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Des ONG étrangères s’intéressent maintenant à la Seine-Saint-Denis au même titre qu’à des pays en guerre


Des ONG étrangères s’intéressent maintenant à la Seine-Saint-Denis au même titre qu’à des pays en guerre
Forest Whitaker le 11 novembre 2021, Paris © Michel Euler/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22624214_000032

Par ailleurs, Forest Whitaker a-t-il déjà entendu parler de Joséphine Baker?


Samedi 13 novembre, il régnait un petit air californien dans la Silicon Valley française – le 93.

La star hollywoodienne oscarisée Forest Whitaker, en visite à la Courneuve, loin de ses habituels plateaux de cinéma, apparaissait tout sourire aux côtés du président socialiste du département, Stéphane Troussel, et du maire de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein.

L’acteur venait visiter les quartiers populaires de la ville et s’entretenir avec les deux élus du sort des jeunes de ces quartiers défavorisés. Président de l’ONG Whitaker Peace and Development Initiative (WPDI) qu’il a créée en 2012, et qui s’investit dans des projets éducatifs à destination de la jeunesse livrée à la violence, cette question lui tient particulièrement à cœur.

WPDI a annoncé à cette occasion un plan d’investissement en faveur de la jeunesse de Seine-Saint-Denis, selon deux axes. Il s’agit d’un côté de former les jeunes aux « techniques de médiation et de résolution de conflit », notamment vis-à-vis des autorités. De l’autre, il s’agit de les former à l’entreprenariat, pour soutenir leurs projets dans des domaines d’avenir. Selon l’Américain, « le jeune n’est pas un problème mais une solution à ses propres problèmes ».

Solutions globales

En plus de ses rôles au cinéma, Forest Whitaker s’investit donc dans le domaine caritatif. L’acteur ayant grandi dans la pauvreté à Los Angeles, il a d’abord veillé à ce que la WPDI y soit très présente. Depuis 2014, il est également « envoyé spécial de l’UNESCO pour la paix et la réconciliation ». Et justement, s’il se trouvait en France en ce mois de novembre, c’était à l’occasion du maintenant traditionnel Forum de Paris pour la Paix, créé à l’occasion des cent ans de l’armistice de la Grande Guerre, rassemblant chefs d’Etats, institutions, ONG et acteurs privés pour traiter, plus que véritablement de la paix, d’organisation et de gouvernance mondiale[1]. Les acteurs qui composent le Forum, certains ne disposant pourtant d’aucun mandat, veulent s’entendre pour mieux contrôler un monde qu’ils estiment en crise, déchiré entre les migrations, les changements climatiques et les populismes. Les personnalités médiatiques comme Forest Whitaker y sont précieuses pour les financements et la bonne influence qu’elles peuvent apporter.

La semaine de l’acteur américain fut loin d’être inactive et infructueuse. En plus de ses annonces et de son petit safari à La Courneuve, en plus de cette participation au Forum de Paris pour la Paix, il a été promu, lundi 8 novembre, Commandeur de l’Ordre des arts et des lettres, ordre dont il était déjà chevalier depuis 2013. La cérémonie s’est tenue au siège du groupe BNP Paribas, banque liée à l’acteur puisqu’elle se trouve être partenaire de la WPDI pour ses projets en Seine-Saint-Denis. C’est par les réseaux du cinéma que Whitaker a été conduit à s’intéresser au département comptant parmi les plus miséreux et dangereux de France. Comme un symbole, c’est le délégué général au Festival de Cannes, auquel il a participé plusieurs fois, Thierry Frémaux, qui lui a remis les insignes de l’Ordre.

Une rencontre avec le grand frère de Bouna Traoré

Selon un porte-parole de son ONG, c’est à l’occasion d’une visite précédente dans le département, à Clichy-sous-Bois, que Whitaker aurait décidé de voler au secours de la jeunesse défavorisée locale. L’acteur se rendait alors sur les lieux de tournage du film « Les Misérables », du réalisateur controversé Ladj Ly, film qui bouleversa aussi Emmanuel Macron. Whitaker aurait été frappé par la pauvreté de la ville, notamment dans le quartier du Chêne Pointu, emblématique des problèmes locaux. Dans son périple, Whitaker avait pour guide le producteur et réalisateur Djamel Bensalah, producteur et scénariste de « Neuilly sa mère » ou encore réalisateur et producteur de « Beur sur la ville ». À l’occasion de ce voyage, il avait pu rencontrer Siyakha Traoré, figure respectée de Clichy-sous-Bois, liée à Ladj Ly depuis l’enfance, et frère aîné de Bouna Traoré, mort en 2005 avec Zyed Benna sur un site EDF en fuyant la police – évènement qui avait embrasé les banlieues françaises pendant trois semaines et déclenché l’état d’urgence.

Au-delà du discours ému et unanimement laudateur des médias, on peut s’interroger sur un aspect frappant de l’annonce de l’ONG de Forest Whitaker. Même si la WPDI se développe également aux Etats-Unis, comme nous l’avons dit plus haut, elle agit principalement là où la jeunesse est en proie à la violence et à la pauvreté, dans des pays en guerre ou à forte instabilité. Parmi ses théâtres d’opération, on peut citer le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Mexique ou l’Afrique du Sud… N’est-il pas cruellement révélateur que la Seine-Saint-Denis vienne compléter cette liste ?

Et quel aveu de faiblesse finalement pour le gouvernement français que de récompenser celui qui ne fait que venir souligner ses échecs ! En outre, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence, pour la souveraineté française, de laisser une ONG aux financements en grande partie américains et aux motivations opaques, intervenir, comme dans le dernier des pays en guerre, dans ce qui devrait entièrement relever de nos compétences régaliennes. Enfin, même plein de bonnes intentions, il serait pire que tout que ce genre d’initiative étrangère trouve pour interlocuteurs des personnalités liées de près ou de loin à la pensée indigéniste, laquelle participe à la lente sape de l’autorité et de la légitimité de l’État.

[1] https://www.reuters.com/article/topNews/idFRKBN1ET21Q-OFRTP




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est historien.

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