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H le maudit

"Stephen Hecquet, vie et trépas d’un maudit" (Séguier, 2022)


H le maudit
D.R.

Avocat tonitruant, romancier proche des hussards et homosexuel fasciné par le fascisme, Stephen Hecquet ne pouvait trouver sa place dans la France des années 1950. Frédéric Casotti ressuscite cet électron libre.


Il est des personnages, obscurément cultes, qui incarnent une époque mieux que pas mal de premiers couteaux. Ainsi Alain Pacadis, emblème de la fin du punk parisien et du début des années 1980. En lisant le livre de Frédéric Casotti, qui ressuscite la figure sulfureuse et tragique de l’avocat Stephen Hecquet, on se dit que ce dernier aurait pu être un symbole de l’immédiate après-guerre : temps troublés où l’on blanchissait les mauvaises réputations. Ami de Nimier, avocat et écrivain, chroniqueur prolifique, plaideur enragé, ascète ombrageux, marginal, misogyne revendiqué, homosexuel fasciné par l’esthétique fasciste de la Révolution nationale, provocateur : tel était Stephen Hecquet, né en 1919 à Valenciennes. Vie et trépas d’un maudit sonde les plis et replis d’une personnalité contrariée, qui a vécu dans l’urgence, consciente que son passage sur Terre serait court (il se savait condamné par une malformation cardiaque).

Auteur de dix romans, Stephen Hecquet est un hussard oublié. Faut-il le rappeler ? À l’ombre des quatre chênes (Déon, Blondin, Laurent et Nimier) ne poussaient pas que des glands. Pourtant Casotti n’en fait pas un martyr : en s’intéressant davantage à l’avocat qu’au romancier, il suggère que le premier valait mieux que le second. Hecquet le dit lui-même, à un auteur en vogue dont il venait de démolir le bouquin, lors d’un cocktail : « J’écris des romans et ils sont également très mauvais ; alors quand je vous dis que le vôtre l’est, vous pouvez me croire. »

L’avocat, lui, est hors-norme. Il décortique les dossiers « comme on dévore le moindre recoin de chair d’un tourteau », plaide en virtuose. De Nimier il a le culte de l’amitié et la détestation des belles consciences, mais la comparaison s’arrête là. Hecquet n’a pas le goût des voitures de sport ni la séduction compulsive. Il travaille sans arrêt, vit en trappiste. Vingt ans avant Vergès, il dessine les contours d’une défense de rupture et envisage l’audience comme une guerre totale. Il défend tout le monde, pauvres et riches, avec un faible pour les pestiférés : dans sa salle d’attente, d’anciens miliciens coudoient des nationalistes tunisiens. Homme de droite, il fait la tournée des bars gay avec Jean Genet. Tout l’homme est dans un épisode qui ouvre le livre de Casotti : avocat d’un truand condamné à mort, Hecquet sauve sa tête en claquant la porte de Vincent Auriol, président de la République, qu’il devine hostile à son recours en grâce. Impressionné par ce coup de sang, Auriol se replonge dans le dossier et accorde la grâce. Hecquet se change alors en chaperon littéraire et encourage son client à écrire, le présente à Gallimard. José Giovanni deviendra un auteur à succès, publié dans la Série noire.

Dans son livre court et nerveux, Frédéric Casotti exhume le monde judiciaire d’avant. Celui d’avant les cabinets anglo-saxons, les départements de white-collar crime. Un palais où l’on travaille à l’ancienne, que Kessel a décrit dans son Tour du malheur. Un monde immuable –celui des bâtonniers gras comme des bourgeois de Daumier – pris dans le vortex de l’Histoire. Hecquet y joue les électrons libres. Il n’a pas l’habileté mondaine, ni la suavité des ténors qui font la une de la presse judiciaire : il le paiera au prix fort.

Lui-même avocat, l’auteur ne cache pas sa tendresse pour ce « baveux » étincelant. Pour autant le livre n’est pas une hagiographie et ne cache rien des aveuglements du personnage : Hecquet fut un participant enthousiaste des chantiers de jeunesse du maréchal Pétain. Était-il antisémite ? Il n’y a pas un mot sur le sort des juifs dans ses mémoires. Son vichysme est trouble, fait des fausses croyances de l’Occupation, notamment celle selon laquelle le Maréchal aurait berné les Allemands. À lire Casotti, le pétainisme de Hecquet se nourrit de fascination homoérotique. C’était la thèse que développait l’historienne Alice Kaplan à propos de Brasillach, « dont les écrits témoignent d’une attirance érotique pour les rituels fascistes » (Intelligence avec l’ennemi, 2001).

Stephen Hecquet meurt en 1960, à 40 ans, dans sa chambre d’enfant.

Frédéric Casotti, Stephen Hecquet, vie et trépas d’un maudit, Séguier, 2022.

Stephen Hecquet, vie et trépas d'un maudit

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Mars 2022 - Causeur #99

Article extrait du Magazine Causeur




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