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Il faut des contradicteurs: c’est dans l’intérêt médiatique…

Le billet médias de Philippe Bilger


Il faut des contradicteurs: c’est dans l’intérêt médiatique…
Le journaliste Thomas Snégaroff, ici photographié en 2024, anime actuellement l'émission C politique sur France 5 © Laurent VU/SIPA

À l’occasion de l’hommage à Charlie Kirk rendu en Amérique, très commenté chez nous, notre chroniqueur a regretté que le service public confonde pluralisme avec entre-soi, et débats avec récital d’indignations convenues.


La liberté d’expression de chacun est une source de pensées et de propos qu’on peut approuver, partiellement ou totalement, ou contester. Il ne me viendrait pas à l’idée de discuter ce droit fondamental. Au contraire, c’est parce que j’use de cette liberté dans sa plénitude, notamment sur les plateaux médiatiques, que je reconnais évidemment à quiconque la même faculté. On ne peut se plaindre, dès lors que la courtoisie de la forme est respectée, de voir l’autre s’engager sur des chemins que vous pratiquez vous-même. Ce n’est jamais la liberté qui pose un problème mais son abus ou parfois, quand elle prend un tour infiniment discutable, le fait qu’on ne lui oppose aucune contradiction. Rien de pire, à la télévision, que ces plateaux homogènes qui se félicitent d’être totalement accordés.

La haine

Comment ne pas songer à cette dérive quand, dans l’émission C Politique, animée par Thomas Snégaroff sur France 5[1], on a eu droit à une soirée peu ou prou consacrée à fustiger l’Amérique de Donald Trump et Donald Trump lui-même ?

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Le comble de la partialité médiatique, déguisée en fausse objectivité historique et sociologique, a été atteint lorsqu’il s’est agi de l’immense hommage collectif rendu à Charlie Kirk en présence du président des États-Unis. Après une présentation ironique du public présent par Thomas Snégaroff se demandant si c’était « du beau monde », Judith Perrignon est intervenue pour livrer une analyse selon laquelle le rassemblement pour honorer la mémoire du débatteur conservateur assassiné lui avait fait penser aux réunions américaines nazies des années 30. Cette comparaison est d’une totale absurdité, tant l’objet et les modalités de ce qui a rassemblé il y a peu l’Amérique conservatrice étaient à l’évidence aux antipodes de cette configuration du nazisme américain, sauf à vouloir, à toute force, complaire à une tonalité intellectuelle, politique et médiatique visant à assimiler Donald Trump à un nazi et l’Amérique l’ayant élu à un électorat sans morale et odieux.

Je suis sans doute naïf sur ce sujet mais je n’aurais jamais attendu de cette journaliste infiniment brillante, dans les portraits fins et remarquables qu’elle a publiés dans Le Monde, une telle approche aberrante et trompeuse.

D’autant plus que je sais par Geoffroy Lejeune, dont je n’ai jamais eu à suspecter la sincérité, que les cinq heures de cet hommage n’ont parlé que d’amour, au point que la veuve de la victime est allée jusqu’à déclarer qu’elle pardonnait à son assassin, la seule contradiction émanant évidemment de Donald Trump affirmant que lui  « détestait ses adversaires et qu’il ne voulait pas le meilleur pour eux », tel que c’est rapporté dans un bel article de Laure Mandeville[2].

D’un côté l’amour, et de l’autre, de la part de tous ceux qui crachaient et dégradaient ce rassemblement, la haine. Quoi de commun avec un quelconque nazisme ?

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La liberté d’expression de Judith Perrignon et de tous ceux qui participaient à cette émission, d’un même registre réprobateur, était naturellement entière, et comment ne pas s’en féliciter ? Le scandale ne résidait pas dans les analyses et les propos – la liberté charrie le pire et le meilleur – mais dans l’absence absolue de contradiction dans l’ensemble des séquences. On aurait pu attendre, espérer, une ou des voix dissonantes, discordantes, pour venir apporter un autre point de vue, un regard différent, des amendements souhaitables. Non, rien, le déroulement d’une implacable et constante partialité homogène. Comme si l’on cherchait à nous faire croire que cette mutilation du réel pouvait être la réalité tout entière et que nous en serions dupes. Et c’était sur France 5, chaîne de l’audiovisuel public payé par tous pour aboutir à une vision destinée à quelques-uns !

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Je me suis toujours passionné pour la liberté d’expression et, en démocratie, pour la contradiction et les débats antagonistes qu’elle implique, qu’elle doit inclure nécessairement.

Je me sens d’autant plus concerné que, sans me pousser du col, sur CNews je suis amené à me camper parfois en contradicteur, je l’espère utile, par exemple récemment, sur la reconnaissance de l’État palestinien. Au sortir de ces émissions, je reçois des tombereaux d’injures sur X, mais ils m’apparaissent comme la rançon de la liberté d’expression dont j’use et qui ne m’est jamais mégotée sur les plateaux de CNews et, sur un autre plan, à Sud Radio. On me permettra de conclure ainsi : oui, il est d’intérêt médiatique, pour ne pas dire public, qu’il y ait des contradicteurs dans l’audiovisuel public…


[1] https://www.france.tv/france-5/c-politique/saison-17/7500095-emission-du-dimanche-21-septembre-2025.html

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/laure-mandeville-quand-le-pardon-chretien-s-oppose-a-la-vengeance-trumpiste-20250922




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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