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Tombeau pour Hervé Prudon, maître du néo-polar


Tombeau pour Hervé Prudon, maître du néo-polar
Photo: Pixabay.

Les habitants de Sainte-Mouise-sur-Dèche, la commune de banlieue qui se trouve quelque part sur la Banquise n’avaient pas besoin de ça : leur créateur, Hervé Prudon, vient de disparaître le 15 octobre 2017 à l’âge de 66 ans. Pour tous les lecteurs qui ont fait leurs premières armes en lisant les auteurs de ce qu’il est convenu d’appeler le néo-polar, c’est une des voix les plus précieuses qui s’est tue.

La grisaille du décor contraste avec le style

Hervé Prudon avait du style. Le style, c’est ce supplément d’âme qui fait que Prudon appartient à ce nombre très restreint d’écrivains du roman noir que l’on lit mais aussi et surtout que l’on relit. De Mardi gris en 1978 à La langue chienne trente ans plus tard, les romans de Prudon témoignent aussi bien de l’état réel de la France contemporaine que d’une attention assez rare aux personnages abîmés, souffreteux, borderline qui suivent un destin tout tracé dans des limbes périphériques, quand la grisaille du décor contraste avec une langue qui savait tour à tour surjouer la banalité, le vide, le néant ordinaire comme chez Beckett ou la somptuosité lyrique et noire comme chez Céline. Sans doute est-ce pour cela, par exemple, qu’il a su discerner en direct la sale affaire qui se jouait dans les années 80, ce règne du tout-pognon allié à une détestation sans faille des plus pauvres. On parle trente ans après de cette décennie où se sont mêlés cauchemars politique, esthétique et moral comme d’une évidence historique. Rétrospectivement il n’y a pourtant guère qu’Hervé Prudon, Jean Vautrin et Frédéric Fajardie pour en avoir enregistré avec cette acuité les secousses et nous prévenus que les répliques seraient terribles.

S’oublier définitivement

Comme tous les grands, Prudon avait une formule secrète pour élever ses histoires de freaks sans avenir au rang de mythologie. Ouvrons, au hasard ou presque, La revanche de la colline (1996) où la Grèce et la Rome antiques s’invitent dans une ville qui n’existe pas vraiment, en l’occurrence Saint-Quentin-en-Yvelines : « Alors Nadège versa machinalement du sel sur la grosse tâche de vin sans savoir que les ruines de Carthage détruite furent recouvertes de sel par les soldats romains. ».

Vouloir faire disparaître une tache, voire disparaître soi-même, s’oublier définitivement, c’est le seul désir des personnages de Prudon. Evidemment, ce privilège ne leur est jamais accordé, ce serait trop facile. Comme pour Tintin, le narrateur antihéros du dernier roman de Prudon, et sans doute le plus accompli, La langue chienne. Tintin, poète décavé de la classe moyenne, égaré dans une zone pavillonnaire pour minima sociaux du côté de Calais, marié à Gina et martyrisé par l’amant installé à domicile, n’est pas à sa place mais il n’a nulle part où aller. Alors, comme tous les hommes précaires qui hantent les pages de Prudon, ce qu’il fait de mieux, c’est regarder les paysages en contemplatif sans illusion, en mystique paumé jamais touché par la Grâce : « Cette côte d’Opale – eau pâle tu parles ! – sent la moule noire et le mazout. C’est une mer massive, la Manche, une mer d’en face, d’un autre camp, d’une autre rive, une mer casquée.» 

Une compagnie entêtante

Tintin finira mal, évidemment. Ses jeux de mots n’empêcheront pas le fait divers sordide qui le guette. Son seul espoir est de raconter tout cela le mieux possible et de la façon la plus belle possible. Son seul espoir et, sans doute, sa seule chance de rédemption pour une faute même pas commise.

C’est ce défi paradoxal, constamment relevé dans toute son œuvre, qui fait de Prudon une compagnie entêtante, inoubliable, nécessaire. Nous qui n’avons pas pu le rencontrer, notre consolation est d’avoir réédité La langue chienne, au début de cette année,  à la Table Ronde pour que ce grand roman connaisse une seconde vie et prenne la place qui lui revient, quelque part entre Mort à crédit de Céline, Septentrion de Calaferte ou L’apprenti de Raymond Guérin.

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La langue chienne

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