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La rue aboie et la flexibilité passe


La rue aboie et la flexibilité passe

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Ce n’est pas pour abonder dans le sens du camarade Manuel Moreau, mais il faut être vraiment jeune, nationaliste, romantique et ivre d’illusion lyrique pour croire que les hirondelles du mariage gay feront un quelconque « printemps français » qui renverserait la gauche par la force de la rue, alors que ce qui se pointe en douceur, c’est un long, très long hiver de la rigueur, de l’austérité ou de la régression sociale. Choisissez le mot qui vous plaira selon votre appartenance politique : de toute manière, il ne vous reste plus que le vocabulaire pour marquer votre appartenance idéologique, les signifiants variés ne renvoyant plus qu’à un seul signifié : vous allez prendre sévère dans les années qui viennent.
Oui, le « printemps français » peut toujours rêver d’un genre de révolution des casseroles argentine à l’envers ou de putsch de classes moyennes chiliennes en modèle 1973, mais sans les chars. Encore faut-il, mais c’est le privilège de la jeunesse, avoir beaucoup, mais alors beaucoup d’imagination pour voir dans François Hollande  Salvador Allende et dans le Palais de l’Elysée de 2013 un équivalent de La Moneda en 73 où s’élaborerait le passage à une société réellement socialiste.
Le problème, c’est que Bruxelles, les marchés, le Medef, tout ce monde qui gouverne effectivement le pays, est très content de François Hollande. Il mène exactement la politique attendue sur le seul point qui compte vraiment : l’économie.
Sincèrement, vous croyez qu’un vrai libéral, qu’il soit commissaire européen, trader, banquier chez Goldman Sachs ou grand patron, en a grand chose à faire de l’éventuelle révolution anthropologique introduite par le mariage pour tous ? Du moment que les politiques menées s’arrangent pour limiter la baisse tendancielle du taux de profit et fassent plutôt porter sur le travail que sur le capital le coût des crises systémiques du capitalisme, ces gens-là ne verraient aucun inconvénient à une complète légalisation des drogues dures, des armes à feu, de la zoophilie, de la prostitution ou d’un second marché des organes humains.
Jamais les oppositions qui semblent si violentes entre ce qu’il convient encore  d’appeler droite et gauche n’ont été aussi artificielles. On s’écharpe sur le sociétalisme, sur la nouvelle idéologie de la transparence, sur des mesurettes fiscales symboliques contre les riches, pour que tout le monde fasse semblant de croire que la droite défend l’esprit d’entreprise et que la gauche s’attaque au mur de l’argent.
Mais au bout du compte, quand il s’agit de faire passer du sérieux, on s’arrange pour ne pas trop en parler ni dans un camp ni dans l’autre.
J’en veux pour dernier exemple le vote à l’assemblée le 9 avril sur la loi de sécurisation de l’emploi (remember l’inversion sémantique orwellienne dans 1984, « la liberté, c’est l’esclavage ! ») héritière de l’ANI (accord national interprofessionnel), fruit des accords entre des syndicats à peine majoritaires et le Medef.
Là, pour le coup, il s’agit d’un vrai changement de civilisation ! Et par pour quelques dizaines de milliers de couples gays mais pour des millions de salariés. Quand on regarde le contenu de la loi, on est étonné qu’elle ait été proposée en l’état par un parti qui se dit socialiste  : plans sociaux plus faciles,  accords de maintien dans l’emploi à condition d’accepter modulations de salaire ou de temps de travail en fonction des carnets de commandes, mobilité interne obligatoire sous peine de licenciement, temps partiel encore plus flexible, difficultés accrues dans le recours aux prudhommes, pouvoirs réduits du comité d’entreprise.
Sérieusement, comment voulez-vous que la droite s’oppose à cela puisque c’est exactement ce qu’elle souhaitait, et même un peu plus.
L’analyse du scrutin parlementaire est édifiante. Elle illustre mieux que n’importe quelle image à quel point l’affrontement médiatique est surjoué et à quel point ce qui en termine tranquillement avec les acquis du CNR se passe avec une discrétion de violette.
Que constate-t-on, à regarder cette analyse ? C’est l’abstention qui est majoritaire, notamment grâce à l’UMP, à quelques exceptions près et à l’UDI, qui nous rappelle l’actualité du proverbe « Qui ne dit mot consent. » On pourrait d’ailleurs faire remarquer la même chose à propos de l’abstention d’EELV qui ne veut pas passer pour trop libérale mais tient à ses strapontins gouvernementaux. Votent contre seulement des socialistes de gauche (on est obligés de préciser, désormais) qui mêlent leur voix à celles du groupe FDG.
Autrement dit, pendant que la droite et la gauche font semblant d’exister dans la rue, le parlement devient la chambre d’enregistrement des décisions prises par un grand parti unique.
Bref, cette inquiétante conception, qui avait dominé durant plus de deux cents ans, selon laquelle une société pouvait être critiquable et transformable, réformée ou révolutionnée, n’est plus aujourd’hui qu’un spectacle télévisuel. Et vous pouvez zapper, c’est pareil sur toutes les chaînes.

*Photo : Ma Gal.



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