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Il a raison, Peillon !


Il a raison, Peillon !

Vincent Peillon

Europe 1, samedi, 13h. Mon ami Pierre-Louis Basse vient de rendre l’antenne. J’écoute d’une oreille distraite la belle Marie Drucker faire son tour hebdomadaire de l’actualité avec les grandes momies, pardon, Les Grandes Voix de la station. Lescure, Gildas, Villeneuve, Carreyrou vont, comme à leur habitude, aimablement donner leur point de vue, sensiblement identique bien entendu, sur les divers événements qui font la une. Tout cela forme un fond sonore somme toute pas trop prenant quand on prépare un steak au poivre flambé au cognac pour déglacer la sauce. Mais là, une violence soudaine dans leurs propos, habituellement plutôt ronronnants, redondants et rassurants, devient clairement perceptible.

Le champ lexical a soudain changé, le ton des voix aussi. On entend « lamentable », « minable », « indigne » et autres termes d’une sévérité bien inhabituelle chez ces courtois amateurs de cigares, de rock et d’émissions choc sur les unités d’élite de la police nationale.

Qui est donc la cible d’un tel courroux ? Carlos Ghosn, le patron de Renault qui veut faire construire les Clio en Turquie et se fait taper les doigts par Sarkozy ? Les traders français qui vont toucher des bonus d’un milliard d’euros ? Un scandale éventuel dans l’approvisionnement des secours vers Haïti ?

Eh bien non, figurez-vous que l’homme ainsi voué aux gémonies est Vincent Peillon, ce Vincent Peillon qui a fait faux bond au dernier moment au débat sur l’identité nationale organisé par Arlette Chabot en se contentant, l’insolent, d’un communiqué dans lequel il indique que cette décision était parfaitement préméditée.

Une petite précision avant d’aller plus loin : je n’ai aucune, mais alors vraiment aucune sympathie pour Vincent Peillon. Archétype de la dérive sociale libérale du PS, dragueur incessant des eaux tièdes du Modem, lâcheur de Ségolène Royal avec un sens de l’opportunisme et de l’inélégance assez remarquable, Peillon, spécialiste de Jaurès qui a eu de bons maîtres, notamment en la personne du grand philosophe Jean-Pierre Vernant, ce Peillon donc fait partie de ces politiques qui ont un problème avec le suffrage universel et qui n’arrivent à trouver un siège que sur des scrutins de liste. Il s’est fait battre, notamment, dans sa circonscription de la Somme. Il faut lire le livre de François Ruffin sur La Guerre de Classes pour voir avec quelle désinvolture il traita ses électeurs du Vimeu, mettant ses raclées électorales sur le compte de ces « gros cons de chasseurs », oubliant au passage que cette circonscription recouvrait en partie le « Vimeu rouge » ancien bassin industriel de la serrurerie avec un électorat populaire qui n’aurait demandé qu’à être convaincu. Et quand bien même, les chasseurs ont bon dos puisque le camarade Gremetz, lui, dans une circonscription voisine où même les bébés ont des calibres 12, est régulièrement réélu. Enfin, il faut dire que Gremetz est de gauche, et parfois ça aide…

Mais revenons à notre Peillon. Il a fait un coup médiatique, c’est certain. Mais finalement, c’est de bonne guerre et demander dans la foulée la démission d’Arlette Chabot me semble plutôt une excellente idée. Ne serait-ce que voir la tête de la journaliste de garde annoncer que Peillon ne viendrait pas jouer les utilités en seconde partie d’émission et dans la foulée entendre Nathalie Saint-Cricq, rédactrice en chef, traiter un élu du peuple de voyou suffit à faire tout d’un coup de Peillon non pas un héros du peuple mais un garçon intéressant, comme tous ceux qui font preuve, même épisodiquement, de lucidité et de courage. Malin jusqu’au bout, il n’a guère mis que Martine Aubry dans la confidence de cette défection de dernière minute : il connaît assez la nature wharolienne des hommes politiques et si Chabot avait eu le temps de se retourner, elle n’aurait eu aucun mal à trouver un cinquième couteau pour jouer les idiots utiles.

Parce que tout de même, il a raison, Peillon : que les responsables de la plus grande émission politique du service public ne trouvent rien de plus urgent, en ce début d’année 2010, à deux mois des régionales, que de discuter de l’identité nationale, c’est-à-dire de l’immigration, c’est-à-dire de l’islam, revient vraiment servir la soupe à un pouvoir qui veut que l’on évite de parler de la situation sociale et espère de manière assez attristante prévenir une très probable raclée électorale qui va transformer le mid-term sarkozyste en un cauchemar dans les urnes.

De surcroît, c’était finalement assez juste politiquement, de la part de Peillon de laisser sur un tel sujet la droite et l’extrême droite, Besson et Marine, en tête à tête. Peillon a fait ce que la gauche aurait dû faire le soir des présidentielles de 2002. Un duel Chirac/Le Pen ne concernait plus les électeurs de gauche, pourtant majoritaires au premier tour, et le vote blanc aurait été la seule attitude digne dans la défaite, davantage en tout cas que l’antifascisme en peau de lapin les jours qui suivirent.

L’identité nationale, dans les termes où le débat est posé en ce moment, c’est la même chose. Ne pas y participer était la seule chose à faire.

E basta cosi ! Faire croire que ce problème intéresse prioritairement les Français alors qu’un sondage récent donne 55% d’entre eux en faveur du vote des étrangers non européens aux élections municipales devrait nous interroger. Il montre bien en tout cas le décalage entre le pays légal médiatico-politique composé de pompiers pyromanes qui jouent la paranoïa identitaire et le pays réel, qui lui souffre bien davantage des délocalisations, du chômage, de la précarité qu’il n’a peur du minaret de l’imam dans la burqa de ma sœur.

Février 2010 · N° 20

Article extrait du Magazine Causeur



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