La Déconstruction du gentleman

Le gentleman anglais serait tout… sauf un gentleman


La Déconstruction du gentleman
Winston Churchill arrive à la Maison Blanche, 29/06/1954. Charles Gorry/AP/SIPA

Adieu gentlemen et l’Angleterre à la barre ! Dans son dernier essai, Richard de Seze déboulonne l’élite britannique à coups de portraits au vitriol. Mais à force de juger l’histoire comme au tribunal, son essai interroge : s’agit-il d’une enquête historique ou d’un réquisitoire contre l’Angleterre elle-même ?


Si vous faites partie de ceux dont le cœur bat plus fort en entendant le « God Save the King » ou le « Flower of Scotland » lors d’un match de rugby ; si vous admirez Shakespeare, Austen, Dickens, Stevenson et autres génies littéraire, si vous raffolez de cette élégance toute en retenue, de ce flegme légendaire qui infuse dans les veines de la société comme les effluves d’un thé Earl Grey de chez Fortnum & Mason ; si vous admirez ces Britanniques qui ont gardé leur couronne quand nous, peuple de régicides, nous avons tranché la nôtre, si, enfin, vous avez des yeux de Chimène pour l’agent le plus séduisant des services secrets, James Bond, ou pour le charme désarmant de Hugh Grant dans Quatre mariages et un enterrement, alors préparez-vous à déchanter en lisant l’essai de Richard de Seze : De Vrais Gentlemen. Car, selon lui, vous avez été dupes d’une illusion, d’une fake news !

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Sous une plume sarcastique, très certainement trempée dans le fiel d’un vieux ressentiment contre la perfide Albion, celle qui fit brûler Jeanne d’Arc et battre l’Empereur à Waterloo, Richard de Seze entreprend de déconstruire le gentleman anglais. À travers une trentaine de portraits brossés au scalpel, il s’emploie à démythifier cette figure sacralisée et brandie comme l’incarnation héréditaire de l’élégance britannique. Endossant la toge de Platon, l’auteur descend dans la caverne pour nous arracher aux ombres : 007 et Hugh Grant n’auraient été que des illusions, et le gentleman anglais serait tout… sauf un gentleman.

Ainsi, Winston Churchill, le héros du Blitz et le vainqueur d’Hitler disparaît sous la plume de l’auteur, qui ne retient de lui que son obsession eugéniste et ses projets de stérilisation des « faibles d’esprit ». Arthur Harris, artisan de la résistance britannique face au nazisme, n’est plus que l’homme qui incendie Dresde et bombarde les villes normandes. Quant à Lord Kitchener, figure centrale de l’Empire britannique, il n’est convoqué que comme le pionnier des camps de concentration boers. La galerie se poursuit avec des figures moins connues mais pour le moins dérangeantes, tel Peter Bossey, chirurgien de prison accusé en 1847 à la Chambre des Communes de disséquer les cadavres de détenus encore tièdes et de jeter leurs organes à la mer.

Et Richard de Seze ne s’arrête pas aux hommes : il conjugue le gentleman au féminin en s’attardant sur deux figures. Marie Stopes, pionnière du contrôle des naissances, n’est plus sous sa plume qu’une fanatique de la « pureté raciale » comme si son délire eugéniste résumait toute une époque. Lady Di n’est pas mieux traitée : l’auteur recycle les potins des tabloïds, s’attarde sur ses amants, ses frasques, ses confidences aux paparazzis et va jusqu’à traiter la « princesse des cœurs » de… « catin ». Peu importe que Charles, qui n’a jamais cessé d’aimer Camilla, lui fût lui-même infidèle : dans ce règlement de comptes, l’infidélité devient un crime… mais seulement lorsqu’elle est féminine.

Quant à Élisabeth II, à la reine Victoria, incarnations mêmes du devoir et du courage, pas une ligne ne leur est consacrée. Ce n’est pas ce qui intéresse Richard de Séze. « J’ai musé dans l’histoire anglaise, piochant là un traître, ici un fou, là un assassin, ici un pervers, en mélangeant crapules fameuses et discrètes canailles. La matière est riche, le filon est inépuisable », confesse-t-il, soulignant avec gourmandise que tous ces personnages ont été décorés par la Couronne britannique, comme si leurs turpitudes constituaient un titre de noblesse. Mais derrière cette pique, son aveu est clair : l’objectif n’est pas de comprendre, mais de condamner.

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En ne retenant que la légende noire de ces figures britanniques, Richard de Seze réduit l’histoire à un dossier d’accusation : ce qui devrait relever de la complexité devient un procès. Par ailleurs, en arrachant ces personnages à leur contexte politique et à leur époque, il glisse vers l’anachronisme et juge le passé selon les normes morales du présent, à la manière de ces Torquemada « woke » aux cheveux bleu fluo qui déboulonnent les statues de Grands hommes au nom de l’idéologie du jour.

Devant cette démonstration aussi subjective, on ne peut qu’être sceptique. Car enfin, l’histoire britannique ne se réduit pas à ses monstres certifiés OBE (« Officer of the Order of the British Empire »). Elle compte aussi, entre autres, de grandes figures de droiture et de courage : on peut citer par exemple Thomas More, qui préféra l’échafaud au reniement de sa conscience ; William Wilberforce, le parlementaire qui consacra sa vie à l’abolition de l’esclavage ; les jeunes soldats britanniques qui débarquèrent sur les plages normandes, pour libérer l’Europe du joug nazi. Autant de contre-exemples que Richard de Seze écarte soigneusement, parce qu’ils introduiraient de la nuance là où il veut dresser un réquisitoire.

À la fin, on se surprend parfois à se demander si la véritable cible de son livre est vraiment la « gentlemanliness »… ou tout simplement les Anglais eux-mêmes !

Richard de Seze, De vrais gentlemen : À propos de quelques Anglais, Editions Salvator, 2025. 122pp, 16,00€.

De vrais gentlemen : À propos de quelques Anglais

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