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L’hiver des peuples arabes fera-t-il un printemps ?


L’hiver des peuples arabes fera-t-il un printemps ?

On a envie d’y croire. On aimerait « vibrer » avec le peuple tunisien libéré de son joug, se laisser éblouir, avec Laurent Joffrin par la « grande lumière (qui) vient soudain d’Orient », s’enthousiasmer pour la « révolution d’Egypte » – à laquelle on n’a pas eu le temps de trouver un nom ridicule, comme ce « jasmin » si odeur locale qui a tant énervé les Tunisiens -, participer à l’illusion lyrique et se contenter de récits iréniques dans lesquels des peuples non pas en armes mais en marche se sont débarrassé de leurs tyrans. On pense à ce Tunisien qui, sur nos écrans, déclarait, heureux : « C’est une révolution française ! ». Et on voudrait être aussi sûr que Joffrin qu’en Egypte, « le raz-de-marée de la liberté » ne sera pas à son tour noyé par d’autres déferlantes.[access capability= »lire_inedits »]

Il ne s’agit pas de jouer les goguenards ou les sceptiques. Les peuples savent désormais qu’ils peuvent faire reculer les pouvoirs parce qu’ils l’ont vu à la télé. Comment ne s’en réjouirait-on pas ?[1. Au passage, on apprend que malgré les efforts déployés par les régimes pour détourner la colère populaire vers l’ennemi historique, la « rue arabe » ne partage pas l’obsession israélo-palestinienne de Stéphane Hessel, et c’est une excellente nouvelle] Imaginer qu’à Damas et Alger – et peut-être Ryad et Sanaa – ceux qui, depuis des décennies, oppriment leurs populations, accaparent la richesse et maintiennent les citoyens dans l’ignorance passent de sales nuits, cela fait sacrément plaisir (même si ce n’est pas un plaisir très glorieux). Comment ne rêverait-on pas d’un monde arabe apaisé, modernisé, sécularisé où, conformément aux prévisions d’Emmanuel Todd, la baisse de la fécondité et les progrès de l’éducation accoucheraient de sociétés démocratiques ?

On s’en voudrait, donc, de casser l’ambiance de ce « lever de soleil » avec de « lugubres prophéties » – Joffrin, toujours. Ça tombe bien parce que je n’ai pas de prophétie en rayon. Alors que la partie est en cours en Tunisie et en Egypte et que peut-être, sans que nous le sachions, le feu couve ailleurs, l’heure n’est pas aux réponses mais aux questions.

Assistons-nous en direct à des révolutions comme l’a proclamé Olivier Besancenot qui avait provisoirement quitté les plateaux de Canal + pour prendre part à la lutte de ses camarades tunisiens et qui a désormais la conviction que « c’est possible » ? La vérité, c’est que nous n’en savons rien. Que s’est-il passé en coulisses dans les journées qui ont précédé la fuite de Ben Ali et de sa cupide épouse ? On apprendra dans les semaines, les mois ou les années qui viennent quelle a été la part des révolutions de Palais dans les évènements de Tunis et du Caire. Mais on peut difficilement croire que trente jours de manifestations auraient fait tomber une dictature si celle-ci n’avait pas été en bout de course, épuisée de l’intérieur.

Les peuples qui se battent pour leur liberté peuvent y renoncer librement

Sommes-nous coupables des turpitudes de ces régimes jusque-là « amis » ? Avons-nous, au contraire, joué un rôle dans leur chute ? Là encore, la prudence s’impose tant que les archives ne se sont pas ouvertes et les langues déliées. On peut cependant observer que depuis deux ou trois décennies « l’Occident » se contente de s’adapter aux réalités politiques. On pourra gloser à l’infini sur le retard à l’allumage des diplomates français incapables de voir ce qui se passait sous leur nez. L’eussent-ils vu que cela n’aurait pas changé grand-chose.

Reste une question, la plus antipathique de toutes celles qui viennent à l’esprit : est-ce que c’est bon pour nous ? Le premier réflexe, c’est de se dire que la liberté des peuples ne peut être porteuse que de bienfaits. Et puis on pense à la révolution iranienne accouchant d’une théocratie assez peu inspirée par la Déclaration des Droits de l’Homme. Et on se rappelle que les « masses » ne sont pas ontologiquement bonnes et que les peuples qui se battent pour leur liberté peuvent aussi y renoncer librement. Il est vrai que ces spéculations, pour passionnantes qu’elles puissent être, sont parfaitement inopérantes. On peut discuter à l’infini pour savoir si on préfère une dictature laïque ou une démocratie islamiste. À supposer qu’un tel choix existe ce n’est pas à nous de le faire. Cette histoire-là s’écrit largement sans nous et c’est très bien comme ça.[/access]

Février 2011 · N°32

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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