Accueil Politique Faut-il faire le bien du peuple contre lui ?

Faut-il faire le bien du peuple contre lui ?


On délaisse les prolos, on chouchoute les bobos : c’est la nouvelle ritournelle à la mode. Rien n’est plus faux. Tous les gouvernements sont obsédés par la nécessité de faire le bien des classes populaires. Autrement dit, accuser les pouvoirs publics de « prolophobie », c’est de la diffamation.

Le problème est ailleurs. C’est que les prolos aimeraient peut-être qu’on leur lâche la grappe. Depuis le milieu des années 1980, la plupart ont compris que les politiques avaient fait le pari de l’Europe mondialisée et, avec elle, celui de la concurrence faussée et non libre organisée entre les travailleurs du monde entier. Ils ont très bien intégré que les deux grands partis de gouvernement et leurs alliés n’avaient ni le pouvoir, ni peut-être la volonté d’y remédier. Et les optimistes ou les distraits qui avaient encore des illusions les ont définitivement perdues au vu des mesures prises à la suite de la crise financière de 2008.[access capability= »lire_inedits »]

Il faut donc croire que ces gens sont ingrats. Jamais contents alors que, depuis des années, on ne veut que leur bien malgré eux et, au besoin, contre eux. Ainsi le prolo, qui fume davantage que la moyenne, peut-il découvrir sur son paquet de clopes, dont le prix a été sans cesse augmenté pour son bien, les jolies photos destinées à son édification. Puisqu’il est évidemment trop con pour savoir que la nicotine peut engendrer toutes sortes de tumeurs, on s’était jusque-là contenté d’une maxime simple : « Fumer tue ». Légitimement soucieux d’adapter sa pédagogie à la cible, et conscient que les méthodes d’apprentissage de la lecture qui font merveille dans nos collèges risquaient de s’avérer totalement inefficaces avec un public quasiment analphabète, le gouvernement a finalement opté pour l’enseignement par l’image, en l’occurrence celle de poumons pourris. On ne peut qu’approuver une telle sollicitude.

Il ne s’agit pas de s’arrêter en si bon chemin. On le sait, la pauvreté est la mère de tous les vices, le tabagisme étant sans doute le plus véniel. Dame (patronnesse) Bachelot a donc décidé d’ouvrir la chasse aux clients de prostituées. Vous n’allez pas me dire qu’aller aux putes, ce n’est pas mal ? Tenez-vous le pour dit : quand on n’a pas les moyens (économiques et/ou symboliques) d’avoir des maîtresses ou de se payer de la compagnie à plusieurs centaines d’euros la nuit, on se contente de Bobonne (ou de Bobon). Direction le domicile conjugal, seule voie de la rédemption pour le prolo égaré. Et si on n’a pas été fichu de recruter un partenaire pour partager les frais et les emmerdements, il reste les films pornos ou les méthodes que l’Église réprouvait il y a quelques décennies et que nos gouvernants, conscients de la nécessité de libérer le peuple de l’ordre moral d’antan, ne paraissent pas avoir l’intention de pénaliser.

Le pain se faisant cher, le bon peuple a bien le droit à quelques jeux. Comme il ne peut pas passer tous ses dimanches devant sa télévision – l’Académie ayant dénoncé les méfaits d’une consommation cathodique excessive −, le prolo peut encore aller au stade, où lui sont réservées les places les moins chères, celles qui sont situées dans les virages, derrière les buts. Certes, il ne peut plus fumer, mais nul n’oserait contester son droit inaliénable de se rendre à la buvette lors de la pause. Toujours animé par la noble ambition de défendre les intérêts du prolo, l’État a décidé de remplacer la vraie bière par de la fausse et aussi, l’hiver venu, du vin chaud par du vin chaud sans alcool[1. Du vin chaud sans alcool ! Là, on atteint le summum de la sauvagerie]. Dans la tribune présidentielle et les loges payées par les entreprises mécènes, les invités de marque ont? bien sûr? droit à du vrai champagne. C’est que les riches savent ce qui est bon pour eux. De toute façon, les riches, nos gouvernants s’en moquent. Pour eux, seul le populo compte.

On me dira qu’il y a peu de batailles rangées dans les loges, même quand les pipoles ont un peu forcé sur le Ruinart. Mais en France, si l’on excepte la rivalité fabriquée entre OM et PSG, le supporteur de base est plutôt calme, même avec une « Kro » ou un verre de vrai rouge, chaud ou pas, dans le gosier.

Attardons-nous sur la délicate question de l’alcool, vice ancestral du prolo. Et profitons-en pour évoquer la femme-prolo. Lorsqu’elle se retrouve enceinte – le plus souvent sans l’avoir voulu car le prolo découvre souvent avec retard les bienfaits de la science −, celle-ci a d’autant plus de mal à calmer son penchant pour la bouteille qu’elle ignore généralement les dommages qu’il cause. Prenant soin à la fois de la mère et de l’enfant, l’État a donc contraint les vignerons à imprimer sur leur étiquette un pictogramme indiquant que c’est pas bien de boire quand on est enceinte. Vous ne me direz pas que tout n’est pas mis en œuvre pour protéger contre elles-mêmes les classes bêtement dites « défavorisées » alors qu’elles sont au contraire l’objet de toutes les faveurs.

Comment ne pas évoquer, en conclusion, la formidable attention du législateur, que dis-je, du Constituant, pour les chômeurs, ouvriers et employés qui firent pencher la balance du côté du « non » lors du référendum de 2005 ? Le 4 février 2008 à Versailles, une majorité à l’albanaise corrigea cette erreur funeste. Il faut vraiment être de mauvaise foi pour ne pas comprendre que ce vote solennel était une preuve supplémentaire d’un amour immodéré du peuple. Non seulement on avait permis à ces masses incultes, donc infoutues de savoir où est leur bonheur, de manifester leur mauvaise humeur, mais? dans la foulée, on réparait les dégâts en silence, comme le font parfois les mamans quand elles découvrent une bêtise commise par leur progéniture. Quand on vous dit que la prolophobie est une fable…[/access]

Mai 2011 · N°35

Article extrait du Magazine Causeur



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