Grande-Bretagne : Russia Today bientôt off?


Grande-Bretagne : Russia Today bientôt off?

russia today praviy sektor Quelle différence y-a-t-il entre de la « propagande » et la « couverture médiatique » d’un événement ? Entre un communiqué de presse et un JT ? Cette question est au cœur d’un conflit opposant, sur fond de tensions croissantes avec Moscou,  l’autorité régulatrice des télécommunications du Royaume-Uni, l’Ofcom (Office of communication) et la chaîne Russia Today (RT), une chaîne d’information continue en anglais qui appartient à l’agence gouvernementale russe RIA Novosti.

Le 10 novembre, l’Ofcom  a adressé à Russia Today un quatrième et dernier avertissement, menaçant de lui retirer sa licence si elle ne tenait pas compte de ses remarques. Selon l’organisme de contrôle, RT « présente des informations et traite l’actualité d’un point de vue russe, alors qu’elle devrait le faire de manière plus équilibrée ». En question, les reportages qui ont couverts les événements en Ukraine, et en particulier, certains extraits des émissions des 1er , 3 , 5 et 6 mars 2014. C’était le moment où, après l’échec de l’accord de Kiev du 21 février et la fin des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, les forces russo-séparatistes se sont emparées de la Crimée.

L’organisme de régulation des médias s’est saisi de l’affaire à la suite d’une plainte déposée par trois demandeurs – dont l’identité est gardée secrète pour des raisons de sécurité –qui dénonçaient une couverture médiatique « impartiale » des événements en Ukraine par la chaîne russe. Les plaignants faisaient tout particulièrement référence aux critiques émises par la chaîne à l’encontre du gouvernement provisoire ukrainien, accusé d’être sous influence de l’extrême droite.

Après avoir mené son enquête, l’Ofcom a jugé la plainte fondée. Le régulateur britannique reconnait qu’il n’existe pas une « obligation de fournir un point de vue alternatif sur toutes les informations, ni dans tous les programmes télévisés ». Il admet également qu’il est légitime que des informations soient présentées du point de vue d’un Etat, en l’occurrebce, la Russie.  Néanmoins, toutes les infos doivent être présentées avec ce que l’Ofcom qualifie de « due impartiality », c’est-à-dire avec une « impartialité appropriée au sujet et à la nature du programme ». Fidèles à eux-mêmes, les Anglais exigent finalement un certain« fair play » dans la présentation des informations.  Les Russes peuvent raconter ce qu’ils veulent chez eux, à partir de leurs studios moscovites, mais s’ils souhaitent émettre de Londres, il faut jouer le jeu.

Aujourd’hui, une épée de Damoclès pend au-dessus de la rédaction de Russia Today. Mais celle-ci n’est pas prête à rendre les armes sans combattre. Car l’Ofcom a ouvert d’autres horizons à la chaîne moscovite. Elle lui a offert le cadeau rêvé pour tout journaliste ou artiste contemporain : être censuré, bâillonné, interdit de parole.

Margarita Simonian, rédactrice en chef de Russia Today, n’a pas raté le coche. Elle donne, sur son blog, le ton de la contre-attaque : « À peine avons-nous lancé notre chaîne au Royaume-Uni qu’on nous a menacés de nous priver de licence sous de fausses accusations. C’est la démocratie à l’état pur ». Depuis, la rédaction de Russia Today a signalé de nombreux cas de « couverture partiale » des événements d’Ukraine par la BBC et en a informé Ofcom. En effet, le service international de la BBC (BBC World service) est public, financé par l’Etat britannique et dispose de son propre réseau de distribution. Il est donc soumis à ses propres règlements. La chaine russe – comme toute autre chaîne commerciale au RU -, a l’inverse, doit se soumettre au régime de l’Ofcom pour pouvoir émettre à partir de l’Angleterre. Pour Russia Today et sa maison mère Ria Novosti, ce traitement de faveur est injuste.

La guerre de communication n’en est pas à sa première bataille. En octobre, une campagne d’affichage publicitaire de la chaine Russia Today a été interdite à Londres par les responsables des sociétés d’affichage de la ville. Et cette fois-ci déjà, était en cause le « message politique » des annonces. Les affiches placardées dans les rues londoniennes présentaient un portrait de George W. Bush ou de Tony Blair s’écriant : « Les armes de destruction massive seront prêtes dans 45 minutes », et un slogan: « Guerre d’Irak : 141 802 victimes civiles. Voilà ce qui arrive quand il n’y a pas d’opinion alternative. »

Face à la censure, la réplique russe ne s’est pas fait attendre. Les Londoniens peuvent désormais tomber sur des affiches dépourvues de tout portrait, portant  la mention : « [redacted] », « contenu modifié ». Et, en bas, un lien les invite à connaître «  ce qu’on ne peut pas vous montrer ici ».

Alors, oui, on peut s’indigner du cynisme des Russes – loin de donner l’exemple de la liberté de la presse dans leur propre pays – ou  déplorer le retour de la guerre froide et ses échanges d’arguments désespérants –en URSS, on disait les citoyens « libérés du besoin » tandis qu’aux Etats-Unis, on laissait les gens libres de consommer, de s’endetter, de se faire licencier et de devenir SDF… – mais la question soulevée par Russia Today reste pertinente : les chaînes occidentales sont-elles vraiment plus impartiales que leurs concurrentes slaves ?

*Photo: Russia Today



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est journaliste à Causeur

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