le dos couché sur un lit de romance, fait défiler des extraits de films montrant des couples amoureux chastement enlacés, d’autres se séparant dans les cris et les larmes. On aperçoit Jean-Pierre Léaud (est-ce dans La maman et la putain  ?).

« Je préfère l’emmener ici plutôt qu’il n’aille sur Internet, dit une mère, musulmane, voilée, accompagnant son fils dans l’exposition. Il a neuf ans, il parle de toutes ces choses-là, pose des questions, je ne sais pas trop quoi répondre, ici c’est bien, ce n’est pas vulgaire. » Un père, au sujet de son fils, qu’il suit du regard : « C’est lui qui réclamait cette expo, explique-t-il. Il faut vivre avec son temps. Ça montre à mon fils qu’il n’y a pas que lui qui s’intéresse à ça. Du moment qu’il n’y a pas de gène. » Or gêne il y a, ainsi que le stipule le panneau suivant : « Tout le monde est gêné de se mettre nu devant quelqu’un. Ça s’appelle la pudeur. Et c’est plutôt bien d’avoir un peu de pudeur, comme ça on garde son intimité pour la personne qu’on aime, comme un cadeau. Mais la pudeur, c’est aussi avoir peur de parler d’amour et de sexe. Dire qu’on est amoureux, c’est un peu comme dire un secret très personnel. L’amour, c’est très intime. » Le synode romain ne dirait pas le contraire. Pour l’instant du moins.

L’exposition gagne en intensité à mesure qu’on progresse dans le parcours. En d’autres termes, ça devient sérieux. Voici les différents baisers, rendus par diverses sonorités obtenues en appuyant sur des boutons : le baveux, l’explosif, le contagieux, le métallique, le distrait, l’agressif… « Tu essaies tous les bisous ? Ho ho ! Dégueulasse ! » dit, amusé, un adulte à son enfant qui a pressé sur le bouton « baveux ». Mieux vaut, pour une telle visite, des parents pas trop « coincés », sinon le but éducatif risque d’être contraire à celui recherché.

Au stand « puberté », des garçons et des filles placent leur visage, à hauteur de tête, dans la cavité de deux sortes de moules ayant la grandeur d’un enfant et se faisant face, représentant, l’un une fille, l’autre, un garçon. Ce que l’enfant voit, il le voit comme dans un miroir, ce corps nu qu’il a devant lui étant un corps dessiné et animé, en train de « changer ». Des poils poussent sur le torse des garçons, leurs muscles apparaissent, le sexe s’allonge, mais c’est un sexe qui n’a pas l’air d’en être un, c’est une sorte de bouchon qui s’étend et tombe dans un effet comique. Les filles voient leur poitrine pointer comme des obus et leurs poils pubiens sortir comme de la barbe. On est, du moins se place-t-on dans le registre du drôle. Ce que ces enfants voient, c’est eux – ou bientôt eux – et à la fois ce n’est pas eux.

« C’est moi qui ai pris la décision de venir voir cette exposition », dit une mère observant « Lili », sa fille de 10 ans. « Lili, qui est timide, était un peu gênée par le passage sur le préservatif, mais c’est important qu’elle soit sensibilisée à ces questions, explique-t-elle. Bientôt elle aura ses règles. Il y a aussi cette mise en garde judicieuse contre la pédophilie. On n’a pas eu ça à leur âge, mais justement, si on l’avait eu, ça aurait pu répondre à des questions. »

Le reste – l’accouplement, la procréation, la naissance (pour peu que cet enchaînement soit désiré, sinon il existe la pilule et/ou le préservatif, prévient-on) – appartient aux enfants et à leurs parents, ou encore, ce jour-là, à ce groupe de jeunes adolescents atteints de déficience mentale emmené par un groupe d’éducateurs, la sexualité des handicapés n’étant pas une mince affaire sans que cela soit une montagne non plus. Au terme du parcours, les plus hardis s’affrontent au « quiz du zizi sexuel », qui évaluent les connaissances acquises. Et si l’on y tient vraiment, on peut en toute fin s’attarder à « la boutique de l’expo », qui propose toute une littérature jeunesse et adulte sur des questions de comportement et de psychologie. Alors on se dit que la civilisation a encore une fois tenu tête au « ça ».



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