Pierre Bénard décortique les expressions du capitaine Haddock, de ses insultes les plus connues à ses invectives les plus soutenues.

Après le Milou, humain, trop humain, de Renaud Nattiez, voici Haddock, humain, tout simplement. Il fallait bien ces deux-là auprès d’un Tintin trop parfait. C’est un livre à siroter comme un whisky que les éditions Mille Sabords viennent de sortir, Haddock a dit, sous la plume du tintinophile averti, amoureux du barbu au grand cœur, qu’est Pierre Bénard. Le Capitaine le valait bien. Haut en couleurs, colérique et anxieux, complexe et vivant, Haddock, c’est un des grands héros de la littérature. En trente chapitres aux titres expressifs, l’auteur fait une étude du personnage d’Hergé « en le captant dans ses répliques, en le prenant au mot ».
Un grand enfant
Haddock, grande gueule, c’est d’abord une voix. De la terre à la lune, de la mer à Moulinsart, enfermé dans une capsule ou crapahutant dans un désert, tel il apparaît, le Capitaine, avec sa barbe, sa pipe et sa casquette (qu’il n’a pas toujours eues) : colérique, avec ses tempêtes et ses bonaces, ses insultes, sa verve, son grand cœur. Mais aussi amoureux du silence, de la liberté, poète à ses heures, « un grand enfant » dit de lui Bianca (Castafiore). Avec le séraphique Tintin, son « fiston, son moussaillon, son galopin », « entré dans sa vie, comme Vendredi dans la vie de Robinson », à qui le Capitaine doit sa rédemption en le faisant passer de l’ivrognerie à l’alcoolisme mondain de Moulinsart, Haddock forme, un couple pour l’éternité. « Ce bon, cet excellent Haddock » dit de lui Pierre Bénard.
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Ce personnage vivant, complexe et attachant n’a pas toujours été Haddock (allez voir au début, c’est diablement intéressant). Ivrogne invétéré, doté d’une ascendance familiale qui remonte au XVIIe, il a une vieille maman et hérite d’un château. Il naît à la postérité grâce à Tintin, et échappera, in extremis, à son prénom d’Archibald. C’est que, comme le titre un chapitre, les arcanes de son histoire sont « très simples et très compliquées. » Ne peut-on pas déceler chez lui une tendance à la bipolarité dans Objectif Lune ?
Haddock, une richesse verbale
Oralité et littérature ont des liens étroits depuis toujours. Pierre Bénard donne à ce personnage foncièrement bon la dimension littéraire qu’il mérite. Pas seulement parce qu’il a des souvenirs de Lamartine. La richesse verbale de Haddock est insondable. Tout comme l’est sa filiation littéraire. « En écoutant Haddock, dit l’auteur, à la fin, c’est fou le nombre de silhouettes qui s’élevaient dans ma mémoire… Ajax, frère Jean des Entommeures, mais aussi Picrochole, Matamore, Caliban, Falstaff, Arnolphe et Alceste de Molière, le Flambeau de Rostand. » Un chapitre intitulé « Mes étriers, mille sabords ! » raconte, à la manière de Montaigne, en quatre images animées, l’aventure équestre, épique, arrivée au capitaine. Un délice.

Les épisodes sont incarnés, on peut les dater, les actualiser, les transposer, les rendre atemporels, les vulgariser, les censurer. Paris Flash existe. L’histoire de Haddock commence quand il est commandant en même temps que la Grande Histoire prend un tour dramatique. Le monde, ses centres névralgiques, est évoqué sans filtre : le Congo, la Mitteleuropa, avec la Syldavie, le Tibet, l’Empire du Milieu – le seul nom de Tchang suffit. Et puis la lune et la conquête de l’espace. On sait les accusations en colonialisme, en racisme, en machisme, en anticommunisme primaire (forcément primaire) que subissent les tintinophiles. On connaît les tribulations éditoriales de Tintin au Congo. Hergé est génial de conservatisme élégant et bourgeois, d’intelligence, d’humour !
Le génie de l’invective
Pierre Bénard, et son illustrateur, Xavier Broxolle, est l’auteur de plusieurs autres livres sur Tintin dont Bianca Castiafore, celle qui rit de se voir si belle avec laquelle le Capitaine a des liens si forts de détestation et d’attirance. N’est-ce pas par un miroir que commença la psychothérapie de Haddock par Tintin qui lui fit ainsi mesurer sa déchéance, du genre : tu t’es vu quand tu bois ? Alors, Haddock sur le divan d’un psychothérapeute ? La barbe et le miroir sont des classiques du genre psychanalytique.
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Connaisseur accompli de notre langue maltraitée, Pierre Bénard est aussi un poète qui a l’art des paysages envoûtants. Allez, une insulte, pour terminer ! Non pas cloportes et négriers ! Ni mitrailleur à bavette ! Mais de la pure gratuité poétique ! À une dame d’âge se croyant insultée par lui, ce bon Haddock a cette délicieuse réponse : « Mais je ne vous insulte pas, espèce de catachrèse ! » Et l’auteur d’écrire : « Une catachrèse comme chacun sait est une figure de rhétorique, et peu importe, au fond, laquelle ». C’est ce qu’on appelle le génie de l’invective.
Haddock a dit, c’est un bain de jouvence et d’intelligence pour les zygomars et les anacoluthes que nous sommes tous, espérons-le.
160 pages
L'Intégrale des jurons du Capitaine Haddock: Le Haddock illustré
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